Dossier : T-712-18
Référence : 2018 CF 1190
Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2018
En présence de madame la juge St-Louis
ENTRE :
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RENFORD FARRIER
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demandeur
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
M. Renford Farrier demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Section d’appel) datée du 20 mars 2018. La Section d’appel a alors rejeté l’appel de M. Farrier et confirmé la décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) lui refusant l’octroi d’une semi-liberté ou d’une libération conditionnelle pré-libératoires.
[2]
Au cœur du présent litige se trouve le défaut, par la Commission, d’avoir enregistré l’audience tenue devant elle. Au titre des redressements, M. Farrier demande à la Cour d’annuler la décision de la Section d’appel, d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant cette dernière.
[3]
Pour les motifs exposés ci-après, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire.
II.
CONTEXTE
[4]
Depuis 1992, M. Farrier purge une peine d’emprisonnement à perpétuité.
[5]
Le 6 décembre 2017, la Commission refuse de lui accorder une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale.
[6]
Lors de l’audience, la Commission reçoit des nouveaux renseignements qui n’avaient pas été dévoilés à M. Farrier au moins 15 jours avant l’audience, tel que l’exige le paragraphe 141(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 [la Loi]. Au titre de ces nouveaux renseignements, l’agent de libération conditionnelle informe la Commission qu’un incident d’octobre 2017, initialement qualifié de surdose, pourrait ne pas en être une.
[7]
Outre le témoignage précité de l’agent de libération conditionnelle, la Commission reçoit au moins aussi le témoignage de l’assistant de M. Farrier et celui de la Gestionnaire, évaluation et intervention (Manager Assessment and Intervention).
[8]
Dans sa décision, la Commission ne dévoile pas l’identité de l’assistant, mais consigne qu’il a présenté un plan de libération détaillé dans lequel des ressources et des bénévoles seraient présents afin de soutenir M. Farrier dans sa réintégration sociale (page 5 de la décision de la Commission). La Commission consigne aussi que la Gestionnaire, évaluation et intervention a fortement plaidé en faveur de la libération de M. Farrier, sur la base, essentiellement, que ce dernier ne tirerait plus de bénéfices de son incarcération. La Commission consigne enfin le fait que l’Équipe de gestion de cas (l’EGC) de M. Farrier croit plutôt qu’aucune libération conditionnelle ne devrait lui être accordée.
[9]
Le 8 décembre 2017, M. Farrier demande à la Commission de lui transmettre l’enregistrement de l’audience. Cependant, le 8 janvier 2018, cette dernière répond en s’excusant de ne pouvoir répondre à la demande de M. Farrier, puisque l’audience n’a pas été enregistrée en raison de problèmes techniques avec l’enregistreuse.
[10]
Le 31 janvier 2018, M. Farrier porte la décision de la Commission en appel auprès de la Section d’appel et, au titre des redressements, demande à cette dernière d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. M. Farrier dépose alors des représentations écrites, mais ne joint aucun affidavit.
[11]
Auprès de la Section d’appel, M. Farrier ne soulève que le défaut, par la Commission, d’enregistrer l’audience tenue devant elle. Il plaide que la Commission (1) a contrevenu au paragraphe 10 de la section 11.1 du Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires [le Manuel des politiques] qui l’oblige à procéder à l’enregistrement sonore de toutes les audiences; (2) a commis une erreur de droit en contrevenant au paragraphe 140(13) de la Loi qui l’oblige à permettre aux victimes d’écouter l’enregistrement sonore des audiences; et (3) n’a pas respecté les principes de justice fondamentale en ne rendant pas disponible l’enregistrement de l’audience.
[12]
En lien avec le non-respect des principes de justice fondamentale, M. Farrier soumet à la Section d’appel que (a) il est impossible pour la Section d’appel d’exercer sa compétence sans l’enregistrement sonore, ni de statuer sur le respect de la garantie procédurale prévue à l’article 141 de la Loi, à l’effet que le demandeur doit recevoir tout renseignement au moins 15 jours avant l’audience; (b) le très court résumé dans la décision de la Commission des nouveaux renseignements partagés verbalement par l’EGC au début de l’audience ne permet pas à la Section d’appel d’en prendre connaissance équitablement; (c) les documents écrits n’étaient pas disponibles lors de l’audience, ne font pas partie du dossier et la Section d’appel ne doit donc pas en prendre connaissance; et (d) le résumé des renseignements pertinents fournis par l’assistant lors de l’audience ne permet pas de comprendre quel soutien ou quelles ressources précisément sont disponibles dans le cadre de la réinsertion sociale de M. Farrier (représentations écrites à la Section d’appel datées du 31 janvier 2018, page 24 du Dossier du demandeur).
[13]
Le 20 mars 2018, la Section d’appel rejette l’appel de M. Farrier. Dans une courte décision, la Section d’appel conclut que les allégations que M. Farrier a soulevées sont infondées puisque (1) la Commission n’est pas tenue d’enregistrer ses audiences, tel que l’a confirmé la Cour fédérale dans la décision Giroux c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1994] FCJ No 1750 [Giroux], et le « dossier des procédures »
que la Commission doit tenir selon le paragraphe 143(1) de la Loi est plutôt constitué de la décision motivée de la Commission et des raisons et n’inclut pas les enregistrements d’audiences; et (2) les nouveaux renseignements partagés au début de l’audience n’étaient pas déterminants dans l’analyse de la Commission, qui a d’ailleurs noté que ces nouveaux renseignements devaient être confirmés puisque les résultats d’analyse n’étaient pas encore disponibles.
III.
POSITION DES PARTIES
A.
Position de M. Farrier
[14]
Au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Farrier dépose un affidavit signé le 9 mai 2018 et dans lequel il affirme notamment que (1) la décision de la Commission ne constitue pas un rapport complet et exact de l’audience tenue devant elle; (2) le nom, le poste et les représentations orales de son assistant sont complètement absents de la décision de la Commission alors que l’assistant a présenté d’importantes informations sur les possibilités de bénévolat et d’emploi de M. Farrier au sein de sa mosquée; (3) les informations au sujet de sa situation en octobre 2017 sont incomplètes et inexactes puisque M. Farrier n’a pas eu de surdose; (4) la conclusion selon laquelle l’EGC ne recommande pas de liberté conditionnelle est inexacte, puisque l’agent de libération a expliqué les raisons pour lesquelles une recommandation demeure au dossier, mais aussi celles pour lesquelles elle recommandait une semi-liberté, information qui est absente de la décision; et (5) la décision de la Commission est incomplète et injuste par rapport à ce qui a été dit lors de l’audience.
[15]
Dans ses représentations écrites à la Cour, M. Farrier soutient que la norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit et d’équité procédurale et que la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions de fait et aux questions mixtes de droit et de fait (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).
[16]
Ensuite, M. Farrier plaide que la Section d’appel (1) a commis une erreur de droit en concluant que la Loi n’exigeait pas l’enregistrement sonore des audiences devant la Commission; (2) a commis une erreur de droit en concluant que l’absence d’enregistrement sonore des audiences ne constituait pas un motif d’appel en vertu de la Loi; et (3) a erré en concluant que l’absence d’enregistrement sonore de l’audience ne contrevenait pas aux principes de justice fondamentale dans le cas présent.
[17]
En lien avec le premier argument, M. Farrier soutient que la Section d’appel a commis une erreur de droit en s’appuyant sur le paragraphe 143(1) de la Loi et sur la décision Giroux pour conclure que l’enregistrement sonore des audiences de la Commission ne constitue pas une exigence légale. En effet, M. Farrier soutient d’abord que sa situation diffère de celle en jeu dans Giroux, où la Commission n’avait alors pas tenu d’audience et avait complété l’examen sur dossier, et qu’il était donc approprié de ne pas disposer d’enregistrement (Giroux au para 17).
[18]
M. Farrier reconnait par ailleurs que la Cour fédérale a, dans Giroux, aussi déterminé subsidiairement que l’enregistrement sonore des audiences n’est pas légalement requis, mais il soutient que l’adoption subséquente des paragraphes 140(13) et 140.2(1) de la Loi rend l’interprétation de Giroux déraisonnable. Le paragraphe 140(13) prévoit qu’une victime non présente à l’audience a le droit d’écouter l’enregistrement sonore de l’audience et le paragraphe 140.2(1) prévoit que, si la transcription de l’enregistrement sonore est effectuée, elle doit être fournie gratuitement.
[19]
En lien avec le deuxième argument, M. Farrier plaide que la Section d’appel aurait dû accueillir son appel puisque la Commission a contrevenu à ses propres directives ou ne les a pas appliquées, ce qui constitue un des motifs d’appel prévus à l’alinéa 147(1)c) de la Loi. En effet, le paragraphe 10 de la section 11.1 du Manuel des politiques prévoit que « [l]a Commission procède à l’enregistrement sonore de toutes les audiences »
, ce que la Commission n’a pas fait. Il ajoute que, sans enregistrement de l’audience de la Commission, la Section d’appel n’était pas en mesure de vérifier si les garanties procédurales avaient été respectées.
[20]
En lien avec le troisième argument, M. Farrier avance que l’absence d’enregistrement sonore de l’audience viole les principes de justice fondamentale compte tenu que ni la Section d’appel et ni la Cour fédérale ne sont en mesure d’évaluer le caractère raisonnable de la décision de la Commission (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c Montréal (Ville), [1997] 1 RCS 793 [SCFP, section locale 301]; Razm c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-3796-98; Makarov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 55).
[21]
M. Farrier conclut que la Cour devrait dispenser les parties du paiement des dépens, ou les limiter à 500$.
B.
Position du défendeur
[22]
Le défendeur soutient que la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable et que la norme applicable aux questions de droit et aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. De plus, en matière de libération conditionnelle, la Cour ne devrait pas intervenir à moins d’avoir des éléments de preuve clairs et non équivoques que la décision est tout à fait injuste (Korn c Canada (Procureur général), 2014 CF 590 au para 14; Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105).
[23]
Le défendeur poursuit en exposant le droit applicable et, aux titres des arguments, il répond que (1) l’absence d’enregistrement ne viole pas l’équité procédurale; et (2) les nouvelles informations présentées lors de l’audience devant la Commission n’étaient pas déterminantes.
[24]
En lien avec le premier argument, le défendeur précise que l’absence d’enregistrement ne viole pas l’équité procédurale puisque la Commission n’est pas légalement obligée de fournir un enregistrement de l’audience et que, à tout événement, l’absence d’enregistrement n’a pas causé de préjudice au demandeur.
[25]
Selon le défendeur, la Commission n’a pas d’obligation légale de fournir un enregistrement de l’audience, car : (a) l’article 143 de la Loi n’impose à la Commission que de tenir un « dossier des procédures »
, ce qui n’est pas un enregistrement; (b) la Cour suprême du Canada a déterminé qu’en l’absence d’une obligation légale à cet effet, l’absence d’une transcription ne viole pas les règles de justice naturelle, si le dossier permet aux cours de justice de statuer convenablement sur la demande (SCFP, section locale 301); (c) la décision Giroux abonde dans le même sens; (d) si le législateur avait voulu prévoir l’obligation d’enregistrer les audiences de la Commission en matière de libération conditionnelle, il l’aurait prévu expressément, tel que pour les audiences disciplinaires, à l’article 33 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition; et (e) le Manuel des politiques n’a pas force de loi.
[26]
De plus, le défendeur soutient que l’absence d’enregistrement ne préjudicie pas le demandeur. La Cour fédérale a reconnu que, malgré l’existence de règles exigeant l’enregistrement des audiences, pour faire rejeter une décision de la Commission en raison d’un enregistrement incomplet, le demandeur doit démontrer un préjudice (Desjardins v Canada (National Parole Board), [1989] FCJ No 910; Miller c Canada (Solicitor General), 1999 CanLII 7943 (CF)). Ainsi, bien que le non-respect du Manuel des politiques constitue un motif d’appel prévu par la Directive du commissaire 712-3 : Examens de la commission des libérations conditionnelles du Canada, l’absence de préjudice au demandeur l’empêche d’utiliser ce motif d’appel. Par ailleurs, le Manuel des politiques prévoit que la Section d’appel n’évalue le contenu de l’enregistrement que « s’il y a lieu »
, ce qui implique que les enregistrements ne sont pas toujours disponibles.
[27]
En lien avec le deuxième argument, le défendeur soutient que les nouveaux renseignements auxquels réfère le demandeur pour justifier la nécessité de disposer de l’enregistrement sont non déterminants. D’abord, le demandeur peut attester lui-même s’il a renoncé au délai de 15 jours ou non. Ensuite, la Commission a pris note, dans sa décision, des nouveaux renseignements présentés à l’audience, tels le témoignage du médecin relatif à la surdose et le plan de libération de l’assistant. Finalement, malgré le fait que la Commission n’ait pas tenu compte de l’opinion de la Gestionnaire émise en cours d’audience, cette opinion n’est pas complètement favorable au demandeur.
IV.
ANALYSE
A.
Norme de contrôle
[28]
Notre Cour est guidée par la norme de la décision raisonnable dans l’exercice de contrôle des questions mixtes de fait et de droit de la décision de la Section d’appel (Cartier c Canada (Procureur Général), 2002 CAF 384 au para 9 [Cartier]).
[29]
En ce qui a trait à l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a récemment traité de la façon d’approcher la question dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique]. Selon cette décision, la Cour n’applique pas de norme de contrôle à une question d’équité procédurale : elle doit plutôt se demander si le processus suivi était juste et équitable, en portant attention à la nature des droits en jeu et aux conséquences pour les individus touchés (Canadien Pacifique au para 54).
B.
Enregistrement des audiences de la Commission
(1)
La loi ne prévoit pas l’obligation, pour la Commission, d’enregistrer ses audiences
[30]
Le demandeur n’a pas convaincu la Cour que l’adoption des articles 140(13) et 140.2(1) de la Loi ont eu pour effet de modifier le droit existant (Giroux; Amable c Canada (Procureur général), 1998 CarswellNat 5066 [Amable]) et de créer, pour la Commission, une obligation statutaire d’enregistrer ses audiences. Ainsi, la Section d’appel n’a pas erré en concluant que la Commission n’est pas tenue d’enregistrer ses audiences.
[31]
La Cour, tout comme la Commission et la Section d’appel, est guidée par le texte de la Loi, par la jurisprudence et par le texte du Manuel des politiques, bien que ce dernier n’ait pas force de loi. La Loi actuelle a, en 1992, remplacé la Loi sur la libération conditionnelle, LRC 1985, c P-2, dont le Règlement sur la libération conditionnelle, DORS/78-428, prévoyait, à son l’article 16.2, l’enregistrement de l’audience devant la Commission. Cette obligation n’a pas été reprise dans la Loi ou ses règlements.
[32]
La Partie II de la Loi prévoit les dispositions liées à la mise en liberté sous condition, le maintien en incarcération et la surveillance de longue durée. De façon particulière, l’article 140 de la Loi traite des audiences devant la Commission et l’article 147, du droit d’appel auprès de la Section d’appel. Le texte intégral de ces articles est reproduit en annexe.
[33]
Le paragraphe 143(1) de la Loi actuelle oblige la Commission à tenir « un dossier des procédures »
, lequel, tel que l’a décidé la Cour fédérale dans Giroux, est constitué de la décision et des raisons et n’inclut pas l’enregistrement de l’audience. La Cour fédérale a alors spécifiquement noté que la Commission n’avait pas d’obligation d’enregistrer l’audience (Giroux au para 19) et que même si la Commission adopte la pratique prudente d’enregistrer ses audiences, l’absence de transcription ne contrevient ni à la loi, ni aux principes de justice naturelle. Cette position a été confirmée dans Amable au paragraphe 2.
[34]
M. Farrier plaide que les paragraphes 140(13) et 140.2(1) de la Loi, adoptés après la décision Giroux, en rendent maintenant l’interprétation déraisonnable. Le paragraphe 140(13) prévoit qu’une victime non présente à l’audience a le droit d’écouter l’enregistrement sonore de l’audience et le paragraphe 140.2(1) prévoit que, si la transcription de l’enregistrement sonore est effectuée, elle doit être fournie gratuitement.
[35]
La Cour n’a pas été convaincue que l’adoption de ces deux paragraphes a modifié le droit applicable pour imposer à la Commission l’obligation statutaire d’enregistrer ses audiences sous peine de voir sa décision annulée. L’article 143 qui prévoit l’obligation imposée à la Commission de tenir un dossier des procédures n’a, lui, pas été modifié et le texte même des deux articles auxquels le demandeur réfère ne permet pas de conclure à la création d’une obligation d’enregistrer au bénéfice du demandeur.
[36]
Enfin, la Cour constate que le paragraphe 10 de la section 11.1 du Manuel des politiques prévoit que « [l]a Commission procède à l’enregistrement sonore de toutes les audiences »
. Or, le Manuel n’a pas force de loi (Collins c Canada (Procureur général), 2014 CF 439 au para 39; Latimer c Canada (Procureur général), 2010 CF 806 au para 48) et les parties n’ont pu confirmer s’il existait au moment de la décision Giroux.
(2)
La Section d‘appel n’a pas enfreint les principes de justice fondamentale
[37]
La conclusion sur le premier point ne règle cependant pas le présent litige puisqu’il serait néanmoins possible pour la Section d’appel d’annuler une décision de la Commission pour défaut d’enregistrer l’audience.
[38]
En effet, la Cour suprême a énoncé que « En l’absence d’un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d’appel ou de révision. Si c’est le cas, l’absence d’une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle »
(SCFP, section locale 301 au para 81).
[39]
D’autre part, la jurisprudence enseigne aussi que même lorsque l’enregistrement est obligatoire, son défaut n’entraine pas nécessairement l’annulation de la décision. En effet, la Cour suprême nous indique que « Même dans le cas où la loi prévoit le droit à l’enregistrement de l’audition, les tribunaux ont conclu que le requérant doit démontrer qu’il existe une « possibilité sérieuse » d’une erreur dans le dossier ou d’une erreur telle que l’absence d’enregistrement l’empêche de faire valoir ses moyens d’appel : Cameron c National Parole Board, [1993] BCJ 1630 (CS), qui suit Desjardins c National Parole Board (1989), 29 FTR 38 »
(SCFP, Local 301 para 77).
[40]
Or, force est de constater que M. Farrier n’a pas, devant la Section d’appel, démontré que cette dernière ne pouvait statuer sur son dossier ou que l’absence d’enregistrement l’empêchait de faire valoir ses moyens d’appel.
[41]
Devant la Section d’appel, M. Farrier a limité ses représentations à la question de déterminer si la Commission a, ou non, l’obligation légale d’enregistrer ses audiences et n’a formulé que des allégations laconiques en lien avec la possibilité que la Commission aurait ignoré ou rapporté de façon incomplète ou inexacte des informations reçues lors de son audience. Ces allégations sont contenues au paragraphe 17 des représentations écrites qu’il a présentées devant la Section d’appel et ne sont soutenues par aucune preuve.
[42]
Devant notre Cour, M. Farrier a soumis un affidavit et a affirmé que la décision de la Commission ne constituait pas un dossier exact et complet de l’audience, en précisant quelles conclusions étaient inexactes, alléguant notamment que (1) le nom, le poste et les représentations de son assistant, particulièrement celles au sujet des possibilités de bénévolat et d’emploi au Café de sa mosquée, sont complétement absents; (2) le sommaire des nouvelles informations au sujet de la condition de M. Farrier en octobre 2017 est incomplet et inexact; il n’a pas fait une surdose; (3) l’agent de libération a expliqué les raisons pour lesquelles elle n’est pas d’accord avec la théorie de la surdose et cette information est absente de la décision; (4) l’allégation selon laquelle l’EGC croit qu’aucune libération conditionnelle ne devrait être accordée est inexacte; (5) l’agent de libération conditionnelle a expliqué durant l’audience la raison pour laquelle elle recommandait une libération et cette information importante est absente de la décision; (6) les motifs de la décision de la Commission sont incomplets et injustes par rapport à ce qui s’est dit lors de l’audience.
[43]
Or, cet affidavit n’était pas devant la Section d’appel, qui ne pouvait donc pas traiter de ces questions en particulier.
[44]
Ainsi, compte tenu du dossier que le demandeur a présenté à la Section d’appel, la Cour ne peut conclure que cette dernière a erré en n’annulant pas la décision de la Commission.
C.
Dépens
[45]
Le demandeur demande à être dispensé des dépens, ou de les limiter à 500$, soulevant l’importance des questions soulevées et le fait qu’il est incarcéré depuis 1992. Le défendeur demande l’octroi de dépens et a soumis un mémoire de frais, consignant les frais occasionnés par le contrôle judiciaire à un montant de 2 299,98$.
[46]
La Cour possède un pouvoir discrétionnaire pour imposer des dépens (paragraphe 400(1) des Règles de la Cour fédérale, DORS/98-106 [Règles]) et le paragraphe 400(3) des Règles énumère les facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire.
[47]
La Cour s’est souvent montrée sensible aux moyens limités des détenus (St-Pierre c Canada (Procureur général), 2018 CF 1065 aux para 91–92; Barkley c Canada, 2018 CF 227 au para 31, Johnson c Canada (Service correctionnel), 2017 CF 370 au para 36). Par ailleurs, dans d’autres cas, la Cour s’est montrée moins clémente et a refusé de dispenser les détenus des dépens en raison de leurs moyens limités, surtout lorsque la question a déjà été décidée par la jurisprudence (Boucher c Canada (Procureur général), 2007 CF 893 aux para 38–40) ou lorsque le détenu intente de nombreux recours (Mapara c Canada, 2014 CF 538 au para 44). Dans le passé, la Cour a régulièrement tenu les détenus aux dépens et ne leur a pas accordé de traitement spécial, adjugeant principalement en fonction du bien-fondé de l’action (Forrest c Canada (Procureur général), 2002 CFPI 539 au para 52).
[48]
En l’instance, la Cour n’a aucune information sur les moyens financiers de M. Farrier et lui imposera donc des dépens, pour la somme globale de 500$.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
Le rejet de la demande de contrôle judiciaire.
Des dépens de 500$ en faveur du défendeur.
ANNEXE
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-712-18
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INTITULÉ :
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RENFORD FARRIER C. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
MONTRÉAL (QUÉBEC)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 NOVEMBRE 2018
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jugement et motifs :
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LA JUGE ST-LOUIS
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DATE DES MOTIFS :
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LE 28 NOVEMBRE 2018
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COMPARUTIONS :
Me Rita Magloé Francis
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Pour le demandeur
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Me Jessica Pizzoli
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Surprenant Magloé
Avocats
Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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