Date : 20181204
Dossier : T‑224‑18
Référence : 2018 CF 1217
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2018
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
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KOVARTHANAN KONESAVARATHAN
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demandeur
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et
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RADIO DE L’UNIVERSITÉ DE GUELPH / RADIO GRYPHON / CFRU‑FM
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision, datée du 6 décembre 2017, d’un directeur de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] de ne pas statuer sur la plainte relative aux droits de la personne que le demandeur a déposée contre la défenderesse, conformément à l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC (1985), c H‑6 [la LCDP].
II.
Le contexte
[2]
Le demandeur, Kovarthanan Konesavarathan, est un citoyen canadien qui réside à Guelph (Ontario). Il est une personne racialisée.
[3]
La défenderesse, Radio de l’Université de Guelph / Radio Gryphon / CFRU‑FM [la station CFRU], est une société à but non lucratif qui exploite une station de radio communautaire à Guelph (Ontario). Le demandeur s’est joint à cette station à titre de bénévole en 2015.
[4]
Les règlements administratifs de la station CFRU 93.3 FM [les règlements administratifs] exigent que les affaires de la station soient gérées par un conseil qui est formé de 12 administrateurs ayant droit de vote [le Conseil] et qui présente un certain nombre de caractéristiques, dont les suivantes :
a) au moins 80 % des administrateurs doivent être des citoyens canadiens habitant dans la zone de diffusion de la station CFRU;
b) au moins 50 % des administrateurs doivent être des étudiants de l’Université de Guelph;
c) au moins 50 % des administrateurs doivent être des femmes.
[5]
À l’assemblée générale annuelle [l’AGA] de la station CFRU, qui a eu lieu le 24 novembre 2015 ou aux environs de cette date, le demandeur a présenté sa candidature pour devenir membre du Conseil.
[6]
Une élection a eu lieu à l’AGA en vue de combler quatre sièges vacants du Conseil pour des hommes qui étaient soit membres de la communauté, soit membres du corps professoral de l’Université de Guelph. Il y avait six candidats en lice pour les quatre sièges vacants. Chacun d’eux a eu l’occasion de prendre la parole et de présenter ses qualifications en vue de l’élection. À la suite de cela, les personnes présentes ont voté, et le demandeur n’a pas été élu.
[7]
Il y avait deux autres sièges au Conseil qui n’étaient pas ouverts à l’élection tenue lors de l’AGA, même s’ils étaient vacants, parce qu’ils étaient destinés à des femmes et qu’il n’y avait pas assez de candidates souhaitant obtenir une place au Conseil.
[8]
Le 17 février 2016 ou aux environs de cette date, le demandeur a porté plainte devant la Commission, alléguant que la procédure électorale de la station CFRU avait fait preuve de discrimination à son endroit pour cause de déficience, de race, d’origine nationale ou ethnique et de couleur [la plainte].
[9]
Dans une lettre datée du 31 mai 2016, la Commission a écrit au demandeur, l’informant qu’elle produirait un rapport fondé sur les articles 40 et 41 afin d’examiner si l’alinéa 41(1)d) de la LCDP s’appliquait à sa plainte, et lui offrant la possibilité de rédiger une lettre faisant état de sa position sur la question.
[10]
L’article 40 de la LCDP dispose que, sous réserve de certaines limites, tout individu ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission.
[11]
Le paragraphe 41(1) oblige la Commission à statuer sur toute plainte dont elle est saisie, sauf s’il lui semble que :
a) la victime présumée de l’acte discriminatoire devrait épuiser d’abord les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;
b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;
c) la plainte n’est pas de sa compétence;
d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;
e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.
[Non souligné dans l’original.]
[12]
Dans une lettre datée du 8 août 2016, le demandeur a formulé des observations détaillées pour expliquer pourquoi sa plainte ne tombait pas sous le coup de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.
[13]
À ce moment‑là à peu près, il y a eu aussi un échange de lettres important entre le demandeur et la Commission pour traiter de la question de savoir si, d’une part, l’alinéa 41(1)d) s’appliquait à la plainte et, d’autre part, la Commission devait statuer sur la plainte en vertu des articles 5, 7 ou 10 de la LCDP.
[14]
La Commission a produit un rapport fondé sur les articles 40 et 41, daté du 19 juillet 2017 [le rapport de la Commission] et dans lequel elle a recommandé de ne pas statuer sur la plainte au motif que celle‑ci était frivole, au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP.
[15]
Dans une lettre datée du 23 août 2017, le demandeur a fourni d’autres observations à la Commission à propos de son rapport.
[16]
Dans une décision datée du 6 décembre 2017 qui intégrait son rapport, la Commission a rejeté la plainte au motif qu’elle était frivole, au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP [la décision de la Commission].
III.
Les questions en litige
[17]
Les questions en litige sont les suivantes :
- La Commission a‑t‑elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale, et ce, selon le cas :
- en suivant un processus irrégulier;
- en interprétant mal une observation importante formulée dans la plainte?
- La décision de la Commission est‑elle déraisonnable parce que, selon le cas :
- la Commission a commis une erreur dans son application de la LCDP;
- la Commission a conclu de manière déraisonnable que la plainte était frivole?
IV.
La norme de contrôle applicable
[18]
Les parties conviennent que les questions d’équité procédurale doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte et que l’examen de fond doit être entrepris en fonction de la norme de la décision raisonnable.
[19]
Une décision que rend la Commission en application du paragraphe 41(1) de la LCDP est de nature discrétionnaire et elle a droit à un degré élevé de déférence (Georgoulas c Canada (Procureur général), 2017 CF 446, au par. 17 [la décision Georgoulas]).
V.
Analyse
A.
La Commission a‑t‑elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale?
[20]
Les droits procéduraux qu’il convient d’accorder au demandeur s’inscrivent à l’extrémité inférieure de la gamme (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux par. 21 à 28).
(1)
La procédure que la Commission a suivie
[21]
Le demandeur conteste la procédure que la Commission a suivie, disant que cette dernière a posé des questions trompeuses et a mal interprété ses observations. La Commission a donné au demandeur une foule d’occasions d’exprimer son point de vue et elle a produit un rapport fondé sur les articles 40 et 41 détaillé, de même que la décision elle‑même. Le demandeur n’est peut‑être pas d’accord avec l’issue à laquelle la Commission est arrivée, mais la preuve établit que cette dernière n’a pas privé le demandeur de ses droits à l’équité procédurale.
(2)
Une interprétation erronée d’une observation importante
[22]
Le demandeur allègue aussi que la Commission a mal interprété l’argument qu’il invoquait et qu’elle a donc rejeté la plainte sur un fondement irrégulier.
[23]
Dans la plainte, le demandeur a écrit :
[traduction]
Ma thèse : D’après le récit, on conclurait que l’élection n’était pas une exigence stricte. Parce que, quand le conseil n’avait pas assez de représentants d’un groupe protégé par le code, les candidats appartenant à ce groupe protégé étaient choisis sans qu’ils aient à prendre part à l’élection. Le Code des droits de la personne dispose qu’aucun motif visé par le code n’est supérieur à un autre.
J’étais membre de la minorité visible, mais j’ai été contraint de rivaliser avec d’autres candidats issus de la communauté blanche majoritaire, à laquelle appartenaient plus de 90 % des électeurs admissibles. Au lieu de choisir les candidats en fonction de leurs mérites, les électeurs blancs majoritaires ont choisi les candidats blancs. Cela a fait ressortir deux problèmes : 1) les membres ayant droit de vote n’avaient pas compétence sur les droits de la personne, et 2) le conseil n’était pas en mesure de déterminer et de régler les obstacles auxquels étaient confrontées les personnes protégées par le code de façon à assurer l’inclusion ou la représentation de personnes protégées par le code.
[24]
Le demandeur met ensuite en lumière le passage suivant, extrait de la décision de la Commission :
[traduction]
La principale question à trancher pour décider si la Commission devrait statuer sur cette plainte ou non est celle de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’en réservant des sièges à des femmes et, quand certains de ces sièges sont restés vacants, en ne les offrant pas lors de l’élection générale, la défenderesse a fait preuve de discrimination à l’endroit du plaignant pour cause de déficience ou de race, d’origine nationale ou ethnique ou de couleur. La Commission souscrit à la conclusion tirée dans le rapport, à savoir que le plaignant n’a pas fourni un fondement suffisant pour que l’on puisse donner suite à sa plainte.
[25]
Le demandeur soutient que les passages susmentionnés prouvent qu’on a mal interprété son argument et, ajoute‑t‑il, cette erreur entache l’ensemble de la décision de la Commission et la rend donc déraisonnable.
[26]
L’idée maîtresse de l’argument qu’invoque le demandeur dans le passage susmentionné semble être qu’il n’aurait pas dû être forcé à se porter candidat à l’élection, étant donné que des femmes ont été nommées au conseil sans être élues. Dans son argumentation orale, le demandeur a axé ses observations sur l’élection elle‑même, et il a fait valoir qu’il était plus qualifié que les candidats masculins qui ont été élus en fin de compte.
[27]
Dans l’un ou l’autre cas, le demandeur isole de manière inappropriée un passage particulier de la décision de la Commission sans prendre en compte l’ensemble des motifs que celle‑ci a fournis. L’argument du demandeur porte dans une large mesure sur les paragraphes 16 à 19 et 23 à 27 du rapport de la Commission, et ce rapport est explicitement intégré dans le texte de la décision de la Commission. Comme la Cour l’a déjà décrété, si la Commission fait siennes les recommandations qui figurent dans un rapport fondé sur les articles 40 et 41, il faut considérer que ce rapport fait partie des motifs de la Commission (décision Georgoulas, précitée).
[28]
Je conclus que la Commission n’a pas mal interprété la nature de la plainte ou qu’il y a eu privation de l’équité procédurale sur ce fondement.
B.
La décision de la Commission est‑elle déraisonnable?
(1)
La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son application de la LCDP?
[29]
Le demandeur soutient devant la Cour, comme il l’a fait devant la Commission, que la plainte aurait dû être examinée au regard des articles 7 et 10 de la LCDP, plutôt que de l’article 5.
[30]
La Commission présente une analyse mûrement réfléchie aux paragraphes 4 à 7 de son rapport quant à la raison pour laquelle il y a lieu d’examiner la plainte au regard de l’article 5 de la LCDP. Cette analyse et cette conclusion sont raisonnables.
[31]
De plus, comme l’a souligné la Commission dans sa décision, la Cour, lorsqu’elle a été confrontée à cet argument précis, a déjà conclu dans la décision Panacci c Canada (Procureur général), 2010 CF 114, aux paragraphes 55 et 56, qu’il importe peu de savoir quelle disposition sert à fonder la compétence de la Commission :
[55] En l’espèce, les articles 5, 7 et 10 confèrent à la Commission la compétence pour enquêter sur la plainte et en saisir, le cas échéant, le Tribunal. Personne n’a vraiment contesté la compétence de la Commission à l’égard de la présente affaire.
[56] Quoi qu’il en soit, il importe peu de savoir quelle disposition de la Loi a servi à fonder la compétence de la Commission. La Commission s’est à juste titre déclarée compétente et a enquêté sur l’existence d’actes discriminatoires.
(2)
La Commission a‑t‑elle conclu de manière déraisonnable que la plainte était frivole?
[32]
Le demandeur allègue également que la Commission a rejeté déraisonnablement la plainte en application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP parce que : 1) elle n’aurait pas dû appliquer une norme prima facie en vue de rejeter sa plainte, 2) elle a commis une erreur dans son application de la norme prima facie, et 3) subsidiairement, l’issue de la décision de la Commission était déraisonnable.
[33]
Le critère qui permet de déterminer si une plainte est frivole ou non au sens de l’alinéa 41(1)d) est celui de savoir si, au vu de la preuve, il semble manifeste et évident que la plainte est vouée à l’échec (Hérold c Canada Agence du revenu, 2011 CF 544, au par. 35). Pour les besoins de la présente analyse, les allégations de fait que comporte la plainte doivent être considérées comme véridiques (Keith c Canada (Service correctionnel), 2012 CAF 117, au par. 51).
[34]
Comme le fait remarquer la défenderesse, ce critère et les décisions citées plus tôt ont été énoncés à l’avantage du demandeur dans le rapport de la Commission. On ne sait pas avec certitude pour quel motif le demandeur conteste le critère que la Commission a appliqué. Je conclus que cette dernière a appliqué le bon cadre juridique.
[35]
L’issue de la décision de la Commission, à savoir qu’il convient de rejeter la plainte pour cause de frivolité, est raisonnable elle aussi, et elle appartient aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je signale en particulier que :
a) le demandeur n’a fourni aucune preuve, ni devant la Commission ni devant la Cour, à l’appui d’une allégation selon laquelle il a été victime de discrimination en ce qui concerne le processus électoral;
b) la Commission a conclu de manière raisonnable que la règle qui figure dans les règlements administratifs, soit celle de disposer au Conseil d’un nombre égal d’hommes et de femmes, et la décision de mettre en œuvre cette règle par voie de nomination plutôt que par voie électorale, n’étaient pas discriminatoires au sens de la LCDP;
c) la Commission a refusé de manière raisonnable de statuer sur une plainte reposant uniquement sur de simples affirmations non fondées (Love c Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, 2014 CF 643, au par. 71).
[36]
Je conclus que la plainte du demandeur est frivole et vexatoire et qu’il était manifeste et évident que ce dernier n’avait aucune chance de succès.
[37]
La demande est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.
JUGEMENT dans le dossier T‑224‑18
LA COUR ORDONNE :
L’intitulé de la cause est par la présente modifié pour corriger la graphie du nom de la défenderesse
« CFRU 93.3 FM »
en la remplaçant par« Radio de l’Université de Guelph / Radio Gryphon / CFRU‑FM »
.La demande est rejetée avec dépens d’un montant de 6 000 $ en faveur de la défenderesse, conformément au tarif B.
« Michael D. Manson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 18e jour de décembre 2018.
Claude Leclerc, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑224‑18
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INTITULÉ :
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KOVARTHANAN KONESAVARATHAN c RADIO DE L’UNIVERSITÉ DE GUELPH / RADIO GRYPHON / CFRU‑FM
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 3 dÉcembrE 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE MANSON
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 4 DÉcembrE 2018
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COMPARUTIONS :
Kovarathanan Nonesavarathan
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LE DEMANDEUR |
Michael Vrantsidis
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POUR LA DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gibbs & Associates
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DÉFENDERESSE
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