Date : 20181116
Dossier : IMM‑5495‑17
Référence : 2018 CF 1164
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2018
En présence de monsieur le juge Favel
ENTRE :
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ZAKARIA HASSAN ALI AHMED
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, Zakaria Hassan Ali Ahmed, est né à Djibouti en 1987. En 2002, la qualité de réfugié au sens de la convention a été reconnue au demandeur, ainsi qu’à sa tante, à ses sœurs et à son frère. Il demande le contrôle judiciaire d’une décision datée du 1er décembre 2017, dans laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a maintenu la mesure d’expulsion prise par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à l’encontre du demandeur, qui a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité à titre de personne visée par l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Le contexte
[2]
Le demandeur est né à Djibouti en 1987 et, peu de temps après sa naissance, sa famille a déménagé en Somalie. Sa famille est ensuite partie de la Somalie à cause de la guerre. Sa mère a été tuée alors qu’il avait six ou sept ans, et son père est disparu. Le demandeur est venu au Canada avec sa tante, ses sœurs et un frère. La qualité de réfugiés au sens de la convention leur a été reconnue en 2002. Toutefois, le demandeur n’a jamais obtenu la résidence permanente.
[3]
Lorsqu’il était adolescent, les services de protection de l’enfance sont venus chercher le demandeur chez sa tante et l’ont placé en famille d’accueil. Le demandeur a, par la suite, développé une dépendance aux drogues et à l’alcool.
[4]
En août 2012, le demandeur a été frappé d’une mesure d’expulsion, car le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a établi que, le 1er juin 2010, le demandeur a été déclaré coupable d’un chef d’intimidation, une infraction criminelle passible d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans, pour laquelle il a écopé d’une peine de plus de six mois d’emprisonnement. Même si la condamnation du 1er juin 2010 constituait le fondement de la décision d’expulser le demandeur, celui‑ci a également été déclaré coupable d’agressions et d’infractions liées à la drogue, en plus de recevoir plusieurs avertissements.
[5]
Après avoir été frappé d’une mesure d’expulsion, le demandeur a fait appel de la mesure auprès de la SAI. L’audience devant la SAI a été reportée deux fois : la première fois, parce que la mère de l’avocat du demandeur est décédée. La deuxième fois, lorsque la SAI a avisé le demandeur que son avocat n’était plus un membre en règle du Barreau de l’Ontario, ou de toute autre province, et qu’il ne pouvait donc plus représenter le demandeur. Ce dernier a ensuite retenu les services d’un nouvel avocat pour l’audience.
III.
La décision de la SAI
[6]
Dans sa décision, la SAI fait d’abord remarquer que le demandeur demande la prise de mesures spéciales à l’égard de la mesure de renvoi et qu’il soutient que, si l’on tient compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, il y a suffisamment de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Le demandeur a demandé à ce que l’on sursoie à l’exécution de la mesure d’expulsion pendant trois ans.
[7]
La SAI explique que pour déterminer s’il y a lieu qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire, elle doit prendre en compte une série de facteurs établis dans la décision Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 [Ribic], lesquels ont été confirmés par la Cour suprême dans l’arrêt Chieu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3. La SAI fait remarquer que ces facteurs ne sont pas exhaustifs et que le poids accordé à chacun variera selon les circonstances de l’affaire. Elle ajoute qu’il appartient au demandeur d’expliquer pourquoi son appel ne devrait pas être rejeté.
[8]
Dans le cadre de l’analyse de la réadaptation possible du demandeur, la SAI énumère les antécédents criminels du demandeur. La SAI écrit que « selon la preuve, l’appelant a accumulé plusieurs condamnations graves impliquant de la violence, et que certaines infractions ont été commises après qu’il eut été frappé d’une mesure d’expulsion ». Elle explique que le demandeur a eu droit à trois contrôles des motifs de détention, dans le cadre desquels l’ASFC a fait état du comportement du demandeur. Les éléments de preuve montrent que le demandeur a adopté un comportement violent et qu’il présente un risque pour la sécurité publique. La SAI fait remarquer que le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve montrant qu’il a pris des mesures concrètes pour modifier son comportement, qu’il n’a pas reconnu avoir été violent, bien qu’il ait plaidé coupable relativement aux infractions. Étant donné que le demandeur n’est pas parvenu à prouver de façon concrète qu’il avait pris des mesures en vue de sa réadaptation, la SAI a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’il y a une possibilité de réadaptation.
[9]
La SAI examine ensuite le temps que le demandeur a passé au Canada et son degré d’établissement. Elle a accordé une grande importance au temps (15 ans) que le demandeur a passé au Canada. Toutefois, la SAI conclut que son degré d’établissement est faible. Il n’a plus fréquenté l’école après la 11e année, et n’a fourni aucun élément de preuve en ce qui concerne ses antécédents d’emploi. Même si le demandeur a révélé lors de l’audience qu’il avait travaillé illégalement dans un restaurant et avait gagné la somme non déclarée d’environ 800 $ par mois en gardant des enfants et en enseignant le français, l’anglais et l’arabe à des voisins, il n’a pas déposé d’éléments de preuve permettant de corroborer la façon dont il a été en mesure de subvenir à ses besoins, et il ne reçoit pas d’aide sociale. La SAI a dit que le demandeur « présente des arguments circulaires : il ne peut pas poser sa candidature pour un emploi officiel parce qu’il n’a pas de permis de travail, et il ne présente pas de demande pour obtenir un permis de travail parce qu’il n’a pas d’emploi et qu’il n’en a pas les moyens ».
Elle a conclu que le manque d’établissement du demandeur constituait un facteur défavorable.
[10]
La SAI s’est ensuite penchée sur la présence de la famille du demandeur au Canada. Le demandeur a indiqué qu’il ne bénéficie d’aucun soutien familial au Canada. Le demandeur ne sait pas où se trouvent son frère et sa tante. L’une de ses sœurs vit à Guam et il ne lui a pas parlé depuis plus d’un an. Son autre sœur travaille au Soudan du Sud et la dernière fois qu’il lui a parlé c’était il y a plus de six mois. Cependant, le demandeur a déposé des lettres provenant de ses deux sœurs datées d’avril 2017. Ces lettres parlent de son rôle dans la vie de sa fille. Tiffany, la mère de son enfant (et son ex‑conjointe) a également rédigé une lettre d’appui, mais la SAI fait remarquer que le demandeur faisait toujours l’objet d’une ordonnance lui interdisant de communiquer avec Tiffany une fois que les accusations de violence familiale ont été retirées. La SAI a jugé qu’il s’agissait d’un facteur défavorable.
[11]
La SAI a ensuite examiné l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par la décision. Le demandeur a une fille de trois ans. Il a la garde partagée de sa fille, dont il s’occupe une semaine sur deux. La SAI écrit qu’il n’y a pas d’ordonnance de la cour relative à la garde; le demandeur déclare que c’est « l’agence des services à l’enfance » qui a pris cette décision. Toutefois, il n’y a aucun élément de preuve à l’appui. La SAI fait remarquer que Tiffany, la mère de l’enfant du demandeur, a dit que celui‑ci est un « un père aimant, extraordinaire et attentionné ». Cependant, la lettre de Tiffany reste générale quant à la participation réelle du demandeur dans la vie de l’enfant. La SAI conclut que le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve montrant la manière dont il subvient aux besoins financiers de l’enfant, ni aucun élément de preuve indiquant que l’enfant vit avec lui, pas même une photo. La SAI écrit que le demandeur n’était pas un témoin fiable et qu’elle lui a demandé plus d’une fois pourquoi il n’a pas déposé de documents à l’appui, ce à quoi il a répondu qu’« il les avait laissés chez lui ». La SAI explique qu’il est difficile d’évaluer de façon abstraite l’intérêt supérieur d’un enfant. Elle ajoute qu’« [i]l est dans l’intérêt supérieur de l’enfant que l’appelant demeure au Canada. Cependant, le fait que l’appelant n’a pas démontré sa véritable implication dans la vie de son enfant nuit à sa cause ».
[12]
La SAI souligne que le demandeur n’a pas prouvé qu’il bénéficie d’un soutien au sein de la collectivité, ce qui constitue un facteur défavorable d’après elle. En ce qui concerne l’importance des difficultés liées à son retour à Djibouti, la SAI a dit qu’il n’est pas nécessaire de tenir compte de ce facteur en l’espèce, étant donné que le ministre n’a pas émis d’avis de danger.
[13]
Dans l’ensemble, le demandeur n’a avancé aucun élément de preuve indépendant montrant qu’il a respecté les conditions qui lui ont été imposées par les tribunaux pénaux (comme s’inscrire à des cours de maîtrise de la colère et à des programmes de lutte contre l’abus de drogues). Il n’a pas respecté l’ordonnance du tribunal lui interdisant de communiquer avec Tiffany. Il n’y a aucune preuve indiquant qu’il a pris des mesures concrètes en vue de sa réadaptation entre les infractions et l’appel. Bien qu’il ait été mis en garde à plusieurs reprises dans le passé, le demandeur n’a pas présenté de demande de permis de travail depuis 2010 afin de faire en sorte qu’il lui soit possible d’avoir un emploi officiel et stable. Dans l’ensemble, la SAI a conclu qu’il ne convenait pas de sursoir au renvoi étant donné que le demandeur n’avait pas pris les mesures nécessaires pour démontrer qu’il était prêt à se réadapter.
IV.
Les questions en litige
[14]
La présente affaire soulève les questions suivantes :
La SAI a‑t‑elle enfreint les principes de justice naturelle en omettant de tenir compte des problèmes de santé mentale du demandeur, et en omettant de vérifier si le demandeur comprenait la nature et les conséquences de la procédure?
La SAI a‑t‑elle enfreint les principes de justice naturelle en se fondant sur des documents qui n’ont pas été fournis au demandeur avant ou pendant la procédure?
La SAI a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable en ce qui concerne l’intérêt supérieur de la fille du demandeur, « en faisant abstraction d’éléments de preuve, en interprétant mal des éléments de preuve et en ne se montrant pas réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant »?
V.
La norme de contrôle applicable
[15]
Le défendeur fait valoir que, lorsqu’un demandeur n’a pas épuisé ses options d’appel, il s’agit d’une question d’interprétation législative et la Cour n’offre aucune retenue (Habtenkiel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180, au para 23). Même si les questions d’équité procédurale sont généralement examinées selon la norme de la décision correcte, dans Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132, le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale (CAF) a déclaré que la norme de contrôle applicable à tout manquement présumé à l’équité procédurale n’est pas fixée.
[16]
Le défendeur soutient également que la norme de la décision raisonnable devrait être appliquée (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux para 47 à 49, [Dunsmuir]). La Cour est également de cet avis.
VI.
Points préliminaires
A.
Autre affidavit de Mme Coni Grills‑Reid
[17]
Le demandeur soutient que l’affidavit de Mme Coni Grills‑Reid n’est pas recevable. Dans son affidavit, Mme Grills‑Reid allègue que, dans le cadre d’une procédure normale, le demandeur aurait reçu les documents présentés au commissaire de la SAI parce qu’ils figuraient dans les pièces de son contrôle des motifs de détention du 27 août 2012. Le demandeur soutient qu’il s’agit de ouï‑dire, car Mme Grills‑Reid n’était pas là, et que cela ne respecte pas la règle de la meilleure preuve et n’explique pas pourquoi un affidavit émanant du fonctionnaire présidant n’a pas été déposé. La Cour souscrit à l’argument du demandeur. La Cour ne tiendra pas compte de l’affidavit de Mme Grills‑Reid.
VII.
Les observations des parties
A.
Équité procédurale
[18]
Le défendeur soutient que les allégations selon lesquelles la SAI a manqué à l’équité procédurale, en l’espèce en ce qui a trait aux questions 1 (les problèmes de santé mentale) et 2 (l’utilisation des documents), ne devraient pas être prises en compte par la Cour étant donné que le demandeur n’a pas épuisé ses droits d’appel auprès de la SAI. Par conséquent, la loi interdit au demandeur de faire de telles allégations devant la Cour. Le défendeur invoque l’article 71 et l’alinéa 72(2)a) de la LIPR pour appuyer son argument. Étant donné que le demandeur peut demander à la SAI de rouvrir son appel en raison du manquement à l’équité procédurale, il n’a pas épuisé sa voie d’appel et la demande de contrôle judiciaire ne devrait pas être examinée en fonction de ces allégations (Smodi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 288, au para 23; Habtenkiel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 180, aux para 35 à 36; Slatineanu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1129, aux para 14 à 19).
[19]
La Cour souscrit à l’argument du défendeur selon lequel la loi interdit au demandeur de demander un contrôle judiciaire fondé sur les allégations de manquements à l’équité procédurale. Le demandeur doit épuiser son droit de demander à la SAI de rouvrir son dossier. Cela élimine les questions 1 et 2. La Cour traitera donc de la question 3 en ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision de la SAI.
3. La SAI a‑t‑elle rendu une décision déraisonnable en ce qui concerne l’intérêt supérieur de la fille du demandeur, « en faisant abstraction d’éléments de preuve, en interprétant mal des éléments de preuve et en ne se montrant pas réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant »?
(1)
Le demandeur
[20]
La fille du demandeur, Amaya, est née le 24 avril 2013. Le demandeur a déclaré que sa fille vit avec lui une semaine sur deux, qu’il prend l’autobus avec elle tous les jours pour l’emmener à l’école, qu’il va la chercher et qu’il est impliqué dans sa vie. Dans sa décision, la SAI fait référence au fait que la fille du demandeur vit avec lui une semaine sur deux, faisant fi de tous les autres éléments de preuve, et fait remarquer que le demandeur n’a pas fourni de preuve démontrant que sa fille a une place dans sa maison. En fait, la SAI a conclu que la preuve soumise par le demandeur n’est pas fiable. Le demandeur fait valoir qu’il s’agit d’une erreur, premièrement, parce que le témoignage du demandeur est présumé être vrai. La SAI n’a pas indiqué pourquoi le demandeur n’était pas fiable; par conséquent, [traduction] « nous n’avons pas d’autre choix que de spéculer sur la question de savoir si elle a été convaincue par le témoignage du demandeur concernant sa fille ». Deuxièmement, le demandeur soutient que la SAI doit expliquer pourquoi il n’était pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant que son père reste au Canada. La SAI ne l’a pas fait et a donc rendu une décision déraisonnable. Dans Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, la Cour suprême donne une orientation claire quant à la manière de déterminer de façon raisonnable l’intérêt supérieur de l’enfant :
[39] Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (Baker, par. 75). L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte (Hawthorne, par. 32). L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), par. 12 et 31; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, par. 9‑12 (CanLII)).
[40] Lorsque, comme en l’espèce, la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant « directement touché », cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse (A.C., par. 80‑81). […]
[21]
Le demandeur invoque également la décision Cerezo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1224 :
[8] Dans l’arrêt Kolosovs, cité avec l’approbation dans le passage ci‑dessus de l’affaire Kanthasamy, au paragraphe 8, les questions spécifiques liées à une détermination raisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant sont énoncées :
Au paragraphe 75 de l’arrêt Baker, la Cour suprême écrivait qu’une décision en matière de motifs d’ordre humanitaire sera déraisonnable si le décideur n’a pas suffisamment pris en compte l’intérêt supérieur des enfants touchés par sa décision :
Les principes susmentionnés montrent que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. [Soulignement dans l’original.]
[…] Pour arriver à une décision raisonnable, un décideur doit démontrer qu’il est réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants considérés. Par conséquent, pour savoir si l’agent a été « réceptif, attentif et sensible », il faut considérer le contenu de cette obligation.
[9] Kolosovs au paragraphe 12 précise le contenu de la sensibilité :
Ce n’est qu’après que l’agent des visas s’est fait une bonne idée des conséquences concrètes d’une décision défavorable en matière de motifs d’ordre humanitaire sur l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il pourra faire une analyse sensible de cet intérêt. Pour montrer qu’il est sensible à l’intérêt de l’enfant, l’agent doit pouvoir exposer clairement les épreuves qui résulteront pour l’enfant d’une décision défavorable, puis dire ensuite si, compte tenu également des autres facteurs, les épreuves en question justifient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. Comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Baker, au paragraphe 75 :
« [...] quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable ».
[Non souligné dans l’original.]
[22]
Étant donné que la SAI n’a pas exposé « de quelque façon » les épreuves possibles qui résulteront pour la fille du demandeur si celui‑ci est expulsé, la décision est déraisonnable.
(2)
Le défendeur
[23]
Le défendeur fait valoir que l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant effectuée par la SAI était raisonnable. Elle a tenu compte des éléments de preuve présentés, ainsi que du fait que le demandeur n’a pas fourni les documents ou d’autres éléments de preuve à l’appui de son témoignage au sujet de son rôle dans la vie de sa fille, mis à part une lettre provenant de la mère de sa fille. Il n’y avait aucune preuve indiquant que le demandeur subvient aux besoins financiers de l’enfant ou que celle‑ci a un endroit où rester chez lui.
[24]
La SAI a conclu qu’il est généralement dans l’intérêt supérieur de l’enfant de rester avec ses deux parents, mais que l’absence de pièces justificatives rendait difficile l’évaluation de l’intérêt supérieur de cette enfant.
(3)
Discussion
[25]
En ce qui concerne l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant, la Cour ne convient pas que la décision de la SAI était déraisonnable. Il est clair que la SAI a bien tenu compte du témoignage du demandeur; toutefois, le demandeur n’a fourni aucune preuve documentaire pour appuyer ses affirmations, mis à part une lettre provenant de la mère de l’enfant et les lettres de ses sœurs qui ne vivent pas au Canada. La SAI fait remarquer que la courte lettre de la mère de l’enfant « est demeurée vague en ce qui concerne la véritable implication de l’appelant dans la vie de l’enfant ». La SAI a également écrit que «
la preuve tend à démontrer que les deux sœurs de l’appelant sont à l’extérieur du Canada, il est donc difficile d’établir que les lettres constituent des éléments de preuve fiables concernant leur soutien réel et l’implication de l’appelant dans la vie de sa fille ».
La SAI a reconnu qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’ enfant du demandeur que ce dernier demeure au Canada; toutefois, en raison de l’absence d’éléments de preuve concernant l’ implication réelle du demandeur dans la vie de sa fille, il était difficile d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant. Sur la foi de la preuve présentée, il était raisonnable d’arriver à cette conclusion.
VIII.
Conclusions
[26]
La Cour est convaincue que la décision de la SAI est raisonnable, car elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au para 47). La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[27]
Le demandeur a proposé une question à certifier, dans les mémoires écrits présentés après l’audience, au sujet de l’obligation et de la norme que la SAI doit appliquer à l’égard de la santé mentale d’un appelant. Le demandeur invoque Hillary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 51 [Hillary].
[28]
Le défendeur dit que la question posée par le demandeur a déjà été traitée dans l’arrêt Hillary. Le défendeur s’appuie sur les passages suivants :
[40] La SAI peut toujours exercer son pouvoir discrétionnaire de soulever elle‑même la question et de vérifier la capacité de l’appelant. Toutefois, si la SAI n’effectue pas une telle vérification, la Cour ne devrait intervenir que si elle est convaincue, à la lumière de l’examen de l’ensemble du contexte, que l’inaction de la Commission était déraisonnable et que l’équité exigeait que la SAI soit proactive.
[41] À mon avis, étant donné la nature contradictoire de la procédure devant la SAI, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que le tribunal sera obligé d’effectuer des vérifications lorsque l’appelant est représenté par un conseil qui n’a pas soulevé la question de la capacité de son client à comprendre la nature de la procédure. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
[42] La SAI n’a pas la responsabilité première d’identifier les appelants qui sont particulièrement vulnérables, tel qu’indiqué au paragraphe 19(1) des Règles de la section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230 (les Règles), lequel impose au conseil de l’appelant et au ministre l’obligation d’aviser la SAI s’il croit qu’un représentant devrait être commis d’office à l’appelant parce que celui‑ci n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure.
[43] De même, les Directives no 8 de la Commission, Directives sur les procédures concernant les personnes vulnérables qui comparaissent devant la CISR, entrées en vigueur le 15 décembre 2006, prévoient (à la section 7.3) que le conseil est le mieux placé pour porter à l’attention de la Commission la vulnérabilité particulière d’une personne pouvant nécessiter une certaine adaptation d’ordre procédural. Cependant, la Commission peut également agir de sa propre initiative (section 7.4).
[29]
La Cour est convaincue par l’argument du défendeur et, par conséquent, la Cour ne certifiera pas la question proposée par le demandeur.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑5495‑17
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’affaire ne soulève aucune question de portée générale à certifier et aucuns dépens ne sont adjugés. L’intitulé de l’appel en question devra être modifié afin de bien indiquer que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.
« Paul Favel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier :
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IMM‑5495‑17
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INTITULÉ :
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ZAKARIA HASSAN ALI AHMED c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 24 JUILLET 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE FAVEL
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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LE 16 novembre 2018
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COMPARUTIONS :
Talia Joundi
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POUR Le demandeur
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Prathima Prashad
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Poulton Law Office
Société professionnelle
Toronto (Ontario)
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POUR Le demandeur
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Le procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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