Date : 20181023
Dossier : T-1293-17
Référence : 2018 CF 1065
Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2018
En présence de monsieur le juge Roy
ENTRE :
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JONATHAN ST-PIERRE
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
M. Jonathan St-Pierre demande le contrôle judiciaire de la décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [CLCC], un organisme créé en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (L.C. 1992, ch. 20) [LSCMLSC ou la Loi] . Cette décision aura été rendue le 4 août 2017 et il semble bien que la demande de contrôle judiciaire soit présentée aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. (1985), ch. F‑7).
I.
Les faits
[2]
M. St-Pierre est maintenant âgé de 31 ans. Le 2 juin 2017, il se reconnaissait coupable d’infractions relatives à la pornographie juvénile. Il a distribué, produit, possédé, et accédé à de la pornographie juvénile, ce qui constitue des infractions en vertu du Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46). Ainsi, la production et la distribution de pornographie juvénile sont des infractions qui peuvent engendrer une peine de quatorze années de pénitencier, la peine minimale devant être d’une année de prison. Quant à la possession de pornographie juvénile, la peine maximale est de dix ans, avec une peine minimale d’une année si l’infraction fait l’objet d’une poursuite à titre d’acte criminel. Si le poursuivant choisit de procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité, la peine maximale est alors de deux années moins un jour, mais une peine minimale de six mois doit être imposée. On retrouve le même régime si la personne est trouvée coupable d’accès à la pornographie juvénile.
[3]
En l’espèce, les parties ont convenu que la peine à être imposée était l’équivalent de deux années de prison puisque M. St-Pierre faisait déjà l’objet de détention depuis le 27 janvier 2016. Étant donné que la Cour du Québec lui créditait ses journées de détention avant procès à raison d’un ratio 1.5:1, la période de deux ans était atteinte dès le 27 mai 2017. C’est ainsi que la Cour imposait à M. St-Pierre une peine supplémentaire d’une journée de détention, ce 2 juin 2017.
[4]
De plus, une ordonnance en vertu de l’article 161 du Code criminel était émise (ordonnance d’interdiction de se trouver dans certains lieux, d’obtenir certains types d’emploi, d’avoir des contacts avec des personnes en bas âge et interdiction d’utiliser l’internet ou tout autre réseau numérique). Était aussi prononcée une interdiction de possession d’armes à feu, de munitions et de substances explosives. Enfin, le demandeur devait être inscrit au registre des délinquants sexuels (article 490.012 et 490.013 du Code criminel).
[5]
De façon particulièrement pertinente pour notre affaire, il appert que M. St-Pierre et la poursuite suggéraient que celui-ci soit déclaré délinquant à contrôler. On peut lire à la transcription du 2 juin 2017 :
[…] Le seul point de litige réside dans la période à laquelle vous serez astreint où vous serez délinquant à contrôler. J’ai eu la chance de relire l’ensemble des rapports qui ont été faits, qui ont été produits à la Cour, que ce soit le rapport prédécisionnel de M. Dany Tétrault, que ce soit le rapport du Dr Bergeron et finalement le rapport également du Dr Morissette. Plus particulièrement en ce qui a trait aux rapports du Dr Bergeron et du Dr Morissette, les deux s’entendent pour indiquer que vous avez effectivement besoin d’aide.
Cette aide-là viendra par de la thérapie, par des sessions de thérapie.
[…]
L’ensemble des rapports nous amènent tous au même point. Évidemment, vous, de votre propre aveu, et les diagnostics posés, nous parlent de pédophilie primaire, que vous avez un risque élevé de récidive et que votre situation fait en sorte que vous avez besoin d’intervention.
L’ensemble des éléments pointent vers une cote élevée de pédophilie pour et des intérêts déviants et le Dr Morissette parle que, cliniquement, ce risque de récidive chez vous est élevé.
(pp. 9 et 10)
La Cour fixait donc la période durant laquelle le demandeur devait faire l’objet de surveillance de longue durée à sept ans.
[6]
Étant donné les constatations qui ont été faites par la Cour lors de l’imposition de la sentence, il n’est pas vraiment nécessaire de revenir longuement sur les détails des faits ayant donné lieu à des rapports d’évaluation qui ont été faits de M. St-Pierre. Qu’il suffise pour nos fins de noter que ces rapports dénotent des abus sur des enfants ayant commencé à l’âge de neuf ans. Ces contacts avaient lieu avec ses demi-frères et ses demi-sœurs. Il a été placé pendant une année en centre de réadaptation avant d’être orienté vers une famille d’accueil. Il bénéficia alors d’un suivi offert par un psychologue. Il semble que la consommation de pornographie infantile aurait commencé après le retour au sein de sa famille quelque temps avant d’atteindre l’âge de 17 ans. D’autres accusations ont été portées contre lui et il devait écoper, à l’âge de 17 ans, de six mois de contrôle dans la communauté associés à deux années de probation. Suivant une thérapie dans le cadre d’un Programme d’évaluation et de traitement des abus sexuels [PETAS], il semble que le demandeur ait à nouveau été accusé à l’égard de divers délits sexuels en compagnie d’un complice rencontré au cours de cette thérapie.
[7]
Une peine d’emprisonnement totale de huit ans et demi moins une période de treize mois pour tenir compte d’une détention provisoire de six mois et demi était imposée pour des infractions de distribution, de possession en vue de transmettre de la pornographie juvénile et d’avoir comploté avec un complice pour avoir des attouchements sexuels sur une personne de moins de quatorze ans et afin de produire de la pornographie juvénile. Cette peine a été réduite à une sentence de quarante-deux mois par la Cour d’appel du Québec, laquelle était réduite de treize mois pour la détention provisoire.
[8]
Le rapport du Dr Bergeron préparé après la dernière arrestation de M. St-Pierre note que le demandeur aurait déclaré « regretter aujourd’hui d’avoir cessé son suivi thérapeutique à la fin de sa sentence »
(rapport d’évaluation psychosexuelle, 16 février 2017, p. 9 de 24). On peut aussi lire à la page 10 de 24 :
Questionné sur son aspiration d’être le martin (sic) Luther King des pédophiles, Monsieur est légèrement gêné à l’évocation de cette ambition et nous mentionne avoir simplement désiré écrire un livre pour aider les gens à comprendre la pédophilie. Il soutient avoir réussi à faire changer les mentalités au sein de sa famille.
[9]
Pour ce qui est de la récidive pour laquelle le demandeur s’est déclaré coupable et pour laquelle une ordonnance de surveillance de longue durée a été imposée le 2 juin 2017, l’arrestation a été le fruit d’une enquête sur un réseau de pédophiles ayant eu cours en 2016. Comme pour la première arrestation qui avait résulté en une peine d’emprisonnement de huit ans et demi, la perquisition au domicile du demandeur a révélé des objets et des fichiers électroniques de pornographie juvénile, dont un certain contenu qu’il a lui-même filmé.
[10]
Le psychiatre Louis Morissette a quant à lui produit un rapport le 19 avril 2017 intitulé Expertise sur les délinquants dangereux ou à contrôler. Il conclut, tout comme le Dr Bergeron, un psychologue, que le risque de récidive est élevé chez le demandeur. Par ailleurs, il considère que ce risque élevé de récidive est « gérable, assumable, contrôlable dans la communauté »
. Il ajoute que des mesures doivent être mises en place. Ainsi, le demandeur « est conscient de sa problématique. Il est conscient de la déviance de ses fantasmes. Il est conscient de l’aspect incorrect et non socialement acceptable de ses fantasmes. Il a une attitude positive vis-à-vis d’un traitement et d’un suivi éventuel »
(page 9 de 9). Le Dr Morissette indique aussi que le demandeur « pourrait aussi très probablement bénéficier d’une médication visant à diminuer les pulsions sexuelles »
.
[11]
La Cour doit aussi noter le rapport fait par le psychiatre Benoît Dassylva, le 10 décembre 2008, rapport fait à l’établissement La Macaza du Service correctionnel canadien. Il s’agissait d’un rapport postérieur à la première déclaration de culpabilité devant un tribunal adulte et aussi après la décision de la Cour d’appel du Québec qui réduisait la peine d’emprisonnement à un total de 29 mois d’emprisonnement. On peut y lire :
Monsieur St-Pierre n’a jamais été hospitalisé en psychiatrie. À l’âge de 19 ans, il a été suivi durant quelques mois en clinique externe à Shawinigan par la Dre Allard, psychiatre. Le suivi visait apparemment à déterminer si un traitement pharmacologique était indiqué compte tenu des antécédents de contacts sexuels sur mineurs. Selon M. St-Pierre, Dre Allard avait conclu qu’une médication n’était pas nécessaire. Monsieur St-Pierre reconnaît par contre qu’il n’avait pas rapporté à Dre Allard ses fantaisies déviantes et la consommation de pédopornographie. Monsieur St‑Pierre n’a donc jamais reçu de médication psychotrope. Il n’a jamais reçu non plus de thérapie hormonale visant à diminuer la testostérone. Monsieur n’a jamais fait de tentative de suicide. Durant l’adolescence, il a été suivi à l’organisme PETAS en rapport avec la problématique sexuelle.
(p. 2 de 6)
Le psychiatre Dassylva a traité brièvement de la possibilité de médication. Il indique à son rapport, à la page 4 de 6, que le demandeur n’a jamais demandé de médication. Il ajoute que le demandeur « dit d’ailleurs que sa position n’a pas changé et qu’il est très réticent à prendre une médication. Il craint les effets indésirables. De façon un peu dramatique, il ajoute qu’il connaît des gens qui sont devenus légumes après avoir pris des médicaments prescrits par des psychiatres. Il nuance ensuite quelque peu ses propos en disant que les personnes étaient plutôt affectées mentalement et qu’il est vrai que ces personnes prenaient également des drogues pouvant les affecter mentalement »
. Le Dr Dassylva a aussi noté que les thérapies auxquelles le demandeur s’était déjà soumis n’avaient pu prévenir la récidive « et cela malgré des rapports positifs »
. Il concluait donc :
Lors d’un éventuel retour en société, M. St-Pierre bénéficierait, à notre avis, d’un encadrement résidentiel afin de diminuer les situations à risque. Il pourrait alors être encadré et supporté quant à ses aspirations professionnelles et relationnelles. Une thérapie spécifique en délinquance sexuelle est évidemment indiquée. À notre avis, monsieur bénéficierait également d’une thérapie hormonale visant à diminuer les pulsions sexuelles lors de son retour en société afin de diminuer le risque de récidive. Monsieur St-Pierre devrait donc être informé des avantages et inconvénients possibles d’une telle médication afin de prendre une décision éclairée quant à consentir ou non à une telle forme de traitement.
Comme on le sait, M. St-Pierre a récidivé.
II.
Délinquant à contrôler
[12]
La décision de déclarer un délinquant comme étant une personne devant faire l’objet d’un contrôle sur une longue durée est encadrée par l’article 753.1 du Code criminel. Les conditions en sont les suivantes :
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La partie dont il est ici question est la partie XXIV du Code intitulée Délinquant dangereux et délinquant à contrôler. Ainsi, celui qui est déclaré comme étant un délinquant dangereux fait face à trois possibilités en vertu du paragraphe 753(4) du Code criminel qui se lit ainsi :
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[14]
Dans le cas de M. St-Pierre, la Cour se sera trouvée satisfaite que ce délinquant peut être contrôlé puisqu’elle a convenu qu’il existe une possibilité réelle que ce risque puisse être maîtrisé au sein de la collectivité.
[15]
Par ailleurs, qu’en est-il du risque élevé de récidive. Le Code prévoit au paragraphe 753.1(2) ce qui est à rechercher pour déterminer qu’il existe un risque élevé de récidive. Ainsi, il faudra d’une part qu’il y ait commission de certaines infractions apparaissant au texte de loi (dont la distribution, la production, la possession et l’accès à la pornographie juvénile) et, d’autre part, que des actes répétitifs permettent de croire qu’il causera vraisemblablement la mort ou des sévices ou dommages psychologiques graves à l’autre personne, ou encore que sa conduite antérieure dans le domaine sexuel laisse prévoir vraisemblablement qu’il causera à l’avenir de ce fait des sévices ou autres maux à d’autres personnes.
[16]
Comme son nom l’indique bien, la Loi doit prévoir une surveillance du délinquant à contrôler. C’est le paragraphe 753.2(1) du Code criminel qui le permet. Il est ainsi rédigé :
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C’est donc en vertu de ce paragraphe que la Commission des libérations conditionnelles a juridiction et a agi en l’espèce.
III.
Décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada
[17]
La décision dont le contrôle judiciaire est demandé a été rendue le 4 août 2017. On y impose les conditions à être suivies par le délinquant soumis à une surveillance de longue durée. Je reproduis les paragraphes 134.1 (1) et (2) qui donnent à la Commission le pouvoir d’imposer des conditions :
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Ainsi, des conditions relatives à l’accès à du matériel pornographique sont imposées. De même, les différentes relations que le délinquant pourrait avoir doivent être divulguées à son surveillant de libération conditionnelle. Il doit demeurer dans un centre correctionnel communautaire et éviter certaines personnes qui ont un casier judiciaire. L’utilisation d’un ordinateur permettant d’avoir accès à l’internet est interdite. Mais c’est la condition relative à un traitement psychiatrique qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. La condition est ainsi libellée :
Suivre le traitement psychiatrique organisé par votre surveillant de libération conditionnelle en lien avec votre délinquance sexuelle, et suivre tout traitement recommandé.
(p. 4 de 8)
[18]
La décision procède à un bref survol du passé du demandeur mais réfère spécifiquement aux rapports des Drs Dassylva, Bergeron et Morisette (p. 6 de 8). La décision explique alors les raisons motivant chacune des conditions qui sont imposées. L’explication qui nous importe est celle relative au traitement psychiatrique. Il se lit de la façon suivante :
[…] Vous devrez aussi continuer à travailler sur votre problématique de délinquance sexuelle. Vous devrez suivre le traitement psychiatrique organisé par votre surveillant de libération conditionnelle en lien avec votre délinquance sexuelle, et suivre tout traitement recommandé.
(pp. 7-8 de 8)
[19]
Enfin, la décision note deux fois plutôt qu’une que le demandeur a eu l’occasion d’analyser les informations apparaissant à son dossier, que la Commission considère comme étant sûres et convaincantes, et le demandeur, par son avocate, a fait parvenir ses observations personnelles. De ce fait, la Commission considère avoir l’ensemble des informations nécessaires et fiables lui permettant de prendre une décision éclairée.
[20]
Le demandeur a prétendu à l’audience devant cette Cour que la difficulté que posait cette condition particulière était qu’elle permettait d’imposer une condition de prendre des médicaments. J’ai alors souligné que rien de tel n’apparaissait à la condition telle que libellée. En fait, cette condition, telle que libellée, s’inscrit dans un contexte qui doit être souligné. En effet, il appert que le demandeur, par son avocate, était invité le 21 juin 2017 de commenter les éléments et les conditions qui étaient alors mis de l’avant. Le 23 juin 2017, puis le 4 juillet 2017, l’avocate commentait au sujet de toutes et chacune des conditions qui étaient alors considérées. C’est à cette communication du 23 juin que l’on note les commentaires au sujet de ce qui est présenté à ce moment par la Commission comme étant la condition de traitement psychiatrique et de prendre une médication. Je reproduis en entier les commentaires qui y sont faits :
Monsieur St-Pierre reconnaît la nécessité d’une condition de suivre un traitement psychiatrique. Par contre, nous nous objectons vigoureusement à la condition de prendre les médicaments prescrits. Cette condition ne doit pas être imposée sans une évaluation de la situation particulière du délinquant et ne (sic) doit faire l’objet d’une audience et non d’un examen sur dossier.
Bien que la Cour d’appel fédérale ait reconnu dans l’affaire Deacon c. Canada (Procureur général), […] le pouvoir de la CLCC d’imposer une condition de prendre une médication, elle a également émis quelques balises :
• La CLCC doit se demander si une « autre forme de traitement, médical ou autre, serait plus efficace ou moins nuisible » (Deacon c. PGC, par. 45).
• Les médicaments prescrits « doivent aussi « être raisonnables et nécessaires ». (Deacon, c. PGC, par. 66).
• La CLCC doit ordonnée (sic) une audition lors de laquelle le délinquant sera entendu (Deacon c. PGC, par. 66) afin de respecter les principes de garanties procédurales, notamment les principes de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1992] 2 RCS 817, 1999 CanLII 699 (CSC).
En l’espèce, la CLCC n’a aucun renseignement sur la nature du traitement prescrit, la responsabilité du traitement médical proposé, son efficacité par rapport à ses effets nuisibles, la disponibilité d’autres formes de traitement. Le dossier est donc manifestement incomplet à cet égard.
Au surplus, la CLCC doit ordonner la tenue d’une audience afin de respecter les principes des arrêts Deacon et Baker.
Par conséquent, nous demandons à la CLCC de rayer la portion de la condition concernant la prise de médication et d’ordonner seulement la condition de suivre un traitement psychiatrique. [je souligne]
Cette intervention du 23 juin réagissait à la condition proposée par la Commission qui se lisait ainsi :
Suivre le traitement psychiatrique organisé par votre surveillant de libération conditionnelle en lien avec votre délinquance sexuelle, et suivre tout traitement recommandé, notamment en prenant les médicaments qui vous sont prescrits. [je souligne]
[21]
Il apparaît donc que le demandeur a convenu expressément dans les représentations qu’il faisait relativement à un traitement psychiatrique et la prise de médicaments qu’il était approprié qu’il suive un traitement psychiatrique. Son objection portait sur l’imposition de la prise de médicaments. Cette opposition s’était manifestée dès le 10 décembre 2008 dans le rapport d’évaluation fait par le psychiatre Dassylva.
[22]
Par ailleurs, dès l’imposition de sa sentence le 2 juin 2017, la Cour notait l’expression de remords et de l’aveu quant à sa condition de pédophilie. De là, ayant noté les rapports des Drs Bergeron et Morissette, la Cour du Québec déclarait que tous « deux s’entendent pour indiquer que vous avez effectivement besoin d’aide. Cette aide viendra par de la thérapie, par des sessions de thérapie »
. On voit bien que cela est conforme à la position prise devant la Commission des libérations conditionnelles qu’un traitement psychiatrique est approprié. Les représentations qui ont été faites ont produit le résultat que seulement le traitement psychiatrique est ordonné à titre de condition puisque l’aspect relatif aux médicaments présenté au projet sur lequel des commentaires étaient requis a été abandonné dans la décision sur les conditions imposées.
IV.
Les arguments
[23]
L’avis de demande pour le contrôle judiciaire de la décision de la Commission cherchait à attaquer chacune des conditions imposées à M. St-Pierre. Pourtant, le Code criminel prévoit bien que la désignation de délinquant à contrôler ne peut venir que s’il y a une possibilité réelle que le risque élevé de récidive puisse être maîtrisé dans la collectivité. S’il n’existe aucune condition spéciale, cela risquerait fort d’entraîner que la désignation ne puisse être utilisée, laissant en cela une incarcération prolongée ou la désignation de délinquant dangereux. Dans ce dernier cas, la détention est à durée indéterminée alors que dans l’autre, il faudrait envisager un terme d’incarcération bien supérieure à deux ans, étant donné qu’il s’agissait en l’espèce d’une récidive après une première période d’incarcération chez les adultes de 42 mois.
[24]
Il n’est pas inutile de rappeler que la « quasi-totalité des délinquants qui remplissent les conditions d’une déclaration de délinquant dangereux remplissent les deux premières conditions d’une déclaration de délinquant à contrôler »
(R. c Johnson, 2003 CSC 46 [2003] 2 RCS 357, para 31 [Johnson]). Mais il faudra des conditions de surveillance incluant des conditions jugées « raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale » (para 134.1(2) LSCMLSC). Celles-ci contribuent à satisfaire au troisième critère pour qu’une surveillance de longue durée puisse être imposée au lieu de mesures plus attentatoires à la liberté (para 753.1 (1) C. cr.), celle de se satisfaire que le risque élevé peut être maîtrisé. Comme la Cour le soulignait dans Johnson, « (l)’objectif même d’une ordonnance de surveillance de longue durée est donc de protéger la société contre le danger que présente actuellement le délinquant – et ce, sans recourir à la mesure radicale qu’est la peine de détention de durée indéterminée »
(para 32).
[25]
Heureusement, le demandeur aura choisi ultimement de s’en tenir à la seule contestation de la condition de traitement psychiatrique. Cependant, le demandeur a choisi d’injecter dans son argumentaire des éléments de droit administratif. On y alléguait que les conditions qui peuvent être imposées aux termes de la LSCMLSC ne sont pas « raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale »
(para 134.1(2)). La condition ne serait pas fondée sur des renseignements sûrs et convaincants, et aucun renseignement n’étaye le traitement qui pourrait être « imposé »
par un psychiatre contre son gré.
[26]
Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur tente aussi d’injecter à son argumentaire des éléments relatifs à l’article 7 de la Charte (Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11) [La Charte]. Le défendeur ne s’est pas objecté formellement à une telle tactique. Cela est en soi problématique. Les Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) [Règles] prévoient expressément le contenu de l’avis de demande. La règle 301e) requiert « un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable »
. On ne peut trouver à l’avis de demande rien de tel, ni l’énoncé d’un motif d’ordre constitutionnel, ni quelque référence à la Charte.
[27]
Encore tout récemment, la Cour d’appel fédérale rappelait combien sérieuses sont ces exigences (Fabrikant c Canada, 2018 CAF 171, para 18). Le cadre ainsi créé peut faire l’objet, par exemple, d’une requête en radiation d’avis de demande de contrôle judiciaire, comme dans Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 RCF 557 [JP Morgan]. C’est que l’avis de demande fixe les paramètres du recours judiciaire.
[28]
Dans JP Morgan, la Cour d’appel déclare que « (l)’énoncé « complet » des motifs englobe tous les moyens de droit et les faits essentiels qui, s’ils sont exacts, appellent l’octroi de la mesure demandée »
(para 39). Ce n’est pas facultatif. Plus loin, on lit :
[44] L’énoncé des motifs dans un avis de demande de contrôle judiciaire n’est pas une liste de catégories d’éléments de preuve que le demandeur espère trouver au cours des étapes de la présentation de la preuve. Avant de pouvoir énoncer un motif, la partie avoir à sa disposition certains éléments de preuve à l’appui.
[45] Intenter une poursuite en formulant des allégations totalement infondées dans l’espoir de les étoffer par la suite constitue un abus de procédure. Voir, de façon générale, Merchant Law Group c. Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184, au paragraphe 34; AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Ltd., 2010 CAF 112, au paragraphe 5. La Cour peut ordonner une mesure pour abus de procédure de plusieurs façons, par exemple en enjoignant à une partie ou à son avocat, ou aux deux, de payer les dépens adjugés en faveur de la partie adverse à la partie prise : articles 401 et 404 des Règles.
[29]
Les auteurs Letarte et al., dans leur ouvrage Recours et procédure devant les Cours fédérales (Lexis Nexis, 2013), expliquent bien la raison d’être de la règle : le défendeur n’est pas pris par surprise et la Cour peut ainsi cerner les questions à trancher. On lit au numéro 5.16 :
L’exigence prévue à l’alinéa e) de la Règle 301 permet en outre à la Cour de bien cerner la ou les questions qu’elle devra trancher. Le demandeur doit donc invoquer tous les motifs qu’il entend faire valoir au soutien de son recours.
Normalement, la Cour refusera de considérer un motif de révision qui n’est pas soulevé dans l’avis de demande. Ainsi, il n’est pas approprié pour le demandeur de soulever un nouveau motif de révision dans son mémoire des faits et du droit46.
[30]
Il va sans dire que je partage l’avis du juge De Montigny qui écrivait, alors qu’il était de cette Cour :
En l’espèce, les demandeurs ont indiqué dans leurs avis de demande que le commissaire avait commis une erreur de fait et de droit, et qu’il avait violé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. Il s’agit sans aucun doute d’une façon sibylline d’énoncer les motifs de contrôle qui reflète une pratique malheureusement de plus en plus courante, celle de simplement reprendre le texte de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales pour motiver une demande. Une telle pratique doit absolument être évitée, et les avocats devraient prendre les moyens de préciser davantage les motifs qu’ils entendent invoquer pour que l’esprit des Règles soit respecté. Un tel exercice permettrait certainement aux deux parties d’énoncer leurs arguments avec plus de précision dès le début et éventuellement de mieux cerner le débat.
(Kinsey c Canada (Procureur général), 2007 CF 543, au para 33)
[31]
Donc, le motif non invoqué à l’avis de demande devrait faire l’objet d’un refus d’être considéré même. Si l’avis est imprécis, plutôt que d’être tout simplement muet, comme par exemple lorsque l’avis de demande ne fait qu’invoquer les principes de justice naturelle, une requête en vertu de la règle 58 forcerait un demandeur à un énoncé complet et précis des motifs invoqués, y compris des dispositions législatives pertinentes.
[32]
En l’espèce, le Procureur général aura choisi de ne pas contester le cadre très imprécis qui a été créé par l’avis de demande. On aura préféré traiter des arguments présentés au mémoire des faits et du droit du demandeur.
[33]
Mais d’autres difficultés se sont présentées à cause d’un dossier déficient, cette fois sur les faits.
A.
Le demandeur
[34]
Le dossier ne révèle aucune indication de ce en quoi le traitement psychiatrique consiste, outre que la Commission n’a imposé comme condition qu’un traitement psychiatrique sans la médication qui semblait possible, mais à laquelle le demandeur s’oppose depuis belle lurette. Dans une ordonnance rendue le 2 novembre 2017 par cette Cour, il s’agissait d’une demande de sursis face à un rendez-vous qu’avait M. St-Pierre avec un psychiatre le 3 novembre. Aucune allégation de préjudice irréparable n’était présentée puisque le contenu de cette rencontre n’était pas connu : aucun traitement n’avait été arrêté. La Cour notait qu’une nouvelle demande de sursis pouvait être faite si les trois conditions bien connues, y inclus le préjudice irréparable, étaient éventuellement remplies. Aucune telle demande de sursis n’a été faite par la suite; puisqu’un an plus tard, on ne sait toujours pas en quoi consiste le traitement psychiatrique auquel il fallait s’opposer. Il en résulte un argument désincarné, qui ne s’appuie sur aucun fait concret, un argument dans l’abstrait, et qui maintenant cherche à inclure l’article 7 de la Charte.
[35]
La norme de la décision correcte s’appliquerait aux questions d’équité procédurale. Le demandeur prétend aussi que la même norme s’applique aux questions de droit. Comme on le verra, tel n’est pas l’état du droit à cet égard, mais il n’est pas certain que cela ait quelqu’incidence parce que le demandeur cherche à situer son argument au niveau de l’équité procédurale.
[36]
Comme on l’a vu, le Code criminel prévoit spécifiquement que la surveillance de longue durée est assurée par la Commission. La LSCMLSC comporte un régime particulier à cet égard. Le paragraphe 134.1(1) exige que les conditions obligatoires du paragraphe 161(1) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (DORS/92-620). Mais des conditions supplémentaires sont possibles, aux termes du paragraphe 134.1(2) si la Commission les juge « raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant ».
Cela sera le prélude à un argument en droit administratif, là où des conditions sont imposées de manière ultra vires ou en contravention avec l’équité procédurale.
[37]
Probablement pour tenter de contrer l’arrêt Deacon c Canada (Procureur général), [2007] 2 RCF 607, [Deacon] qui confirmait que l’article 134.1 de la Loi permet l’imposition d’un traitement médical (en l’espèce, la « castration chimique »
), et que l’imposition du traitement médical ne constitue pas une atteinte à l’article 7, le demandeur invoque maintenant l’arrêt Carter c Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 RCS 331[Carter] au sujet de l’aide médicale à mourir. La discrétion exercée par la Commission en vertu de l’article 134.1 doit l’être en conformité avec les valeurs de la Charte (Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12. [2012] 1 RCS 395 [Doré]) dit le demandeur.
[38]
Constatant que le Procureur général avait concédé dans Deacon qu’il y avait atteinte à la liberté et à la sécurité de la personne, le demandeur fait porter son attention sur les principes de justice fondamentale. Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 [Mooring], établit que la Commission est soumise à l’article 7 de la Charte et que l’obligation d’agir équitablement implique de s’assurer que « les renseignements sur lesquels elle se fonde pour agir sont sûrs et convaincants »
(para 28). J’ajoute cependant pour une meilleure compréhension le reste du paragraphe 28 :
[…] Pour prendre un cas extrême, la Commission ne pourrait pas considérer comme sûrs des renseignements obtenus par la torture, et il serait inéquitable qu’elle agisse sur la foi de tels renseignements. Il lui incomberait donc de les écarter, quelle que soit leur pertinence relativement à la décision à prendre. Chaque fois que des renseignements ou des « éléments de preuve » lui sont soumis, la Commission doit en déterminer la provenance et décider s’il serait équitable qu’elle s’en serve pour prendre sa décision.
[39]
De là, le demandeur se réfère aux cinq critères de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, 1999 [Baker] qui visent à établir l’intensité des règles d’équité procédurale dans une situation donnée. Il y a un certain mélange des genres.
[40]
Le demandeur soumet que l’imposition de suivre un traitement psychiatrique n’est pas fondé sur des renseignements sûrs et convaincants (Mooring) parce que les renseignements seraient « bien minces et sans aucune précision »
(mémoire des faits et du droit du demandeur, para 36). On ne saurait pas le type ou la nature du traitement psychiatrique, avec ses avantages et inconvénients. Cette absence de renseignements, si je comprends, n’aurait pas permis à la Commission de considérer les valeurs consacrées par la Charte par rapport à la protection de la société. Le demandeur soumet que les valeurs consacrées par la Charte en l’espèce soient celles mises de l’avant dans Carter : le caractère arbitraire d’une loi, l’absence de lien rationnel entre l’objet de la loi et la limite qu’elle impose à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne, sa portée excessive et son caractère totalement disproportionné. Si on tente de comprendre l’argument qui a été à peine articulé, puisque les renseignements dont la Commission jouissait n’étaient pas suffisants, l’exercice de proportionnalité devenait impossible.
[41]
S’appuyant généralement sur les critères de Baker, une audience orale aurait dû avoir lieu. Le demandeur est peu bavard au sujet de la pondération qui aurait dû être donnée aux facteurs de Baker et en quoi l’occasion fournie au demandeur de faire ses représentations par écrit, comme il s’en est prévalu d’ailleurs à deux occasions, ne suffisait pas. Il se contente d’insister sur le caractère intrusif d’un traitement psychiatrique.
[42]
Finalement, le demandeur a cherché un parallèle au régime sous le Code civil du Québec, là où des soins sont requis par l’état de santé d’un mineur ou un majeur inapte à donner son consentement (a. 16).
B.
Le défendeur
[43]
La norme de contrôle au sujet de l’équité procédurale est celle de la décision correcte. C’est la norme de la décision raisonnable qui trouve application pour ce qui est de la décision elle-même d’imposer un traitement psychiatrique, de même que de la mise en balance des valeurs de la Charte avec les objectifs de la Loi (Doré, paras 57 et 58).
[44]
Le défendeur expose le contexte législatif et note en particulier que la Loi indique les cas où une audience en personne doit avoir lieu (para 140(1)). Les autres cas sont laissés à la discrétion de la Commission (para 140(2)).
[45]
À la question de savoir si la Commission avait les renseignements nécessaires au dossier pour imposer la condition de traitement psychiatrique, le Procureur général répond que le dossier révèle amplement de renseignements justifiant le caractère raisonnable et nécessaire pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale de M. St-Pierre. On plaide que l’arrêt Deacon confirme le pouvoir de la Commission d’imposer même en traitement médical et que cela respecte l’article 7 de la Charte puisque la condition vise à protéger la communauté.
[46]
De plus, le défendeur insiste que M. St-Pierre se plaint maintenant d’une condition à laquelle il avait pourtant consenti expressément. En effet, les représentations écrites du 23 juin 2017 étaient claires quant à son acceptation de la nécessité du traitement psychiatrique mais à l’opposition à une condition forçant la prise de médicaments (voir para 21 où le passage est reproduit). Il n’est pas inutile de rappeler que la condition imposée se lit de la façon suivante :
Suivre le
traitement psychiatrique organisé par votre surveillant de libération conditionnelle en lien avec votre délinquance sexuelle, et suivre tout traitement recommandé.
[47]
C’est donc dire que la Commission se fiait à des renseignements fiables et convaincants venant de professionnels qui ont examiné M. St-Pierre au cours du temps. Ces renseignements fiables et convaincants incluent la reconnaissance de la nécessité d’une condition de suivre un traitement psychiatrique par le demandeur lui-même.
[48]
Quant à l’équité procédurale telle que décrite dans Mooring, elle consiste pour la Commission à s’assurer que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour agir sont sûrs et convaincants (para 36). En faisant en sorte qu’un délinquant reçoive les renseignements pertinents, la fiabilité de ceux-ci peut-être réfutée. Malgré qu’il ait eu ces renseignements, le demandeur n’en a pas attaqué la fiabilité ou la crédibilité. De fait, il a consenti dans ses représentations écrites au traitement psychiatrique : comment prétendre maintenant que les renseignements dont disposait la Commission ne contenaient rien sur la volonté de participer à un traitement psychiatrique? Le consentement fait évidemment partie des renseignements devant la Commission.
[49]
L’audition sur dossier était aussi appropriée. Tel qu’admis par le demandeur, la Loi n’impose pas une audition en personne outre les situations présentées au paragraphe 140(1) de la Loi. Or, notre Cour a déjà conclu dans Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105 et Laferrière c Canada (Procureur général), 2015 CF 612 [Laferrière] que l’imposition de conditions, ou leur amendement, à un délinquant à contrôler ne requiert pas une audience, puisque les observations écrites étaient un substitut adéquat. J’ajoute que la Cour, dans Laferrière, note que la Cour supérieure du Québec avait rejeté deux fois le même argument. Qui plus est, la Cour d’appel du Québec exprimait son accord en ces mots :
Rien n’astreignait la Commission à tenir une audience, dans les circonstances de l’espèce, ainsi que le juge en a décidé et l’appelant ne démontre aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.
(Laferrière c Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2013 QCCA 1081).
[50]
Le défendeur conclut à la surprise que le demandeur invoque les répercussions possibles de la condition à laquelle il a lui-même expressément consenti. Aucune preuve n’est présentée des répercussions possibles. Qui plus est, aucun traitement n’est imposé puisque, selon Deacon (para 74), il est loisible au demandeur de refuser le traitement, cela pouvant entraîner certaines conséquences.
V.
Question préliminaire
[51]
La Cour avait soulevé proprio motu la question de sa juridiction dans une directive émise le 26 septembre 2018. La LSCMLSC prévoit un appel d’une décision de la Commission devant une Section d’appel constituée en vertu de l’article 146 de la même Loi. Je reproduis les paragraphes 147(1) et (2) :
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La question était donc de savoir pourquoi aucun appel n’avait été présenté à ladite Section d’appel.
[52]
À l’audience, les parties se sont fondées exclusivement sur l’arrêt McMurray c Commission nationale des libérations conditionnelles, 2004 CF 462 [McMurray] pour arguer qu’il n’existe pas d’appel dans les cas de délinquants soumis à la surveillance de longue durée. Dans cette affaire, la Cour a conclu que du fait que l’article 99.1 de la LSCMLSC prévoyait spécifiquement des articles qui s’appliquent aux personnes surveillées, sans référer aux articles 146 et 147, cela suffisait à déterminer que l’intention du législateur était d’exclure les délinquants à protéger de la possibilité de se porter en appel.
[53]
Un argument de même nature, c’est-à-dire l’argument de l’exclusion implicite, était fait dans Normandin c Canada (Procureur Général), 2005 CAF 345; [2006] 2 RCF 112 [Normandin], mais au sujet de dispositions différentes qui ne sont pas non plus répertoriées à l’article 99.1. En Cour d’appel on a rejeté la règle de l’exclusion implicite teintée d’absolutisme (qui aurait eu pour effet d’empêcher un appel devant la Section d’appel dans notre cas), sans pour autant rejeter McMurray, pour accepter la condition d’assignation à résidence même s’il aurait pu être conclu qu’elle soit exclue pour le délinquant à contrôler puisque la Loi la prévoit pour le délinquant devant bénéficier d’une libération conditionnelle, mais pas pour le délinquant à contrôler pour une longue durée. La Cour d’appel déclare ceci :
[30] Dans McMurray, le juge Russell, interprétant l'article 99.1 dont se réclame l'appelant, conclut, en s'inspirant du contexte, de l'économie générale et de l'objet de la Loi ainsi que du sens ordinaire des mots, que l'article 99.1 fait référence à des dispositions particulières, dont l'application ne serait pas évidente à des délinquants à contrôler, pour exprimer qu'il est de l'intention du législateur qu'elles s'appliquent. Mais cela n'a pas pour effet d'empêcher, et j'ajouterais de restreindre, l'application à des délinquants à contrôler d'autres dispositions législatives qui ne sont pas mentionnées à l'article 99.1 lorsque ces dispositions indiquent clairement qu'elles s'appliquent à ces délinquants. Il est alors inutile de les mentionner dans l'article 99.1 puisque leur application est évidente. C'est, à mon avis, sans l'ombre d'un doute le cas de l'article 134.1 et du pouvoir général d'imposer des conditions que l'on retrouve au paragraphe 134.1(2). Je ne vois vraiment pas comment le fait de ne pas avoir inclus dans l'article 99.1 une référence au paragraphe 133(4.1) aurait pour effet d'écarter ou de restreindre la portée générale du pouvoir que contient expressément le paragraphe 134.1(2) d'imposer des conditions à un délinquant à contrôler. [je souligne]
[54]
Quant à moi, la question de réconcilier le propos de la Cour d’appel avec McMurray reste ouverte. On trouve évident qu’il faut permettre une condition d’assignation à résidence pour un délinquant à contrôler, de manière implicite, malgré que cette condition soit permise expressément pour d’autres types de délinquants soumis à la juridiction de la Commission. Pourtant, dans McMurray, la Cour conclut que l’article 147 qui donne juridiction à la Section d’appel n’est pas applicable aux délinquants à contrôler parce qu’il ne se trouve pas spécifiquement énuméré à l’article 99.1. On aurait pu penser que c’était aussi évident dans un cas comme dans l’autre d’autant qu’un appel pourrait aider à régler certaines situations problématiques sans devoir rechercher un contrôle judiciaire à chaque fois.
[55]
La difficulté qui se pose est que les parties ont convenu qu’il n’y a pas d’appel qui tienne à cause de la décision dans McMurray où la Couronne argumentait contre la possibilité d’un appel dans les cas de surveillance des délinquants à contrôler. Quant au demandeur, il n’a pas tenté de se présenter en appel pour ensuite contester un refus d’être entendu par la Section d’appel.
[56]
D’autre part, juridiction ne peut être conférée de consentement (Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 RCF 344, para 39). La règle veut que « […] à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours »
(Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 RCF 332, para 31). À mon sens, nous avons ici des circonstances exceptionnelles qui militent en faveur d’entendre l’affaire malgré les doutes que le demandeur aurait dû épuiser ses recours.
[57]
En effet, dans Aird c Canada (Commission des libérations conditionnelles), T-2969-93, 19 sept. 1994, (1994) 85 FTR 290 [Aird], le juge Rothstein, alors de cette Cour, exerçait sa discrétion en faveur de décider de la question posée parce que l’objection provenant du défaut de porter l’affaire en appel était venu après que le contrôle judiciaire avait été entendu au mérite. En fait, la question juridictionnelle n’avait pas été soulevée aux mémoires des parties (para 22). C’est évidemment le cas en l’espèce.
[58]
La situation est encore plus exceptionnelle en notre espèce où les parties peuvent certes invoquer la décision McMurray qui favorise leur point de vue. Qu’il y ait place éventuellement à un nouvel examen de cette question, à la lumière peut-être de l’arrêt Normandin, ne change pas la situation selon laquelle la question du ré-examen n’est pas soulevée. Comme dans Aird, la question n’a pas été soulevée par les parties et la demande de contrôle judiciaire a été entendue; mais en plus, une certaine jurisprudence favorise la position adoptée par les parties qui n’entendent pas ré-examiner la question. Dans ces circonstances, la discrétion judiciaire (Harelkin c Université de Regina, [1979] 2 RCS 561) devrait être exercée pour favoriser une décision sur le mérite de l’affaire (Reda c Canada (Procureur général), 2012 CF 79). À ce stade, il me semble que le coût et les inconvénients mènent à une disposition de cette affaire au mérite.
VI.
Analyse
A.
Norme de contrôle
[59]
La norme de contrôle appliquée par la Cour aux atteintes à l’équité procédurale est la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, para 79; Canadian Pacific Railway Company v Canada (Attorney General), 2018 FCA 69, para 34). Il n’y a pas place à déférence. Quant aux autres questions, y inclus un argument qui pourrait impliquer les valeurs de la Charte, c’est la norme de la décision raisonnable qui préside. Dans Doré, la Cour explique la différence entre la contestation de la constitutionnalité de la Loi et la révision d’une décision administrative : « Lorsque les valeurs consacrées par la Charte sont appliquées à une décision administrative particulière, elles sont appliquées relativement à un ensemble de faits précis »
(para 36). Ainsi, un tribunal administratif qui considèrerait la constitutionnalité de la Loi serait tenu à la norme de la décision correcte (Doré, para 43). Ce sera cependant la norme de la décision raisonnable qui s’appliquera pour déterminer si le décideur administratif a tenu compte suffisamment des valeurs consacrées par la Charte dans la décision discrétionnaire prise (Doré, para 45). La déférence sera de mise (Doré, para 54). L’exercice sur révision judiciaire consiste alors à ce qui est décrit au paragraphe 57 :
[57] Dans le contexte d’une révision judiciaire, il s’agit donc de déterminer si — en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel — la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte. Comme le juge LeBel l’a souligné dans Multani, lorsqu’une cour est appelée à réviser une décision administrative qui met en jeu les droits protégés par la Charte, « [l]a question se réduit à un problème de proportionnalité » (par. 155) et requiert d’intégrer l’esprit de l’article premier dans la révision judiciaire. Même si cette révision judiciaire est menée selon le cadre d’analyse du droit administratif, il existe néanmoins une harmonie conceptuelle entre l’examen du caractère raisonnable et le cadre d’analyse préconisé dans Oakes puisque les deux démarches supposent de donner une « marge d’appréciation » aux organes administratifs ou législatifs ou de faire preuve de déférence à leur égard lors de la mise en balance des valeurs consacrées par la Charte, d’une part, et les objectifs plus larges, d’autre part. [je souligne]
[60]
Le droit tel que déclaré dans Doré est encore applicable. La majorité de la Cour suprême dans Law Society of British Columbia c Trinity Western University, 2018 CSC 32 [Trinity Western University] se déclare liée par les arrêts Doré et École secondaire Loyola c Québec (Procureur général), 2015 CSC 12, [2015] 1 RCS 613 [Loyola].
[61]
D’autre part, en ce qui concerne les questions de droit, outre celles indiquées à l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], une présomption existe qu’elles font l’objet du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable lorsqu’il s’agit d’une loi constitutive ou d’une loi étroitement liée au tribunal administratif. Déjà dans Dunsmuir, la Cour établissait le principe (para 54); dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654 [Alberta Teachers’], la présomption qui n’a pas été dédite depuis était à son tour établie :
[34] La consigne voulant que la catégorie des véritables questions de compétence appelle une interprétation restrictive revêt une importance particulière lorsque le tribunal administratif interprète sa loi constitutive. En un sens, tout acte du tribunal qui requiert l’interprétation de sa loi constitutive soulève la question du pouvoir ou de la compétence du tribunal d’accomplir cet acte. Or, depuis Dunsmuir, la Cour s’est écartée de cette définition de la compétence. En effet, au vu de la jurisprudence récente, le temps est peut-être venu de se demander si, aux fins du contrôle judiciaire, la catégorie des véritables questions de compétence existe et si elle est nécessaire pour arrêter la norme de contrôle applicable. Cependant, faute de plaidoirie sur ce point en l’espèce, je me contente d’affirmer que, sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire. [je souligne]
[62]
La présomption peut certes être réfutée (McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895) mais rien de tel n’a été fait en l’espèce.
B.
Le mérite
[63]
L’arrêt fondamental, qui lie cette Cour, est l’arrêt Deacon auquel le demandeur a à peine fait allusion. Pourtant, il me semble être particulièrement pertinent à notre affaire.
[64]
M. Deacon était un délinquant à contrôler, comme M. St-Pierre. On voulait lui imposer, sans son consentement, une obligation par condition de prendre des médicaments prescrits par un médecin; il s’agirait d’une médication dite anti-androgène, communément présentée comme « castration chimique »
. Dans notre cas, on parle plutôt de traitement psychiatrique auquel le demandeur a consenti avant qu’il en soit fait une condition. Je note que M. Deacon était aussi soumis à la participation à un programme de traitement des délinquants sexuels et à des consultations psychologiques.
[65]
La Cour d’appel conclut dans un premier temps que les conditions jugées nécessaires et raisonnables qui peuvent être imposées par la Commission en vertu du paragraphe 134.1 de la Loi incluent la prise de médication. Je note que la Cour d’appel utilisait la norme de la décision correcte (nous sommes avant Dunsmuir et Alberta Teachers’), une norme de contrôle plus stricte que la norme de la décision raisonnable, pour ainsi conclure (para 27). Pour la Cour d’appel, l’interprétation du paragraphe 134.1(2) pour permettre de telles conditions procède de l’objet du régime applicable aux délinquants à contrôler. Comme on l’a vu dans Johnson (précité) il y a peu de différence entre le délinquant dangereux et le délinquant à contrôler. Pour celui qui n’est pas « pathologiquement irréductible »
, le but des conditions imposées est de protéger la société et de favoriser la réinsertion sociale. Se référant à Normandin, la Cour dans Deacon considère que « [l]e pouvoir conféré à la Commission par le paragraphe 134.1(2) est nécessairement « un pouvoir discrétionnaire large et souple » (arrêt Normandin, para 44), conçu pour permettre à la commission d’atteindre les objectifs des dispositions relatives aux délinquants à contrôler »
(para 37).
[66]
L’interprétation libérale du pouvoir conféré de fixer des conditions allant jusqu’à la prise de médicaments favorise les délinquants parce qu’ils seraient fort probablement soumis à des régimes plus attentatoires en termes d’incarcération s’ils ne sont pas des délinquants à contrôler. De fait, il n’y a pas d’administration forcée de médicaments puisque le délinquant a la faculté de refuser.
[40] La Commission n’ordonne pas ici l’administration forcée de médicaments à l’appelant. Il n’est donc pas porté atteinte au droit de common law de refuser un traitement médical (Fleming v. Reid (1991), 4 O.R. (3d) 74 (C.A.), à la page 84; Starson c. Swayze, [2003] 1 R.C.S. 722, au paragraphe 75). L’appelant est libre de refuser de prendre les médicaments prescrits. Toutefois, s’il refuse, son refus entraînera des conséquences : l’appelant enfreindra l’ordonnance de surveillance de longue durée le concernant, et il sera donc passible d’internement en application de l’article 135.1[édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 33] de la Loi, ou d’emprisonnement en application de l’article 753.3 [édicté par L.C. 1997, ch. 17, art. 4] du Code criminel. Le fondement de ces conséquences est le statut de l’appelant, un délinquant à contrôler, statut qui, lui, résultait de la conclusion de la Cour selon laquelle l’appelant répondait aux critères fixés par le paragraphe 753.1(1).
Je ne vois aucune raison de conclure que la même faculté de refuser le traitement psychiatrique ne peut pas être exercée par M. St-Pierre. Mais des conséquences au refus existent.
[67]
Tout est question de gérer le risque de récidive du délinquant en prenant les moyens raisonnables et nécessaires pour rendre gérable le risque qu’il présente dans la collectivité. La Cour dans Deacon conclut que « [s]i l’appelant ne veut pas prendre ces médicaments, il peut alors s’y opposer, mais il choisit aussi par là de subir les conséquences qui découlent de cette décision, vu son statut de délinquant à contrôler »
(para 41). C’est pourquoi l’analogie qu’a tenté de faire le demandeur avec l’article 16 du Code civil du Québec au sujet des soins à donner est d’une pertinence très douteuse. Ces personnes sont par définition des personnes autres, et dans des situations toutes autres, que des délinquants à contrôler à qui un traitement psychiatrique est prescrit et qui peuvent refuser d’y adhérer, mais avec les conséquences que la Loi prévoit.
[68]
Ce qui est plutôt remarquable en notre espèce est que la décision prise par la Commission et dont on se plaint maintenant a fait l’objet d’un consentement. Alors que Deacon déclare qu’une condition peut être imposée sans consentement, ce n’est même pas la situation de fait en l’espèce. Lorsque la Commission fait une condition du traitement psychiatrique (auquel le demandeur pourrait refuser d’y adhérer, sous réserve des conséquences telles qu’exposées par la Cour d’appel), c’est sur la base d’un dossier où le traitement psychiatrique est recommandé par des experts compétents et après que le consentement ait été donné. L’opposition de M. St-Pierre était claire quant à la prise de médication. C’était tout le contraire pour le traitement psychiatrique.
[69]
Deacon déclare aussi que la condition imposant une médication ne porte pas atteinte à l’article 7 de la Charte. L’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne était concédée (para 49). C’est au plan des principes de justice fondamentale que M. Deacon n’a pu satisfaire la Cour. En effet, pour réussir sous l’article 7 de la Charte, un demandeur a le double fardeau d’établir une atteinte, à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne, et que l’atteinte n’est pas en conformité avec les principes de justice fondamentale.
[70]
D’abord, les principes de justice fondamentale ne requièrent pas une autorisation explicite du législateur d’imposer telle condition, car « [u]ne autorisation générale conférée par un texte législatif raisonnable suffit, selon moi, à respecter les principes de justice fondamentale »
(para 58). Le pouvoir d’imposer des conditions est lui-même limité aux conditions raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant. La condition qui ne satisferait cette prescription pourrait être ultra vires ou ne comportant pas la proportionnalité nécessaire pour être raisonnable selon Doré, Loyola et Trinity Western University.
[71]
Avait aussi été plaidé dans Deacon que le droit de refuser un traitement médical est partie des principes de justice fondamentale. Pour la Cour d’appel, il faudrait un consensus social substantiel sur l’existence d’un droit absolu de refuser en toute circonstance un traitement médical non souhaité pour atteindre le niveau du principe de justice fondamentale. Or, le droit au refus a ses limites. La Cour dispose de l’argument de la façon suivante :
[74] En l’espèce, contrairement aux arrêts Fleming v. Reid et Starson c. Swayze, l’appelant constitue un danger pour autrui : il est un délinquant à contrôler qui, par définition, est susceptible de récidiver, et il a commis de nombreuses infractions contre des enfants, y compris lorsqu’il était en probation et soumis à une surveillance de longue durée. Par ailleurs, la condition de traitement médical en cause ici a été imposée dans le dessein de rendre ce risque gérable au sein de la collectivité, permettant ainsi la mise en liberté de l’appelant aux conditions les moins restrictives, compte tenu de la protection du public. Contrairement aussi aux arrêts Fleming v. Reid et Starson c. Swayze, la présente affaire ne concerne pas l’administration forcée de médicaments : comme je l’ai expliqué plus haut, l’appelant peut choisir de ne pas prendre les médicaments qui lui sont prescrits, mais il choisit aussi par le fait même de subir les conséquences de sa décision. Ces facteurs contextuels sont critiques et il en est tenu compte à juste titre dans le processus consistant à établir le contenu et le champ d’un principe donné de justice fondamentale (arrêt Winko, au paragraphe 66; arrêt Malmo-Levine, aux paragraphes 98 et 99; arrêt R. c. Demers, au paragraphe 45). Vu ce contexte, qui comprend à la fois le régime législatif applicable aux délinquants à contrôler et les antécédents propres à l’appelant, ainsi que son profil de risque, je suis d’avis que la condition qui, dans l’ordonnance de surveillance de longue durée de l’appelant, oblige celui-ci à prendre les médicaments prescrits par un médecin, une condition imposée par la Commission sans le consentement de l’appelant, ne contrevient pas aux principes de justice fondamentale dont parle l’article 7 de la Charte.
[72]
Le demandeur a fait une tentative de limiter la portée de Deacon en référant au paragraphe 45, que je reproduis :
[45] Je relève que l’appelant ne conteste pas dans le présent appel le traitement que ses médecins lui ont prescrit, ni ne fait valoir qu’une autre forme de traitement, médical ou autre, serait plus efficace ou moins nuisible. Il ne met pas non plus en doute l’avis de la Commission selon lequel, dans son cas particulier, une condition portant sur un traitement médical pouvait être raisonnable ou nécessaire. Ces points eussent-ils été soulevés dans la présente affaire, l’analyse aurait sans doute été différente, et la norme de contrôle aurait été moins élevée. Cependant, tout ce que dit l’appelant dans le présent appel, c’est que, dans tous les cas de surveillance de longue durée, la Commission n’a pas le pouvoir légal d’imposer une condition portant sur un traitement médical. Les particularités de la situation de l’appelant—son passé et son profil de risque, le régime médical qui lui a été prescrit, son efficacité et ses effets secondaires—n’ont pas été évoquées ici et elles sont donc largement hors de propos dans le présent appel tel qu’il a été plaidé.
[73]
Le demandeur n’explique pas en quoi ce paragraphe peut changer la donne dans notre cas. Lu en contexte, ce paragraphe ne suggère rien de plus que ce qui y est écrit. La Cour d’appel traitait de la question de savoir si l’article 134.1 de la Loi permet la condition de prise de médicaments et de celle de déterminer s’il y a alors violation de l’article 7 de la Charte. Le traitement prescrit dans le détail ne fait pas l’objet de la décision. Si cela avait été le cas, présumant d’un dossier qui permettrait d’en traiter, la Cour d’appel annonce que la norme de contrôle aurait été moins élevée que celle utilisée en l’espèce (norme de la décision correcte). Étant rendue avant Dunsmuir, la décision aurait pu être selon la norme de la raisonnabilité simpliciter ou de la déraisonnabilité manifeste, deux normes de contrôle qui existaient avant Dunsmuir. Les deux sont des normes moins élevées que celle de la décision correcte.
[74]
Dit autrement, la Cour n’élimine pas la possibilité d’examiner le traitement prescrit. Mais cela ne peut se faire sans un dossier factuel à cet égard. Comme la Cour le note, les particularités de la situation d’un délinquant à contrôler pourraient engendrer un contrôle judiciaire sur la base de la raisonnabilité. Or, en notre espèce, cette preuve est aussi inexistante qu’elle l’était dans Deacon. Alors que la Commission pensait à imposer une condition relative à un traitement psychiatrique et à la prise de médicaments, elle n’a imposé que la condition de traitement psychiatrique alors même que le demandeur en acceptait la nécessité. On a confirmé à l’audience devant la Cour qu’aucune preuve supplémentaire n’avait été offerte par le demandeur au sujet du traitement psychiatrique. Dit simplement, on ne sait rien en notre espèce sur le traitement que suivrait M. St-Pierre autre qu’il s’agit d’un traitement psychiatrique. Comme dans Deacon, on ne sait rien du traitement, ce qui fait en sorte que le paragraphe 45 de l’arrêt ne peut pas être utile à M. St-Pierre dans l’état de sa demande de contrôle judiciaire et du dossier factuel.
[75]
Je rappelle que cette Cour indiquait dans son ordonnance du 2 novembre 2017 que M. St‑Pierre devait rencontrer son psychiatre le 3 novembre. On ne sait pas à ce jour ce qui a été prescrit et si M. St-Pierre participe à cette thérapie. Il devient donc impossible à la Cour de chercher à évaluer la raisonnabilité de quelque chose dont on n’a pas les paramètres les plus élémentaires. La preuve documentaire était abondante que le traitement psychiatrique était approprié et le demandeur acceptait la nécessité d’un traitement psychiatrique. En quoi cette décision pourrait être déraisonnable reste à être confirmé.
[76]
Le demandeur a aussi tenté de distinguer Deacon en référant aux principes de justice fondamentale dégagés dans Carter. Mais Carter traitait de la constitutionnalité d’une loi, l’alinéa 241(1)b) du Code criminel, qui prohibe l’aide à quelqu’un à se donner la mort. La question résolue par la Cour suprême était la contravention de cet alinéa avec l’article 7 de la Charte, et donc que la prohibition constitue une violation de principes de justice fondamentale. Les trois principes de justice fondamentale dégagés dans Carter dans le contexte de l’inconstitutionnalité d’une loi, et non d’une contestation d’une décision administrative, sont :
a) le caractère arbitraire d’une loi : une loi sera arbitraire en l’absence d’un lien rationnel entre l’objet de la loi et la limite imposée aux trois intérêts de l’article 7 (vie, liberté, sécurité). Si le bien public n’est pas promu, puisque la loi ne permet pas la réalisation de ses objectifs, elle est arbitraire. Dans le cas de l’aide à mourir, la prohibition absolue sert à promouvoir l’objectif de protéger le vulnérable : elle n’est pas arbitraire.
b) la portée excessive : une loi est excessive lorsqu’elle porte atteinte à la vie, liberté ou sécurité
« d’une manière qui n’a aucun lien avec le mal qu’avait à l’esprit le législateur »
(para 85). Pour protéger les personnes vulnérables, le législateur par une prohibition générale fait entrer la conduite de personnes qui ne sont pas vulnérables, ce qui n’a aucun rapport avec l’objectif de la loi de protéger le vulnérable.c) le caractère totalement disproportionné : la Cour dit qu’il s’agit là d’une norme élevée.
« Il faut comparer son objet « de prime abord » et ses effets préjudiciables sur les droits du demandeur et déterminer si cette incidence est sans rapport aucun avec l’objet de la loi »
(para 89).
[77]
Dans Carter, la Cour conclut à la violation du principe relatif à la portée excessive. Il n’y avait pas de caractère arbitraire et il n’était pas nécessaire de disposer de l’argument sur le caractère totalement disproportionné de la loi pour conclure à l’inconstitutionnalité de celle-ci.
[78]
J’ai procédé à un développement pour situer Carter : l’arrêt me semble ne traiter que de principes appliqués à la constitutionnalité d’une loi. Le demandeur ne plaide aucunement l’inconstitutionnalité de quelque disposition. Je conviens que les principes de justice fondamentale peuvent invalider une loi aussi bien que des actions prises en vertu d’une loi. Mais ici, il n’y a aucune articulation du comment l’un de ces principes dégagés dans Carter pourrait invalider l’action prise par la Commission d’imposer la condition qu’elle pouvait imposer (Deacon). Il me semble toujours d’à-propos de rappeler les limites de la notion de principe de justice fondamentale comme le faisait la Cour d’appel fédérale dans Erasmo c Canada (Procureur général), 2015 CAF 129 [Erasmo] :
[45] Les principes de justice fondamentale ne sont pas une série de principes portant sur l’iniquité ou de « vagues généralisations sur ce que notre société estime juste ou moral » (R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, 2003 CSC 74, [2003] 3 R.C.S. 571, au paragraphe 112 (motifs des juges Gonthier et Binnie pour les juges majoritaires) et au paragraphe 224 (motifs de la juge Arbour, dissidente). Ils ne relèvent pas du domaine de l’ordre public en général (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C. -B.), [1985] 2 R.C.S. 486, à la page 503, 24 D.L.R. (4th) 536. Ils ne sont pas non plus « [de] simple[s] contenant[s], à même de recevoir n’importe quelle interprétation qu’on pourrait vouloir lui donner » Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, à la page 394, 38 D.L.R. (4th) 161 (motifs du juge McIntyre).
[46] En réalité, les principes de justice fondamentale « se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique » (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C. -B.), précité, à la page 503, cité et approuvé dans l’arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, 132 D.L.R. (4th) 56, au paragraphe 39; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, au paragraphe 23; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, 17 C.R. (7th) 87, au paragraphe 89; et bien d’autres). Ces principes « doivent être le fruit d’un certain consensus quant à leur caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » (R. c. D.B., précité, aux paragraphes 46, 61, 67 et 68, 125, 131 et 138; R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, précité, aux paragraphes 112 et 113; Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176, au paragraphe 139). Les principes de justice fondamentale sont « les postulats communs qui sous-tendent notre système de justice » qui « trouvent leur sens dans la jurisprudence et les traditions qui, depuis longtemps, exposent en détail les normes fondamentales applicables au traitement des citoyens par l’État » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 8). [je souligne]
Pour dire les choses autrement, il faut davantage que d’évoquer les principes de justice fondamentale tels que dégagés dans Carter. Il faut leur donner du contenu.
[79]
Il n’est pas impossible qu’un argument puisse être fait en utilisant les principes de justice fondamentale de Carter pour invalider une mesure prise en vertu d’une loi. Si ce devait être le cas, le cadre d’analyse serait celui de Doré, Loyola et Trinity Western University régi selon la norme de la décision raisonnable. Cependant cet argument n’a pas été même évoqué à l’avis de demande et il n’a pas été fait au mémoire des faits et du droit du demandeur, ou même à l’audience. Cela requiert une pondération délicate parce que l’on ne peut aborder l’affaire uniquement en fonction des intérêts personnels. Il faut tenir compte de l’ensemble du contexte. La Cour d’appel dans Erasmo (para 48) reprend le paragraphe 53 de Deacon, moins sa dernière phrase. J’en fais autant :
[…]
Nous ne pouvons pas prendre de mesures à l’égard des délinquants à contrôler comme s’il n’y avait pas de droits garantis par la Charte; pareillement, nous ne pouvons pas considérer les droits garantis par la Charte comme s’il n’y avait pas de délinquants à contrôler. « Lorsque […] une structure administrative et juridictionnelle complète a été mise sur pied, il faut considérer le régime dans son ensemble. On doit examiner le problème particulier que ce dernier vise à résoudre » (Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, au paragraphe 65). Les principes de justice fondamentale peuvent être influencés par ce contexte, car il est reconnu que « les exigences de la justice fondamentale ne sont pas immuables; elles varient selon le contexte dans lequel on les invoque » (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, au paragraphe 85; voir aussi l’arrêt Winko, précité, au paragraphe 66). Plus exactement, le contexte a son importance lorsqu’il s’agit de pondérer les droits individuels et les intérêts de la société dans le cadre de l’article 7, et c’est là une considération qui forme une partie reconnue du processus consistant à préciser le contenu et le champ d’un principe donné de justice fondamentale (arrêt Winko, précité, au paragraphe 66; arrêt Malmo-Levine, précité, aux paragraphes 98-99; arrêt R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489, au paragraphe 45).
En l’absence d’articulation de l’argument, ce qui aurait permis au défendeur de réagir, il n’y a pas lieu pour la Cour d’aller plus loin.
[80]
Au mieux, on trouve une phrase laconique que « la Commission se devait de s’assurer que la condition n’était ni arbitraire, ni excessive, ni hors de proportion dans les circonstances »
(mémoire des faits et du droit, para 41). Sans preuve quant au traitement psychiatrique, il est impossible de considérer plus avant la condition imposée. J’ajoute que les principes énoncés dans Carter, s’ils peuvent s’appliquer dans le cadre d’analyse de Doré, ont tout de même été qualifiés par la Cour suprême ne parlant d’aucun lien avec le mal qu’avait à l’esprit le législateur (partie excessive d’une loi) et d’une incidence sans rapport aucun avec l’objet de la loi (caractère totalement disproportionné).
[81]
Reste à considérer les arguments relatifs à l’équité procédurale. Le demandeur soumet que les renseignements sur lesquels la Commission a imposé des conditions, dont celle devant la Cour, ne sont pas sûrs et convaincants (Mooring, para 28). Je rappelle que la Cour suprême parlait de renseignements sûrs et convaincants dans le sens où « la Commission doit en (les renseignements ou les éléments de preuve) déterminer la provenance et décider s’il serait équitable qu’elle s’en serve pour prendre sa décision »
(para 28).
[82]
On ne peut voir en quoi les renseignements ne seraient pas sûrs et convaincants quant à la nécessité du traitement psychiatrique, d’autant que le demandeur lui-même convient de la nécessité de celui-ci. Une fois la condition imposée, il n’est pas hors de question que le traitement déterminé puisse être contesté. C’est le sens, me semble-t-il, du paragraphe 45 de Deacon. Mais cela peut alors avoir lieu sur la base de faits, faits qui sont inexistants en l’espèce.
[83]
Il faut de plus se rappeler qu’est en preuve le rapport du Dr Bergeron du 16 février 2017. Il disait souhaiter un contrôle lors du retour dans la communauté à cause du risque de récidive, déconseillant « assez vivement toute approche thérapeutique aversive »
. De même, le Dr Morissette dans son rapport du 18 avril 2017 notait une « attitude positive vis-à-vis d’un traitement et d’un suivi éventuel »
, étant donné qu’il est conscient de sa problématique et de sa déviance. Les renseignements obtenus par psychiatres et psychologue ont été obtenus sans aucune contrainte et aux fins de déterminer si M. St-Pierre se qualifiait comme personne ne pouvant être contrôlée dans la communauté. On a agi équitablement avec lui. L’imposition d’une condition de traitement psychiatrique n’a pas été démontrée non plus comme étant déraisonnable; bien au contraire, les expertises et le demandeur au moment où la condition a été ordonnée en voyaient la nécessité et rien ne suggère un an plus tard que les rencontres avec le psychiatre, dont la première devait se tenir le 3 novembre 2017, ont été infructueuses pour déterminer d’un traitement psychiatrique approprié. À tout événement, nous ne savons rien de la thérapie proposée.
[84]
Le demandeur a aussi soumis qu’il aurait dû recevoir une audience en personne pour satisfaire à l’équité procédurale. On croit comprendre qu’il pourrait s’agir des critères de l’arrêt Baker qui mèneraient à ce résultat, mais le demandeur en invoque un seul : la nature intrusive d’un traitement psychiatrique.
[85]
Les décisions Laferrière, tant devant notre Cour que devant les Cours du Québec confirmées par la Cour d’appel du Québec, sont une réponse complète à l’argument. Dans Laferrière devant notre Cour, M. Laferrière se plaignait de ne pas avoir eu une audience lorsque des changements à ses conditions devaient être considérés : il était un délinquant soumis à une ordonnance de surveillance de longue durée, tout comme M. St-Pierre. Comme M. St-Pierre, il a pu faire des représentations écrites. Des sept conditions alors en vigueur, deux ont été enlevées (dont celle de se soumettre au traitement prescrit par un psychiatre).
[86]
Je ne puis faire mieux que de reproduire les paragraphes 8, 10 et 11 de la décision de notre Cour qui me paraissent tous applicables à notre cas.
[8] Selon le défendeur, les critères de l’arrêt Baker ne requièrent pas d’audience dans le cas en l’espèce puisque le processus devant la CLCC n’est pas judiciaire ou quasi-judiciaire, que le demandeur n’avait pas d’attente légitime à une audience, que la CLCC a le pouvoir discrétionnaire de procéder par audience sur le dossier et qu’elle possède une expertise dans la détermination de sa propre procédure. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en est venue cette Cour dans l’affaire Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105 au para 48 [Sychuk]. De plus, le demandeur a déjà contesté à deux reprises la décision de la CLCC de ne pas lui accorder d’audience en procédant par requête en habeas corpus devant la Cour supérieure du Québec et, dans les deux cas (ainsi qu’en appel), la Cour supérieure a jugé que la CLCC n’avait pas manqué à l’équité procédurale (Laferrière c Centre correctionnel communautaire Marcel-Caron, 2010 QCCS 1677; Laferrière c Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2013 QCCS 4228; Laferrière c Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2013 QCCA 1081) (CanLII)).
[10] Je suis d’accord avec le défendeur. Conformément aux critères de l’arrêt Baker, il ne s’agit pas d’une situation où la CLCC devait tenir une audience pour respecter l’équité procédurale. Il s’agissait d’un examen des conditions de libération conditionnelle du demandeur dont le résultat n’a pas des répercussions aussi grandes qu’une ordonnance de maintien en incarcération ou d’un examen d’une suspension de la libération conditionnelle (voir Arlène Gallone c Le procureur général du Canada, 2015 CF 608). Comme le soulignait la Cour suprême dans Baker, « [p]lus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses » (au para 25). Dans le présent dossier, les observations écrites étaient un substitut adéquat à une audition puisqu’aucun motif particulier ni aucune question importante de crédibilité n’était soulevé par le demandeur, lesquels auraient pu entraîner un éclairage différent sur la décision de la CLCC.
[11] De plus, le demandeur n’avait aucune attente légitime que la CLCC tienne une audience et, comme il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, il n’y a aucune obligation pour la CLCC de tenir une audience à des intervalles réguliers. Également, l’absence de motifs du refus de tenir une audience ne fait pas échec à la décision dans les circonstances particulières du présent cas puisque le demandeur n’avait soulevé aucun motif précis pourquoi une audience aurait dû être tenue, et la CLCC disposait de toute l’information nécessaire au dossier. Conformément aux affaires Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 et Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, la Cour peut considérer que la CLCC aurait pu donner comme motif de refus le fait que rien ne justifiait la tenue d’une audience en l’espèce. Conséquemment, la CLCC n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne tenant pas d’audience.
[87]
La Cour d’appel du Québec aura été bien plus expéditive (voir ci-haut, para 49).
[88]
La Cour ne doute pas du bien-fondé de l’affirmation dans Bilodeau-Massé c Canada (Procureur général), 2017 CF 604 que la Commission doit « s’assurer que le caractère sûr et convaincant des renseignements au dossier lui permet de rendre une décision éclairée »
(para 180). Mais la question n’est pas là. Il fallait plutôt que le demandeur l’explique et convainque en quoi la décision de la Commission de conclure au caractère sûr et convaincant n’était pas approprié lorsque l’un des renseignements était le consentement au traitement et que de nombreux rapports d’experts médicaux recommandaient le traitement. C’est un fardeau dont le demandeur ne s’est aucunement déchargé.
VII.
Conclusion et dépens
[89]
En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le défendeur demande ses dépens et a soumis un mémoire de frais à hauteur de 3 230 $, dont 2 100 $ au titre des honoraires selon la colonne III du Tarif B.
[90]
À mon avis, il y a lieu d’imposer des dépens. L’imposition est discrétionnaire (règle 400 des Règles). Ici, le demandeur est largement sorti du cadre qu’il s’était fixé dans son avis de demande et les arguments invoqués étaient incomplets. Il est bien sûr possible que dans une tentative de faire avancer le droit ou de faire du droit nouveau un argument puisse être incongru en apparence. Mais ce n’est pas le cas d’espèce. La jurisprudence est bien connue, mais elle n’est pas discutée afin de la distinguer. Une situation de fait aussi importante que le consentement au traitement psychiatrique n’est même pas évoquée ou, mieux encore, expliquée par le demandeur. La jurisprudence présentée par le défendeur relativement à l’obligation de tenir une audience en personne dans le cas de la fixation de conditions au délinquant à contrôler était pourtant très bien connue par le demandeur qui aurait dû en traiter.
[91]
Par ailleurs, des dépens de 3 230 $ me semblent trop élevés alors que le demandeur ne demandait pas ses dépens. Il prétendait à la nature pénale du dossier et à l’importance des questions soulevées. Si des dépens devaient être imposés contre lui, plaidait-il, ils devraient être limités à 500 $.
[92]
Tout bien considéré des dépens de 1 000 $, y inclus toute taxe, sont imposés. Ils pourront servir à couvrir en bonne partie les déboursés engendrés par cette demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT au dossier T-1293-17
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Des dépens de 1 000 $, y inclus toute taxe, sont imposés en faveur du défendeur.
« Yvan Roy »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-1293-17
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INTITULÉ :
|
JONATHAN ST-PIERRE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
MONTRÉAL (QUÉBEC)
|
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 1ER OCTOBRE 2018
|
|
JUGEMENT ET motifs :
|
LE JUGE ROY
|
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 23 OCTOBRE 2018
|
|
COMPARUTIONS :
Rita Magloé Francis
|
Pour le demandeur
|
Marilyn Ménard
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Surprenant Magloe Avocats
Montréal (Québec)
|
Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
|
Pour le défendeur
|