Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Dossier : IMM-1339-18

Référence : 2018 CF 1085

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2018

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

MAHDI SULIMAN NOURELDIN ABDELRAHMAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  M. Mahdi Suliman Noureldin Abdelrahman est un citoyen du Soudan, âgé de 37 ans, qui a fui son pays natal et a demandé l’asile en Israël. Il est en désaccord avec la décision du gestionnaire du programme d’immigration [l’agent des visas] de l’ambassade du Canada à Tel‑Aviv, qui a refusé de lui accorder un permis de séjour temporaire [le PST], en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui est ainsi libellé :

Permis de séjour temporaire

Temporary resident permit

 (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire – titre révocable en tout temps.

24 (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

[2]  Les motifs invoqués par l’agent des visas sont si courts qu’ils pourraient facilement être exposés intégralement :

[traduction]

Il s’agit d’une demande de PST, mais celle‑ci s’apparente davantage à une demande d’asile. Le demandeur principal a fui le Soudan il y a sept ans et réside depuis en Israël en tant que demandeur d’asile. Il souhaite maintenant obtenir un PST afin de se rendre au Canada pour sa propre protection. La seule raison pour laquelle il est interdit de territoire est qu’il n’a pas de visa pour entrer au Canada. Il n’y a aucune raison impérieuse de délivrer un PST dans ce cas‑ci. La situation personnelle du demandeur principal est très semblable à celle de milliers d’autres demandeurs d’asile soudanais ici, en Israël. PST refusé.

II.  Questions en litige

[3]  Le demandeur soulève les questions suivantes :

[4]  Comme je suis d’avis que la première de ces questions est déterminante en ce qui concerne la présente demande et que les motifs invoqués par l’agent des visas sont insuffisants pour permettre une analyse valable des deux autres questions, je ne me prononcerai que sur le caractère suffisant des motifs.

III.  Analyse

[5]  Le but du PST est d’offrir une certaine souplesse dans les cas où l’application stricte de la LIPR entraînerait l’exclusion d’une personne du Canada. L’article 24 de la LIPR confère à l’agent un vaste pouvoir discrétionnaire qu’il peut exercer dans des cas exceptionnels pour permettre à une telle personne d’entrer ou de demeurer au Canada.

[6]  Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a publié des lignes directrices sur l’admissibilité des demandeurs et l’évaluation des demandes de PST. Bien que celles‑ci puissent s’avérer utiles, elles n’ont pas force de loi et ne sont pas contraignantes [Afridi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 193, au paragraphe 18; Vaguedano Alvarez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 667, au paragraphe 35; Shabdeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 303, aux paragraphes 15­16; Mousa c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2016 CF 1358, au paragraphe 11; Rosenberry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 521, au paragraphe 82].

[7]  Les lignes directrices précisent qu’un PST sera accordé dans les cas où :

il existe un motif impérieux justifiant la nécessité d’accorder à l’étranger le droit d’entrer ou de rester au Canada;

la présence de l’étranger au Canada l’emporte sur tout risque qu’il pourrait présenter pour les Canadiens ou la société canadienne.

[8]  Le critère des « raisons impérieuses » a été accepté dans la plupart des affaires portées devant la Cour fédérale [voir par exemple : Farhat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1275, aux paragraphes 22, 38 et 40; César Nguesso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 880, aux paragraphes 95­97; Stordock c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 16, au paragraphe 9; Vaguedano Alvarez, précitée, au paragraphe 36; Nasso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1003, aux paragraphes 13-15], bien qu’il ait été rejeté ou, du moins, remis en question dans certaines d’entre elles [Krasniqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 743, au paragraphe 19; Palmero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1128, au paragraphe 21].

[9]  À mon avis, le critère des « raisons impérieuses » et l’évaluation des besoins par rapport au risque sont des facteurs appropriés à prendre en considération afin de déterminer si un PST doit être accordé. Un tel permis ne devrait être octroyé que lorsque les raisons qui justifient la présence de l’étranger au Canada sont impérieuses et que ces raisons l’emportent sur les risques pour la santé et la sécurité des Canadiens.

[10]  En gardant ces principes généraux à l’esprit, les motifs invoqués par l’agent des visas dans la présente affaire indiquent que la demande de PST [traduction] « s’apparente davantage à une demande d’asile ». La LIPR et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002­227 [le RIPR] n’interdisent pas la présentation d’une demande de PST en vue d’obtenir une protection. En fait, cette possibilité est reconnue de manière explicite à l’article 151.1 du RIPR. Par exemple, un PST pourrait être accordé à un demandeur d’asile, lorsque les circonstances s’y prêtent, en vue d’assurer sa protection, en attendant qu’une décision soit prise concernant sa demande d’asile.

[11]  Il est révélateur que les lignes directrices contiennent une section traitant explicitement des demandeurs de PST, qui font état des risques liés à la protection des réfugiés. Dans de tels cas, les agents sont expressément avisés qu’ils ne doivent pas tenir compte des motifs prévus à l’article 96 ou 97 de la LIPR :

Lorsqu’un étranger a reçu une décision définitive quant à une demande d’asile ou à un examen des risques avant renvoi (ERAR), l’agent doit évaluer la demande de PST sans tenir compte des risques prévus aux articles L96 et L97 mentionnés par l’étranger puisqu’ils ont déjà fait l’objet d’une évaluation.

L’agent doit informer le client qu’il n’y a pas eu d’examen des risques, car l’exercice avait déjà eu lieu pour la demande d’asile ou l’ERAR. S’il y a lieu, l’agent doit indiquer au client qu’il pourrait demander un ERAR subséquent ou le statut de résident permanent (dans le cas d’une personne protégée).

En l’absence d’une demande d’asile ou d’un ERAR, l’agent doit évaluer la demande de PST sans tenir compte des risques prévus aux articles L96 et L97 mentionnés par l’étranger. L’agent peut informer le client que le risque pourrait être évalué dans le cadre du processus de demande d’asile.

[En caractères gras dans l’original.]

[12]  L’instance appropriée pour une demande fondée sur les risques prévus à l’article 96 ou 97 est le processus de revendication du statut de réfugié. En l’espèce, le demandeur n’a pas présenté de demande d’asile.

[13]  Dans sa demande de PST, le demandeur prétend craindre sérieusement d’être persécuté au Soudan. Toutefois, il énumère les raisons suivantes afin d’expliquer pourquoi il serait interdit de territoire ou ne respecterait pas les exigences de la LIPR, ce qui justifierait, selon lui, qu’un PST lui soit accordé :

Il n’a pas de passeport valide ni de titre de voyage (article 151 du RIPR);

Il n’a pas de lettre de recommandation (paragraphe 140.3(1) du RIPR);

Il ne peut pas présenter une demande dans le cadre du processus de parrainage de réfugiés (paragraphe 140.3(4) du RIPR);

Il ne répond pas aux exigences à satisfaire pour obtenir un visa (article 70 du RIPR);

Il ne bénéficie pas d’un parrainage privé (articles 136, 152 et 157 du RIPR).

[14]  L’agent des visas n’a tenu compte ni du risque allégué ni de ces obstacles.

[15]  À mon avis, en l’absence de circonstances tout à fait exceptionnelles, il serait injuste de permettre au demandeur de contourner le processus d’octroi de l’asile, uniquement parce qu’il prétend être l’objet des risques prévus à l’article 96 ou 97 de la LIPR. Le processus d’octroi de l’asile, lorsqu’il est accessible, constitue le mécanisme approprié pour évaluer ces risques.

[16]  Il ne faut pas déduire des observations qui précèdent qu’une demande de PST devrait toujours être refusée, si un demandeur prétend être l’objet des risques prévus aux articles 96 et 97 de la LIPR, étant donné que rien dans l’article 24 de la LIPR ne limite les motifs pour lesquels un PST peut être accordé. Dans un cas comme en l’espèce, l’agent des visas demeure tenu d’évaluer s’il existe des raisons impérieuses, y compris les risques prévus à l’article 96 ou 97 de la LIPR, de permettre au réfugié de contourner le processus d’octroi de l’asile habituel et d’accorder un PST.

[17]  Par conséquent, l’agent des visas devait déterminer si la situation du demandeur comportait des raisons suffisamment impérieuses pour contourner le processus d’octroi de l’asile et recourir à un PST [Betesh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1374, aux paragraphes 63­64]. En toute déférence, il n’est pas clair si l’agent des visas a rejeté la demande de PST du fait qu’elle s’apparentait à une demande d’asile ou parce qu’il a conclu que la situation du demandeur n’était pas de nature suffisamment impérieuse pour justifier l’octroi d’un PST.

[18]  Si le premier cas prévaut, l’agent des visas ne s’est alors pas acquitté comme il se doit de l’obligation qui lui incombait, en vertu de l’article 24 de la LIPR. Si le deuxième cas l’emporte, les motifs invoqués ne permettent alors pas à la Cour de comprendre pourquoi l’agent des visas a estimé que la situation du demandeur n’était pas de nature suffisamment impérieuse (Mousa, précitée, aux paragraphes 19­20). Le seul fait que d’autres personnes puissent se trouver dans une situation semblable ne rend pas forcément celle du demandeur moins impérieuse.

IV.  Conclusion

[19]  Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier, et les faits de l’espèce n’en soulèvent aucune.

[20]  Enfin, bien que cette question n’ait pas été soulevée par les parties, l’intitulé de la cause sera modifié pour bien préciser que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, plutôt que le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté [voir le paragraphe 4(1) de la LIPR et l’alinéa 5(2)b) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés (DORS/93­22)].




 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.