Date : 20181016
Dossier : IMM-4669-17
Référence : 2018 CF 1037
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2018
En présence de monsieur le juge Favel
ENTRE :
|
ADEL SAATCHI
|
demandeur
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, M. Adel Saatchi, est un citoyen de l’Iran. Il demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 23 octobre 2017 par un agent des visas [l’agent], qui a refusé sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne.
[2]
L’agent a refusé la demande de M. Saatchi au motif que son expérience n’était pas celle d’un spécialiste des ventes techniques – commerce de gros, comme l’exigent les alinéas 87.1(2)a), b) et c) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement). La catégorie Spécialistes des ventes techniques – commerce de gros fait référence à un ensemble de compétences particulières défini dans la Classification nationale des professions (« CNP »
).
[3]
Le demandeur a contesté la décision au motif qu’elle était déraisonnable et injuste sur le plan de la procédure. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Contexte
[4]
M. Adel Saatchi est un citoyen de l’Iran. Il réside actuellement à Toronto et est titulaire d’un permis d’études canadien valide jusqu’au 31 juillet 2019.
A.
Demande dans la catégorie de l’expérience canadienne
[5]
Le 23 novembre 2016, M. Saatchi a présenté une demande dans la catégorie de l’expérience canadienne au titre de la catégorie 6221 – Spécialistes des ventes techniques – commerce de gros de la Classification nationale des professions (CNP 6221). La catégorie Spécialistes des ventes techniques – commerce de gros est une profession de niveau de compétence B, et le niveau de compétence B est le niveau minimal requis pour être accepté dans la catégorie de l’expérience canadienne.
[6]
L’énoncé principal concernant les spécialistes des ventes techniques (CNP 6221) est le suivant :
6221 Spécialistes des ventes techniques – commerce de gros
Les spécialistes des ventes techniques – commerce de gros vendent des biens et des services techniques tels que du matériel scientifique, agricole et industriel, et des services de télécommunications, d’électricité et d’informatique à des entreprises gouvernementales, industrielles ou commerciales, sur le marché national et international. Ils travaillent pour des établissements qui produisent ou fournissent des biens ou services techniques, notamment des sociétés pharmaceutiques, des entreprises de fabrication d’équipement industriel, des élévateurs à grains, des compagnies de services informatiques, des sociétés d’ingénierie et des compagnies d’hydroélectricité. Ils peuvent aussi être des travailleurs autonomes et offrir leurs services en sous-traitance à d’autres entreprises. Les spécialistes des ventes techniques – commerce de gros qui occupent des postes de supervision sont compris dans ce groupe de base.
[7]
La description de la CNP 6221 exclut explicitement de son champ d’application la CNP 6421 – Vendeurs/vendeuses – commerce de détail. L’énoncé principal pour la CNP 6421 – Vendeurs/vendeuses – commerce de détail est le suivant :
Les vendeurs – commerce de détail vendent ou louent une gamme de produits et de services techniques et non techniques directement aux consommateurs. Ils travaillent dans des magasins et d’autres établissements de vente au détail ainsi que dans des commerces de gros ouverts au public pour la vente au détail.
B.
Éléments de preuve présentés à l’appui de la demande
[8]
Pour appuyer sa demande au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, M. Saatchi a présenté une lettre du directeur des ventes de Scarborotown Chrysler Dodge Jeep Ram Ltd [Scarborotown]. La lettre atteste le fait que, de mai 2014 à octobre 2015, M. Saatchi a travaillé à Scarborotown en tant que représentant commercial technique – spécialiste du commerce de gros pour les camions de gros tonnage et les fourgonnettes. Plusieurs tâches et responsabilités étaient également énumérées dans la lettre datée du 22 juin 2017, les parties pertinentes étant ce qui suit : [TRADUCTION] « Conclure des ventes et accroître les ventes grâce à une communication professionnelle avec les clients actuels et potentiels; gérer et interpréter les exigences des clients; parler avec les clients pour comprendre et prévoir leurs besoins, ainsi qu’y répondre; communiquer les occasions de vente ou de service et répondre aux préoccupations ou aux suggestions des clients, déceler et résoudre les préoccupations des clients […] »
[9]
M. Saatchi a aussi présenté une lettre datée du 17 avril 2017 de son employeur chez North York Chrysler Jeep Dodge Ram Fiat [North York], où il a travaillé de mai 2016 à septembre 2016. Dans cette lettre, le directeur général déclare que M. Saatchi occupait le poste de représentant commercial technique – spécialiste du commerce de gros pour les camions de gros tonnage et les fourgonnettes, et il décrit en détail ses heures de travail, sa rémunération et ses tâches. Les parties pertinentes de la lettre précisent que les fonctions de M. Saatchi comprenaient ce qui suit : [TRADUCTION] « Rechercher, cerner et solliciter de nouveaux clients; effectuer des examens de la gestion des comptes avec les clients existants en vue de conclure d
’autres ventes; déterminer les besoins des clients, comprendre les budgets et les moyens des clients pour recommander les biens et services appropriés […]; préparer et exécuter des contrats de vente […] »
.
C.
Études
[10]
M. Saatchi a également fourni des renseignements sur ses études. M. Saatchi est titulaire d’un diplôme d’études secondaires de l’Ontario, d’un diplôme d’études approfondies en administration et gestion des affaires du Collège Seneca et d’un certificat en droit et éthique de l’automobile du Conseil ontarien de commerce des véhicules automobiles. Il poursuit actuellement des études pour obtenir un baccalauréat en gestion des affaires au Collège Seneca.
III.
Décision faisant l’objet du contrôle
[11]
Dans une lettre de décision datée du 23 octobre 2017, un agent d’immigration a informé M. Saatchi que sa demande au titre de la catégorie de l’expérience canadienne avait été refusée parce que son expérience correspondait plus à celle d’un vendeur – commerce de détail (CNP 6421) qu’à celle d’un spécialiste des ventes techniques (CNP 6221). Après avoir examiné la lettre d’emploi de M. Saatchi, l’agent a conclu que ce dernier n’avait pas établi qu’il répondait aux critères du spécialiste des ventes techniques – commerce de gros. La lettre indiquait ce qui suit :
[traduction]Je ne suis pas convaincu que vous répondez à l’exigence relative à l’expérience comme travailleur qualifié, car, selon la lettre d’emploi que vous avez soumise de Scarborotown Chrysler Dodge Ram Ltd. (datée du 22 juin 2017), vous ne respectez pas les alinéas 87.1(2)a), b) et c) du Règlement. Je ne suis pas convaincu que, pendant votre période d’emploi à Scarborotown Chrysler Dodge Jeep Ram Ltd., vous avez effectué les tâches décrites dans l’énoncé principal de la profession de spécialiste des ventes techniques – commerce de gros (CNP 6221). De plus, d’après les éléments de preuve que vous avez fournis, je ne suis pas convaincu que vous avez exercé un nombre important des tâches principales du spécialiste des ventes techniques – commerce de gros énoncées dans la CNP 6221. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que vous avez accumulé au moins une année d’expérience de travail à temps plein au Canada, au niveau de compétence B de la CNP 6221, tel que vous l’avez déclaré dans votre profil d’Entrée express.
J’ai examiné tous les renseignements disponibles et, après examen, je ne suis pas convaincu que vous relevez de la catégorie de l’expérience canadienne conformément au paragraphe 87.1(2) du Règlement pour les raisons susmentionnées.
[12]
De plus, l’agent a noté ce qui suit dans le Système mondial de gestion des cas :
[traduction][...] Après examen de la lettre d’emploi du demandeur principal rédigée par Scarborotown Chrysler Dodge Jeep Ram Ltd. et datée du 22 juin 2017, j’estime que les tâches du demandeur principal sont davantage conformes à la CNP 6421 – Vendeurs/vendeuses – commerce de détail. Plus précisément, selon mon évaluation, le demandeur principal correspond à l’exemple de titre « vendeur/vendeuse d’automobiles », qui se situe au niveau de compétence C de la CNP. De plus, dans la section des renseignements généraux – études et antécédents personnels, sous l’identificateur unique de client (IUC) du demandeur, ce dernier a déclaré ouvertement « VENDEUR D’AUTOMOBILES » de mai 2014 à octobre 2015 pour SCARBOROTOWN CHRYSLER. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas convaincu que le demandeur principal satisfait aux exigences relatives à l’expérience comme travailleur qualifié énoncées dans la CNP 6221.
IV.
Questions en litige
[13]
Le demandeur soumet les questions suivantes afin qu’elles soient tranchées :
Quelle est la norme de contrôle?
La décision est-elle raisonnable?
La décision a-t-elle été prise d’une manière qui était injuste sur le plan de la procédure?
V.
Arguments et analyse
A.
Quelle est la norme de contrôle?
[14]
Les parties conviennent que la décision de l’agent de déterminer si un demandeur satisfait aux exigences relatives au travailleur qualifié en vertu du Règlement dans la catégorie de l’expérience canadienne est une question de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 50, 60; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 968, au paragraphe 5; Parssian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 304, au paragraphe 17).
[15]
Dans une décision exhaustive rendue après le dépôt des observations initiales dans la présente demande, la Cour d’appel fédérale a clarifié la norme de contrôle régissant l’équité procédurale (Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 37 (« Chemin de fer canadien »
). Lorsqu’il examine la question de l’équité procédurale, le tribunal doit se demander si la procédure était équitable compte tenu de toutes les circonstances, un exercice qui se reflète le mieux dans la norme de la décision correcte (Chemin de fer canadien, au paragraphe 54). Comme l’a déclaré le juge Rennie :
[traduction]
[34] L’équité procédurale est une question que la cour de révision doit déterminer et, ce faisant, « la norme applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale sera toujours celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79 (Khela)).
[…]
[54] Un tribunal qui évalue un argument concernant l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable compte tenu de toutes les circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Une cour de révision fait ce que les cours de révision font depuis l’arrêt Nicholson; elle demande, en mettant l’accent sur la nature des droits fondamentaux en cause et sur les conséquences pour une personne, si un processus juste et équitable a été suivi. Je suis d’accord sur l’observation du juge Caldwell dans l’arrêt Eagle’s Nest (au paragraphe 21) selon laquelle, même si l’utilisation de la terminologie est maladroite, cet exercice de révision se reflète le mieux dans la norme de la décision correcte, même si, à strictement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée.
B.
La décision est-elle raisonnable?
(1)
Argument du demandeur
[16]
Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en interprétant l’expression « partie appréciable »
[en anglais « substantial number »] à l’alinéa 87.1(2)c) du Règlement. Le demandeur soutient que la jurisprudence de la Cour fédérale établit que l’expression « nombre substantiel »
[en anglais « substantial number »] doit être interprétée comme « une partie ou l’ensemble »
ou simplement « plus d’une »
(A’Bed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1027, au paragraphe 15).
[17]
Le demandeur soutient que M. Saatchi a clairement atteint le seuil « plus d’une »
. Plusieurs des tâches décrites dans la lettre d’emploi de M. Saatchi, rédigée par Scarborotown, figuraient dans la CNP 6221. Le demandeur soutient qu’un examen de la lettre d’emploi indiquerait clairement que l’expérience de M. Saatchi correspond davantage à la CNP 6221 qu’à la CNP 6421.
(2)
Argument du défendeur
[18]
Le défendeur soutient que la décision de l’agent était raisonnable compte tenu des faits suivants :
a) M. Saatchi a déclaré que son travail chez Scarborotown Chrysler était la
« vente d
’automobiles ».
b)
« Vendeur/vendeuse d’automobiles »
est un titre de poste sous Vendeurs/vendeuses – commerce de détail (CNP 6421) et non sous Spécialistes des ventes techniques – commerce de gros (CNP 6221).c) Scarborotown Chrysler et North York Chrysler semblent être des concessionnaires de détail ordinaires, et le demandeur n’a fourni aucune preuve du contraire.
d) Les descriptions de travail fournies par les employeurs du demandeur étaient très générales et ne contenaient aucun détail confirmant que son travail concernait un service de gros spécialisé lié aux camions de gros tonnage ou aux fourgonnettes (autre que le titre de son poste).
e) La description de la CNP pour les spécialistes des ventes techniques – commerce de gros indique qu’un diplôme universitaire ou collégial dans un programme lié au produit ou au service est habituellement exigé; il n’y a aucun élément de preuve indiquant que le demandeur a reçu une telle formation.
[19]
Le défendeur soutient que l’agent a fourni une évaluation globale des éléments de preuve avant de conclure que l’expérience de M. Saatchi était plus conforme à celle d’un vendeur d’automobiles qu’à celle d’un spécialiste des ventes techniques de camions de gros tonnage et de fourgonnettes. Le défendeur soutient que, à la lumière des éléments de preuve au dossier, il s’agissait d’une décision raisonnable.
[20]
Le défendeur souligne que, en l’espèce, il incombait à M. Saatchi de convaincre l’agent qu’il satisfaisait aux exigences relatives à la résidence permanente dans la catégorie de l’expérience canadienne (Dhillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 614, aux paragraphes 9 et 41). L’agent des visas n’était pas obligé de fournir au demandeur des possibilités supplémentaires de présenter des observations avant de refuser sa demande (Oladipo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 366, au paragraphe 24; Pacheco Silva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 733, au paragraphe 20; Liao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16440, aux paragraphes 24 et 25).
(3)
Réponse du demandeur
[21]
Le demandeur conteste l’affirmation du défendeur selon laquelle Scarborotown semblait être un concessionnaire de détail ordinaire ainsi que le fait qu’il n’ait fourni aucune preuve du contraire. Le demandeur affirme qu’il a présenté un élément de preuve à cet égard – une lettre de son employeur. De plus, les motifs de l’agent ne remettaient pas en question la vente de camions de gros tonnage et de fourgonnettes par Scarborotown.
[22]
Le demandeur fait également remarquer que le commentaire du défendeur selon lequel M. Saatchi n’a fourni aucune preuve d’une formation universitaire ou collégiale connexe est déplacé. La CNP 6221 indique qu’une telle formation « est habituellement exigé[e] »
, mais qu’elle n’est pas obligatoire. De plus, cette question n’a été soulevée que par le défendeur, et non par l’agent des visas. Le demandeur souligne que M. Saatchi a effectivement suivi un cours de certification automobile au Collège Georgian, qui est offert en collaboration avec l’École de commerce automobile du Canada (ECAC).
(4)
Analyse
[23]
Cette affaire porte sur la question de savoir s’il est raisonnable pour un agent d’immigration, lors de l’examen d’une demande au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, d’aller au-delà des intitulés de poste officiels et de procéder à sa propre évaluation pour déterminer si un demandeur satisfait aux exigences d’une profession précise de la CNP en se fondant sur une évaluation globale des renseignements fournis par le demandeur.
[24]
La jurisprudence de la Cour fédérale établit que la réponse à cette question est « oui »
.
[25]
Dans la décision Katebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 813, aux paragraphes 53 à 55, le juge LeBlanc a déclaré ce qui suit :
[53] La Cour a conclu, de manière non équivoque, que le titre d’emploi et les diplômes pertinents ne suffisent pas à établir qu’une personne est un travailleur qualifié au sens du Règlement (Tabanag c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1293, au paragraphe 22; Mollajafari c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 906; aux paragraphes 15 à 19; Moradi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1186, au paragraphe 35).
[54] Dans la décision Tabanag, le juge Richard Mosley a formulé ce principe de la façon suivante :
En l’occurrence, l’agent ne disposait d’aucune preuve établissant que le demandeur avait rempli l’une des fonctions requises pour satisfaire à la classification professionnelle Il ne suffit pas aux demandeurs d’établir qu’ils sont titulaires d’un certificat d’études, et qu’ils ont un titre d’emploi auquel la correspondance qui leur est destinée fait mention. Ils doivent fournir la preuve qu’ils ont réellement exercé « une partie appréciable des fonctions principales de la profession ». En l’espèce, le demandeur ne l’a pas fait, ni par le biais de l’attestation de l’employeur ni par celui d’autres documents. Les renseignements fournis n’étaient pas suffisants pour constituer une preuve prima facie, comme il le soutient (Tabanag, au paragraphe 22). [Non souligné dans l’original.]
[55] Le Règlement prévoit clairement qu’un étranger est considéré comme un travailleur qualifié seulement s’il peut établir qu’il a une année d’expérience de travail à temps plein pendant laquelle il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal de la CNP et exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession.
[26]
En bref, les agents doivent examiner si le « le caractère véritable »
de l’expérience du demandeur est conforme à la catégorie pertinente de la CNP. Dans la décision Rodrigues c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 111, au paragraphe 10 [Rodrigues] le juge Phelan a déclaré ce qui suit :
Le rôle de l’agente des visas consiste en fait à déterminer le caractère véritable du travail exercé par le demandeur. L’exécution indirecte d’une ou plusieurs fonctions d’une ou plusieurs catégories d’emploi ne fait pas passer l’emploi ou les fonctions d’une catégorie de la CNP à une autre.
[27]
Je note que, dans ce contexte, le demandeur fait remarquer à juste titre que la jurisprudence de la Cour fédérale établit qu’un « nombre substantiel »
doit être interprété comme « plus d
’une »
(Tabañag c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1293, au paragraphe 18).
[28]
L’agent qui étudie une demande relative à la CNP 6421 doit examiner les renseignements fournis par le demandeur pour déterminer si son expérience et ses qualifications satisfont à la CNP. En examinant les énoncés principaux pour les vendeurs – commerce de détail (CNP 6421) et les spécialistes des ventes techniques (CNP 6221), il y a plusieurs différences importantes, dont l’une est que le premier vend directement aux consommateurs, tandis que le second vend « à des entreprises gouvernementales, industrielles ou commerciales, sur le marché national et international »
. On pourrait aussi expliquer cela par une différence d’échelle. Le spécialiste des ventes techniques vend des biens et services techniques à des clients d’établissements, tandis qu’un vendeur – commerce de détail peut généralement vendre un bien ou un service précis à un client en particulier.
[29]
Comme l’indique clairement la CNP de 2016, les vendeurs – commerce de détail sont explicitement exclus de la compétence du spécialiste des ventes techniques. Un agent évaluant une demande au titre de la CNP 6421 aurait donc l’obligation de s’assurer que l’expérience d’un demandeur est vraiment celle d’un spécialiste des ventes techniques et non celle d’un vendeur – commerce de détail, et ainsi d’exclure cette dernière.
[30]
Il incombait à M. Saatchi de convaincre l’agent qu’il satisfaisait aux exigences relatives au spécialiste des ventes techniques (CNP 6221). À l’appui de sa demande, M. Saatchi a présenté deux lettres d’emploi. Il est vrai que les deux lettres indiquaient que son poste était celui de représentant commercial technique – spécialiste du commerce de gros pour les camions de gros tonnage et les fourgonnettes, mais ses employeurs semblaient être des concessionnaires automobiles. De plus, aucune des tâches énumérées dans ses lettres d’emploi ne donnait de détails sur l’expérience de M. Saatchi dans le commerce de gros de camions de gros tonnage et de fourgonnettes. M. Saatchi a indiqué dans sa demande au titre de la catégorie de l’expérience canadienne que, pendant sa période d’emploi à Scarborotown, il s’est adonné à la [traduction] « vente d
’automobiles »
.
[31]
Le défendeur fait également remarquer à juste titre que le demandeur n’a pas informé l’agent – où que ce soit dans sa demande – que ses clients étaient principalement des agriculteurs et des entreprises de construction. Le demandeur n’a présenté ces détails que dans son affidavit complémentaire dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Ce renseignement n’a pas été soumis à l’agent; il est donc irrecevable dans le contexte du contrôle judiciaire, car il n’y a pas d’exception justifiant la dérogation à cette règle générale (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, aux paragraphes 19 et 20).
[32]
À la lumière de ces éléments de preuve, il était raisonnable pour l’agent de conclure que M. Saatchi n’avait pas établi qu’il avait [traduction] « effectué les tâches décrites dans l
’énoncé principal de la profession de spécialiste des ventes techniques – commerce de gros (CNP 6221) »
. La Cour estime que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).
C.
La décision a-t-elle été prise d’une manière qui était injuste sur le plan de la procédure?
(1)
Argument du demandeur
[33]
M. Saatchi fait valoir que l’obligation d’équité envers les demandeurs de visa, bien que faible, oblige néanmoins les agents à informer les demandeurs des préoccupations liées à la crédibilité, à l’exactitude ou à l’authenticité des renseignements présentés, de manière à ce qu’ils aient la possibilité de dissiper les réserves des agents. (Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24; Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, aux paragraphes 25 à 28) [Hamza].
[34]
Lorsqu’un demandeur fournit suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’il satisfait aux exigences législatives ou réglementaires et que l’agent souhaite néanmoins rejeter la demande sur la base de la crédibilité, de l’exactitude ou de l’authenticité des renseignements fournis, l’obligation d’équité est mise en cause (Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716, au paragraphe 6; Perez Enriquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1091 aux paragraphes 26 et 27) [Perez Enriquez].
[35]
M. Saatchi soutient que l’évaluation de la preuve par l’agent constituait une conclusion indirecte sur la crédibilité. M. Saatchi a présenté des lettres de deux anciens employeurs pour lesquels il avait travaillé comme spécialiste du commerce technique dans le domaine des camions de gros tonnage et des fourgonnettes, poste qui relève de la CNP 6221. Malgré cette preuve, l’agent a conclu que le demandeur avait travaillé comme vendeur d’automobiles – CNP 6421. Par conséquent, M. Saatchi aurait dû avoir l’occasion de répondre aux préoccupations de l’agent avant qu’une décision ne soit rendue (Hamza, précité, au paragraphe 39; Perez Enriquez, précité, aux paragraphes 26 et 27).
(2)
Argument du défendeur
[36]
Le défendeur soutient que le droit de M. Saatchi à l’équité procédurale n’a pas été violé. Premièrement, le contenu de l’obligation d’équité procédurale se situe à l’extrémité inférieure du registre dans le contexte des demandes relatives aux travailleurs qualifiés (Faroq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 164, au paragraphe 10; Deol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 271, au paragraphe 44; Katebi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 13, au paragraphe 37).
[37]
Deuxièmement, un agent des visas n’est pas obligé d’aviser le demandeur des irrégularités de ses pièces justificatives ni de lui donner l’occasion de répondre à ses préoccupations, à moins que celles-ci ne concernent la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 509, aux paragraphes 26 à 28).
[38]
Le défendeur soutient que la question de l’équité procédurale en l’espèce dépend de la question de savoir si la préoccupation de l’agent était liée à la suffisance ou à la crédibilité de la preuve. Le défendeur soutient que l’agent n’a pas mentionné la crédibilité, mais a plutôt conclu qu’il n’était [traduction] « pas convaincu »
que M. Saatchi travaillait comme spécialiste des ventes techniques – commerce de gros. Par conséquent, la décision était effectivement fondée sur la suffisance de la preuve plutôt que sur sa crédibilité, et l’agent n’était pas obligé de donner à M. Saatchi l’occasion de répondre à ces préoccupations. Le défendeur soutient que M. Saatchi ne s’est tout simplement pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.
[39]
L’agent a simplement conclu qu’un titre de poste officiel ne suffisait pas pour établir que M. Saatchi satisfaisait aux exigences de la CNP, particulièrement à la lumière de la déclaration du demandeur selon laquelle il travaillait dans la [traduction] « vente d
’automobiles »
.
[40]
Lorsque les préoccupations d’un agent des visas touchent directement les exigences législatives ou réglementaires – comme l’expérience de travail pertinente – il n’y a pas d’obligation d’aviser le demandeur (Kamchibekov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1411, au paragraphe 26).
[41]
Par conséquent, la Cour conclut que le droit de M. Saatchi à l’équité procédurale n’a pas été violé. Comme il a été mentionné précédemment, les préoccupations de l’agent ne portaient pas sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des lettres d’emploi soumises par M. Saatchi, mais plutôt sur l’analyse de la forme par rapport au fond. L’agent est allé au-delà des intitulés de poste et a examiné la liste des compétences et responsabilités énumérées dans la lettre et les renseignements connexes au dossier. Ce faisant, l’agent n’a pas dérogé à son mandat.
VI.
Conclusion
[42]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question d’importance générale à certifier.
JUGEMENT DANS IMM-4669-17
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a pas de question d’importance générale à certifier. Aucune ordonnance n’est rendue concernant les dépens.
« Paul Favel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-4669-17
|
INTITULÉ :
|
ADEL SAATCHI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
TORONTO (ONTARIO)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 31 mai 2018
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE FAVEL
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 16 octobre 2018
|
COMPARUTIONS :
Mario D. Bellissimo
Tamara Thomas
|
Pour le demandeur
|
David Cranton
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bellissimo Law Group
Toronto (Ontario)
|
Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
|