Date : 20180920
Dossier : T‑2032‑15
Référence : 2018 CF 936
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Montréal (Québec), le 20 septembre 2018
En présence de madame la juge Roussel
ENTRE :
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RON FINK
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimé
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Le demandeur, monsieur Ron Fink, demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 28 octobre 2015 par monsieur Geoff Trueman, sous‑commissaire de la Direction générale des politiques législatives et des affaires réglementaires de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC]. Au nom du ministre du Revenu national, M. Trueman a refusé de recommander au gouverneur en conseil la remise de la dette fiscale de 2007 de M. Fink en vertu du paragraphe 23(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 [LGFP].
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Le contexte
[3]
Le 26 mai 2004, M. Fink a participé à un régime d’options d’achat d’actions offert par son employeur, ZCL Composites Inc. [ZCL]. Il lui a été octroyé un certificat représentant des bons de souscription lui accordant le droit d’acheter 75 000 actions ordinaires du capital‑actions de ZCL au prix de 0,95 $ par action. La date d’expiration du certificat était le 27 septembre 2007.
[4]
Le 22 mars 2007, M. Fink a exercé les bons de souscription et a acquis 75 000 actions ordinaires au prix de souscription. À cette date, le cours de clôture à la Bourse de Toronto [TSX] des actions était 13,70 $ par action. En raison de l’achat des actions à un prix inférieur à leur juste valeur marchande, M. Fink a fait l’objet d’une cotisation à l’égard d’un avantage imposable en vertu de l’article 7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [la LIR] pour l’année d’imposition 2007 au montant de 956 250 $ ou de 12,75 $ par action. Ce montant correspondait à la différence entre la juste valeur marchande des actions à la date d’achat de 13,70 $ et le prix de l’option de 0,95 $ par action.
[5]
M. Fink s’est opposé à la cotisation et a, en dernier ressort, déposé un appel à la Cour canadienne de l’impôt. Il a soutenu que, puisque les actions acquises étaient assujetties à de nombreuses périodes d’interruption et qu’il était considéré comme un initié de ZCL aux fins du TSX et des lois et des règlements applicables aux actions, la valeur des actions établie par cotisation ne devrait pas correspondre à plus de 60 % du cours de négociation à la date d’achat. L’avantage imposable de M. Fink a finalement été réduit de 30 % par consentement, de sorte que le montant de la cotisation du reste de l’avantage imposable s’élevait à 648 000 $.
[6]
Entre‑temps, M. Fink a vendu ses actions de ZCL le 22 mars 2011 au prix de 3,05 $ par action pour un total de 228 750 $, réalisant ainsi une perte en capital sur les actions achetées de 419 250 $. En raison de l’application des règles relatives aux options d’achat d’actions accordées à des employés et de la LIR, M. Fink ne pouvait pas déduire cette perte en capital en vue de compenser l’avantage imposable découlant de l’option d’achat d’actions de 648 000 $. En conséquence, M. Fink devait payer de l’impôt sur le revenu fédéral et provincial sur l’avantage imposable découlant de l’exercice de l’option d’achat d’actions pour un montant de 187 920 $ et de 64 800 $, respectivement, soit un total de 252 720 $.
[7]
Dans une lettre datée du 23 juillet 2013 adressée au ministre du Revenu national et du gouverneur général du Canada, M. Fink a demandé une remise de l’impôt sur le revenu et des intérêts découlant de l’avantage imposable qu’il a obtenu au moyen du régime d’options d’achat d’actions. À l’appui de sa demande, M. Fink a fait valoir que le gouverneur en conseil avait octroyé, et avait exprimé l’intention d’accorder un allègement dans des circonstances similaires aux siennes. M. Fink a renvoyé à deux (2) décrets de remise octroyant un allègement aux contribuables, qui, comme lui, ne pouvaient pas compenser les avantages imposables par une perte en capital découlant de la vente d’actions achetées dans le cadre d’un régime d’options d’achat d’actions offert aux employés : le Décret de remise visant certains anciens employés de SDL Optical Inc., C.P. 2007‑1635, le 25 octobre 2007 et le Décret de remise no 2 visant certains anciens employés de SDL Optics, Inc., C.P. 2008‑975, le 29 mai 2008 [collectivement, les décrets de remise visant SDL]. M. Fink a également invoqué les déclarations du ministre du Revenu national faites devant le Comité permanent des finances le 12 mars 2008 indiquant que les contribuables dont les circonstances sont semblables à celles des employés de SDL devraient présenter une demande de remise. M. Fink a soutenu que ses circonstances sont analogues à celles des employés de SDL et que, en conséquence, le même allègement devrait lui être accordé. M. Fink a soutenu en outre que ses circonstances étaient visées par l’ensemble des lignes directrices visant les « revers financiers combinés à des circonstances atténuantes »
établis dans les Lignes directrices de l’ARC concernant les remises [les Lignes directrices]. Il a fait valoir que le montant de 252 720 $ au titre des impôts à payer, plus les intérêts, constituait un montant d’impôts important pour lui à payer et que son incapacité à vendre ses actions à la date à laquelle il aurait voulu les vendre et de la façon dont il aurait voulu le faire en raison de son statut d’« initié »
et les périodes d’interdiction, constituaient des circonstances atténuantes personnelles indépendantes de sa volonté.
[8]
Les fonctionnaires de la Section des remises et délégations de la Direction de la politique législative de l’ARC ont examiné la demande de remise de M. Fink et, dans un mémoire en date du 23 juillet 2015, ils ont refusé de recommander la remise. Le Comité des remises de l’administration centrale de l’ARC [le Comité des remises] a tenu une réunion le 9 septembre 2015 en vue de discuter de diverses demandes de remise, y compris celle de M. Fink. En plus de recevoir une copie du rapport de M. Fink et du mémoire du 23 juillet 2015, des versions condensées des faits de l’affaire de M. Fink ont été présentées aux membres du Comité des remises, ainsi qu’un résumé détaillé de l’application des lignes directrices concernant les remises. Le Comité des remises a recommandé que la remise soit refusée.
[9]
À la suite de la recommandation du Comité des remises, une copie de la demande de remise de M. Fink, du mémoire du 23 juillet 2015, du procès‑verbal du Comité des remises et une ébauche de la lettre de recommandation ont été fournies à M. Trueman. Dans une lettre en date du 28 octobre 2015, M. Trueman a communiqué sa décision de ne pas recommander la remise pour les motifs suivants : (1) les circonstances de M. Fink n’étaient pas les mêmes que celles des employés de SDL puisque M. Fink avait participé à un « régime d’options d’achat d’actions »
et non à un « régime d’actionnariat privilégié »
; (2) au moyen d’un jugement sur consentement, M. Fink avait déjà accepté une réduction de la valeur de ses actions de ZCL et le processus de décret de remises ne doit pas être utilisé en tant qu’étape supplémentaire ou parallèle au processus d’appel déjà prévu par la LIR en vue d’établir la validité d’une cotisation ou d’une nouvelle cotisation; (3) même si M. Fink avait subi un revers financier, il n’existe aucune circonstance atténuante qui pourrait justifier la remise puisque M. Fink avait acquis les actions sachant que l’avantage imposable connexe serait inclus dans son revenu imposable de l’année en cause et que sa décision d’exercer les bons de souscription pour acheter des actions en vue de les détenir et de les vendre, ainsi que sa décision de ne fournir à l’ARC aucun autre document à l’appui à l’étape de l’opposition constituaient toutes des décisions relevant du contrôle de M. Fink.
[10]
M. Fink demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de M. Trueman. Il fait valoir essentiellement que la décision n’est pas raisonnable parce qu’elle ne tient pas compte des similarités entre le régime d’options d’achat d’actions et le régime d’actionnariat privilégié. M. Fink fait valoir en outre que, subsidiairement, M. Trueman, ou son délégué, n’a pas fait preuve d’équité procédurale lorsqu’il a manqué à son attente légitime selon laquelle un processus particulier serait suivi et qu’un certain résultat en découlerait, lorsqu’il a entravé son pouvoir discrétionnaire et lorsqu’il n’a pas donné des motifs suffisants.
III.
Analyse
A.
Question préliminaire
[11]
À l’audience, j’ai soulevé la question de l’admissibilité de l’affidavit de M. Trueman, étant donné qu’il était le décideur dans l’espèce. L’affidavit d’un décideur ne devrait pas être utilisé pour compléter ses motifs après coup. Toutefois, après avoir examiné l’affidavit de M. Trueman et la pièce qui l’accompagne, je conclus qu’ils sont admissibles en vertu de l’exception relative aux renseignements généraux énoncée dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, au paragraphe 20. J’accepte également le fait que le contre‑interrogatoire de M. Trueman peut être admis non seulement en vertu de la même exception, mais également aux termes de l’exception qui permet à une partie de fournir des renseignements indiquant l’absence de preuve dont disposait le décideur. En ce qui concerne les réponses de M. Trueman aux engagements pris en contre‑interrogatoire, elles sont fournies aux termes d’une ordonnance rendue par la Cour dans la décision Fink c Canada (Procureur général), 2016 CF 843, confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c Fink, 2017 CAF 87. En ce qui concerne les autres éléments de preuve déposés par les parties, j’ai tenu compte, aux fins des présents motifs, du principe général selon lequel le dossier de preuve dont dispose une cour siégeant en contrôle judiciaire est limité au dossier de preuve dont était saisi le décideur, sous réserve de quelques exceptions reconnues par la jurisprudence.
B.
Le cadre législatif
[12]
Un décret de remise est une mesure extraordinaire. Il permet au gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre concerné, d’accorder un allègement complet ou partiel de l’impôt, des taxes, des intérêts, des pénalités ou autres dettes, dans les rares cas où il serait justifié d’accorder un allègement, mais que cela ne peut pas être fait en vertu des lois actuelles. Le pouvoir légal d’accorder un décret de remise est énoncé au paragraphe 23(2) de la LGFP qui dispose :
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Même si le paragraphe 23(2) de la LGFP prévoit un cadre général en vertu duquel l’octroi d’une remise peut être envisagé, l’ARC a élaboré les Lignes directrices concernant les remises pour aider ses fonctionnaires à déterminer si la perception d’un impôt ou d’une taxe ou l’exécution d’une pénalité est déraisonnable, injuste ou si la remise est par ailleurs dans l’intérêt public. Selon les Lignes directrices concernant les remises, chaque demande de remise doit être examinée selon son bien‑fondé et évaluée par rapport à une liste non exhaustive de quatre (4) facteurs qui peuvent étayer une recommandation favorable : (1) une difficulté extrême; (2) un revers financier combiné à des circonstances atténuantes; (3) la mesure ou le conseil inexact de la part des fonctionnaires de l’ARC; et (4) les résultats imprévus de la législation fiscale. D’autres facteurs pertinents qui doivent être pris en compte comprennent les antécédents de conformité, la crédibilité, les circonstances, l’âge et la santé de la personne.
C.
La norme de contrôle applicable
[14]
Les parties conviennent que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à la décision discrétionnaire de M. Trueman de ne pas recommander la remise. Je souscris à cette affirmation. Le paragraphe 23(2) de la LGFP et les Lignes directrices concernant les remises confèrent un vaste pouvoir discrétionnaire au ministre concerné et à ses fonctionnaires. Il s’ensuit que, en examinant la décision de M. Trueman, la Cour doit faire preuve de retenue et de déférence (voir Jarrold c Canada (Revenu national), 2015 CF 153, au par. 17; Frank Arthur Investments Inc. c Canada (Revenu National), 2014 CF 336, aux par. 24 et 34; Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c Canada (Procureur général), 2012 CF 823, aux par. 18 et 36, confirmée dans 2013 CAF 25; Première nation Waycobah c Canada (Procureur général), 2010 CF 1188, au par. 22 [Première nation Waycobah CF], confirmée dans 2011 CAF 191, aux par. 12 et 19; Axa Canada inc. c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CF 17, au par. 23).
[15]
M. Fink a défini la question liée à l’omission de fournir des motifs suffisants comme étant une question d’équité procédurale. Cependant, cette question est susceptible de contrôle selon la norme de contrôle de la décision raisonnable puisqu’il ne s’agit pas d’un cas où le décideur n’a fourni aucun motif lorsqu’il devait le faire (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 22 [Newfoundland Nurses].
[16]
Pour ce qui est de la norme de contrôle qui s’applique à l’allégation d’« entrave au pouvoir discrétionnaire »
, il existe une certaine confusion dans la jurisprudence. Même si la question a été traditionnellement considérée comme une question d’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, la Cour d’appel fédérale a donné à penser dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd.c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299 [Stemijon Investments], que l’entrave au pouvoir discrétionnaire peut également être susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a pris soin de préciser que l’entrave au pouvoir discrétionnaire n’appartient jamais aux issues possibles acceptables et est donc, en soi, déraisonnable (Stemijon Investments, aux par. 23 à 25; voir également Première nation Waycobah CF, au par. 23, où la Cour est parvenue à une conclusion semblable). Pour les besoins de la présente décision, il suffit de conclure que l’entrave au pouvoir discrétionnaire constituerait une erreur susceptible de contrôle selon l’une ou l’autre des normes.
[17]
Ayant conclu que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux questions précitées, la Cour, lorsqu’elle évalue le caractère raisonnable, doit tenir compte de la justification de la décision, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel et elle doit se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59 [Khosa]; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47 [Dunsmuir]).
[18]
À l’inverse, les questions concernant la théorie de l’attente légitime ont été définies comme faisant partie de la doctrine de l’équité procédurale (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 26). Même s’il est établi depuis longtemps que les questions d’équité procédurale doivent être contrôlées selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Khosa, au paragraphe 43), la Cour d’appel fédérale a récemment conclu que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à la norme de contrôle applicable. Au contraire, le rôle de la Cour est de décider si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au par. 54; voir également Dunsmuir, au par. 79).
D.
Le caractère raisonnable de la décision
[19]
M. Fink soutient essentiellement que les contribuables se trouvant dans des situations semblables devraient être traités de la même manière et que M. Trueman a refusé de manière déraisonnable sa demande de remise au motif qu’il avait participé à un « régime d’options d’achat d’actions »
plutôt qu’à un « régime d’actionnariat privilégié »
. Il fait valoir qu’il s’agit d’une [traduction] « distinction vide de sens »
vu qu’en vertu de la LIR, l’employé est imposé d’une manière identique, peu importe s’il acquiert les actions selon un régime d’options d’achat d’actions ou un régime d’actionnariat privilégié. Lorsque les actions ont été achetées à un prix inférieur à leur juste valeur marchande au moment de l’achat, l’employé est réputé recevoir un revenu d’emploi. En conséquence, M. Trueman aurait dû reconnaître les similarités importantes entre un régime d’options d’achat d’actions et un régime d’actionnariat privilégié lorsqu’il a examiné si M. Fink était se trouvait dans la même situation que les employés de SDL.
[20]
Après avoir examiné le dossier, je conclus que la conclusion de M. Trueman est raisonnable.
[21]
M. Fink a lui‑même reconnu qu’il existe des différences entre un régime d’options d’achat d’actions et un régime d’actionnariat privilégié. Selon le régime d’actionnariat privilégié figurant dans le dossier, l’employé a versé régulièrement un montant précis pendant une période donnée. À la fin de la période, les déductions accumulées ont été utilisées pour acheter des actions de l’employeur à un prix préétabli inférieur à la juste valeur marchande des actions le jour où l’employé est devenu un participant au régime ou, si elle est inférieure, à la juste valeur marchande des actions au dernier jour de la période d’accumulation. L’employé pouvait choisir de ne plus participer au régime d’actionnariat privilégié jusqu’à cinq (5) jours avant l’achat d’actions, auquel cas, l’employé aurait obtenu un remboursement des montants versés au régime.
[22]
Selon son régime d’options d’achat d’actions, M. Fink pouvait décider à quel moment exercer son option d’acquérir les actions, pourvu que les bons de souscription lui eussent été attribués. M. Fink avait le contrôle du moment de l’achat, de la juste valeur marchande des actions et de l’avantage imposable qui en découlait. Il s’agit de l’un des facteurs pris en compte par M. Trueman lorsqu’il est parvenu à sa décision.
[23]
De plus, je constate à partir des décrets de remise de SDL que les employés de SDL avaient acheté leurs actions en 1999 et en 2000. D’autre part, M. Fink avait exercé son option d’achat d’actions en 2007. Même si M. Fink soutient que les régimes d’options d’achat d’actions et les régimes d’actionnariat privilégié reçoivent le même traitement en vertu des dispositions de la LIR, il n’a pas démontré, à ma satisfaction, que les deux régimes étaient, en fait, assujettis au même traitement fiscal.
[24]
Je suis convaincue, en outre, que la décision de M. Trueman est raisonnable lorsque je tiens compte des déclarations faites par le ministre du Revenu national lorsqu’il a comparu devant le Comité permanent des finances en 2008. Au cours d’une séance d’information à l’intention des membres du Comité, le ministre du Revenu national a indiqué expressément que les décrets de remise visant SDL concernaient un régime d’actionnariat privilégié et non un régime d’options d’achat d’actions. Il a indiqué en outre qu’il s’agissait d’une distinction importante, puisqu’il n’avait pas recommandé de décret de remise pour un régime d’options d’achat d’actions à SDL Optics. Le ministre a ajouté par la suite qu’un facteur clé, qui avait fait en sorte qu’il estime qu’un allègement était justifié, était que [traduction] « les particuliers touchés étaient des employés d’une société qui avait offert un régime d’actionnariat privilégié, mais un régime d’actionnariat privilégié avec des caractéristiques particulières »
. Même si je reconnais que le ministre du Revenu national a ensuite déclaré que le régime de SDL offrait aux employés la possibilité d’acheter des actions à un prix réduit et que, en raison de cette réduction, ils n’avaient pas droit à la déduction fiscale que d’autres particuliers qui participaient à des régimes d’actionnariat privilégiés et à des régimes d’options d’achat d’actions pouvaient demander, il n’avait pas été démontré qu’il s’agissait du seul facteur pris en compte par le ministre du Revenu national lorsqu’il a octroyé les décrets de remise visant SDL.
[25]
M. Fink fait valoir que le ministre du Revenu national a indiqué dans sa séance d’information que la raison pour laquelle il avait octroyé les décrets de remise visant SDL était qu’il estimait que [traduction] « la situation était inéquitable à l’égard de ces particuliers »
et que, si d’autres personnes se trouvaient dans situations identiques, elles pouvaient demander à l’ARC de leur accorder une remise. Même s’il n’est pas clair que le ministre faisait renvoi à la [traduction] « situation »
, je n’estime pas qu’il est raisonnable d’interpréter ses déclarations comme signifiant que toute personne qui ne peut pas déduire une perte en capital d’un avantage imposable découlant d’options d’actions aurait droit à une remise. Une telle interprétation générale aurait pour effet que le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 23(2) de la LGFP soit dénué de sens. Le ministre du Revenu national indiquait clairement que chaque demande de remise doit être évaluée selon son bien‑fondé et que la situation financière du contribuable particulier doit être prise en considération.
[26]
M. Fink soutient en outre que la décision de M. Trueman est déraisonnable parce qu’il n’y a aucune indication que M. Trueman a tenu compte des huit (8) conditions obligatoires que l’ARC a appliquées pour décider si des particuliers seraient visés par les décrets de remise pris à l’égard de SDL. Même si elle a été définie comme étant une question d’équité procédurale, M. Fink fait également valoir que M. Trueman a entravé son pouvoir discrétionnaire lorsque lui, ou son délégué, a omis de tenir compte de toutes les conditions et a supposé qu’il devait être un employé de SDL et devait participer au régime d’actionnariat privilégié de SDL au cours des années en litige.
[27]
Je ne suis pas convaincue par les arguments de M. Fink.
[28]
Parmi les huit (8) critères mentionnés en ce qui concernait la possibilité d’être visé par les décrets de remise pris à l’égard de SDL, un exigeait que l’employé ait participé au régime d’actionnariat privilégié de SDL. Un autre exigeait que la participation de l’employé au régime d’actionnariat privilégié de SDL comprenne l’acquisition d’actions de SDL au cours des années d’imposition de 1999 et de 2000. Vu que M. Fink n’avait pas participé à un régime d’actionnariat privilégié et qu’il n’avait pas acquis ses actions pendant la période pertinente, il ne répondait pas à tous les critères requis pour être visé par les décrets de remise pris à l’égard de SDL. Il n’y a aucune indication selon lequel, dans la décision de M. Trueman, il a supposé que M. Fink devait être un employé de SDL pour avoir droit au même allègement que celui qui avait été accordé aux employés de SDL. En outre, si M. Trueman s’était considéré comme tenu de respecter les huit (8) critères, il aurait alors entravé son pouvoir discrétionnaire.
[29]
Enfin, M. Fink soutient que la décision manque de transparence parce qu’elle ne traite pas de certains des facteurs qui ont orienté le personnel de M. Trueman dans leur décision de recommander de ne pas accorder de remise et, aussi, parce qu’elle ne traite pas de la question de savoir pourquoi la participation du demandeur à un régime d’options d’achat d’actions constituait une situation différente de celle des employés de SDL.
[30]
Je le répète, je ne suis pas d’avis que l’argument de M. Fink était convaincant.
[31]
M. Trueman a examiné les faits liés à la situation de M. Fink, a abordé à la fois ses motifs d’allègement et a clairement indiqué la raison pour laquelle il estimait que la situation de M. Fink n’était pas identique à celle des employés de SDL et la raison pour laquelle il n’existait aucune circonstance atténuante dans son cas. Même si M. Fink aurait préféré qu’on lui donne des motifs plus approfondis, M. Trueman n’était aucunement de tenu de fournir des motifs plus complets ou parfaits. Puisque la norme applicable est celle de la décision raisonnable, les motifs doivent simplement me permettre de comprendre pourquoi M. Trueman a pris sa décision et de déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Newfoundland Nurse, au par. 16).
[32]
En conséquence, selon ce qui précède, je suis convaincue que M. Trueman a conclu de manière raisonnable que la situation de M. Fink n’était pas semblable à celle des employés visés par les décrets de remise pris à l’égard de SDL parce qu’il avait participé à un régime d’options d’achat d’actions et non à un régime d’actionnariat privilégié. Cette conclusion, ainsi que sa décision, lorsqu’elles sont lues dans leur ensemble, appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au par. 47).
E.
Équité procédurale
[33]
Subsidiairement, M. Fink soutient que M. Trueman, ou son délégué, n’a pas fait preuve d’équité procédurale au motif qu’il a porté atteinte à l’attente légitime du demandeur.
[34]
M. Fink fait valoir que, lorsque le ministre du Revenu national a pris les décrets de remise visant SDL et qu’il a fait ses déclarations au Comité permanent des finances, il avait une attente légitime qu’un processus précis soit suivi et qu’un certain résultat puisse être atteint. En ce qui concerne le processus, M. Fink fait valoir qu’il s’attendait légitimement et raisonnablement à ce qu’il ait droit à ce que son cas soit examiné à la lumière des huit (8) critères qui s’appliquaient aux employés de SDL, sans l’imposition d’un examen de sa situation financière. M. Fink a également soutenu qu’il avait une attente légitime quant au résultat, qui exigeait des [traduction] « droits procéduraux plus étendus que ceux qui seraient autrement accordés. »
Il soutient que ces droits étendus auraient exigé de l’ARC qu’elle communique avec lui afin de discuter de la question de savoir si le régime d’options d’achat d’actions et le régime d’actionnariat privilégié auraient dû être traités comme étant semblables, et auraient exigé de l’ARC qu’elle fournisse des renseignements supplémentaires en ce qui concerne les décrets de remise visant SDL. Cela aurait permis à M. Fink de présenter les observations nécessaires afin de se faire pleinement entendre.
[35]
Dans la décision Première nation Waycobah (CF), la Cour a conclu qu’il s’agissait d’une obligation d’équité procédurale minimale, étant donné qu’une décision de recommander ou de ne pas recommander l’octroi d’une remise diffère d’une décision judiciaire puisqu’elle laisse une grande place à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et exige l’examen de plusieurs facteurs, et aussi parce que la remise de taxes constitue une exception aux principes généraux du droit fiscal (Première nation Waycobah CF, au par. 54).
[36]
Je suis d’avis que l’attente légitime de M. Fink doit être examinée dans ce contexte.
[37]
Il est important de préciser tout de suite que la théorie de l’attente légitime ne constitue pas la source de droits matériels (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au par. 97).
[38]
En ce qui concerne l’attente de M. Fink quant au processus, M. Fink semblait donner à pensent à l’audience que M. Trueman a commis une erreur en appliquant dans son cas les Lignes directrices concernant la remise, même si elles n’avaient pas été suivies dans le cas des employés de SDL. Cet argument est sans fondement. M. Trueman a d’abord examiné la demande de M. Fink en fonction des décrets de remise visant SDL et il a conclu que M. Fink n’était pas dans la même situation que les employés de SDL parce qu’il n’avait pas participé à un régime d’actionnariat privilégié. Il a ensuite examiné la situation financière de M. Fink afin de répondre au deuxième motif soulevé par celui‑ci dans sa lettre de demande de remise, notamment le facteur des [traduction] « revers financiers combinés à des circonstances atténuantes »
contenu dans les Lignes directrices concernant les remises.
[39]
En outre, M. Fink n’a pas démontré que l’ARC avait une obligation continue de l’informer quant à ses préoccupations concernant la distinction entre un régime d’options d’achat d’actions et un régime d’actionnariat privilégié. M. Fink a présenté sa demande de remise et a eu l’occasion de fournir des arguments et des éléments de preuve à l’ARC avant qu’une décision ne soit prise.
[40]
En conséquence, je conclus que M. Trueman a respecté l’obligation d’équité procédurale requise dans les circonstances de l’espèce.
IV.
Conclusion
[41]
Vu la nature hautement discrétionnaire du régime de remise d’impôt et la grande retenue dont il faut faire preuve à l’égard de la décision de M. Trueman, M. Fink ne m’a pas convaincue que l’intervention de la Cour est justifiée. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.
JUGEMENT dans le dossier T‑2032‑15
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.
« Sylvie E. Roussel »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 16e jour de novembre 2018.
Claude Leclerc, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑2032‑15
|
INTITULÉ :
|
RON FINK c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
EDMONTON (ALBERTA)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 MARS 2018
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE ROUSSEL
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 17 septembre 2018
|
COMPARUTIONS
Me James C. Yaskowich
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Me Margaret McCabe
|
POUR L’INTIMÉ
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Felesky Flynn s.r.l.
Avocats
Edmonton (Alberta)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Procureur général du Canada
Tour EPCOR |
Pour l’intimé
|