Dossier : IMM-461-18
Référence : 2018 CF 1186
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2018
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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RONG HU
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Mme Rong Hu, la demanderesse, est citoyenne de la Chine. Elle a obtenu sa résidence permanente au Canada en 2013. La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision (la décision) de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR) rejetant l’appel qu’elle avait interjeté à l’encontre d’une mesure de renvoi datée du 27 janvier 2016. La présente demande de contrôle judiciaire est présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2]
La demanderesse ne conteste pas la validité de la mesure de renvoi. La seule question que la SAI devait trancher consistait à établir si l’appel de la demanderesse interjeté à l’encontre de la mesure de renvoi devait être accueilli pour des motifs d’ordre humanitaire, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse.
[3]
Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.
I.
Contexte
[4]
La demanderesse a obtenu la résidence permanente au Canada en mars 2013 grâce à la demande de parrainage à titre de membre de la catégorie du regroupement familial présentée par son époux à son égard. La demanderesse a deux jeunes enfants, qui sont tous deux nés au Canada.
[5]
M. Ren, l’époux de la demanderesse, est aussi un citoyen de la Chine. Il a obtenu sa résidence permanente au Canada après avoir été parrainé par sa première épouse en 2005. M. Ren et sa première épouse ont divorcé, et ensuite il a épousé la demanderesse. Par la suite, les autorités canadiennes de l’immigration ont mené une enquête sur le statut d’immigrant de M. Ren. Il a été conclu qu’il était interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour fausses déclarations en raison d’un mariage de convenance conclu entre lui et sa première épouse. Une mesure de renvoi a été prise contre M. Ren, et il a interjeté appel de cette mesure devant la SAI. La SAI a rejeté l’appel de M. Ren le 30 mai 2016 (la décision Ren de la SAI), et le présent tribunal a refusé la demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SAI le 12 septembre 2016. M. Ren souffre de troubles de santé mentale étayés, situation qui a fait l’objet d’un examen exhaustif de la SAI dans la décision Ren de la SAI.
[6]
La demanderesse a été convoquée à une enquête, et il a été conclu qu’elle était interdite de territoire au titre de l’alinéa 40(1)b) de la LIPR parce qu’elle avait obtenu la résidence permanente au Canada après avoir été parrainée par son époux. Il est prévu à l’alinéa 40(1)b) qu’un résident permanent est interdit de territoire pour fausses déclarations s’il a été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations.
[7]
Le 20 janvier 2016, une mesure de renvoi a été prise contre la demanderesse. Elle a interjeté appel de la mesure de renvoi en se fondant sur des motifs d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 63(3) et de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. La SAI a instruit l’appel le 28 septembre 2017 et le 9 janvier 2018.
II.
Décision faisant l’objet du contrôle
[8]
La décision en question est datée du 18 janvier 2018. La SAI a conclu que la mesure de renvoi était valide en droit et qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Ainsi, la SAI a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’égard de la mesure de renvoi.
[9]
La SAI a effectué son examen des motifs d’ordre humanitaire soulevés par la défenderesse en se fondant sur les sept facteurs approuvés par la présente cour dans la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059 au paragraphe 11 (la décision Wang) :
- la gravité des fausses déclarations ayant entraîné la mesure de renvoi et les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu;
- les remords exprimés par l'appelant;
- le temps passé au Canada par l'appelant et son degré d'enracinement;
- la présence de membres de la famille de l'appelant au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille;
- les intérêts supérieurs d'un enfant directement touché par la décision;
- le soutien que l'appelant peut obtenir de sa famille et de la collectivité; et
- l'importance des épreuves que subirait l'appelant s'il était renvoyé du Canada, y compris la situation dans le pays où il serait probablement renvoyé.
[10]
La SAI a tiré des conclusions quant à chaque facteur. Le tribunal a reconnu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations indirectes, vu que son interdiction de territoire découlait des fausses déclarations faites par son époux. Toutefois, la SAI a conclu que la demanderesse était en partie responsable de sa situation, vu qu’elle n’avait pas questionné son époux à propos de ses antécédents ou de ses relations antérieures avant de l’épouser. La SAI a aussi conclu que la demanderesse n’avait pas exprimé de remords quant à la situation, à l'exception du fait qu'elle risque maintenant d'être renvoyée du Canada.
[11]
La SAI a tenu compte du fait que la demanderesse avait passé cinq ans au Canada à titre de résidente permanente et qu’elle avait occupé un emploi de façon continue durant cette période. Le tribunal a aussi tenu compte de l’achat de deux propriétés par la demanderesse et son époux. La SAI a conclu que l’importance du temps passé au Canada par la demanderesse et son degré d’enracinement au pays étaient diminués par le fait que ces deux facteurs reposaient sur de fausses déclarations. Pour ce qui est du soutien de la collectivité locale, le tribunal a examiné les lettres d’amis et de collègues de travail déposées par la demanderesse. Même si les personnes qui ont rédigé les lettres ne connaissaient pas les problèmes d’immigration de la demanderesse, la SAI a conclu que le fait que la demanderesse a obtenu du soutien durant le peu de temps qu’elle a passé au Canada militait en sa faveur.
[12]
Seule la famille immédiate de la demanderesse était présente au Canada (son époux et ses deux enfants), ce qui constituait un facteur neutre de l’avis de la SAI. La SAI a évalué les conséquences du renvoi de la demanderesse sur ses enfants dans son examen de l’intérêt supérieur des enfants en se fondant sur l’hypothèse qu’ils accompagneraient leur mère en Chine. La SAI ne disposait pas d’éléments de preuve relativement aux conséquences du renvoi de la demanderesse sur son époux, s’il devait demeurer au Canada.
[13]
L’analyse de la SAI relativement aux répercussions qu’auraient les troubles de santé mentale de M. Ren sur la demanderesse et ses deux enfants si la famille était réunie en Chine est au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire. La SAI disposait de la décision Ren de la SAI au moment où ce tribunal a entendu l’appel de la demanderesse, et une copie figurait dans le dossier certifié du tribunal.
[14]
Le témoignage de la demanderesse devant la SAI à propos des difficultés qu’elle affronterait si elle était renvoyée en Chine portait principalement sur les conditions de vie en Chine pour les personnes souffrant de troubles de santé mentale et les conséquences de ces conditions sur elle si son époux devait être renvoyé en Chine. La demanderesse a exprimé des préoccupations quant à la sécurité de son époux, la sienne et celle de ses enfants. Elle a déclaré qu’elle apprécie l’approche évolutive adoptée à l’égard des troubles de santé mentale au Canada et était d’avis que son époux serait vraisemblablement placé en confinement involontaire s’il devait souffrir d’un épisode de trouble mental en Chine. La SAI a déclaré ce qui suit :
Bien que je sois sensible à la position de l’appelante, le renvoi de son époux fait actuellement l’objet d’un examen par le ministre. Les difficultés que causerait à l’époux son retour en Chine ont été aussi directement abordées lors de l’audience de celui-ci devant la SAI. Elles seront encore abordées dans le cadre de sa demande d’ERAR en instance. J’estime qu’il ne m’appartient pas de réexaminer de manière approfondie les questions liées à l’époux dans le contexte du présent appel.
[15]
Dans son évaluation des difficultés, la SAI a mentionné le témoignage de la demanderesse concernant les problèmes auxquels chaque membre de la famille ferait face en raison des troubles de santé mentale de M. Ren si la famille était obligée de vivre en Chine. De façon plus globale, la SAI a souligné que la demanderesse avait occupé un emploi au sein d’une entreprise dans le domaine de la technologie à Shanghai et qu’elle avait continué de travailler dans le domaine de la technologie de l’information au Canada. La SAI était convaincue qu’elle pourrait se trouver un emploi en Chine, le cas échéant. La demanderesse aurait aussi ses parents à proximité pour l’aider à s’occuper de ses enfants, que son époux soit présent ou non. La SAI a conclu cette partie de son analyse en déclarant que la demanderesse éprouverait des difficultés que son époux soit renvoyé en Chine ou qu’il demeure au Canada après avoir obtenu gain de cause dans sa demande d’évaluation des risques avant renvoi (la demande d’ERAR). Ce facteur a constitué un élément atténuant dans le cadre de l’évaluation du tribunal.
[16]
La SAI a ensuite examiné l’intérêt supérieur des deux enfants de la demanderesse. Le tribunal a cité l’arrêt de la Cour suprême du Canada Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 (l’arrêt Kanthasamy), et a tenu compte des facteurs décrits par la juge Abella dans son examen de l’intérêt supérieur des enfants. La SAI a déclaré que les deux enfants étaient très jeunes (l’un est âgé de trois ans et l’autre de sept mois) et qu’ils dépendent entièrement des soins de la demanderesse. Aucun des deux enfants ne s’était déjà rendu en Chine ni n’était d’âge scolaire. La SAI ne disposait d’aucun élément de preuve concernant les incidences d’une émigration vers la Chine sur les enfants, de façon générale, ou relativement à l’éducation et à des questions liées au genre. Selon la SAI, « il est raisonnable de conclure qu’il est dans l’intérêt supérieur des enfants de rester avec leur mère, que ce soit au Canada ou en Chine »
. En conséquence, l’intérêt supérieur des enfants constituait un facteur neutre dans l’examen de l’appel par la SAI.
[17]
Dans sa conclusion, la SAI a déclaré que le statut au Canada de la demanderesse émanait d’une personne interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations et que cela constituait un facteur qui portait atteinte à l’intégrité du programme d’immigration du Canada. En ce qui concerne l’intérêt supérieur des deux enfants de la demanderesse, la SAI n’était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise des mesures spéciales demandées par la demanderesse.
III.
Questions en litige
[18]
La demanderesse soulève les questions suivantes dans la présente demande :
L’évaluation menée par la SAI concernant l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse était‑elle déraisonnable?
La SAI a‑t‑elle négligé d’exposer de façon claire les raisons qui l’ont menée à conclure qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales dans le cas de la demanderesse?
IV.
Norme de contrôle
[19]
Il est bien établi que la norme de contrôle qui s’applique à une décision de la SAI de ne pas accorder la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable et que la Cour doit effectuer le contrôle en exerçant une déférence considérable (Islam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 80 aux paragraphes 7 et 8; Tang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 107 aux paragraphes 10 et 11; Gill c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1158 aux paragraphes 25 à 28; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 aux paragraphes 57 à 59). Les parties s’entendent à ce sujet.
[20]
En conséquence, la décision de la SAI commande la déférence et ne sera annulée que si elle n’est pas justifiée, transparente ou intelligible, et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits propres au cas de la demanderesse et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47).
V.
Analyse
1. L’évaluation menée par la SAI concernant l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse était‑elle déraisonnable?
[21]
La demanderesse a interjeté appel devant la SAI au titre du paragraphe 63(3) de la LIPR. Le paragraphe 67(1) de la LIPR précise les circonstances dans lesquelles la SAI peut accueillir l’appel interjeté contre une mesure de renvoi au titre du paragraphe 63(3). En l’espèce, les dispositions pertinentes du paragraphe 67(1) sont les suivantes :
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La demanderesse soutient que la SAI a effectué une évaluation déraisonnable de l’intérêt supérieur de ses deux enfants en omettant de tenir compte, dans son analyse à cet égard, des incidences qu’auraient sur eux les troubles de santé mentale de leur père si la famille entière devait être réunie en Chine à la suite du renvoi de la demanderesse et de M. Ren. La demanderesse a fait valoir que sa crainte des répercussions néfastes des troubles de santé de M. Ren sur elle‑même et ses enfants constituait sa principale crainte liée au renvoi. La demanderesse a fourni un long témoignage à la SAI concernant les troubles de santé mentale éprouvés par son mari et sa capacité de s’occuper de sa santé au Canada grâce au soutien fréquent fourni par des médecins, des hôpitaux, des travailleurs sociaux et des agents de police. La demanderesse a déclaré qu’elle ne pourrait pas s’appuyer sur des ressources semblables en Chine. Elle a aussi affirmé qu’elle ne serait pas en mesure de travailler et de soutenir ses enfants en Chine si M. Ren devait éprouver des troubles de santé, vu qu’elle devrait s’absenter du travail pour prendre soin de lui.
[23]
Le défendeur soutient que la SAI a tenu compte des troubles de santé mentale éprouvés par M. Ren et de leurs possibles effets sur l’intérêt supérieur des enfants, mais qu’elle a conclu, avec raison, que ces questions avaient été précédemment examinées dans le cadre de la décision Ren de la SAI. Le défendeur reconnaît que la SAI doit effectuer sa propre analyse de la situation de la demanderesse, mais fait valoir qu’elle peut s’appuyer sur les conclusions antérieures d’un autre tribunal de la SAI [traduction] « pour maintenir l’intégrité du système d’immigration dans son ensemble »
. Le défendeur invoque la conclusion énoncée dans la décision Ren de la SAI selon laquelle le trouble bipolaire dont souffre M. Ren est actuellement maîtrisé à l’aide de médicaments dont l'accès est adéquat à Shanghai, et soutient que la demanderesse vise la remise en litige des questions touchant la santé de M. Ren. À l’audience de la demanderesse tenue devant la SAI, M. Ren n’a pas témoigné et, en conséquence, le tribunal ne disposait que des conclusions non contestées du tribunal précédant ayant rendu la décision Ren de la SAI.
[24]
La SAI a tenu compte des troubles de santé mentale éprouvés par M. Ren au moment de rendre sa décision. Fait plus important encore, la SAI a examiné ces questions du point de vue des difficultés qu’éprouverait M. Ren s’il devait être renvoyé en Chine et des difficultés qu’éprouveraient la demanderesse et les deux enfants s’ils devaient aussi être renvoyés en Chine. La demanderesse fait remarquer que ces questions n’ont pas été examinées par la SAI dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants. À mon avis, le titre de la section dans laquelle la SAI a examiné les questions n’est pas déterminant, et je conclus que la décision était raisonnable à ce sujet. La SAI a fourni des motifs pour étayer ses conclusions, et la décision était intelligible et pouvait se justifier au regard des faits propres au cas de la demanderesse et des circonstances touchant l’ensemble de sa famille.
[25]
La SAI a d’abord fait référence aux éléments de preuve documentaire divulgués par la demanderesse concernant les conditions en Chine pour les personnes éprouvant des troubles de santé mentale. Le tribunal a tenu compte des inquiétudes de la demanderesse concernant les difficultés qu’éprouverait M. Ren s’il devait être renvoyé en Chine, et a déclaré que toute difficulté que M. Ren pourrait éprouver avait été examinée dans le cadre de l’audience de celui-ci devant la SAI. La SAI a ensuite mentionné les préoccupations de la demanderesse pour elle‑même et les enfants, et a déclaré qu’elle avait souligné « les défis auxquels son époux, en tant que personne aux prises avec des problèmes de santé mentale, et, indirectement, elle et ses enfants seraient confrontés en cas de renvoi en Chine »
. Le tribunal a déclaré que la demanderesse et ses enfants éprouveraient des difficultés que M. Ren soit renvoyé ou non du Canada, soit à cause d’une séparation soit en raison de difficultés éprouvées en Chine.
[26]
La demanderesse fait valoir que la SAI a omis de mener sa propre analyse relativement aux répercussions du renvoi de M. Ren vers la Chine sur elle‑même et ses enfants. Je souscris à l’avis de la demanderesse selon lequel le tribunal n’a pas présenté une analyse détaillée du traitement probable que pourrait recevoir M. Ren en Chine ni des incidences de celui-ci sur les enfants s’ils devaient aussi être renvoyés vers la Chine avec la demanderesse. Toutefois, la SAI a examiné directement ces préoccupations dans la décision Ren de la SAI. Dans le cadre de l’appel interjeté par M. Ren, le tribunal de la SAI a d’abord examiné les effets du renvoi de M. Ren sur lui‑même. En ce qui concerne les problèmes de santé de M. Ren, la SAI a conclu ce qui suit (décision Ren de la SAI aux paragraphes 50 et 51) :
[50] Selon le témoignage de l’appelant, le trouble bipolaire de ce dernier peut être et est maîtrisé par des médicaments. Il ne semble pas y avoir de problème qui ferait en sorte que l’appelant pourrait être confiné dans une institution, involontairement ou autrement, en raison de son état. Il y a des psychiatres en Chine, bien qu’ils ne soient pas aussi nombreux qu’au Canada. L’appelant semble disposer de certains moyens financiers. En conséquence, si le paiement constitue un problème pour obtenir des soins psychiatriques et des médicaments, ce facteur ne semblerait donc pas constituer un problème important pour lui. Il a vécu et vivra à Shanghaï, une grande ville qui compte vraisemblablement des hôpitaux, des médecins et des psychiatres. Il n’a pas été affirmé que les médicaments ne seraient pas accessibles là-bas.
[51] En conséquence, le tribunal reconnaît qu’il serait inconfortable pour l’appelant d’avoir à modifier son régime de soins médicaux et de changer de fournisseur de soins de santé. Toutefois, selon la preuve, il semble que cela serait possiblement un peu plus difficile en Chine qu’au Canada. Toutefois, le tribunal conclut que, dans une grande ville, pour un homme qui a des moyens et qui n’a pas besoin d’être institutionnalisé, l’appelant pourra, à son retour, établir un régime de soins de santé mentale acceptable en Chine.
[27]
Dans son témoignage pendant l’audience relative à M. Ren, la demanderesse a mentionné qu’elle retournerait en Chine avec lui s’il devait être renvoyé, et qu’elle serait en mesure de trouver du travail en Chine. Le tribunal de la SAI a ensuite examiné les incidences sur les enfants (à ce moment-là il n’y en avait qu’un) découlant des problèmes de santé mentale de M. Ren (décision Ren de la SAI aux paragraphes 54 à 56) :
[54] Le problème principal invoqué quant à l’enfant était qu’il y aurait une incidence défavorable pour elle si l’appelant éprouvait des difficultés en Chine. Cela signifie qu’elle souffrirait alors par extension si son père, l’appelant, avait des problèmes de santé qui n’étaient pas réglés adéquatement.
[55] Le tribunal estime que l’argument susmentionné n’est pas convaincant. Les deux parents de l’enfant sont des professionnels qui ont certains actifs financiers. Ils seraient vraisemblablement en mesure de subvenir aux besoins de leur fille en Chine, comme ils l’ont fait au Canada. Comme cela a été mentionné ci-dessus, le tribunal estime que l’appelant n’éprouverait pas de difficultés importantes en Chine, y compris pour des raisons de nature médicale, que l’appelant a invoquées comme étant sa principale inquiétude en Chine, du moins en ce qui a trait à sa fille. Ainsi, cette enfant n’éprouverait pas de difficultés simplement à cause de ce facteur. Le tribunal conclut que le fait que la fillette soit élevée en Chine par deux parents chinois, avec la présence de la famille élargie là-bas, ne soulève pas de problème particulier.
[56] Ainsi, il ne semblerait pas que le retour de l’appelant en Chine ait quelque incidence défavorable que ce soit sur l’enfant. Il s’agit donc d’un facteur neutre dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire.
[28]
Les questions que devait trancher la SAI dans le cadre de l’appel interjeté par M. Ren sont les mêmes que celles sur lesquelles s’appuie maintenant la demanderesse pour soutenir que le tribunal de la SAI qui a instruit son appel a commis une erreur en omettant d’analyser les répercussions des troubles de santé mentale de M. Ren sur ses enfants en Chine. Dans son témoignage en l’espèce, la demanderesse a tenté de faire valoir des préoccupations qui avaient été examinées et écartées par la SAI dans la décision Ren de la SAI. Je conclus qu’il était raisonnable et nécessaire en l’espèce que la SAI fasse référence à l’audience relative à M. Ren tenue devant la SAI et que le tribunal conclue qu’il ne lui appartenait pas de réexaminer ces questions. La demanderesse a témoigné lors de l’audience relative à l’appel de M. Ren qu’elle l’accompagnerait en Chine. En conséquence, les incidences en Chine des troubles de santé mentale qu’éprouve M. Ren sur la demanderesse et leurs enfants ont été soulevées devant la SAI dans le cadre de cette audience. La conclusion de la SAI à cet égard figure dans les paragraphes 54 à 56 de la décision Ren de la SAI. Toute conclusion de la SAI en l’espèce qui contredirait les conclusions du tribunal précédent, à propos des mêmes faits, porterait atteinte à l’intégrité du système d’immigration.
[29]
Les deux parties invoquent la décision rendue par la Cour dans l’affaire Nawfal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 464 (la décision Nawfal) quant au principe voulant que la SAI ait pu s’appuyer sur les conclusions du tribunal dans la décision Ren de la SAI mais qu’elle n’ait pas pu éviter d’effectuer sa propre analyse du cas de la demanderesse. Dans la décision Nawfal, le juge Boivin a déclaré ce qui suit (au paragraphe 23) :
[23] Dans Badal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 311, [2003] A.C.F. no 440, au paragraphe 25, la Cour a conclu que la Commission pouvait s’appuyer sur la conclusion de fait d’un autre tribunal tant que cet appui était restreint, réfléchi et justifié. Dans la présente affaire, la SAI a renvoyé à la conclusion de fait antérieure de la Commission dans l’unique but de la comparer avec la position maintenant adoptée par le demandeur concernant la sévérité du handicap de son fils. La Cour conclut que la SAI ne s’en est pas remise aveuglément aux conclusions précédentes de la Commission, mais qu’elle a effectué sa propre analyse indépendante en se fondant sur les éléments de preuve à sa disposition. Selon la Cour, dans les circonstances, il était justifié qu’elle se fonde sur les conclusions précédentes pour maintenir l’intégrité du système d’immigration.
[30]
Au paragraphe 15 de la décision, la SAI a mené une analyse indépendante des éléments de preuve présentés par la demanderesse concernant ses craintes relativement à la situation de M. Ren et le manque de soins dont il pourrait souffrir en Chine, et a conclu que les difficultés qu’éprouverait M. Ren avaient été traitées de façon adéquate dans la décision Ren de la SAI. Dans les paragraphes 15 et 16 de la décision, la SAI a reconnu les préoccupations de la demanderesse quant aux difficultés qu’elle et ses enfants pourraient éprouver en devant s’occuper de la santé de M. Ren en Chine. Le tribunal a aussi examiné d’autres éléments liés à des difficultés auxquelles la demanderesse pourrait faire face en Chine. À la lumière des conclusions précises de la SAI figurant dans la décision Ren de la SAI, j’estime qu’il n’y a aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard. Je remarque également que, après avoir examiné les incidences des troubles de santé mentale éprouvés par M. Ren, la SAI a examiné chaque facteur énoncé par la juge Abella dans l’arrêt Kanthasamy au moment de son examen de l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse. Comme mentionné précédemment, le fait que cette partie de l’analyse de la SAI de l’intérêt supérieur des enfants figure dans une section distincte du document ne permet pas de qualifier la décision de déraisonnable.
2. La SAI a‑t‑elle négligé d’exposer de façon claire les raisons qui l’ont menée à conclure qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales dans le cas de la demanderesse?
[31]
À titre subsidiaire, la demanderesse soutient que la SAI a omis d’expliquer le fondement de sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas de motif humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales dans son cas. Elle affirme que la SAI a divisé son analyse et ses conclusions en sept sections distinctes portant sur les facteurs qu’elle a soupesés dans son évaluation de l’appel de la demanderesse, et que la SAI a seulement examiné chaque facteur séparément. La demanderesse fait valoir que la SAI n’a fourni aucune conclusion ni résumé cumulatifs à l’appui de sa conclusion finale selon laquelle la demanderesse n’a pas établi qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant d’accueillir l’appel. En conséquence, la demanderesse avance que la décision rendue par la SAI manque de transparence.
[32]
La demanderesse a fourni un tableau des conclusions de la SAI relativement à chaque facteur individuel énoncé dans la décision Wang à l’appui de son argument selon lequel il est impossible de cerner les motifs sur lesquels la SAI a fondé sa décision de rejeter son appel. La demanderesse fait également valoir que certaines des conclusions de la SAI ne s’appuient pas sur les éléments de preuve, en particulier sa conclusion voulant que la demanderesse soit en partie responsable de la situation incertaine en matière d’immigration dans laquelle elle se trouve.
[33]
J’ai examiné la décision à la lumière des arguments soulevés par la demanderesse, du tableau et des éléments de preuve qu’elle a mentionnés dans ses observations. À la lecture complète de la décision, il est clair que la SAI a conclu qu’il existait peu de motifs justifiant la prise des mesures spéciales demandées par la demanderesse au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. La SAI a analysé chaque élément de la demande de prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse, et a conclu que seulement deux éléments constituaient des facteurs atténuants relativement aux fausses déclarations indirectes desquelles découlait son statut au Canada. Un de ces éléments tenait aux difficultés qu’éprouverait la demanderesse si son époux devait être renvoyé en Chine, ce qui constituait l’argument principal de la demanderesse dans le cadre de la présente demande. La SAI a conclu que la majorité des facteurs qu’elle a examinés constituaient des facteurs neutres dans son évaluation. En résumé, la demanderesse n’a pas réussi à établir qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire suffisants, de façon individuelle ou globale.
VI.
Conclusion
[34]
Je conclus que la décision est raisonnable. La SAI s’est appuyée de façon adéquate sur les conclusions d’un autre tribunal de la SAI au moment d’évaluer les incidences des troubles de santé mentale éprouvés par M. Ren sur la demanderesse et ses enfants, si la famille devait être réunie en Chine à la suite du renvoi des deux parents. L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants menée par la SAI tient compte des principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kanthasamy. L’analyse effectuée par la SAI relativement aux arguments invoqués par la demanderesse pour étayer l’existence de motifs d’ordre humanitaire suffisants et la conclusion de la SAI selon laquelle il n’y a pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales dans le cadre de l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de la mesure de renvoi sont clairement énoncées dans la décision de la SAI. La décision est intelligible et justifiée.
[35]
Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et il ne s’en pose aucune en l’espèce.
JUGEMENT dans le dossier IMM-461-18
LA COUR STATUE que :
1.
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2.
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Elizabeth Walker »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 17e jour de décembre 2018.
Isabelle Mathieu, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-461-18
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INTITULÉ :
|
RONG HU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 15 AOÛT 2018
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE WALKER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 27 novembre 2018
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COMPARUTIONS :
Michael Korman
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POUR LA DEMANDERESSE
|
John Provart
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POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Korman & Korman LLP
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
|