Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : IMM-2012-18

Référence : 2018 CF 1140

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2018

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

KAMEL ALY

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un commissaire (le commissaire) de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) le 19 avril 2018 (la décision), dans laquelle il a conclu que Kamel Aly n’est pas interdit de territoire au Canada. La présente demande est présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Kamel Aly (le défendeur) est un citoyen de l’Égypte, où il a exercé la profession d’avocat criminaliste. Son épouse et leurs deux jeunes enfants vivent encore en Égypte.  

[3]  En 2012, le défendeur a travaillé pour Mohamed Morsi lors de sa campagne électorale victorieuse. Toutefois, le gouvernement du président Morsi a par la suite été chassé du pouvoir, pour finalement être remplacé par le gouvernement du président Al-Sissi.

[4]  Le défendeur soutient qu’en 2015, il a été informé qu’il figurait sur une liste de personnes sur le point d’être accusées d’activités antigouvernementales. À la suite de cette mise en garde, il a quitté le pays pour se rendre en Malaisie, où il a été admis à titre de touriste, mais son visa de touriste de trois mois ne lui permettait pas de travailler.

[5]  Peu après son arrivée en Malaisie, le défendeur s’est présenté au bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) pour demander l’asile. Il a été avisé que le traitement de sa demande d’asile prendrait de 12 à 18 mois. Il a témoigné qu’il craignait de perdre son statut de visiteur et d’être renvoyé en Égypte avant de recevoir la décision du HCNUR.

[6]  Le défendeur, qui ne parle qu’arabe, a cherché un emploi en Malaisie et a été embauché comme commis-comptable par Shawky Travel (l’agence). Il s’agissait d’une agence de voyages arabophone, dont le propriétaire était un Égyptien. Lors de son embauche, l’agence ne lui a pas demandé de présenter de permis de travail (qu’il ne possédait pas). Environ un mois après avoir commencé son emploi à l’agence, le défendeur a constaté des irrégularités dans les transactions financières effectuées par l’agence de voyages, qu’il a désignées comme étant une fraude par carte de crédit à grande échelle (la fraude). Il l’a signalée au propriétaire de l’agence (le propriétaire), mais il s’est fait dire de l’ignorer. Le propriétaire a également dit au défendeur que s’il quittait l’agence et travaillait ailleurs, il le dénoncerait aux autorités de l’immigration (la menace).

[7]  Le défendeur affirme ne pas avoir signalé la fraude parce qu’il craignait d’être placé en détention pour avoir travaillé sans permis et d’être renvoyé en Égypte par les autorités. Il craignait également que le propriétaire mette la menace à exécution s’il se cherchait un autre emploi. Le défendeur a continué de travailler à l’agence pendant environ trois mois après avoir eu connaissance de l’activité criminelle. Après cette période, les économies réalisées grâce à son salaire et les prêts consentis par le propriétaire et son frère ont permis au défendeur d’acheter un faux passeport et un billet d’avion. Le défendeur a quitté la Malaise et, passant par l’Afrique du Sud, est arrivé au Canada le 11 août 2015. Il a par la suite présenté une demande d’asile puis fait l’objet de trois rapports au titre du paragraphe 44(1) de la LIPR.

I.  La procédure à ce jour

[8]  À la suite des rapports produits au titre de l’article 44, le ministre a demandé à la Section de l’immigration (SI) de rendre une décision voulant que le défendeur soit interdit de territoire aux termes de l’alinéa 36(1)c) (grande criminalité) et des alinéas 37(1)a) et 37(1)b) (criminalité organisée) de la LIPR. 

[9]  La SI a entendu le témoignage du défendeur et l’a jugé crédible. La SI a rendu deux décisions distinctes. Dans sa première décision, la SI a conclu que le défendeur n’était pas interdit de territoire en application de l’alinéa 37(1)a). Le ministre n’a pas respecté la date limite pour interjeter appel de cette décision devant la SAI.

[10]  Dans sa deuxième décision, la SI a conclu que le défendeur n’était pas non plus interdit de territoire en application des alinéas 36(1)c) et 37(1)b) de la LIPR. Le ministre a interjeté appel de cette décision de la SI, et une nouvelle audience a été tenue devant la SAI. Le défendeur a témoigné et la SAI a de nouveau conclu qu’il était crédible et qu’il n’était pas interdit de territoire en application de l’alinéa 37(1)b). Même si, comme il a déjà été mentionné, la SAI devait aussi examiner l’alinéa 36(1)c), les faits pertinents concernant les activités du défendeur en Afrique du Sud n’ont pas été mentionnés dans la décision et aucune conclusion n’a été tirée quant à savoir si l’alinéa 36(1)c) s’appliquait.

[11]  Il semble que le commissaire a négligé cet aspect de l’appel interjeté par le ministre. Pour cette raison, je rendrai l’ordonnance de renvoyer l’affaire à la SAI afin qu’elle rende une décision à savoir si le défendeur est une personne visée à l’alinéa 36(1)c). Je me penche maintenant sur la décision relative à l’alinéa 37(1)b).

II.  La décision de la SAI

[12]  Devant la SAI, le défendeur a admis que 90 % des activités de l’agence étaient liées à la fraude transnationale par carte de crédit. Il a donc soutenu que la seule question à trancher était celle de savoir si son travail pour l’agence était excusé par la défense de nécessité.

[13]  Nul ne conteste que la défense de nécessité exige des preuves de :

[14]  Le commissaire a conclu que le défendeur était exposé à un danger imminent et évident en Malaisie, à savoir d’être renvoyé en Égypte, où il craignait d’être détenu, arrêté et torturé. Il a estimé que la crainte du défendeur à l’égard du gouvernement du président Al-Sissi était corroborée par la preuve objective.

[15]  Le commissaire a aussi conclu que le défendeur n’avait aucune solution raisonnable autre que celle d’enfreindre la loi. Il a constaté que le défendeur a fait part de ses préoccupations au propriétaire, et qu’il s’est fait dire d’ignorer la fraude. Le défendeur ne s’est pas adressé aux autorités et n’a pas cherché un autre emploi en raison de sa situation précaire en Malaisie. La SAI a conclu qu’étant donné qu’il parlait seulement arabe, qu’il n’avait pas de permis de travail et qu’il était exposé à la menace du propriétaire, la seule solution viable était de continuer à travailler pour l’agence jusqu’à ce qu’il ait amassé des fonds suffisants pour quitter la Malaisie.

[16]  Finalement, la SAI a conclu que les actes du défendeur étaient proportionnels au préjudice qu’il aurait subi s’il avait été renvoyé en Égypte. Par conséquent, comme la défense de nécessité a été établie, la SAI a conclu que le ministre n’a pas démontré que le défendeur était interdit de territoire en application de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR.

III.  Questions en litige

Questions pour lesquelles l’autorisation a été accordée

Nouvelle question soulevée dans le cadre du contrôle judiciaire

Question i

[17]  Cette question présuppose que le ministre a présenté des observations sur la question et qu’il était d’avis que la défense de nécessité ne peut, en droit, être invoquée dans le cadre d’une enquête. Pour les raisons exposées ci-après, je conclus qu’aucune observation n’a été présentée.

[18]  Aux paragraphes 25 et 26 de la décision, le commissaire a fait les remarques suivantes :  

Étant donné que le tribunal conclut que l’intimé [M. Aly] est crédible, la question à trancher est celle de savoir si l’intimé peut invoquer la défense de nécessité, vu les circonstances propres à sa situation. […]

Le tribunal est d’avis que la défense de nécessité invoquée par l’intimé est un moyen de défense à sa disposition à l’égard de l’allégation formulée contre lui au titre de l’alinéa 37(1)b).

[19]  J’estime que dans ces commentaires, le commissaire ne s’est pas demandé si la défense de nécessité pouvait être invoquée. Il se demandait plutôt si, d’après les faits, la défense avait été établie. En d’autres termes, la question était de savoir si le défendeur avait satisfait aux trois exigences de la défense.

[20]  Mon interprétation des commentaires du commissaire est appuyée par les remarques faites par les avocats des deux parties dans leurs observations finales.

[21]  Dans ses observations finales devant la SAI, l’avocat du défendeur a souligné que le ministre n’a pas contesté la possibilité d’invoquer la défense de nécessité. L’avocat du défendeur s’est prononcé de la sorte :

[traduction]

D’abord, en ce qui concerne la possibilité d’invoquer l’argument de nécessité, j’estime que mon – l’avocat du ministre ne conteste pas la proposition selon laquelle il est possible d’invoquer l’argument de nécessité – ou que la défense de nécessité peut être invoquée, et le ministre l’a reconnu au paragraphe 73 du document B10.

[Non souligné dans l’original.]

[22]  En réponse, le ministre a reconnu que la défense de nécessité avait été dûment invoquée. Il a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Aussi, ce que – j’en conviens […] Il n’incombe pas au ministre de réfuter la défense de M. Aly. Le fardeau de la preuve – il incombe au ministre d’établir que les critères énoncés aux alinéas 37(1)b) et 36(1)c) sont satisfaits. Il n’incombe pas au ministre de réfuter sa défense. Il peut invoquer une défense s’il le veut. C’est à lui qu’incombe ce fardeau. C’est à lui d’en établir le bien-fondé.

[Non souligné dans l’original.]

[23]  J’estime que l’avocat du défendeur a indiqué clairement dans ses observations finales que le ministre n’avait pas adopté la position selon laquelle la défense de nécessité n’était pas possible en droit. Par la suite, lorsque l’avocat du ministre a présenté ses observations finales, il s’est attardé à la question de savoir si la défense avait été établie. En aucun temps devant la SAI il n’a laissé entendre que la nécessité ne pouvait être prise en compte. 

[24]  Comme la SAI n’était pas saisie de la question, elle n’a pas eu à se demander si la défense de nécessité pouvait être invoquée.

Question ii

(1)  Les positions des parties

[25]  Les parties conviennent que les deux premiers éléments de la défense de nécessité sont évalués selon la norme objective modifiée. Cela signifie que le défendeur doit croire qu’il est exposé à un danger imminent et qu’il n’a pas de solution légale autre que son emploi illégal. Cette croyance doit en outre être raisonnable compte tenu de sa situation personnelle et conjoncturelle.

[26]  Le ministre signale que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans l’arrêt Nwanebu, 2014 BCCA 387 (Nwanebu), au paragraphe 63, a insisté sur le fait que la défense de nécessité doit être [traduction] « strictement contrôlée et scrupuleusement limité aux situations qui […] sont véritablement “involontaires” ». Le ministre souligne que le défendeur a volontairement décidé de continuer à travailler pour l’agence, même après avoir pris connaissance de sa participation à la fraude.

[27]  Le ministre soutient que la décision de la SAI est déraisonnable parce qu’elle n’a pas appliqué correctement la norme objective modifiée aux deux premiers éléments du critère. Pour une description de la norme, le ministre s’appuie sur le passage suivant de l’arrêt R c Ruzic, 2001 CSC 24, paragraphe 61, cité dans l’arrêt Nwanebu, paragraphe 66 :

Les tribunaux prendront en considération la situation particulière dans laquelle se trouvait le prévenu et la capacité de celui-ci de discerner une situation raisonnable autre que celle de commettre un crime, compte tenu de ses antécédents et de ses caractéristiques essentielles. Le processus comporte une appréciation pragmatique de la situation de l’accusé, tempérée par la nécessité d’éviter d’écarter la responsabilité criminelle sur la foi d’une excuse purement subjective et invérifiable.

Le ministre s’appuie également sur le paragraphe 67 de l’arrêt Nwanebu, où la Cour affirme ce qui suit :

[traduction]

En somme, l’accusé doit croire subjectivement qu’il est exposé à un danger imminent et qu’il n’a pas d’autre solution légale possible. Cette croyance doit cependant être raisonnable compte tenu de sa situation personnelle et conjoncturelle. Ces circonstances peuvent altérer sa capacité rationnelle à prendre des décisions et à clairement évaluer la situation, et donc le caractère raisonnable de sa croyance.

[Non souligné dans l’original.]

[28]  Le ministre distingue l’arrêt Nwanebu de la présente affaire en soulignant que, dans l’arrêt Nwanebu, la Cour avait été saisie d’éléments de preuve concernant la capacité décisionnelle réduite de M. Nwanebu en raison de la torture qu’il a subie et du trouble de stress post-traumatique en découlant. Le ministre soutient qu’aucun élément de preuve de la sorte n’a été présenté en l’espèce.

[29]  Le ministre soutient en outre que la conclusion selon laquelle le défendeur était exposé à un danger imminent et évident n’était pas étayée par les faits. Le ministre cite l’arrêt R c Ryan, 2013 CSC 3, de la Cour suprême, où elle déclare, au paragraphe 74, que « l’exigence relative à la temporalité dans le cas du moyen de défense fondé sur la nécessité demeure celle de l’imminence ».

[30]  En outre, le ministre affirme qu’aucun élément de preuve ne donne à penser que le défendeur risquait d’être renvoyé en Égypte. Il ressort de la preuve que les autorités de l’immigration n’ont jamais tenté de l’interroger et ne se sont jamais rendues à son lieu de résidence. De plus, lorsqu’elles ont visité l’agence, il n’a pas été interrogé. Le ministre soutient que, bien que le défendeur ait pu craindre subjectivement d’être renvoyé en Égypte, la menace n’était pas imminente d’un point de vue objectif.

[31]  Le ministre craint que le commissaire n’ait pas évalué objectivement la situation du défendeur. Étant donné qu’il est un avocat criminaliste ingénieux, il aurait dû, selon le ministre, prendre des mesures et s’informer au sujet d’un autre emploi légal lorsqu’il a appris l’existence de la fraude. Il n’aurait pas dû supposer que sans permis de travail, il n’avait aucun moyen légitime de gagner de l’argent.

[32]  Finalement, le ministre soutient que la SAI a commis une erreur dans son analyse de la proportionnalité. Il affirme que la SAI a tiré une inférence sans fondement lorsqu’elle a conclu que le renvoi constituait le préjudice évité étant donné que la preuve ne permettait pas de conclure que le défendeur risquait d’être renvoyé. Le ministre soutient plutôt que le préjudice évité était l’incapacité du défendeur à subvenir à ses besoins en Malaisie.

[33]  Cependant, le défendeur insiste sur le fait que la SI et la SAI l’ont jugé crédible. Il signale que les motifs pour lesquels il a quitté l’Égypte concordaient avec les documents sur la situation dans le pays concernant les fausses déclarations de culpabilité, l’emprisonnement et l’exécution de partisans présumés du président Morsi. Le défendeur signale que le ministre n’a pas remis en question sa crainte de retourner en Égypte.

[34]  Le défendeur ne souscrit pas à l’argument du ministre selon lequel il n’y avait aucune preuve objective qu’il risquait d’être renvoyé en Égypte. Il signale que la SAI était saisie de la preuve décrite ci-dessous dans un document du réseau de réinstallation des réfugiés en Europe (European Resettlement Network), qui se lit comme suit : 

[traduction]

La Malaisie n’est pas signataire de la Convention de 1951 ni de son protocole de 1967, et ne dispose pas de cadre juridique ou de système en matière d’asile (c’est plutôt le HCNUR qui se charge de la détermination du statut de réfugié). Les milieux urbains peuvent dans certains cas offrir davantage de possibilités d’autonomie et de meilleures perspectives d’intégration. Cependant, la loi malaisienne sur l’immigration de 1963 ne fait pas de distinction entre les réfugiés et les migrants sans papier, et sans protection juridique, les réfugiés courent constamment le risque d’être arrêtés, détenus et expulsés.

Les réfugiés sont incapables de travailler légalement, d’envoyer leurs enfants à l’école ou d’accéder aux soins de santé ou aux services sociaux.

[Non souligné dans l’original.]

(2)  Analyse

[35]  L’arrêt R c Latimer, 2001 CSC 1, est une décision portant sur la défense de nécessité dans laquelle la Cour a clarifié le sens de « danger imminent et évident » en ces termes : 

[U]n désastre doit être imminent ou un mal doit être inévitable et proche. Il ne suffit pas que le danger soit prévisible ou probable; il doit être sur le point de survenir et être quasi certain de se produire. Dans Perka, le juge Dickson explique ainsi l’exigence de danger imminent : « Au moins, la situation doit être à ce point urgente et le danger à ce point pressant qu’un être humain normal serait instinctivement forcé d’agir et de considérer tout conseil de temporiser comme déraisonnable » (p. 251). L’arrêt Perka indique également la raison d’être de l’exigence de danger immédiat : « L’exigence [...] permet de vérifier s’il était vraiment inévitable que la personne agisse » (p. 251). Lorsque la situation dangereuse aurait manifestement pu être prévue et évitée, l’accusé ne peut raisonnablement pas invoquer le danger immédiat. 

[36]  À mon avis, la SAI a suivi l’arrêt Latimer et a énoncé le bon critère lorsqu’elle a affirmé ce qui suit :

Le préjudice auquel la personne est exposée doit être imminent, et il doit être inévitable ou proche. Le péril qui menace la personne doit être davantage que simplement prévisible ou probable. La menace doit être sur le point de se concrétiser et être quasi certaine.

[37]  Le défendeur a déclaré qu’il avait été menacé d’être dénoncé par le propriétaire, qu’il avait peu d’argent, une maîtrise limitée de la langue, un visa touristique de courte durée et qu’il n’avait aucun permis de travail ni aucune reconnaissance du HCNUR. Il y avait également des preuves objectives montrant qu’il risquait « constamment » d’être expulsé. Dans ces circonstances, je conclus que la SAI a raisonnablement conclu qu’il était en danger imminent. Le ministre laisse entendre que, les autorités malaisiennes ne l’ayant pas découvert, il n’était pas en danger imminent. À mon avis, cet argument passe à côté de la question. Une fois découvert, il aurait été trop tard. Il était constamment en danger d’être découvert, ce qui aurait mené à sa détention et à son expulsion.

[38]  Je suis aussi d’avis que la défense de nécessité n’exige pas, comme le ministre l’a laissé entendre, la preuve d’une capacité décisionnelle réduite. Le ministre n’a pas fait référence à une jurisprudence sur cette question. Nulle part dans l’arrêt Nwanebu la Cour n’indique que la preuve psychologique d’un raisonnement altéré est requise dans tous les cas.

[39]  Je suis aussi d’avis que les conclusions de la SAI au sujet des deux derniers éléments du critère étaient raisonnables. Étant donné qu’il n’avait pas de permis de travail et ne parlait que l’arabe, il était peu probable que le défendeur trouve un emploi légal. Le préjudice auquel il était exposé en Égypte (qui, selon moi, était le préjudice pertinent) l’emportait sur une courte période d’emploi dans une entreprise se livrant à des crimes de cols blancs.

Question iii

[40]  La Cour a le pouvoir discrétionnaire d’entendre ou non les questions soulevées après que l’autorisation a été accordée (Al Mansuri c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 22). En l’espèce, lorsque le ministre a déposé son exposé supplémentaire des arguments, il a soutenu pour la première fois dans cette demande de contrôle judiciaire que c’est commettre une erreur de droit que d’examiner la défense de nécessité lors d’une enquête devant la SI ou la SAI.

[41]  La nouvelle question à trancher, même si elle n’a pas été débattue devant la SAI, l’a été pleinement devant la SI, de sorte qu’il n’y a aucun préjudice pour le défendeur du fait qu’elle n’a été soulevée qu’une fois l’autorisation accordée. Ayant également tenu compte des autres facteurs décrits dans la décision Al Mansuri, je suis prête à exercer mon pouvoir discrétionnaire pour examiner et trancher la question.

(1)  Les positions des parties

[42]  Le ministre soutient qu’il n’est pas possible d’invoquer la défense de nécessité lors d’une enquête parce qu’il serait plus approprié de l’invoquer lorsque le ministre examine une demande de dispense ministérielle en vertu de l’article 42.1 de la LIPR. Certains font valoir qu’une conclusion autre rendrait le rôle du ministre redondant et signifierait que des ressources gouvernementales sont gaspillées dans le double examen de la même question.

[43]  Le défendeur soutient qu’il n’existe aucune décision à l’appui de la position du ministre. Il signale que dans la décision B006 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1033, la juge Kane a conclu que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CAF 103, n’a pas exclu la possibilité que la coercition ou la contrainte soit soulevée en matière d’interdiction de territoire. Aux paragraphes 104 à 107 de sa décision, la juge Kane a examiné des exemples d’affaires dans lesquelles la Cour fédérale s’est penchée sur le traitement de la défense de contrainte lors d’enquêtes. Selon le défendeur, la défense de nécessité devrait être traitée de la même façon. Toutefois, le ministre soutient qu’il faut faire la distinction d’avec l’affaire B006 c Canada et que celle-ci ne devrait pas être acceptée comme un précédent parce qu’elle portait sur la défense de contrainte et non sur celle de nécessité, et qu’il s’agissait d’une affaire de passage de clandestins et non d’une affaire de crimes de cols blancs.

(2)  Analyse

[44]  À mon avis, rien ne permet d’établir une distinction d’avec l’affaire B006. Bien qu’elle ne soit pas aussi grave que le passage de clandestins, la conduite en cause dans cette affaire est néanmoins criminelle. L’utilisation non autorisée de données de cartes de crédit par l’agence était un crime et je ne vois aucune raison de ne pas invoquer une défense en droit criminel. De plus, le fait que cette affaire porte sur la nécessité plutôt que sur la contrainte est une différence dépourvue de sens. Les deux moyens de défense excusent la conduite criminelle en la traitant comme moralement involontaire.

[45]  Enfin, je ne vois aucune raison d’exclure l’examen de la défense de nécessité devant la SI et la SAI simplement parce qu’il pourrait également s’agir d’une des nombreuses questions pertinentes dont le ministre est saisi dans le cadre d’une demande de dispense.

[46]  En résumé, je conclus que la défense de nécessité peut être invoquée devant la SAI. Par conséquent, elle n’a pas commis d’erreur en fondant sa décision sur la défense.

[47]  Pour toutes ces raisons, j’estime que la décision était raisonnable et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée à l’égard de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR. 

IV.  Certification

[48]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2012-18

LA PRÉSENTE DEMANDE de contrôle judiciaire est accueillie en partie afin que la SAI puisse trancher une question qui n’a pas été prise en compte dans la décision. Il s’agit de savoir si le défendeur est interdit de territoire en application de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR.

LA DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision selon laquelle le défendeur n’est pas interdit de territoire au titre de l’alinéa 37(1)b) de la LIPR est rejetée.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de novembre 2018.

Isabelle Mathieu, traductrice



 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.