Date : 20180912
Dossier : DES-2-18
Référence : 2018 CF 911
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Winnipeg (Manitoba), le 12 septembre 2018
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE :
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AWSO PESHDARY
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
|
ORDONNANCE ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
M. Awso Peshdary conteste la validité d’un mandat délivré par la Cour en 2012 autorisant le Service canadien du renseignement de sécurité à utiliser certains pouvoirs de surveillance sur lui parce qu’il constituait une menace potentielle envers la sécurité du Canada. Le Service a remis à la Gendarmerie royale du Canada certains renseignements qu’il avait recueillis sur M. Peshdary. La GRC a utilisé ces renseignements dans le but d’obtenir d’autres mandats en application du Code criminel pour mener une enquête sur M. Peshdary relativement à des infractions liées au terrorisme, ce qui a donné lieu à deux infractions criminelles contre M. Peshdary, pour lesquelles il pourrait subir un procès devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
[2]
Il s’agit en l’espèce de la deuxième étape de la contestation de M. Peshdary. Au cours de la première étape, j’ai entendu les observations des parties sur la question de savoir si la Cour fédérale a compétence pour annuler le mandat. Les parties ont également abordé la question de savoir si M. Peshdary a le droit de recevoir d’autres documents en possession du Service. J’ai conclu que la Cour fédérale a compétence pour examiner ses propres ordonnances, y compris les mandats délivrés au Service. Cependant, j’ai rejeté la demande de M. Peshdary concernant la divulgation de documents supplémentaires. Ainsi, la question restante est de savoir si M. Peshdary a présenté des motifs suffisants pour annuler le mandat du Service.
[3]
Pour les motifs qui suivent, je conclus que le mandat ne doit pas être annulé. En résumé, M. Peshdary n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve montrant que la demande de mandat aurait été rejetée si le juge qui a délivré le mandat avait été mis au courant de toutes les circonstances pertinentes.
II.
Fondement de la délivrance du mandat
[4]
Un employé expérimenté du Service a remis au juge qui a délivré le mandat une déclaration sous serment signée, selon laquelle M. Peshdary et d’autres personnes se livraient à des activités qui constituaient des menaces envers la sécurité du Canada au sens de l’alinéa 2c) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (la Loi sur le SCRS) (se reporter à l’annexe pour toutes les dispositions citées). On a désigné la menace comme étant du « terrorisme islamiste international »
. Le déclarant s’est appuyé non seulement sur ses connaissances personnelles, mais aussi sur des renseignements obtenus de diverses sources humaines, sur la surveillance visuelle et sur des communications interceptées (au titre de mandats antérieurs). La déclaration sous serment comptait 127 pages, bien que de nombreuses parties aient été caviardées pour des motifs de non-pertinence ou de sécurité nationale avant la divulgation à M. Peshdary.
[5]
J’ai divisé le témoignage du déclarant en trois catégories. La première comprend les éléments de preuve qui, essentiellement, ne sont pas contestés. La deuxième comprend les éléments de preuve que M. Peshdary croit entachés. Il s’agit d’éléments de preuve provenant presque entièrement d’une source humaine appelée Milton. La troisième établit l’opinion du déclarant. Un nombre restreint de renseignements contenus dans la déclaration sous serment ont été obtenus au moyen de mandats antérieurs. Sauf indication contraire, les éléments de preuve ci-dessous datent de 2012.
A.
Éléments de preuve non contestés
(1)
Communications interceptées
[6]
En vertu de mandats antérieurs, le Service a intercepté un certain nombre de communications relatives à M. Peshdary :
Lors d’une communication interceptée en 2010, M. Peshdary a discuté d’une attaque au Canada, faisant référence au Parlement et à l’ambassade des États-Unis.
Une femme s’est plainte à l’épouse de M. Peshdary que ce dernier tentait de radicaliser son mari.
M. Peshdary a insisté auprès de son associé, Yahia John Maguire, pour qu’il écoute des enregistrements d’Anwar al-Awlaki, un extrémiste islamiste né aux États-Unis, qui sera tué plus tard, et qui ordonnait des attaques contre les non-musulmans.
M. Peshdary a indiqué qu’il voulait tenir des réunions hebdomadaires avec Maguire pour lui enseigner des techniques de survie.
Une communication interceptée en 2011 a révélé que M. Peshdary souhaitait que Maguire joigne « Resurrection », un groupe formé de jeunes dirigeants musulmans.
M. Peshdary a déclaré qu’il souhaitait faire l’acquisition d’une maison qui servirait de centre pour les jeunes.
Une conversation entre M. Peshdary et un associé semblait porter sur une arme qui semblait pouvoir être obtenue au magasin Walmart, possiblement un fusil à plomb.
M. Peshdary a demandé à Passeport Canada comment obtenir un passeport d’urgence pour rendre visite à sa grand-mère malade, qui est décédée peu après. Pourtant, M. Peshdary a continué d’essayer d’obtenir un passeport canadien.
M. Peshdary a cherché à obtenir sur Internet des renseignements sur la façon d’exécuter une
« hijrah »
(l’émigration depuis un pays non islamique vers un pays islamique), malgré l’opposition des parents.M. Peshdary a visionné une vidéo sur le plus gros calibre de fusil de chasse fait sur mesure. Il a également recherché des vidéos sur d’autres armes, y compris un lance-grenades et un fusil d’assaut.
M. Peshdary a écouté les discours d’al-Awlaki.
M. Peshdary a recherché et consulté des rapports sur la situation au Yémen, dont un intitulé
« Al Qaeda in Yemen advertises for Western recruits »
(le groupe al-Qaida au Yémen recherche de recrues occidentales) et un autre intitulé« Is this Al Qaeda ‘last chance’ for a country? »
(la ‘dernière chance’ pour al-Qaida d’avoir son pays?).Alors que MM. Peshdary et Maguire étaient engagés dans une conversation dans un lieu public, M. Peshdary semblait vérifier si on était en train de les écouter.
M. Peshdary a travaillé comme instructeur dans une entreprise de tutorat appelée HLI, où le groupe « Resurrection » se réunit également.
Même si M. Peshdary ne semblait plus être membre du groupe « Resurrection », il a continué d’assister à certains événements au HLI, y compris à son nouvel emplacement.
(2)
Surveillance visuelle
[7]
Le Service a effectué une surveillance visuelle de M. Peshdary, laquelle a démontré les faits suivants :
M. Peshdary a utilisé diverses techniques de contre-surveillance. Il a notamment quitté un restaurant à pied, puis est retourné plus tard à sa voiture pour la ramener à la maison pour ensuite immédiatement retourner au restaurant et le quitter de nouveau pour stationner la voiture dans la rue.
M. Peshdary et un associé se sont garés dans la rue, les lumières et le véhicule éteints.
M. Peshdary conduisait sous la limite de vitesse.
M. Peshdary a emprunté un itinéraire comportant moult détours.
M. Peshdary s’est rendu dans un véhicule jusqu’au bâtiment du HLI, et y est entré brièvement.
(3)
La GRC
[8]
La GRC a informé le Service que M. Peshdary a participé à un entraînement djihadiste dans le parc de la Gatineau, armé d’un fusil à plombs, d’arcs et de flèches, au cours duquel on a entendu les participants dire « Allah Akbar »
(Dieu est grand).
B.
Témoignage de Milton
[9]
Milton est la source du Service qui a lui fourni des renseignements sur M. Peshdary. Voici un résumé des renseignements que Milton a transmis au Service :
Milton a rapporté que M. Peshdary croyait que le Service s’intéressait à lui en raison de son travail auprès des jeunes.
Milton a entendu M. Peshdary parler au sujet des reportages sur les attaques des rebelles chiites Houthis contre la communauté de Darul-Hadith au Yémen et proclamer qu’il soutiendrait financièrement un musulman qui voulait voyager à partir du Canada pour combattre les Houthis au Yémen.
Milton a signalé que M. Peshdary avait exprimé l’opinion que les activités djihadistes en Afghanistan et en Irak étaient légitimes parce que les musulmans agissaient en légitime défense contre les actions terroristes des États-Unis. Plus précisément, malgré le fait que M. Peshdary s’opposait généralement aux attentats suicides, il estimait qu’ils représentaient un moyen légitime pour les talibans de lutter contre les forces américaines envahissantes.
De même, Milton a déclaré que M. Peshdary croit que le conflit en Libye était un djihad légitime.
C.
Opinion du déclarant
[10]
Le déclarant a formulé les opinions suivantes à partir de ces éléments de preuve :
Les interactions de M. Peshdary avec Maguire ont montré des efforts visant à radicaliser Maguire.
L’intérêt de M. Peshdary pour le travail auprès des jeunes s’inscrivait dans un effort continu de radicalisation de jeunes musulmans. Le groupe « Resurrection » est, en partie, une tribune pour discuter des interprétations extrémistes du Coran.
L’intérêt de M. Peshdary pour les armes, les voyages à l’étranger et le djihad violent montrent qu’il s’engagerait probablement dans des activités djihadistes militantes s’il quittait le Canada.
M. Peshdary a agi comme guide idéologique auprès de jeunes d’Ottawa, et a répandu une vision extrémiste de l’islam, y compris le djihad violent.
Alors que le Service avait récemment connu des
« difficultés particulières »
pour obtenir des renseignements sur M. Peshdary et que ces renseignements n’étaient pas aussi convaincants que les éléments de preuve antérieure, M. Peshdary a continué de participer à des activités qui constituaient une menace envers la sécurité du Canada.
[11]
Le juge qui a délivré le mandat était convaincu, à la lumière de cette preuve, qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le mandat était nécessaire pour enquêter sur une menace envers la sécurité du Canada, et que les conditions prévues à l’article 21 de la Loi sur le SCRS avaient été remplies.
III.
M. Peshdary a-t-il présenté des motifs suffisants pour annuler le mandat du Service?
[12]
Sur la base du contenu de divers documents originaux, M. Peshdary soutient que le Service a fourni une image trompeuse au juge qui a entendu la demande de mandat. En outre, il prétend que le Service a brossé un portrait injustement négatif de lui et une description très déficiente de Milton, la principale source humaine du Service. Selon M. Peshdary, cette image déformée fournit des motifs suffisants pour annuler le mandat.
[13]
M. Peshdary s’appuie sur le critère établi par le juge David Watt (maintenant de la Cour d’appel de l’Ontario) dans la décision R c Land, [1990] OJ no 624. Le juge Watt a conclu que le déclarant n’avait pas fourni aux juges d’autorisation un portrait complet et exact des circonstances qui ont mené aux demandes de mandat. Il a conclu que pour annuler les mandats, le demandeur devait démontrer que la décision de délivrer les mandats avait probablement été influencée par des informations « entachées »
(à la p. 18). Le juge chargé du contrôle doit déterminer si le fondement pour délivrer le mandat serait suffisant si la preuve contestée était écartée. À la lumière des faits dont il était saisi, le juge Watt a conclu que le demandeur avait démontré que les autorisations avaient été obtenues sur la base de la dissimulation substantielle de faits importants, d’une déclaration trompeuse, d’une mauvaise appréciation des faits réels et, possiblement, par fraude. Vu que les autorisations n’auraient pas été accordées autrement, le juge Watt les a annulées.
[14]
M. Peshdary soutient qu’il a fourni des motifs suffisants pour annuler le mandat du Service. Il allègue notamment que :
Le déclarant a fourni une version inexacte et trompeuse de certains faits.
Le déclarant a caché des renseignements cruciaux concernant la crédibilité, la fiabilité et la motivation de Milton.
Le déclarant a dissimulé des informations favorables sur M. Peshdary.
Le déclarant a omis de revenir devant la Cour après avoir découvert de nouveaux éléments de preuve au sujet de la crédibilité de Milton.
[15]
M. Peshdary a présenté des éléments de preuve suffisants à l’appui de la présente demande. La véritable question est de savoir si les motifs qu’il a invoqués sont importants en ce sens qu’ils auraient pu avoir une incidence sur l’autorisation de délivrer le mandat et, dans l’affirmative, si le mandat n’aurait pas été accordé si le juge qui a délivré le mandat avait été informé de ces motifs.
[16]
Comme on l’a mentionné, les préoccupations de M. Peshdary concernent presque entièrement Milton. Cependant, avant de les aborder, je dois souligner que M. Peshdary soutient également que la description faite par le déclarant de deux des communications interceptées est trompeuse, et que l’une des déclarations figurant dans l’opinion du déclarant n’est pas fondée.
[17]
M. Peshdary fait remarquer que les sources qu’il a consultées au sujet de la situation au Yémen (« Al Qaeda in Yemen advertises for Western recruits »
et « Is this al Qaeda’s ‘last chance’ for a country? »
) étaient des articles publiés par CNN, et non par des groupes extrémistes. Le déclarant n’a pas expliqué ce fait au juge qui a délivré le mandat, ce qui peut avoir donné l’impression que M. Peshdary consommait de la littérature extrémiste.
[18]
M. Peshdary cite également l'affirmation du déclarant sur l’existence de « difficultés particulières »
dans l’enquête sur M. Peshdary. Il fait valoir que l’affirmation du déclarant ne s’appuyait pas sur des renseignements factuels.
[19]
En ce qui concerne Milton, M. Peshdary soutient que le déclarant n’a pas fourni un portrait précis de la réalité au juge qui a délivré le mandat. D’après les renseignements connus du déclarant au moment de la demande de mandat et les renseignements qui ont été mis au jour pendant que le mandat était en vigueur, M. Peshdary soutient qu’il y avait de solides raisons de mettre en doute la crédibilité de Milton et ses motifs déclarés.
[20]
Voici un résumé des autres motifs invoqués par M. Peshdary :
Le déclarant a omis de mentionner que les
« photographies suspectes »
que Milton a porté à l’attention du Service étaient des images modifiées du Parlement sur lesquelles le drapeau canadien avait été remplacé par une bannière extrémiste.Le déclarant a affirmé que les motivations de Milton étaient principalement la loyauté envers le Canada et l’opposition à l’extrémisme, mais un document original indique que, en plus de ces motivations, [traduction]
« la rémunération financière finira par être une source de motivation pour cette opération faisant appel à des sources humaines »
.Le déclarant a fait état de l’abandon des accusations d’agression contre Milton, mais il a omis de divulguer que Milton avait déjà donné une fausse adresse et qu’il avait fait l’objet d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public.
L’affirmation de Milton selon laquelle M. Peshdary croyait que le Service s’intéressait à M. Peshdary en raison de son travail auprès des jeunes n’est mentionnée dans aucun des documents originaux.
Le déclarant s’appuie sur le rapport de Milton selon lequel M. Peshdary a déclaré qu’il appuierait financièrement tout musulman qui voulait quitter le Canada pour combattre les Houthis au Yémen, mais n’explique pas que cela ne constituerait pas une activité terroriste, puisque, par exemple, les États-Unis combattent aussi les Houthis.
Le déclarant rapporte que M. Milton estime que le conflit en Libye est un djihad légitime, mais omet de rapporter l’autre commentaire de M. Peshdary selon lequel certains sympathisants ont pris les propos d’Anwar al-Awlaki hors de leur contexte.
Le déclarant n’a pas informé le juge qui a délivré l’autorisation que certains des rapports de Milton provenaient de sources secondaires, ce qui fait en sorte que certaines affirmations de Milton constituent du ouï-dire double, voire triple.
Le déclarant n’a pas révélé que certains renseignements fournis par Milton contredisaient des rapports provenant d’autres sources.
Le déclarant a omis de mentionner que les opinions de M. Peshdary sur les attaques au Canada avaient
« fluctué »
et, qu’à l’occasion, il avait déclaré que toute attaque, y compris des attentats suicides, serait mal. Milton confirme que le point de vue de M. Peshdary semble sincère.Le déclarant n’a pas rapporté l’opinion de M. Peshdary selon laquelle une guerre entre la Chine et les États-Unis serait mauvaise pour le Canada.
Le déclarant n’a pas mentionné la description qu’a faite M. Peshdary des employés du Service comme étant
« de braves types »
, ou son opinion selon laquelle Milton ne devrait pas avoir peur de leur parler.Le déclarant n’a pas tenu compte de l’évaluation de Milton d’octobre 2012, selon laquelle le comportement de M. Peshdary
« s’adoucissait »
.
[21]
M. Peshdary invoque également une évaluation effectuée par Milton en 2013. Il affirme que les contacts de Milton au sein du Service connaissaient peut-être déjà l’essentiel de cette évaluation. L’évaluation comprenait les renseignements suivants au sujet de Milton :
Milton avait été marié sept fois, deux fois avant sa conversion à l’islam, et cinq fois par la suite; ce sont ses épouses qui ont entrepris les démarches pour mettre fin à l’union. Son mariage actuel était également sur le point de s’effondrer.
Le Service craignait que Milton ne pose un danger pour lui-même.
Milton a publié des messages faisant état de sa dépression et de ses sentiments suicidaires sur Facebook.
L’enfance de Milton a été chaotique, instable et marquée par des sévices.
Les parents de Milton souffraient de problèmes de santé mentale. Ils ont divorcé alors que Milton était âgé de 10 ans.
Le père et la belle-mère de Milton l’ont agressé physiquement.
Milton a été placé dans un foyer d’accueil à l’âge de 14 ans, puis est retourné vivre avec son père six mois plus tard.
Milton a été expulsé de la maison par son père à la fin de l’adolescence, après que Milton a menacé son père et qu’il s'est querellé avec sa sœur.
À l’adolescence, Milton était associé à un groupe antisocial, qu’il décrit comme une
« bande »
.À l’école secondaire, Milton a consommé des drogues et de l’alcool, et a fini par décrocher. Sa petite amie est tombée enceinte à deux reprises.
Milton a quatre enfants : deux de son ancienne petite amie, un de sa deuxième épouse et un de sa troisième épouse. Il ne fournit aucun soutien financier.
Milton a un historique de travail irrégulier. Au moment de l’évaluation, il recevait des prestations sociales.
Milton affirme ne pas être en mesure d’épargner de l'argent. Il a une dette importante sous forme de prêts étudiants, de soldes de cartes de crédit et de factures de Rogers.
Milton envisageait de déclarer faillite, mais le Service craignait que cela n’attire l’attention sur sa situation financière.
Milton semble avoir peu d’amis.
Bien qu’il trouve la pornographie répulsive pour des motifs moraux et religieux, il est aux prises avec une dépendance à cet égard.
Le déclarant décrit Milton comme étant [traduction]
« déloyal »
,« oisif »
,« égoïste »
,« insensible »
et« impulsif »
.Le déclarant a également remis en question l’authenticité de la loyauté envers le Canada professée par Milton.
[22]
À la lumière de ces éléments de preuve, M. Peshdary soutient que la déclaration sous serment présenté au juge qui a délivré le mandat comportait d’importantes omissions, ainsi que des observations incomplètes ou inexactes. Il soutient de plus que le Service ne s’est pas acquitté de son obligation de retourner devant la Cour après avoir obtenu de nouveaux éléments de preuve montrant que les faits présentés au juge avaient changé. Selon M. Peshdary, ces circonstances justifient l’annulation du mandat.
[23]
Je suis d’accord avec M. Peshdary pour dire que certains des éléments de preuve sur lesquels il se fonde sont importants, car ils peuvent avoir une incidence sur l’exhaustivité et la fiabilité des renseignements fournis au juge qui a délivré le mandat. En particulier, le déclarant s’est appuyé sur la crédibilité de Milton à la fois comme source directe d’information sur M. Peshdary et comme fondement sur lequel il a formulé certaines opinions au sujet de la menace posée par les activités de M. Peshdary. Dans la mesure où la dissimulation de faits, les indications trompeuses ou les nouveaux éléments de preuve jettent un doute sur la crédibilité de Milton en tant que source d’information, la question de savoir si le mandat aurait été délivré sans les éléments de preuve fournis par Milton se pose.
[24]
J’aborderai en premier la suggestion selon laquelle le déclarant aurait dû informer le juge que les articles que M. Peshdary avait consultés au sujet de la situation au Yémen provenaient d’une source de nouvelles raisonnablement fiable et objective, CNN, et non d’une organisation extrémiste. Je conviens que cette information était pertinente et aurait dû être fournie. Cependant, je ne suis pas d’accord avec M. Peshdary pour dire que cette omission visait à laisser entendre qu’il cherchait des renseignements extrémistes sur Internet. En lisant les références aux articles en question, je constate qu’elles visaient à souligner le degré d’intérêt que portait M. Peshdary à la région, et sa volonté personnelle d’appuyer les musulmans voulant se joindre aux combats, même si ses opinions ou ses actions potentielles n’avaient rien eu à voir avec le terrorisme.
[25]
Quant à la crédibilité de Milton, je dois tenir compte des diverses omissions alléguées, des indications trompeuses et des nouveaux éléments de preuve.
[26]
M. Peshdary fait remarquer que le déclarant n’a pas précisé ce qui était suspect au sujet des photographies que Milton a affichées sur Facebook. À mon avis, ces renseignements n’auraient presque rien ajouté de valable pour le juge qui a délivré le mandat. Je ne vois pas en quoi est important le fait de ne pas mentionner explicitement le remplacement du drapeau canadien par un drapeau extrémiste. La façon dont Milton a d’abord été porté à l’attention du Service était purement une question accessoire.
[27]
Le déclarant a minimisé l’importance de la motivation financière de Milton en mettant plutôt l’accent sur sa loyauté envers le Canada et son aversion pour l’extrémisme. C’était évidemment un facteur pertinent quant à sa crédibilité. Toutefois, le déclarant n’a pas omis de mentionner une motivation financière, mais a simplement indiqué que les autres motivations étaient primordiales. Il ne s’agissait pas d’une véritable omission, mais plutôt d’une question d’importance. Comme nous l’expliquons ci-dessous, de nouveaux éléments de preuve ont montré par la suite que la motivation financière pourrait avoir pris de l’importance, mais que cela n’était peut-être pas évident pour le déclarant à l’époque.
[28]
M. Peshdary fait valoir que le déclarant a omis de divulguer que Milton avait déjà fourni une fausse adresse et avait fait l’objet d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public. Je ne considère pas qu’il s’agit d’une omission importante. Le déclarant a fait état des accusations de voies de fait contre Milton, mais pas de la fausse adresse ni de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public. En fait, il n’était pas clair si Milton avait donné une fausse adresse ou s’il s’était simplement trompé. Il a donné l’emplacement et le nom de la rue exacts, mais le numéro était légèrement décalé.
[29]
Le fait qu’il n’y ait pas de document original à l’appui de l’affirmation du déclarant selon laquelle M. Peshdary croyait que le Service s’intéressait à lui en raison de son travail auprès des jeunes n’est pas une omission importante. De toute évidence, il y avait un certain nombre d’autres raisons pour lesquelles le Service s’intéressait à M. Peshdary et qui étaient étayées par la preuve présentée au juge, particulièrement dans les communications interceptées.
[30]
Le fait que le déclarant n’ait pas mentionné l’observation de M. Peshdary selon laquelle certains sympathisants avaient pris hors contexte les paroles d’al-Awlaki n’était pas non plus une omission importante. Cette observation a eu pour résultat que certaines des critiques formulées à l’égard des opinions extrémistes d’al-Awlaki étaient injustifiées, ce qui a peut-être en fait mis en évidence le degré d’appui que M. Peshdary accordait à ces opinions.
[31]
Je suis d’accord avec M. Peshdary pour dire que le déclarant aurait dû expliquer au juge qui a délivré le mandat que certains des renseignements divulgués par Milton provenaient de sources secondaires, même si la majorité de ses rapports étaient fondés sur des informations auxquelles il avait un accès direct. Cette information aurait aidé le juge à évaluer les éléments de preuve fournis par Milton. Il s’agit d’une omission importante.
[32]
En ce qui concerne la question de savoir si le déclarant aurait dû mentionner les divergences dans les renseignements fournis par Milton, je remarque que les divergences en cause étaient uniquement liées aux circonstances entourant les premières rencontres entre Milton et M. Peshdary, et au moment où Milton a peut-être appris l’arrestation de M. Peshdary pour la première fois en 2010. En général, les divergences dans les renseignements provenant d’une source humaine seront importantes parce que le juge qui délivre le mandat tiendra compte de la crédibilité de la source en ce qui concerne la nature de la menace et la personne visée par le mandat. En l’espèce, cependant, les divergences portaient sur des questions accessoires qui n’avaient rien à voir avec la menace réelle, les croyances et les actions de M. Peshdary. Je ne considère pas que l’omission par le déclarant de les mentionner soit importante.
[33]
Je ne vois aucune omission importante dans le fait que le déclarant n’a pas mentionné le point de vue de M. Peshdary concernant les répercussions sur le Canada d’une guerre entre les États-Unis et la Chine.
[34]
Bien que l’évaluation selon laquelle les opinions de M. Peshdary « fluctuaient »
semble importante, cette évaluation n’a été faite qu’en 2014 après l’expiration du mandat en question, et dans le contexte d’une déclaration attribuée à M. Peshdary au sujet de la légitimité des attaques au Canada. En formulant l’opinion selon laquelle l’opposition déclarée de M. Peshdary aux attaques au Canada était authentique, Milton a exprimé en même temps qu’il croyait que les opinions de M. Peshdary sur les attentats suicides n’étaient pas claires et que M. Peshdary n’avait peut-être pas exprimé ses croyances réelles lorsqu’il a dit s’y opposer. Ces déclarations ne peuvent être qualifiées de favorables à l’égard de M. Peshdary. De plus, elles n’étaient accessibles que bien après l’expiration du mandat. Elles ne sont pas importantes.
[35]
Par ailleurs, les opinions de M. Peshdary selon lesquelles les employés du Service sont « de braves types »
et l’encouragement qu’il a donné à M. Milton de leur parler étaient importants et auraient dû être communiqués au juge qui a délivré le mandat. Elles se rapportaient aux inclinations de M. Peshdary, le cas échéant, à mener des activités liées à des menaces envers le Canada.
[36]
Dans la même veine, le point de vue de Milton selon lequel le comportement de M. Peshdary « s’adoucissait »
pourrait, à première vue, sembler important. Cependant, je note que Milton a fait cette déclaration dans le contexte de la remise en question de son objectivité à l’égard de M. Peshdary, qu’il considérait comme un ami proche. Dans l’ensemble, je ne vois pas en quoi cette omission est importante.
[37]
En ce qui concerne l’évaluation de Milton effectuée en 2013, je note que les entrevues sur lesquelles l’évaluation s’est fondée ont été menées à la fin d’octobre 2012, soit après que le mandat a été délivré. Les contacts de Milton au sein du Service n’ont reçu les commentaires du déclarant que le 7 novembre 2012. Par conséquent, l’évaluation ne contenait pas de renseignements qui auraient pu être présentés au juge qui a délivré le mandat. Toutefois, cela peut soulever trois autres questions. Premièrement, les éléments de preuve sont-ils importants? Deuxièmement, le Service a-t-il manqué à son obligation de porter ces éléments de preuve à l’attention de la Cour après la délivrance du mandat? Troisièmement, est-il probable que le juge n’aurait pas délivré le mandat si les éléments de preuve entachés (c.-à-d. le rapport de Milton) n’avaient pas été pris en considération?
[38]
Ces questions se posent seulement si je conclus que M. Peshdary n’a pas présenté de motifs suffisants pour annuler le mandat en se fondant sur la déclaration sous serment elle-même et sur les autres éléments de preuve importants qui auraient pu être présentés au juge qui a délivré le mandat.
[39]
Je n’ai relevé que trois omissions importantes dans la déclaration sous serment fournie au juge qui a délivré le mandat :
La source des articles que M. Peshdary a consultés sur le Yémen et al Qaïda.
Le fait que Milton s’appuie sur des sources secondaires.
Le point de vue de M. Peshdary au sujet du Service et l’encouragement qu’il a donné à Milton de parler aux employés du Service.
[40]
Toutefois, dans le contexte de l’ensemble de la preuve présentée au juge qui a délivré le mandat, ces omissions sont relativement mineures. La grande partie de la preuve fournie par le déclarant au juge qui a autorisé le mandat, y compris l’opinion du déclarant au sujet de la menace à la sécurité nationale, demeure incontestée. Même si le juge qui a délivré le mandat avait été informé des éléments de preuve importants qui ne figuraient pas dans la déclaration sous serment, il est très peu probable que cela aurait eu une incidence sur sa décision de délivrer le mandat. Il s’ensuit que M. Peshdary n’a pas réussi, sur la foi de cette preuve, à démontrer que le mandat devrait être annulé.
[41]
En ce qui concerne l’évaluation de Milton effectuée en 2013, étant donné qu’elle touche directement à sa crédibilité globale en tant que source d’information au sujet de M. Peshdary, elle est manifestement importante. Si elle avait été accessible avant la demande de mandat d’octobre 2012, son contenu, ou du moins un résumé de celui-ci, aurait dû être porté à l’attention du juge qui a délivré le mandat. Le fait qu’elle n’était pas accessible avant n’en diminue pas l’importance.
[42]
Le Service est conscient de son obligation de revenir devant la Cour s’il prend connaissance de renseignements importants après la délivrance d’un mandat, et même si le mandat est rempli (X (Re), 2013 CF 1275, aux paragraphes 83 et 89). Cela fait partie de l’obligation de franchise du Service, et s’étend à tous les renseignements pertinents concernant la crédibilité de la source, « y compris ses motifs, son évaluation, sa rémunération et ses antécédents »
(Harkat (Re), 2009 CF 1050, au paragraphe 20).
[43]
Le Service aurait dû retourner devant la Cour avec l’évaluation de 2013 au sujet de Milton. Les renseignements originaux qu’il avait fournis précédemment au juge qui a délivré le mandat ne contenaient que les énoncés suivants :
Milton est un citoyen canadien et un résidant d’Ottawa.
Milton a attiré l’attention du Service après avoir affiché des photographies suspectes de lieux d’intérêt à Ottawa.
Milton a fourni des renseignements utiles au Service au sujet de M. Peshdary et de ses activités, et est devenu une source d’information directe en 2011.
Milton était sans emploi, mais il a rencontré M. Peshdary lorsqu’ils ont travaillé ensemble dans un lieu de travail précédent.
Les rapports de Milton étaient pour la plupart non confirmés, mais certains renseignements étaient corroborés par des interceptions de communications.
Milton a touché une rémunération financière du Service, mais ses motivations étaient principalement la loyauté envers le Canada et l’opposition à l’extrémisme islamiste.
Milton a été accusé de voies de fait en 2001 et en 2010, mais les accusations ont été retirées.
Milton n’a jamais fait l’objet d’une enquête de la part du Service.
[44]
Ces renseignements n’auraient pas déclenché de signaux d’alarme concernant la fiabilité des rapports de Milton. Toutefois, si le juge avait reçu le contenu de l’évaluation de 2013, il est probable qu’il aurait eu une perception tout à fait différente de Milton. L’évaluation a révélé que la vie personnelle de Milton était instable, qu’il souffrait de problèmes de santé mentale, qu’il recherchait probablement désespérément une compensation financière du Service, qu’il accordait probablement une grande valeur à l’attention que le Service lui accordait en le traitant comme une source respectée et que sa loyauté envers le Canada n’était peut-être pas sincère. Ces facteurs auraient sûrement amené le juge qui a délivré le mandat à mettre en doute au moins la véracité des renseignements fournis par Milton et divulgués par le déclarant.
[45]
Toutefois, même si les renseignements fournis par Milton étaient complètement écartés, le déclarant a fourni au juge qui a délivré le mandat de nombreux autres éléments de preuve à l’appui de ses motifs raisonnables : les communications interceptées, les renseignements fournis par la GRC et la surveillance visuelle. Encore une fois, à mon avis, il semble très improbable que le juge qui a délivré le mandat ait conclu qu’il n’y avait plus de motifs raisonnables justifiant la délivrance du mandat si les éléments de preuve entachés avaient été écartés.
[46]
Par conséquent, rien ne justifie l’annulation du mandat.
IV.
Conclusion
[47]
Il y a eu d’importantes omissions dans les renseignements fournis au juge qui a délivré le mandat au Service pour mener une enquête sur M. Peshdary. De plus, les éléments de preuve obtenus après la délivrance du mandat étaient également importants et auraient dû être présentés au juge qui a délivré le mandat, en vertu de l’obligation de franchise du Service. Toutefois, même si le juge qui a délivré le mandat avait été au courant des éléments omis et des nouveaux éléments de preuve, il est très peu probable qu’il n’aurait pas accordé la délivrance du mandat. Des éléments de preuve importants et non contestés ont été présentés au juge pour justifier la délivrance d’un mandat au Service dans les circonstances. M. Peshdary ne m’a pas convaincu que le mandat doit être annulé.
ORDONNANCE dans le DOSSIER DES-2-18
LA COUR rejette la demande de M. Peshdary d’annuler le mandat délivré au Service.
« James W. O'Reilly »
Juge
Annexe
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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DES-2-18
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INTITULÉ :
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AWSO PESHDARY c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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OTTAWA (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 13 AOÛT 2018
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE O’REILLY
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ORDONNANCE ET MOTIFS RENDUS :
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LE 12 SEPTEMBRE 2018
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COMPARUTIONS :
Fady Mansour
Solomon Friedman
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POUR LE DEMANDEUR
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Andre Seguin
Marc Edmunds
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Edelson & Friedman
Avocats
Ottawa (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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