[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2018
En présence de monsieur le juge Favel
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, Guangquan Wang, est un citoyen de la Chine. M. Wang a déclaré dans son témoignage qu’il vivait avec sa famille dans une maison appartenant à son père dans le village de Dongxia, dans la ville de Qingzhou, en Chine. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, à l’encontre d’une décision rendue le 29 septembre 2017 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR), qui confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) par laquelle cette dernière rejetait la demande d’asile du demandeur. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.
II.
Contexte
[2]
Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu’en avril 2016, le comité du village de Dongxia a annoncé son intention d’exproprier la maison de son père et les terres avoisinantes en vue d’y construire une ferme d’élevage de renards. Le gouvernement local a offert une indemnité d’expropriation, mais celle‑ci était bien en deçà de la valeur marchande.
[3]
Le demandeur s’est chargé de mobiliser les 28 ménages touchés par l’expropriation des terres. Avec l’aide d’un autre villageois, Hongtao Wang, il a rédigé une lettre de pétition sur laquelle tous les propriétaires ont apposé leur signature et leur empreinte digitale. Ils ont présenté la pétition au chef du village, qui l’a transmise au gouvernement local.
[4]
Le 27 juillet 2016, le chef du village a convoqué une réunion et a annoncé que l’indemnité offerte initialement serait maintenue. En réponse, le demandeur a suggéré que les familles touchées contestent la décision auprès du bureau du gouvernement local. Avec l’aide de Hongtao Wang, le demandeur a rédigé une pétition contestant la minime indemnité offerte.
[5]
Le 10 août 2016, le demandeur prétend que les propriétaires ont protesté devant l’immeuble du gouvernement local. Lors de la manifestation, un fonctionnaire du bureau du maire a accepté leur pétition et a demandé les numéros de téléphone de Hongtao Wang et du demandeur. Le 22 août 2016, le fonctionnaire les a appelés et a réaffirmé que la décision concernant l’indemnité offerte était définitive.
[6]
Le 30 août 2016, Hongtao Wang et le demandeur ont organisé une manifestation à l’hôtel de ville de Qingzhou, à laquelle ont participé une cinquantaine de villageois. Cette fois‑ci, les autorités ont refusé d’accepter leur pétition, et les agents de sécurité ont chassé les manifestants à coups de matraque. Le demandeur a déclaré qu’il a été frappé au bras et que Hongtao Wang a reçu un coup à la tête. Les organisateurs ont ensuite élaboré un plan pour faire entendre leurs protestations devant le gouvernement provincial le 9 septembre 2016.
[8]
Après l’arrestation de Hongtao Wang, le demandeur a déclaré s’être caché, puis avoir communiqué avec un passeur de clandestins afin de prendre des dispositions pour quitter la Chine.
[9]
Après avoir quitté la Chine, le demandeur affirme que les agents du BSP ont interrogé sa famille afin de savoir où il se trouve et ont clairement manifesté leur intention de l’arrêter. De façon plus précise, le BSP a rendu visite à sa famille à trois reprises depuis son départ (le 30 décembre 2016, le 19 janvier 2017 et le 10 mars 2017).
[10]
Le demandeur affirme que son épouse lui a dit que, le 20 décembre 2016, des agents du BSP ont visité leur maison et ont indiqué qu’ils souhaitaient savoir où était le demandeur puisqu’ils voulaient l’arrêter. Il affirme que, selon son épouse, les agents du BSP ont déclaré que le demandeur devait se présenter devant le BSP de la ville de Qingzhou et l’ont accusé d’avoir organisé la résistance au gouvernement, compromis la stabilité sociale et perturbé le développement économique.
A.
La décision de la Section de la protection des réfugiés
[14]
La SPR a tiré plusieurs conclusions défavorables concernant la crédibilité, notamment les suivantes :
La SPR a déclaré que, compte tenu du niveau de scolarité du demandeur d’asile, ce dernier n’était pas un témoin crédible. Le tribunal a affirmé qu’il [traduction]
« était très hésitant, vague, évasif et incohérent »
;· Le tribunal a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le témoignage et les éléments de preuve présentés par le demandeur d’asile avaient été [traduction]
« fabriqués ou exagérés »
pour renforcer sa demande d’asile;· La SPR a conclu que ses réponses aux questions concernant la visite du BSP au domicile de sa famille, le 30 décembre 2016, n’étaient pas valables, étant donné qu’elles ne correspondaient pas à l’exposé circonstancié fourni dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). En réponse aux questions posées concernant la visite du BSP le 30 décembre 2016, il a simplement déclaré que le BSP avait fait pression sur son épouse pour qu’elle leur dise où il se trouvait. Toutefois, dans le formulaire FDA, il a déclaré que le BSP avait rendu visite à sa famille pour lui annoncer qu’il était accusé d’avoir [traduction]
« organisé la résistance au gouvernement, compromis la stabilité sociale et perturbé le développement économique »
(SPR, aux paragraphes 14 à 16). Le tribunal a conclu qu’il s’agissait là d’une omission importante dans son témoignage et a en tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité;· La SPR a également estimé que les éléments de preuve présentés étaient incompatibles en ce qui concerne le moment où ses problèmes en Chine ont commencé. Dans l’exposé circonstancié qu’il a fourni dans le formulaire FDA, il déclarait que des agents de sécurité l’avaient frappé avec une matraque le 30 août 2016. Dans son témoignage de vive voix, il a affirmé qu’il avait commencé à avoir des craintes et des problèmes en septembre 2016. Le tribunal a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité en raison de cette légère divergence;
· La SPR a également mis en doute son explication concernant les raisons pour lesquelles son père demanderait une indemnisation au gouvernement, après qu’il eut été clairement établi que la famille se sentait menacée. Il a répondu que sa famille avait besoin de cet argent pour déménager et acheter une maison. La SPR a conclu qu’il était [traduction]
« absurde que le père du demandeur d’asile prenne le risque d’exiger davantage du gouvernement à l’égard d’une question en rapport direct avec le problème que son fils avait avec le BSP »
et que l’explication de M. Wang était [traduction]« totalement illogique »
. Par conséquent, la SPR a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité;· La SPR a également mis en doute l’authenticité de la preuve documentaire produite par le demandeur. Le tribunal a conclu qu’il était absurde que l’épouse de M. Wang lui ait envoyé des copies des pétitions par la poste, mais qu’elle n’ait pas envoyé de lettre attestant la véracité des allégations de M. Wang. En outre, la SPR a fait observer que les pétitions étaient [traduction]
« faciles à produire »
, concluant ainsi indirectement que les documents n’étaient pas authentiques;
III.
La décision faisant l’objet du contrôle
A.
Les souvenirs de la visite du Bureau de la sécurité publique
[16]
Il y a eu confirmation de la conclusion de la SPR selon laquelle il est absurde que le demandeur ne se souvienne pas de ce que les agents ont dit à sa famille, lorsqu’ils se sont rendus au domicile de cette dernière, le 30 décembre 2016. Selon la SAR, cette conclusion était cruciale, puisqu’elle touche au cœur même de l’affirmation du demandeur selon laquelle son épouse lui a dit que le BSP l’avait accusé d’avoir [traduction] « organisé la résistance au gouvernement, compromis la stabilité sociale et perturbé le développement économique »
et qu’il avait l’intention de l’arrêter.
[17]
Dans le cadre de l’audience, le demandeur a été invité à six reprises à expliquer ce qui s’était passé lors de la visite du BSP au domicile de sa famille, le 30 décembre 2016, détails qu’il a communiqués dans une version mise à jour de l’exposé circonstancié du formulaire FDA seulement une semaine avant l’audience. Bien que la question lui ait été posée six fois, le demandeur ne s’est, à aucun moment, rappelé le fait que le BSP l’avait accusé d’avoir organisé la résistance au gouvernement. Compte tenu de la nature de la demande d’asile présentée par le demandeur, la SAR a conclu que les éléments de preuve présentés à l’appui de cet événement étaient déterminants en vue d’établir sa crainte d’être persécuté à son retour en Chine.
B.
La lettre de l’épouse du demandeur
C.
L’absence de documents à l’appui
[19]
La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle avait conclu que les explications du demandeur quant à l’absence de documents à l’appui démontrant l’intérêt que lui portait le BSP n’étaient pas valables.
[20]
La SAR était d’accord avec la SPR sur le fait que l’absence d’un mandat ou d’une sommation était un facteur à considérer au moment d’établir si le demandeur était poursuivi par les autorités chinoises et que l’absence de tels documents portait atteinte à la crédibilité du demandeur. La SAR a reconnu que la délivrance d’une sommation n’est pas obligatoire en Chine ou qu’elle n’y est pas exécutée de façon uniforme à l’échelle du pays, mais elle a indiqué que, compte tenu des faits particuliers de l’espèce, il était « fort probable qu’une sommation ou un mandat aurait été délivré »
, étant donné l’intérêt soutenu que manifestait le BSP à l’égard du demandeur. Par conséquent, la SAR a conclu que l’absence d’une sommation portait atteinte à la crédibilité du demandeur.
D.
Le désaccord de la SAR avec le tribunal de la SPR
[22]
La SAR n’était pas d’accord avec deux des conclusions défavorables rendues par la SPR quant à la crédibilité.
[23]
Premièrement, la SAR a conclu que l’explication du demandeur selon laquelle ses problèmes avaient commencé en septembre plutôt que lorsqu’il a été battu, le 30 août 2016, était raisonnable. Sur ce point, la SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité.
[24]
Deuxièmement, la SAR a estimé que la conclusion de la SPR selon laquelle le père du demandeur n’aurait pas demandé une indemnisation au gouvernement, en février 2017, était erronée, puisqu’il s’agissait là d’une conclusion quant à la vraisemblance et qu’une telle conclusion ne devrait être tirée que dans les cas les plus manifestes. La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur sur ce point.
E.
La conclusion de la SAR
[25]
La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle avait jugé que le demandeur n’avait pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, le principal aspect de sa demande d’asile, à savoir qu’il est recherché par le BSP du fait qu’il était une tête dirigeante dans les protestations formulées contre l’expropriation et les indemnisations insuffisantes offertes pour la propriété de son père et celle des autres villageois. La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour prouver qu’il était recherché par les autorités chinoises et qu’il n’avait pas donné d’explications valables pour justifier l’absence de tels éléments de preuve.
IV.
Les questions en litige
V.
Arguments et analyse
A.
Quelle est la norme de contrôle applicable?
B.
La Section d’appel des réfugiés a‑t‑elle omis de fournir des motifs suffisants?
(1)
Les arguments du demandeur
(2)
Arguments du défendeur
[29]
Le défendeur soutient que l’insuffisance des motifs ne permet pas, à elle seule, de casser une décision, en renvoyant à l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 14, 16 et 18. Le défendeur affirme que le raisonnement suivi par le décideur a été exposé et qu’il reflète le fait que la SAR a tenu compte des facteurs pertinents (VIA Rail Canada Inc c Office national des transports (CA), [2001] 2 CF 25, aux paragraphes 2122).
(3)
Analyse
[32]
La Cour juge non convaincant l’argument du demandeur selon lequel la décision de la SAR n’explique pas convenablement comment les erreurs commises par la SPR en matière de crédibilité ont influé sur sa décision définitive. Après avoir examiné chacune des conclusions individuelles en l’espèce, la SAR a conclu qu’elle était d’accord avec la principale conclusion de la SPR : M. Wang n’a pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est recherché par le BSP, du fait qu’il était une tête dirigeante dans les protestations formulées contre l’expropriation et les indemnisations insuffisantes offertes pour la propriété de son père et celle des autres villageois.
C.
Les conclusions de la SAR concernant le manque d’éléments de preuve à l’appui étaient‑elles raisonnables?
(1)
Les arguments du demandeur
[34]
Le demandeur soutient qu’en confirmant la conclusion concernant la crédibilité tirée par la Commission, la SAR était tenue d’indiquer pourquoi l’explication compréhensible et très raisonnable fournie par M. Wang quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas obtenu de lettre de son épouse a été rejetée.
[35]
Le demandeur affirme également qu’il était erroné de la part de la SAR de conclure que l’absence d’une sommation du BSP le rendait non crédible. Le demandeur soutient qu’il s’agissait là d’une autre conclusion quant à la vraisemblance et donc d’une erreur.
(2)
Arguments du défendeur
[36]
Le défendeur affirme que le demandeur n’a relevé aucune erreur susceptible de révision dans la décision de la SAR. Il soutient que la SAR a conclu, à juste titre, que l’absence d’éléments de preuve à l’appui provenant de l’épouse ou d’un autre membre de la famille du demandeur, de même que d’une sommation ou de tout document démontrant que le demandeur est poursuivi par le BSP, constitue une omission importante.
[37]
Le défendeur soutient qu’il était loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable de ce fait, en particulier dans la mesure où le demandeur était clairement conscient qu’il devait produire des documents, compte tenu des autres types de documents qu’il a présentés (voir Dunda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026, aux paragraphes 19 et 22; Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, au paragraphe 10 [Amarapala]; Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 681, au paragraphe 8). Je constate que, dans la décision Amarapala, la Cour a déclaré ce qui suit :
[10] Il est bien établi qu’un tribunal ne peut tirer de conclusions négatives du seul fait qu’un demandeur d’asile n’a pas transmis de documents extrinsèques pour corroborer sa demande. Cependant, lorsqu’un tribunal a des motifs valables de douter de la crédibilité d’un demandeur, le fait que celui‑ci n’ait pas transmis de documents corroborants est un facteur dont il peut à bon droit tenir compte s’il n’accepte pas l’explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il n’a pas transmis ces documents. Voir Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. 755, paragraphe 9, le juge O’Reilly.
(3)
Analyse
[16] La SPR a encore une fois écarté la preuve relative à la situation du pays lorsqu’elle a examiné cette question. La preuve indiquait qu’une sommation « peut » être laissée et le demandeur a témoigné qu’elle avait été montrée, mais pas laissée à sa mère. Cependant, la SPR a conclu qu’une sommation « aurait » été laissée étant donné le haut niveau d’intérêt du BSP envers le demandeur. Il s’agit d’une hypothèse qui n’est pas justifiée par la documentation relative à la situation du pays. Elle était donc déraisonnable.
[Souligné dans l’original.]
[44]
Par conséquent, la Cour conclut que la décision de la SAR sur ce point était déraisonnable.
VI.
Conclusion
[45]
Pour les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.
[48]
À la lumière de l’argument avancé par le défendeur, je suis convaincu que la question proposée ne répond pas aux exigences à satisfaire aux fins de certification. Aucune question ne sera certifiée.
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question de portée générale n’est certifiée. Aucuns dépens ne sont adjugés.
Traduction certifiée conforme
Ce 21e jour de novembre 2018.
Maxime Deslippes, traducteur
GUANGQUAN WANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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POUR LE DÉFENDEUR
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POUR LE DÉFENDEUR
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