Date : 20181023
Dossier : IMM‑376‑18
Référence : 2018 CF 1061
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2018
En présence de monsieur le juge Southcott
ENTRE :
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ATTILA TIBOR LAKATOS
AGNES HORVATH
ATTILA LAKATOS
NIKOLASZ KRISZTIAN LAKATOS
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision la Section d’appel des réfugiés [SAR] datée du 20 décembre 2017 [la décision ou la décision de la SAR], qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] datée du 11 mai 2017, qui a statué que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[2]
Tel que cela est expliqué plus en détail ci‑dessous, la présente demande est rejetée parce que j’ai conclu que la SPR n’a pas démontré qu’il y a eu un comportement donnant lieu à une crainte raisonnable de partialité et que les arguments des demandeurs n’ont pas permis d’établir que la décision est essentiellement déraisonnable.
II.
Le contexte
[3]
Les demandeurs sont une famille de quatre citoyens hongrois, d’origine rom; deux adultes et leurs deux enfants qui étaient d’âge préscolaire au moment de l’évaluation de leurs demandes. Selon leur Formulaire de fondement de la demande d’asile, les demandeurs ont quitté la Hongrie pour le Canada le 4 novembre 2015 et ont demandé l’asile au motif qu’ils étaient victimes de discrimination et de racisme, qu’ils vivaient dans l’itinérance et craignaient d’être agressés par des groupes racistes en raison de leurs origines. Leurs allégations font particulièrement allusion à la discrimination dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, du logement et des soins de santé et au fait qu’ils ont été confrontés à un groupe anti‑Roms de l’extrémisme droite appelé les Gardiens hongrois qui défilait dans leur communauté.
[4]
Même si la SPR a accepté le fait que la discrimination contre les Roms est répandue en Hongrie, elle a conclu que le degré de discrimination auquel étaient confrontés les demandeurs n’équivalait pas à de la persécution, car les éléments de preuve qui ont soumis ne permettaient pas d’établir que leurs droits fondamentaux ont été violés. Lorsqu’elle est parvenue à cette conclusion, la SPR a conclu que certaines parties du récit des demandeurs manquaient de crédibilité, surtout en ce qui concernait les expériences qu’ils avaient eues avec le système de soins de santé hongrois, et ce, en partie en raison du manque de documents corroborant leurs prétentions ou du manque d’explications satisfaisantes quant à la raison pour laquelle ces documents n’ont pas été obtenus.
[5]
La SPR a fait remarquer que, d’après la preuve relative à la situation dans le pays, même si certains membres de la communauté rom en Hongrie peuvent être victimes de persécution, cela ne veut pas dire que tous les Roms sont exposés à risque sérieux de faire l’objet d’un traitement équivalant à de la persécution. Jugeant que les allégations des demandeurs manquaient en général de crédibilité, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucune raison d’examiner la situation générale du pays. Elle a donc conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la LIPR.
[6]
À l’audience de la SPR, l’avocat des demandeurs s’est opposé à la façon dont le commissaire de la SPR [le commissaire ou le commissaire de la SPR] a interrogé la demandeure adulte, Agnes Horvath, au sujet du traitement médical qu’elle et son fils ont reçu en Hongrie et a demandé que le commissaire se récuse parce qu’il y avait apparence raisonnable de partialité, sinon de partialité réelle. Le commissaire a rejeté la demande à l’audience et a ensuite formulé les motifs dans la décision de la SPR, en concluant que son interrogatoire n’avait pas été excessif ou avilissant, qu’il n’avait pas empêché la demandeure de donner des réponses concernant le système de soins de santé hongrois et ses expériences à cet égard, et que ce n’était pas le genre d’interrogatoire qui amènerait une personne bien renseignée à conclure que le commissaire ne serait pas en mesure de trancher la question de manière équitable.
[7]
Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR en soutenant que le commissaire a commis une erreur lorsqu’il a refusé de se récuser et en relevant diverses erreurs dans la décision de fond.
[8]
En lien avec la question liée à la récusation, la SAR a écouté les parties pertinentes de l’enregistrement de l’audience de la SPR et a constaté que les échanges entre le commissaire et l’avocat des demandeurs avaient été violents. La SAR a déclaré que l’avocat avait tenté de coincer le commissaire afin qu’il conclue à l’existence d’une partialité et que le commissaire avait omis de maintenir l’ordre et le décorum sur le plan professionnel. Toutefois, elle a conclu que l’interrogatoire proprement dit de Mme Horvath n’avait pas été excessif ou avilissant et que le commissaire ne l’avait pas empêchée de témoigner au sujet de ses allégations. La SAR a conclu que le commissaire a eu raison de refuser de se récuser.
[9]
L’analyse de fond de la SAR était axée sur ce qu’elle estimait être la question déterminante de la crédibilité. Je souscris aux conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR en lien avec les allégations concernant les évictions et le système de soins de santé et j’ai constaté que l’appel des demandeurs ne conteste pas ces conclusions ou ne donne aucune explication qui pourrait clarifier leur témoignage devant la SPR. La SAR a également conclu que les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve fiable selon lequel ils avaient personnellement subi un préjudice de la part des Gardiens qui défilait dans leur ville.
[10]
La SAR a indiqué que l’argument des demandeurs selon lequel la preuve de la situation dans le pays étayait une conclusion selon laquelle, en tant que membres de la communauté rom, ils seraient persécutés ou leur vie pourrait être en danger s’ils retournaient à Hongrie. Toutefois, la SAR a fait référence à la jurisprudence de la Cour fédérale afin d’étayer les principes selon lesquels la preuve d’un climat général de discrimination contre les personnes d’origine rom était insuffisante pour étayer une demande d’asile. La SAR a donc conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 ou 97 de la LIPR.
III.
Les questions en litige et la norme de contrôle applicable
[11]
Les demandeurs soumettent les questions suivantes à la Cour :
La SAR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le commissaire de la SPR n’a évoqué aucune crainte raisonnable de partialité?
Les décisions de la SPR et de la SAR quant à la crédibilité des demandeurs étaient‑elles raisonnables?
La SAR a‑t‑elle commis une erreur en n’analysant pas l’ensemble de la preuve?
La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse distincte au regard de l’article 97?
[12]
Les trois dernières questions soulèvent des questions mixtes de fait et de droit et elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En ce qui concerne la première question, concernant la crainte raisonnable de partialité, le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Les demandeurs n’adoptent aucune position particulière quant à la norme applicable à cette question. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, puisque cette question soulève une question d’équité procédurale, elle est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (voir Oyejobi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 107, au par. 14).
IV.
Analyse
A.
La SAR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le commissaire de la SPR n’a évoqué aucune crainte raisonnable de partialité?
[13]
Même si l’avocat des demandeurs a indiqué à l’audience de la présente demande que ses observations ne seraient pas axées sur cette question, il a également confirmé que la question n’était pas retirée. En conséquence, je l’aborderai, quoique brièvement.
[14]
En appliquant la norme de la décision correcte, je souscris à l’analyse de la SAR. J’ai écouté l’enregistrement de la partie de l’audience mentionnée dans la décision de la SAR, elle porte sur la fin de l’interrogatoire de M. Lakatos par le commissaire et sur l’interrogatoire de Mme Horvath fait par le commissaire pendant lequel un échange quelque peu violent a eu lieu entre le commissaire et l’avocat des demandeurs. Je souscris à la conclusion de la SAR selon laquelle cet échange démontre un manque de professionnalisme, mais je ne conclus pas qu’il suscite une crainte raisonnable de partialité de la part du commissaire.
[15]
Tel que cela été indiqué par la SAR, le critère applicable pour établir s’il existe une crainte raisonnable de partialité consiste à se demander si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que, consciemment ou non, le décideur ne rendra pas une décision juste (voir Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369).
[16]
Des parties de l’interrogatoire du commissaire et de son échange avec l’avocat, qui ont été soulevées par les demandeurs pour étayer leur argument axé sur la partialité, démontrent que le commissaire était sceptique quant à certains éléments des affirmations des demandeurs. Le commissaire a remis en question l’affirmation selon laquelle on laisse les sans-abri mourir de faim en Hongrie et il a cherché une corroboration de cette affirmation dans la documentation sur la situation du pays. Le commissaire a également expliqué qu’il se posait des questions à l’égard de l’allégation des demandeurs selon lesquelles un médecin hongrois avait refusé de prescrire les médicaments appropriés pour leur enfant, puisque les demandeurs n’avaient présenté aucun élément de preuve à l’appui du diagnostic en vertu duquel, selon eux, des médicaments ont été prescrits. Aucun des sujets abordés lors de l’interrogatoire ne démontre que le commissaire n’a pas évalué de manière équitable les demandes des demandeurs.
[17]
À l’audience de la présente demande, l’avocat des demandeurs a soulevé une préoccupation quant à l’incidence que l’interrogatoire du commissaire a eue sur la capacité de Mme Horvath à témoigner. Toutefois, comme le défendeur l’indique, les demandeurs n’ont déposé aucune preuve par affidavit de la part de Mme Horvath à l’appui de cet argument.
[18]
En conclusion sur cette question, je suis d’accord avec la SAR pour dire que le commissaire de la SPR a eu raison de ne pas se récuser.
B.
Les décisions de la SPR et de la SAR quant à la crédibilité des demandeurs étaient‑elles raisonnables?
[19]
Les demandeurs soutiennent que la SAR a rejeté leurs éléments de preuve en se fondant grande partie fondée sur des conclusions erronées quant à la crédibilité, car, selon les demandeurs, ces conclusions étaient axées sur des détails non pertinents. Les demandeurs renvoient aux conclusions liées à leurs éléments de preuve concernant leur éviction de leur maison, l’accès à des soins médicaux appropriés et le défilé des Gardes hongrois.
[20]
Je souligne d’abord que je n’interprète ni la décision de la SPR ni celle de la SAR comme reposant sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité concernant le défilé des Gardes. En fait, dans sa plaidoirie, l’avocat des demandeurs a soutenu qu’aucune question de crédibilité n’avait été relevée en ce qui concernait la marche. Au contraire, selon mon interprétation des décisions, la SPR a conclu que la possibilité que les marcheurs aient brisé la fenêtre des demandeurs n’était pas suffisante pour étayer une demande d’asile et la SAR n’a pas conclu que ces éléments de preuve indiquaient que les demandeurs avaient personnellement subi un préjudice de la part des Gardes. Les deux décideurs ont également indiqué que les marcheurs se sont dispersés après l’arrivée de la police. Les demandeurs soutiennent que cette conclusion de la SAR était erronée, puisque les marcheurs se sont dispersés, mais non en raison des actes de la police. Toutefois, cet argument exige que la Cour tire, en fonction des éléments de preuve de, des conclusions différentes de celles tirées par le décideur, ce qui n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire.
[21]
Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la SAR a rejeté leurs éléments de preuve en se fondant en grande partie sur des conclusions défavorables quant à la crédibilité, qui, selon la SAR, étaient déterminantes en ce qui concernait leur demande d’asile. Toutefois, tel que l’a soutenu le défendeur, la SAR a souscrit aux conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR et elle a indiqué que, en ce qui concerne l’éviction et les soins de santé, les demandeurs n’ont pas contesté les conclusions en matière de crédibilité tirées quant à ceux-ci devant la SAR.
[22]
À l’audience devant la Cour, l’avocat des demandeurs a répondu à cet argument en soulignant que le mémoire des demandeurs déposé devant la SAR comprenait des observations selon lesquelles la SPR n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve, qu’elle était tenue d’évaluer la documentation sur la situation dans le pays et qu’elle était tenue d’examiner le risque possible, et non pas seulement la crédibilité des allégations des demandeurs concernant des incidents antérieurs. L’interprétation que je donne à ces observations en ce qui a trait à l’argument des demandeurs est que, peu importe les conclusions défavorables quant à la crédibilité qu’elle avait tirées, la SPR était quand même tenue d’évaluer le risque auquel les demandeurs seraient exposés à titre de Roms hongrois en fonction de la preuve relative à la situation dans le pays. Cet argument, que les demandeurs soulèvent également dans la présente demande de contrôle judiciaire, sera examiné plus loin dans les présents motifs. Toutefois, il ne s’agit pas d’un argument qui conteste les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR.
[23]
Je remarque que le mémoire des demandeurs dont disposait la SAR soutient également que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a fondé sa décision défavorable sur un manque de preuve documentaire corroborante. La SAR a examiné cet argument et a conclu, dans le contexte des éléments de preuve concernant les soins médicaux, qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs aient fait un effort pour obtenir une preuve documentaire quant à leur problème de santé. La SAR a indiqué que le témoignage de Mme Horvath selon lequel un rapport médical portant sur l’état de santé de son fils existait en Hongrie, mais qu’aucun effort n’a été fait pour obtenir le rapport ou pour obtenir une preuve corroborante auprès d’un fournisseur de soins de santé canadien.
[24]
Les demandeurs contestent cet aspect de l’analyse de la SAR, en soutenant que le manque de documentation corroborante ne constituait pas une raison pour rejeter un témoignage cohérent. Ils invoquent le principe selon lequel une preuve corroborante n’est requise que si a) le décideur a raison de douter des revendications d’un demandeur et b) on aurait pu raisonnablement s’attendre à recevoir des éléments de preuve corroborants (Horvath c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147, au paragraphe 24)
[25]
Je suis d’avis que ce principe ne mine pas le caractère raisonnable de l’analyse de la SAR. Selon mon interprétation de la décision, la SAR partageait les préoccupations de la SPR selon lesquelles les demandeurs n’avaient fourni aucune preuve médicale à l’appui de leur allégation selon laquelle leur fils souffrait réellement du problème, qui, selon eux, avait été mal diagnostiqué, et pour lequel les mauvais médicaments avaient été prescrits. Les demandeurs n’ont aucune expertise médicale et Mme Horvath a affirmé qu’il existe une documentation médicale corroborante en Hongrie. En conséquence, en l’absence de toute explication de la raison pour laquelle ils n’ont fait aucun effort pour obtenir cette documentation, je conclus que le traitement par la SAR de cette question était raisonnable.
[26]
À part le fait de présenter cet argument relatif à la documentation corroborante, qui a été traité de manière raisonnable par la SAR, le mémoire des demandeurs dont disposait la SAR ne comprenait aucune observation visant à contester les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR. Je conclus donc que la décision de la SAR était raisonnable en ce qui concerne l’examen de la question de crédibilité. La principale question que la Cour doit maintenant trancher est celle de savoir si la SAR a raisonnablement conclu que les conclusions défavorables quant à la crédibilité étaient déterminantes quant à l’issue de la demande d’asile des demandeurs.
C.
La SAR a‑t‑elle commis une erreur en n’analysant pas l’ensemble de la preuve?
[27]
La principale question débattue par les demandeurs consiste à savoir si, sans tenir compte des conclusions défavorables quant à la crédibilité, la SPR et la SAR ont commis une erreur en n'analysant pas les documents portant sur la situation dans le pays afin de décider si les conditions des Roms se trouvant dans une situation semblable à celle des demandeurs étaient telles qu’il existait plus qu’une simple possibilité qu’ils soient victimes de discrimination assimilable à de la persécution s’ils retournaient en Hongrie.
[28]
Les demandeurs font valoir qu’une telle analyse était nécessaire afin d’évaluer le fait que leur demande fondée sur l’article 96, car cet article porte sur le risque possible, n’exige pas la preuve d’une persécution antérieure et qu’elle peut être établie en fonction de l’appartenance à un groupe protégé, qui, selon la preuve documentaire, est victime de persécution. Les demandeurs invoquent un ensemble de lignes directrices publiées par le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ayant trait aux femmes et aux enfants qui demandent l’asile, et qui selon eux, exigent qu’une telle analyse soit faite. Ils invoquent également la décision rendue par le juge Strickland dans Somasundaram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1166 [Somasundaram], aux par. 21 et 22 :
[21] Comme la Cour l’a précisé dans la décision Fi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, [2006] ACF no 1401, au paragraphe 13 [Fi], pour satisfaire à la définition de « réfugié au sens de la Convention » qui figure à l’article 96 de la LIPR, le demandeur doit démontrer qu’il satisfait à tous les éléments mentionnés dans cette définition, à commencer par l’existence d’une crainte subjective et objective de persécution. Le demandeur doit établir un lien entre lui et la persécution du fait d’un motif prévu par la Convention. Autrement dit, cette persécution doit être dirigée contre lui, soit « personnellement », soit en tant que « membre d’une collectivité », et le demandeur doit craindre avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques.
[22] De plus, il est possible d’établir la persécution au sens de l’article 96 par l’examen du traitement réservé à d’autres personnes se trouvant dans une situation semblable (Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1990 CanLII 7978 (FCA), [1990] 3 CF 250 (CA), aux paragraphes 17 et 18). La Cour a expliqué ceci dans la décision Fi, précitée, au paragraphe 16 :
Par conséquent, une demande d’asile présentée dans un contexte de violence généralisée dans un pays donné doit satisfaire aux mêmes exigences que toute autre demande. Le contenu de ces exigences n’est pas différent pour une telle demande et celle-ci ne fait pas l’objet d’exigences supplémentaires ou de déchéance. À la différence de l’article 97 de la LIPR, en vertu de l’article 96 de la LIPR, il n’y a aucune obligation que le demandeur démontre que sa crainte de la persécution est « personnalisée » s’il peut démontrer autrement qu’elle est « entretenue par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d’un risque de persécution fondé sur l’un des motifs énoncés dans la définition [de réfugié au sens de la Convention] » (Salibian, susmentionnée, page 258).
[Souligné dans l’original.]
[29]
Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en ne faisant pas l’analyse exigée par les principes décrits dans la décision Somasundaram et en invoquant plutôt la jurisprudence de la Cour fédérale qui, selon eux, appuie les principes selon lesquels la preuve de l’existence d’un climat général de discrimination à l’égard des personnes d’origine rom ne suffit pas à étayer une demande d’asile. Les demandeurs renvoient plus particulièrement au fait que la SAR a invoqué Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426 [Balogh], au paragraphe 19 :
[19] De plus, bien que la preuve documentaire sur les conditions générales des Roms en Hongrie soulève des préoccupations concernant les droits de la personne, le simple fait d’être d’origine rom en Hongrie ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour établir qu’un demandeur fait face à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à son retour au pays (Csonka c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1056, aux paragraphes 67 à 70 [Csonka]; Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 808, au paragraphe 22 [Ahmad]. Une demande d’asile valide comporte à la fois un élément de crainte subjective et un élément de crainte objective (Csonka, au paragraphe 3). Il appartient au demandeur d’établir un lien entre les éléments de preuve documentaire de nature générale et la situation qui lui est propre (Prophète c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 331, au paragraphe 17; Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, au paragraphe 28; Ahmad, au paragraphe 22).
[30]
Les demandeurs indiquent que, dans Balogh, le demandeur n’avait pas établi qu’il faisait partie de la communauté rom. Ils font une comparaison entre cette affaire et la présente affaire, où l’origine rom n’est pas remise en question.
[31]
Je souscris à l’observation des demandeurs selon laquelle il n’est pas nécessaire de prouver qu’il y a déjà eu persécution pour établir l’existence d’un risque aux fins de l’article 96. Au contraire, la persécution peut être établie en examinant la situation de personnes se trouvant dans une situation semblable. Toutefois, je n’interprète pas la décision dans Balogh, invoquée par la SAR, comme étant incompatible avec ces principes. Dans Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 921, j’ai examiné des arguments semblables à ceux présentés en l’espèce et, aux paragraphes 15 à 17, j’ai conclu comme suit relativement au raisonnement exprimé au paragraphe 19 de Balogh :
[15] J’interprète ce raisonnement comme le fait d’indiquer que la jurisprudence concernant les demandes d’asile formulées par des Roms hongrois n’appuie pas une conclusion voulant que les conditions générales du pays soient telles que tous les Roms en Hongrie sont victimes d’une discrimination équivalant à de la persécution. Il est plutôt nécessaire d’examiner la situation précise d’un demandeur particulier, en combinaison avec les éléments de preuve documentaire généraux, pour conclure si le demandeur est exposé à un risque de persécution. La déclaration susmentionnée tirée de Balogh ne constitue pas une dérogation aux principes entourant l’article 96 sur lequel s’appuient les demandeurs, mais plutôt une application de ces principes.
[16] Comme l’a fait remarquer le défendeur, un raisonnement similaire est manifeste dans la décision rendue dans Csoka v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FC 651 [Csoka] au paragraphe 28, dans laquelle le juge Diner a confirmé l’analyse de l’agent d’ERAR, en se penchant sur la preuve objective quant aux difficultés éprouvées par les Roms en Hongrie, mais en tirant la conclusion que les éléments de preuve individualisés liés à la situation personnelle des demandeurs en Hongrie étaient insuffisants pour justifier une conclusion selon laquelle les demandeurs étaient exposés à un risque.
[17] Les demandeurs soutiennent que le lien nécessaire entre leur situation particulière et la preuve documentaire générale est établi par le simple fait qu’ils sont Roms, ce qui distingue leur situation de celle dans Balogh. Ils observent que, dans cette affaire, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi son origine ethnique rom, et que cette conclusion n’avait pas été infirmée par la Cour. Cependant, cela signifie uniquement que l’analyse au paragraphe 19 de Balogh constituait une conclusion supplémentaire, car cette analyse reposait manifestement sur une conclusion selon laquelle le demandeur était d’origine ethnique rom. Je fais également remarquer qu’il ne semble y avoir aucun doute quant à l’origine ethnique rom des demandeurs qui ont fait l’objet de l’analyse du juge Diner dans Csoka.
[32]
Les demandeurs soutiennent également que leur profil a un caractère plus spécifique que le seul fait d’appartenir à la communauté rom en Hongrie. Ils font valoir que, sans égard aux allégations précises qui ont été rejetées par la SAR, le dossier dont disposait la SAR démontrait que les demandeurs sont jeunes, peu instruits, n’ont aucun emploi à temps plein, ont éprouvé des difficultés à trouver un logement adéquat, ont vécu dans une situation de dénuement et ont deux enfants qui feraient partie d’un système scolaire qui fait preuve de discrimination envers les étudiants roms. Les demandeurs soutiennent que, en raison de ce profil, la SAR devait analyser la preuve relative à la situation dans le pays afin d’effectuer une évaluation prospective et cumulative de la question de savoir s’il existait, vu leur profil, plus qu’une simple possibilité qu’ils soient victimes de discrimination équivalant à de la persécution.
[33]
La difficulté que présente cet argument est que la demande des demandeurs n’a pas été présentée en ces termes dans leur appel devant la SAR. Dans le cadre de l’évaluation du caractère raisonnable de la décision de la SAR dans le contexte de cet argument, je mentionne le paragraphe suivant tiré de la section Conclusion de la décision :
[22] À la lumière des conclusions en matière de crédibilité énoncées ci‑dessus, la SAR conclut que les appelants ne sont pas des témoins crédibles eu égard à leurs allégations principales. La SAR fait remarquer que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité ont été déterminantes pour ce qui est des demandes d’asile des appelants. Loin de les avoir contestées, les appelants n’ont pas donné suite aux conclusions défavorables de la SPR concernant leur crédibilité et, ce faisant, ils n’ont pas traité la question déterminante. Ils ne fournissent aucune explication pouvant clarifier le témoignage présenté à l’audience de la SPR. Les appelants ont seulement présenté des observations sur l’état général du droit relativement aux Roms. Ils n’ont pas relevé d’erreurs dans les conclusions tirées, et rien ne permet donc à la SAR d’intervenir en appel en ce qui a trait à ces conclusions.
[34]
La SAR a ensuite renvoyé au fait que les demandeurs ont invoqué la preuve documentaire indiquant que, en tant que membres de la communauté rom, ils seraient victimes de persécution. Toutefois, en invoquant la jurisprudence de la Cour fédérale, y compris l’extrait de Balogh cité ci‑dessus, la SAR a appliqué les principes qui y sont décrits, confirmant ainsi la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.
[35]
J’ai examiné le mémoire des demandeurs, tel qu’il a été présenté à la SAR à l’appui de leur appel et je ne trouve rien de déraisonnable en ce qui concerne la qualification faite par la SAR quant aux observations des demandeurs. L’alinéa 3(3)g) des Règles de la Section d’appel des réfugiés exige que les appelants fassent des observations complètes et détaillées concernant les erreurs commises qui constituent les motifs d’appel et l’endroit où se trouvent ces erreurs (voir également Fernander c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 912, aux par. 15 et 16). Le mémoire des demandeurs dont disposait la SAR soulève un certain nombre de questions, y compris des questions en vertu desquelles les demandeurs ont présenté des observations substantielles concernant la documentation sur la situation dans le pays et la jurisprudence axée sur l’application de l’article 96. Toutefois, ces observations n’établissent aucun lien entre les documents portant sur la situation dans le pays et le profil personnel des demandeurs, hormis le fait de leur appartenance à une minorité rom en Hongrie. Puisque les demandeurs n’ont pas contesté avec succès les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR concernant les allégations qui étaient au cœur de leur demande, il n’était pas déraisonnable que la SAR parvienne à la décision à laquelle elle est parvenue.
[36]
Enfin, même si l’avocat des demandeurs n’a pas fait valoir cet argument pendant la plaidoirie, leurs observations écrites soutiennent que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a appliqué un critère exigeant à ses analyses des articles 96 et 97. Le critère qu’il convient d’appliquer au titre de l’article 96 exige une évaluation de la question de savoir s’il existe plus qu’une simple possibilité qu’un demandeur soit persécuté pour un des motifs prévus par la Convention et le critère qu’il convient d’appliquer au titre de l’article 97 exige de décider si le demandeur, selon la prépondérance des probabilités, est personnellement exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités. La phrase de la décision sur laquelle les demandeurs fondent leur argument est ainsi rédigée :
La SAR ne dispose pas d’éléments de preuve convaincants selon lesquels les appelants seraient persécutés ou, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient exposés à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumit à la torture s’ils retournaient en Hongrie.
[Non souligné dans l’original.]
[37]
Les demandeurs soutiennent que l’utilisation du terme « seraient »
dans cette phrase constitue un critère exigeant. Toutefois, la phrase suit la partie de la décision où la SAR explique le défaut des demandeurs de traiter les lacunes concernant leurs éléments de preuve. J’interprète cette phrase comme indiquant l’absence d’une preuve qui étaye les demandes des demandeurs fondées sur les articles 96 ou 97. Je ne l’interprète pas comme attestant un malentendu ou une mauvaise application par la SAR des critères applicables.
D.
La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne procédant pas à une analyse distincte au regard de l’article 97?
[38]
Dans leurs observations écrites, les demandeurs ont soulevé un argument selon lequel la SAR a commis une erreur en ne procédant pas à une analyse de leur demande au titre de l’article 97 de la LIPR distincte de l’analyse au titre de l’article 96. L’avocat des demandeurs n’a pas présenté cet argument à l’audience de la présente demande. Conformément aux arguments examinés dans le cadre de la question précédente dans les présents motifs, l’avocat des demandeurs a expliqué que leurs arguments en l’espèce sont fondés sur l’article 96, puisque les demandeurs affirment qu’ils seraient confrontés à la persécution en raison de leurs origines et de leur appartenance à un groupe social.
[39]
Je conclus que la question soulevée par les demandeurs concernant l’article 97 n’est pas fondée. Comme l’a reconnu leur avocat à l’audience, leurs arguments selon lesquels ils répondaient au profil d’autres Roms en Hongrie qui, selon la documentation relative à la situation dans le pays, vivent une situation difficile et sont victimes de discrimination, constituent, tel qu’il a déjà été expliqué, un argument au titre de l’article 96. La SAR n’a pas fait abstraction de l’article 97, puisqu’elle a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 ou 97. Cette conclusion est fondée en grande partie sur les conclusions défavorables quant à la crédibilité déjà examinées dans les présents motifs. Il n’existait aucune exigence de faire des analyses distinctes des mêmes affirmations factuelles lors de l’examen des demandes au regard des articles 96 et 97.
[40]
Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à des fins de certification aux fins d’un appel et aucune n’est énoncée.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑376‑18
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.
« Richard F. Southcott »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 19e jour de novembre 2018.
Claude Leclerc, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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imm‑376‑18
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INTITULÉ :
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ATTILA TIBOR LAKATOS AGNES HORVATH
ATTILA LAKATOS NIKOLASZ KRISZTIAN LAKATOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 17 septembre 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SOUTHCOTT
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DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :
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Le 23 octobre 2018
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COMPARUTIONS :
John Grice
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POUR LES DEMANDEURS
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Alexis Singer
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Grice & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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