Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20181011


Dossier : IMM-890-18

Référence : 2018 CF 1018

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2018

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

SHAUN MICHAEL REECE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Reece, un citoyen de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, a présenté une demande de résidence permanente à partir du Canada.  Selon la règle, de telles demandes doivent être présentées à partir de l’extérieur du Canada.  En vertu de l’exception prévue à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le ministre peut étudier le cas et octroyer le statut de résident permanent s’il estimeque des considérations d’ordre humanitaire le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieurd’un enfant directement touché.

[2]  L’agente chargée de l’examen de la demande a rejeté cette dernière.  Essentiellement, elle était d’avis que les éléments de preuve présentés étaient insuffisants pour la convaincre que des motifs d’ordre humanitaire étaient justifiés.  C’est cette décision qui fait en l’espèce l’objet d’un contrôle judiciaire.

I.  Contexte

[3]  M. Reece est arrivé au Canada en 2009 en vertu d’un visa de visiteur de six mois.  Il a par la suite présenté une demande d’asile, qui a été rejetée.  Il a également été reconnu coupable d’un chef d’accusation de voies de fait au Canada, pour lequel il a été réhabilité par la suite.

[4]  Il a présenté deux demandes de résidence permanente à partir du Canada, en vertu du parrainage de son épouse de l’époque, dans la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.  La première demande a été refusée.  Son épouse a retiré la deuxième demande après qu’elle et M. Reece se sont séparés légalement en mars 2016.  Ils sont maintenant divorcés.  M. Reece semble entretenir une bonne relation avec les enfants de son ex-épouse issus d’une relation antérieure.

[5]  Plus récemment, M. Reece vit en union de fait avec une citoyenne canadienne, avec qui il a eu un enfant, né en décembre 2016.

[6]  Depuis qu’il est au Canada, M. Reece gagne sa vie comme travailleur autonome dans le secteur de la construction.

II.  Décision faisant l’objet du contrôle

[7]  L’agente n’a pas accordé beaucoup de poids à la période que M. Reece a passée au Canada, soulignant comment il est arrivé ici.  Elle était d’avis que M. Reece serait en mesure de se rétablir à Saint-Vincent, où vivent certains membres de sa famille, et qu’il pourrait continuer à y travailler dans le secteur de la construction.

[8]  Elle était également d’avis que l’intérêt supérieur des enfants directement touchés n’était pas compromis.  Pour appuyer ses arguments au sujet des beaux-enfants, M. Reece a présenté une lettre d’appui rédigée par un beau-fils ainsi qu’une preuve selon laquelle il a agi comme personne-ressource auprès de la police après l’arrestation d’un autre beau-fils. Ces deux documents ont été délivrés avant la naissance de la fille de M. Reece. De l’avis de l’agente, les trois beaux-enfants auraient le soutien de leur mère, et les éléments de preuve fournis quant à l’importance du rôle de M. Reece dans leur vie maintenant que lui et leur mère sont divorcés étaient insuffisants.  Elle était d’avis qu’il y avait peu de preuves du soutien financier, affectif ou matériel de M. Reece.

[9]  En ce qui concerne son enfant biologique, qui a moins de deux ans, l’agente a fait remarquer qu’un enfant né au Canada dont un parent fait l’objet d’une mesure de renvoi n’est pas dans une situation unique.  M. Reece a présenté des lettres de sa conjointe de fait appuyant ses arguments au sujet de l’intérêt supérieur de sa fille. Cela n’a pas suffi à convaincre l’agente que la jeune enfant souffrirait psychologiquement ou émotionnellement si M. Reece suivait la procédure normale de demande depuis l’étranger.

[10]  Bien que la séparation soit toujours difficile et qu’elle cause des difficultés, l’agente était d’avis que sa relation avec sa conjointe de fait ne justifiait pas une exception.

[11]  Elle a également pris note du fait que M. Reece fait l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire depuis 2010.

III.  Arguments de M. Reece

[12]  M. Reece soutient avec conviction que la décision va à l’encontre de Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 RCS 909, 2015 CSC 61, et qu’elle est donc déraisonnable.  La Cour a conclu que les Lignes directrices ministérielles publiées en vertu de l’article 25 de la LIPR étaient trop restrictives et limitaient le pouvoir discrétionnaire du décideur.  Selon le libellé des Lignes directrices alors en vigueur, le décideur devait établir si un renvoi dans le pays d’origine causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées.  La Cour a souligné que ces termes ne se trouvaient pas dans la LIPR elle-même.  Les Lignes directrices sont certes utiles, mais elles ne sont pas juridiquement contraignantes.  Il faut plutôt considérer l’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » comme étant de nature descriptive.  La demande ne devrait pas être examinée sous l’angle de ces adjectifs d’une manière qui restreindrait la faculté de l’agent de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes.

[13]  L’avocat de M. Reece soutient que l’agente a évalué tous les facteurs sous l’angle des difficultés et qu’elle a mêlé l’établissement au Canada et les conséquences du renvoi.  Il aurait dû y avoir une analyse distincte.

IV.  Décision

[14]  Comme le juge Iacobucci l’a déclaré dans Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 RCS 748, l’affaire qui a introduit la norme de contrôle de la décision raisonnable :

80  En guise de conclusion de mon analyse de cette question, je tiens à faire observer que le décideur chargé du contrôle de la décision, et même un décideur appliquant la norme de la décision raisonnable simpliciter, sera souvent tenté de trouver un moyen d’intervenir dans les cas où il aurait lui-même tiré la conclusion contraire. Les cours d’appel doivent résister à cette tentation.  Mon affirmation selon laquelle je ne serais peut‑être pas arrivé à la même conclusion que le Tribunal ne devrait pas être considérée comme une invitation aux cours d’appel à intervenir dans les cas comme celui qui nous intéresse, mais plutôt comme une mise en garde contre pareille intervention et comme un appel à la retenue.  La retenue judiciaire s’impose si l’on veut façonner un système de contrôle judiciaire cohérent, rationnel et, à mon sens, judicieux.

[15]  J’ai parlé de Southam parce que j’aurais probablement tiré une conclusion différente.  La décision de l’agente était fondée sur un dossier papier.  On pourrait penser qu’une cour de révision est tout aussi bien placée pour évaluer les faits qu’un juge des faits qui n’a pas entendu de témoins.  D’ailleurs, c’est à peu près la position que la Cour d’appel fédérale a adoptée dans NV Bocimar S.A. c. Century Insurance Co, (1984) 54 NR 383.  La Cour suprême a cependant infirmé cette décision [1987] 1 RCS. 1247.  S’appuyant sur Stein c. The Kathy K, [1976] 2 RCS 802, elle a conclu que les conclusions d’un juge de première instance, même fondées sur un dossier papier, ne doivent pas être infirmées, à moins qu’elles ne soient manifestement erronées, en raison d’une erreur manifeste et dominante.

[16]  L’agente a souligné que la deuxième demande de résidence permanente de M. Reece dans la catégorie des époux avait été acceptée provisoirement, mais qu’elle avait ensuite été retirée par l’épouse.  Il y avait beaucoup de documents concernant l’action en divorce en Ontario.  Une mesure de l’établissement au Canada serait une relation matrimoniale.  J’aurais analysé la situation plus en détail, mais je réévaluerais alors la preuve, ce qui n’est pas le rôle d’un tribunal lors d’un contrôle judiciaire.

[17]  Il ne faut pas oublier que le présent contrôle judiciaire repose sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.  J’estime qu’il n’y a pas eu d’erreur de droit et qu’il n’y a pas eu une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont disposait le décideur, comme le prévoit le par. 18.1(4).  Dans un sens, M. Reece demande une révision des motifs.  Aurait-il trouvé les motifs raisonnables s’ils avaient été réassemblés?

[18]  L’avocat s’est concentré sur des passages restreints au lieu de tenir compte de la décision dans son ensemble.  Comme le juge Joyal l’a dit dans Miranda c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 63 FTR 81, au paragraphe 5 :

[TRADUCTION] Il est vrai que les plaideurs habiles peuvent trouver un certain nombre d’erreurs dans les décisions des tribunaux administratifs [...]

Miranda est l’une des nombreuses affaires qui nous mettent en garde contre un examen trop zélé et microscopique. À mon avis, l’agente ne s’est pas limitée aux difficultés, mais a plutôt suivi largement Kanthasamy.

[19]  Un autre argument invoqué est que la décision était déraisonnable parce qu’il a fallu environ sept ans pour que la demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) de M. Reece soit rejetée.  La décision ne fait aucunement mention de l’ERAR, et ce dernier ne fait pas partie du dossier certifié du tribunal.  Cependant, l’agente qui a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a également rejeté l’ERAR, le même jour, et il faut donc considérer qu’elle était au courant du délai.  Bien qu’un délai puisse être une circonstance liée au degré d’établissement d’une personne au Canada, pendant le séjour de M. Reece au Canada, de nombreuses autres demandes étaient en attente.  Il se peut que ces délais aient mené au retrait de la demande présentée par l’épouse ainsi qu’à l’union de fait et à la naissance d’un enfant qui ont suivi.  Ces faits ont toutefois été traités, et non de façon abusive ou arbitraire.

[20]  En résumé, j’estime qu’aucune erreur ne justifierait un réexamen.


JUGEMENT dans IMM-890-18

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : la demande de contrôle judiciaire est rejetée.  Aucune question grave ne mérite d’être certifiée.

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-890-18

 

INTITULÉ :

SHAUN MICHAEL REECE C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 OCTOBRE 2018

 

COMPARUTIONS :

Richard Wazana

POUR LE DEMANDEUR

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Wazana

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.