Date : 20181114
Dossier : IMM-87-18
Référence : 2018 CF 1149
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Montréal (Québec), le 14 novembre 2018
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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CONG LU
et
LING WEI
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
(Prononcés à l’audience à Montréal (Québec), le 13 novembre 2018)
I.
Nature de l’affaire
[1]
Les demandeurs, M. Cong Lu et son épouse, Mme Ling Wei, ont demandé le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration de la section de l’immigration du consulat général du Canada à Hong Kong [la section], sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La décision en question est un refus de rouvrir leur demande de résidence permanente au Canada, étant donné que les demandeurs n’ont pas répondu à une lettre qui leur aurait été envoyée.
II.
Les faits
[2]
Les demandeurs, tous deux âgés de 53 ans, sont des citoyens de la République populaire de Chine qui souhaitent immigrer au Canada avec leur fille Wen Xi Lyu, âgée de 22 ans. Au début de 2014, ils ont présenté une demande de résidence permanente au Canada.
[3]
Me Jean-François Harvey représente les demandeurs, et toutes les communications entre les autorités canadiennes de l’immigration et les demandeurs ont été effectuées au moyen de l’adresse courriel professionnelle de Me Harvey.
[4]
Dans le cadre de l’examen du dossier, l’agent d’immigration [l’agent] a constaté ce qui semble être une contradiction entre une réponse sur la demande des demandeurs et le certificat de résidence notarié. Plus précisément, lorsqu’on l’a interrogée sur son service militaire ou paramilitaire antérieur, la demanderesse a répondu [traduction] « AUCUNE »
, alors que le certificat de résidence notarié indique qu’elle a servi et qu’elle a été libérée du service actif.
[5]
Le 5 janvier 2017, l’agent a rédigé une lettre d’équité procédurale (LEP) dans laquelle il demandait à la demanderesse de lui fournir des renseignements supplémentaires pour dissiper ses inquiétudes quant à la contradiction apparente. La LEP précisait également que les demandeurs disposaient de trente jours pour fournir les renseignements. La section affirme qu’un courriel contenant cette LEP a été envoyé à Me Harvey le 5 janvier 2017.
[6]
En mars 2017, étant donné qu’aucune réponse à la LEP n’avait été reçue des demandeurs, l’agent a transféré le dossier au gestionnaire de l’unité pour qu’il prenne une décision concernant de fausses déclarations au sens de l’article 40 de la LIPR. Le gestionnaire de l’unité a conclu que la demanderesse avait fait de fausses déclarations ou avait refusé de révéler des faits importants et, par conséquent, il a rejeté la demande de résidence permanente des demandeurs. En raison de cette allégation concernant la présentation erronée de faits importants, il a été interdit aux demandeurs de présenter une nouvelle demande de résidence permanente pour une période de cinq ans. Cette décision a été communiquée aux demandeurs le 12 juin 2017.
[7]
Les demandeurs, Me Harvey et l’un de ses employés ont tous affirmé qu’ils n’avaient aucune trace confirmant la réception de la LEP, que ce soit par voie électronique ou autrement. Dans leurs déclarations solennelles, les demandeurs ont également précisé que la demanderesse était une infirmière [traduction] « ordinaire »
, qu’elle n’avait participé à aucune guerre, à aucun combat ni à aucune instruction militaire, et qu’elle n’avait aucun grade militaire. Ces déclarations ont été envoyées aux autorités de l’immigration, accompagnées d’une lettre laissant entendre qu’un nouvel examen de leur dossier était attendu.
[8]
Bien que la section ait tout d’abord refusé de procéder à un nouvel examen, elle a fini par informer les demandeurs qu’un agent d’immigration allait examiner la demande en se fondant sur le contenu du message envoyé par Me Harvey, sur la demande, ainsi que sur la décision de refus.
[9]
Les éléments qui précèdent ont conduit l’agent d’immigration à vérifier si la lettre avait bien été envoyée. L’agent d’immigration a confirmé qu’un courriel contenant la LEP avait bel et bien été envoyé à Me Harvey le 6 juin 2017 à 10 h 42. L’agent d’immigration a également fait remarquer que le courriel n’avait pas été retourné et traité comme [traduction] « non livrable »
.
[10]
Le 20 décembre 2017, la section a confirmé par courriel à Me Harvey qu’un examen avait été effectué par un agent d’immigration et que la décision initiale était maintenue.
III.
Les questions en litige et la norme de contrôle
[11]
La présente demande soulève la question suivante :
L’agent d’immigration a-t-il manqué au devoir d’équité en refusant de rouvrir la demande après avoir reçu les déclarations indiquant que la lettre d’équité procédurale n’avait jamais été reçue par les demandeurs?
[12]
La Cour suprême du Canada a statué que les questions découlant de l’équité de la procédure devaient être examinées selon la norme de la décision correcte (Ellis-Don Ltd. c Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 RCS 221, au paragraphe 65).
IV.
La décision contestée
[13]
Les demandeurs contestent la décision du 20 décembre 2017 par laquelle un agent d’immigration de la section a refusé de rouvrir leur dossier après avoir reçu des documents supplémentaires.
V.
Les dispositions applicables
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Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent en l’espèce.
Paragraphes 40(1) à (3) :
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VI.
Analyse
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La décision de refuser de rouvrir le dossier des demandeurs reposait sur le fait que ces derniers n’avaient pas fourni les renseignements dans le délai prescrit par la LEP.
[16]
Les éléments de preuve présentés par le défendeur ne permettaient pas de déterminer la date à laquelle la LEP a été envoyée, ce qui nous amène ensuite à la question plus importante : La LEP a-t-elle bel et bien été envoyée? Comme il est détaillé ci-après, le défendeur fait référence à deux dates différentes auxquelles la LEP aurait été envoyée :
o Les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) datées du 6 mars 2017 indiquent que la lettre a été envoyée le 5 janvier 2017;
o Les notes du SMGC datées du 10 mars, du 13 juin et du 8 septembre 2017 indiquent que la LEP a été envoyée le 6 janvier 2017;
o Le paragraphe 9 du mémoire du défendeur (daté du 4 avril 2018) indique que la LEP a été envoyée le 5 janvier 2017;
o Les paragraphes 10, 28 et 29 du mémoire du défendeur indiquent que la LEP a été envoyée le 6 janvier 2017.
[17]
Compte tenu du fait que le défendeur n’a pas réussi à montrer clairement à quelle date la lettre a été envoyée, la Cour conclut que le défendeur n’a pas prouvé que la lettre a été envoyée aux demandeurs et conclut par conséquent qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale.
[18]
Quand bien même la Cour aurait été convaincue que la LEP avait été envoyée en janvier 2017, le fait est que le défendeur n’a pas prouvé que le courriel était parvenu aux demandeurs. Sur ce point, la Cour appuie sans réserve l’avis du juge Annis en ce qui concerne la transmission défaillante de courriels, lequel écrit ce qui suit :
Je souscris également à la décision Zare selon laquelle il serait injuste pour le demandeur, et ce, dans de nombreuses situations, qu’aucune responsabilité n’incombe au défendeur à l’égard de la livraison d’une communication, surtout si ce dernier n’a pas mis en place de mesures de protection pour parer à la possibilité de défaillance de la transmission de courriels, soit des fonctions offertes par le programme de gestion de courriels.
(Asoyan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 206, au paragraphe 20, renvoyant à Zare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1024, [2012] 2 RCF 48.)
[19]
Le dossier de la demande, y compris les réponses qui ont été fournies par les demandeurs après la lettre de refus initiale, devrait être renvoyé à un autre agent d’immigration pour nouvel examen.
VII.
Conclusion
[20]
Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.
JUGEMENT dans le dossier IMM-87-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est donc renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 28e jour de novembre 2018.
Mylène Boudreau, B.A. en trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-87-18
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INTITULÉ :
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CONG LU ET LING WEI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 13 NOVEMBRE 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SHORE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 14 NOVEMBRE 2018
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COMPARUTIONS :
Stephen J. Fogarty
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POUR LES DEMANDEURS
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Émilie Tremblay
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Fogarty Étude légale
Montréal (Québec)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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