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Date : 20180917


Dossier : IMM-21-18

Référence : 2018 CF 924

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2018

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

PATIENCE LAWANI

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Patience Lawani, est citoyenne du Nigéria. Lorsqu’elle est arrivée au Canada en septembre 2012, elle a demandé le statut de réfugié parce qu’elle craignait la violence familiale, y compris la circoncision forcée. Peu avant l'audition de sa demande devant la Section de la protection des réfugiés [SPR], qui n'a eu lieu qu'en novembre 2017, Mme Lawani a ajouté un deuxième motif à sa demande d'asile : elle craignait également d'être persécutée au Nigéria en raison de son statut de femme bisexuelle, son orientation sexuelle ayant évolué pendant son séjour au Canada. Dans une décision rendue en décembre 2017, la SPR a conclu que Mme Lawani n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. La SPR a rejeté la demande d’asile de Mme Lawani en se fondant sur des conclusions quant à la crédibilité.

[2]  La demanderesse demande maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. Elle soutient que la SPR a commis une erreur en rejetant sa demande d’asile au motif qu’elle manquait de crédibilité. Elle demande à notre Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à la SPR afin que sa demande puisse être réévaluée par un tribunal différemment constitué.

[3]  La seule question soulevée par la demande de contrôle judiciaire de Mme Lawani est celle de savoir si les conclusions défavorables de la SPR relatives à la crédibilité étaient raisonnables. Pour les motifs exposés ci-après, je vais rejeter la demande. Après avoir examiné les conclusions de la SPR, les éléments de preuve présentés au tribunal et le droit applicable, je ne peux trouver aucun motif pour infirmer la décision de la SPR. Les conclusions défavorables relatives à la crédibilité tiennent compte de la preuve, et les motifs de la SPR ont les qualités qui rendent la décision raisonnable, en ce sens qu’elle fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’y a donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.

II.  Contexte

A.  Le contexte factuel

[4]  Mme Lawani a invoqué deux motifs pour demander l’asile au Canada : la violence familiale au Nigéria et sa bisexualité.

[5]  La demanderesse a d’abord affirmé avoir été victime de violence familiale de la part de M. Edokpolor Omoruyi, qu’elle appelle « Chef ». M. Omoruyi a agi en qualité de père pour Mme Lawani, après le décès de son propre père, et il a payé ses études. Alors qu’elle était à l’école secondaire, il a déclaré qu’il s’intéressait à elle. Ensuite, à l’université, Mme Lawani a commencé à éprouver des sentiments pour M. Omoruyi et ils ont commencé à avoir des relations sexuelles. Elle a emménagé avec lui en 2010. Un soir, M. Omoruyi a découvert que Mme Lawani échangeait des messages textes avec un autre homme, et il l’a frappée. Elle a dit qu’elle voulait sortir de sa maison car ils n’étaient pas mariés. En réponse, M. Omoruyi s’est rendu dans la famille de Mme Lawani et a pris des dispositions pour que leur mariage ait lieu en octobre 2010. M. Omoruyi est devenu possessif et violent, et il a menacé de tuer Mme Lawani si jamais elle lui manquait de respect. Lorsque M. Omoruyi a commencé à planifier le mariage, il a demandé si Mme Lawani avait subi la circoncision. Mme Lawani et sa mère ont exprimé leur surprise à cette question, car Mme Lawani et M. Omoruyi couchaient ensemble depuis deux ans. Les oncles de Mme Lawani ont consenti à sa circoncision et ont pris la dot de M. Omoruyi. À la suite de ces événements, Mme Lawani a fui au Canada en septembre 2012.

[6]  Plus de cinq ans se sont écoulés avant que la SPR fixe l’audition de la demande d’asile de Mme Lawani en novembre 2017. Huit jours avant l’audience de la SPR, Mme Lawani a déclaré qu’elle était bisexuelle, qu’elle avait eu des relations avec trois femmes depuis 2014 et une relation avec un homme pendant trois mois, en 2015. Elle a donc affirmé qu’elle craignait aussi d’être persécutée au Nigéria en raison de son orientation sexuelle. Elle a expliqué la divulgation tardive de ce nouveau motif de persécution par le fait que son avocat précédent lui avait conseillé d’attendre et de ne révéler cette information qu’à l’audience de la SPR.

B.  Décision de la SPR

[7]  La SPR a fourni cinq principaux motifs à l’appui du rejet de la demande d’asile de Mme Lawani et de ses conclusions défavorables relativement à la crédibilité. Les trois premiers découlent de la nouvelle allégation de Mme Lawani au sujet de son orientation sexuelle, alors que les deux derniers sont liés à son allégation initiale concernant la crainte de violence familiale.

[8]  En ce qui concerne la bisexualité de Mme Lawani, la SPR s’est d’abord dite préoccupée par la divulgation tardive de cette allégation. De l’avis de la SPR, le moment de la divulgation laissait supposer que l’allégation avait été concoctée au cours du mois précédant l’audience de la SPR. Compte tenu de son expérience, le tribunal a jugé invraisemblable qu’un avocat suggère à un demandeur d’asile de conserver ces renseignements importants jusqu’au jour de l’audience. De plus, la plupart des documents présentés à l’appui de l’allégation de bisexualité de Mme Lawani portaient une date postérieure à celle où elle avait retenu les services du nouvel avocat. En fin de compte, la SPR a jugé insatisfaisantes les explications de Mme Lawani concernant le dépôt tardif d’une nouvelle allégation aussi importante.

[9]  Deuxièmement, la SPR a conclu que l’utilisation par Mme Lawani du terme « bisexuel » était une qualification inappropriée de son identité sexuelle. À la lumière de la préférence  avouée de Mme Lawani quant aux rapports sexuels avec des femmes, la SPR croyait que [TRADUCTION] « la demandeure d’asile doit être lesbienne, car elle ne couche qu’avec des femmes et est attirée par elles ». La SPR a souligné qu'il aurait été important que Mme Lawani prouve qu’elle avait couché avec un homme depuis son arrivée au Canada, si elle se qualifiait de bisexuelle. Compte tenu de sa compréhension de la preuve, le tribunal a conclu que Mme Lawani n’avait pas eu de relations sexuelles avec un homme depuis 2014 et a soulevé des doutes quant à la crédibilité de l'affirmation voulant que Mme Lawani ait couché avec un homme avant 2014. Selon la SPR, [TRADUCTION] « si la demandeure d’asile était (et continue censément d’être) tellement traumatisée, stressée et profondément troublée par la relation prétendument abusive avec le Chef, il n’est pas logique qu’elle entame de nouveau des relations hétérosexuelles avec des hommes à son arrivée au Canada jusqu’au moment où elle se tourne vers des relations lesbiennes ». Au sujet de l’identité sexuelle de Mme Lawani, la SPR a également noté son comportement et son inconfort pendant l’audience, son manque de connaissance de la nomenclature homosexuelle habituelle, ainsi que l’absence de témoignage et de preuve corroborants. L’incapacité de Mme Lawani de faire la distinction entre les termes a amené la SPR à avoir des préoccupations quant à sa crédibilité concernant son orientation sexuelle alternative qu’elle prétendait avoir récemment découverte.

[10]  Troisièmement, la crédibilité de Mme Lawani a été minée par le rapport psychologique qu’elle a déposé, par l’affidavit de Francisca Ukeh (l’actuelle petite amie de Mme Lawani) ainsi que par le comportement confiant de Mme Lawani à l’audience. La SPR n’a accordé aucun poids au rapport psychologique, car son portrait de Mme Lawani comme une personne troublée et en détresse ne correspondait pas à son comportement vif et alerte à l’audience de la SPR. De plus, le rapport s’appuyait sur le récit de Mme Lawani, jugé non crédible par la SPR. Par ailleurs, le rapport semblait être fondé sur des modèles utilisés par le même psychothérapeute dans d’autres demandes. En ce qui concerne le comportement de Mme Lawani à l’audience, la SPR a conclu qu’il était [TRADUCTION] « incohérent avec celui d’une personne touchée et ravagée par une violence familiale grave », comme il est allégué dans le rapport psychologique. Quant à l'affidavit de Mme Ukeh décrivant Mme Lawani comme une personne confiante, la SPR a écrit que [TRADUCTION] « cela confirmait l’observation du tribunal selon laquelle la demanderesse d'asile était une personne confiante et déterminée  qui se comportait d'une manière tout à fait incompatible avec celle d’une personne prétendant avoir été maltraitée ou craignant d'être persécutée si elle retournait au Nigéria ».

[11]  Pour ce qui est de l'allégation initiale de Mme Lawani, concernant la crainte de violence familiale, la SPR a examiné deux aspects importants de celle-ci et a conclu à l'absence de plausibilité. Premièrement, la SPR a douté de la description que Mme Lawani a faite de sa relation avec M. Omoruyi, car le tribunal a jugé peu plausible [TRADUCTION] « qu’une personne ayant appris que sa petite amie le trompait en envoyant des textos à d’autres hommes soit encore plus déterminée à épouser cette personne [...] ». Deuxièmement, la SPR a également jugé invraisemblable que M. Omoruyi ait interrogé la famille de Mme Lawani au sujet de sa circoncision. La SPR ne croyait pas qu’un homme pourrait ne  pas savoir si sa partenaire sexuelle était circoncise après avoir eu des relations sexuelles avec elle pendant près de deux ans.

[12]  La SPR a examiné toutes les questions de crédibilité ensemble, sur une base cumulative, et, en fin de compte, a rejeté la demande d’asile de Mme Lawani. La SPR a reconnu les deux aspects distincts sous-jacents à la demande d’asile de Mme Lawani et a conclu que la crédibilité de Mme Lawani était minée par de nombreux éléments fondamentaux de ses allégations, qu’ils aient trait à son orientation sexuelle ou à la violence familiale.

C.  La norme de contrôle

[13]  En ce qui concerne l’évaluation de la crédibilité par la SPR, la jurisprudence a déjà établi que la norme de la décision raisonnable s’applique (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF) au para 4; Gomez Florez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 659 [Gomez Florez], au para 20; Soorasingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 691 [Soorasingam], au para 17). Par conséquent, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse plus poussée de la norme de contrôle (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au para 62).

[14]  La norme de la décision raisonnable exige de faire preuve de déférence à l’égard du décideur, car elle « repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière »  (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47 [Ville d’Edmonton], au para 33; Dunsmuir, aux para 48 et 49). Dans le cadre d’un contrôle du caractère raisonnable, lorsqu’une question mixte de fait et de droit relève directement de l’expertise d’un décideur, « la cour de révision a pour tâche d’exercer une surveillance à l’égard de l’approche utilisée par le tribunal dans le contexte de la décision prise dans son ensemble. Son rôle n’est pas d’imposer l’approche de son choix »  (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au para 57).

[15]  Cette approche empreinte de retenue est particulièrement nécessaire lorsque, comme en l’espèce, les conclusions contestées se rapportent à la crédibilité et à la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile. Il est bien établi que les conclusions de la SPR à cet égard exigent un degré élevé de retenue de la part des juges lors du contrôle judiciaire, compte tenu du rôle du juge des faits attribué au tribunal administratif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], aux para 59 et 89; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 155, au para 9). Les conclusions sur la crédibilité vont au cœur même de l'expertise de la SPR et ont d'ailleurs été décrites comme « l’essentiel » de la compétence de la SPR » (Siad c Canada (Secrétaire d'État), [1997] 1 CF 608 (CAF), au para 24; Gomez Florez, au para 19; Soorasingam, au para 16; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116 [Lubana], aux para 7 et 8). La SPR est mieux placée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile puisque les membres du tribunal voient le témoin à l’audience, observent son comportement et entendent son témoignage. Les membres du tribunal ont donc  la possibilité et la capacité d’évaluer le témoin, sur le plan de la franchise, de la spontanéité avec laquelle il a répondu, de la cohérence et de l’uniformité de son témoignage devant eux (Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 856, au para 23). De plus, la SPR a l’avantage de profiter des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve liée aux faits qui relèvent de leur domaine d’expertise (El-Khatib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 471, au para 6).

[16]  Sur de telles questions de crédibilité et de vraisemblance, la cour de révision ne peut ni substituer son propre point de vue quant à une issue préférable, ni procéder à une nouvelle pondération de la preuve (Khosa, au para 59; Diallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1062, au para 30). La Cour ne doit pas intervenir dans la décision de la SPR tant que le tribunal est parvenu à une conclusion qui est transparente, justifiable, intelligible et qui fait partie « des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au para 47). Il suffit que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ». (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au para 16).

III.  Analyse

[17]  La question déterminante dont était saisie la SPR était la crédibilité. Mme Lawani présente divers arguments contre les conclusions de la SPR à cet égard, en mettant surtout l’accent sur ceux qui ont trait à son allégation de bisexualité. Elle soutient que la SPR a omis de caractériser son allégation de bisexualité comme une demande faite « sur place ».  La demanderesse soutient également que la SPR n’a pas procédé à un examen approfondi de la preuve relative à son statut de bisexualité, mais qu’elle s’est plutôt fondée sur un faux sentiment d’expertise en matière d’identité sexuelle qui ne relève pas de l’expertise réelle de la SPR. Elle soutient en outre que la SPR n’aurait pas dû la qualifier de lesbienne, par opposition à bisexuelle, uniquement parce qu’elle préférait coucher avec des femmes, faisant ainsi fi du fait qu’elle couchait aussi avec des hommes.

[18]  De plus, Mme Lawani se plaint que la SPR a conclu à tort que la présentation tardive d’une demande d’asile fondée sur sa nouvelle orientation sexuelle avait nui à sa crédibilité. Mme Lawani soutient également que la SPR a commis une erreur dans son examen du rapport psychologique dans le cadre de l’évaluation de sa crédibilité (Rudaragi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 911, au para 6; Khawaja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 172 FTR 287 au para 8). Elle plaide que la SPR a rejeté à tort le rapport et a attaqué l’intégrité de son auteure en s’appuyant sur des éléments de preuve dont elle ne disposait pas. Enfin, Mme Lawani soutient que la SPR a commis une erreur en rejetant la preuve de sa crainte de retourner au Nigéria en raison de la violence familiale antérieurement subie. À son avis, la SPR n’a pas examiné distinctement son allégation de crainte de violence familiale, et l’approche du tribunal à cet égard a été entachée par les conclusions défavorables antérieures au sujet de la crédibilité à l’égard de son orientation sexuelle.

[19]  Je ne suis pas d’accord avec l’analyse de Mme Lawani et je ne suis pas convaincu par les arguments qu’elle présente contre les conclusions défavorables que la SPR a tirées sur la crédibilité. Je suis plutôt d’avis que la SPR a correctement examiné les éléments de preuve au dossier et que cette preuve étaye amplement les conclusions sur le manque de crédibilité de Mme Lawani. La SPR a fourni, en ce qui concerne les deux volets de sa demande d’asile, des motifs détaillés expliquant les raisons pour lesquelles le témoignage de Mme Lawani avait été rejeté. Mme Lawani présente diverses objections aux conclusions de la SPR sans démontrer en quoi la décision est déraisonnable, et ses arguments se résument essentiellement à une réévaluation de la preuve présentée à la SPR. En bref, sur toutes les questions de crédibilité, Mme Lawani exprime simplement son désaccord avec l’évaluation de la preuve par la SPR et invite la Cour à pondérer de nouveau la preuve. Toutefois, ce n’est pas le rôle qui incombe à la Cour lors d’un contrôle du caractère raisonnable des conclusions de fait. Au contraire, les décisions de la SPR concernant la crédibilité de Mme Lawani ont droit à une grande déférence, et il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre interprétation.

A.  Principes pertinents dans le cadre de l’analyse de la crédibilité

[20]  Il est utile de commencer par résumer les principes fondamentaux régissant la manière dont un tribunal administratif comme la SPR doit évaluer la crédibilité des demandeurs d'asile (Guven c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 38, aux para 34 à 42; Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165, aux para 8 et 9; Tovar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 598, aux para 19 à 22; Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84 [Ismaili], aux para 31 à 42).

[21]  Premièrement, lorsqu’ils jurent que certaines allégations sont véridiques, les demandeurs d’asile sont présumés dire la vérité (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF), au para 5). Toutefois, cette présomption de véracité n’est pas incontestable, et le manque de crédibilité d’un demandeur peut suffire à la réfuter. Par exemple, la présomption est réfutable lorsque la preuve ne concorde pas avec le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile (Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666, au para 11, citant Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CAF) (QL)), ou lorsque la SPR n'est pas satisfaite de l'explication fournie par le demandeur pour ces incohérences (Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183, au para 19).

[22]  Deuxièmement, même si elles peuvent être insuffisantes lorsqu’elles sont examinées une à une ou isolément, l'accumulation de contradictions, d'incohérences et d'omissions concernant des éléments cruciaux d'une demande d'asile peut appuyer une conclusion négative sur la crédibilité d'un demandeur (Sary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 FC 178, au para 19; Quintero Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262, au para 1). Je m’arrête un instant pour souligner l’énoncé bien reconnu selon lequel la SPR est la mieux placée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur, puisqu’elle a l’avantage d’entendre son témoignage (Jin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 595, au para 10).

[23]  Troisièmement, la SPR ne peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur des contradictions mineures qui sont secondaires ou accessoires à la demande d’asile. Le décideur ne doit pas effectuer une analyse trop détaillée ou trop zélée de la preuve. En d’autres mots, toutes les incohérences et invraisemblances ne justifient pas une conclusion défavorable quant à la crédibilité; ces conclusions ne devraient pas se fonder sur un examen  « microscopique » de questions sans pertinence ou périphériques eu égard à la demande d’asile (Attakora c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF), au para 9; Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118 [Cooper], au para 4).

[24]  Quatrièmement, le manque de crédibilité concernant les éléments centraux d'une demande d'asile peut s'étendre à d'autres éléments de la demande et les entacher (Sheikh c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] ACF No 604 (CAF) (QL), aux para 7 et 8) et s’appliquer de façon généralisée aux éléments de preuve documentaire présentés pour corroborer une version des faits. Dans le même ordre d’idées, il est loisible à la SPR de n’accorder aucune force probante aux évaluations ou aux rapports fondés sur des éléments sous-jacents jugés non crédibles (Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1215 [Brahim], au para 17).

[25]  Cinquièmement, les conclusions sur la crédibilité ne doivent pas être fondées strictement sur l’absence de preuve corroborante (Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 [Ndjavera], au para 6). Toutefois, lorsqu’il y a une raison valable de remettre en question la crédibilité d’un demandeur d’asile, d’autres conclusions défavorables peuvent être tirées à l’égard de la crédibilité si le demandeur d’asile est incapable de fournir une explication de l’absence de preuve corroborante raisonnablement attendue (Ndjavera, au para 7). Lorsque des éléments de preuve corroborants devraient raisonnablement être disponibles pour établir les éléments essentiels d’une demande d’asile et qu’il n’y a pas d’explication raisonnable de leur absence, le décideur peut tirer une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité en se fondant sur l'absence d’effort de la part du demandeur pour obtenir ces éléments de preuve corroborants (Ismaili, aux para 33 et 35).

[26]  Enfin, la SPR a également le droit de tirer des conclusions au sujet de la crédibilité d’un demandeur en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité. Elle peut rejeter une preuve si elle est incompatible avec les probabilités touchant l'ensemble de l'affaire ou si elle est marquée par des incohérences (Shahamati c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] ACF no415 (CAF) (QL), au para 2; Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1379, au para 25; Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 544, au para 59; Lubana au para 10). Une conclusion d’invraisemblance doit cependant être rationnelle, tenir compte des différences culturelles et être clairement exprimée (Rahal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319 [Rahal], au para 44). Les conclusions et les inférences de la SPR sur la crédibilité d’un demandeur d’asile doivent toujours demeurer raisonnables et l’analyse doit être formulée dans des « termes clairs et non équivoques » (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 NR 236 (CAF) [Hilo], au para 6; Cooper, au para 4; Lubana, au parae 9). Parmi les situations où il est possible de tirer des conclusions d’invraisemblance, mentionnons lorsque le témoignage du demandeur déborde le cadre de ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre, ou lorsque les éléments de preuve documentaire démontrent que les événements n’auraient pas pu se produire comme il est allégué. Inversement, le simple fait de « jeter un doute » sur la crédibilité de la preuve sera insuffisant, car la SPR doit expliquer pourquoi la crédibilité est minée en ayant recours à des termes qui sont plus que vagues et généraux (Hilo, au para 6).

B.  Conclusions de la SPR en l’espèce

[27]  Je n’ai aucune hésitation à conclure que ces principes ont été respectés en l’espèce. La SPR a relevé de nombreuses incohérences et contradictions dans le récit de Mme Lawani. Mme Lawani a eu de multiples occasions de les expliquer, mais la SPR n’était pas satisfaite de ses explications et, par conséquent, a conclu que le témoignage de Mme Lawani manquait de crédibilité.

[28]  La première critique de Mme Lawani portait sur l'ordre dans lequel ses allégations de violence familiale et de bisexualité ont été examinées par la SPR. À cet égard, je ne trouve rien de déraisonnable dans le choix de la SPR d’examiner d’abord l’allégation de bisexualité. Il faut accorder une grande déférence à la façon dont la SPR décide d’évaluer la crédibilité. La SPR peut raisonnablement décider d’examiner les allégations, les arguments ou les éléments de preuve dans un ordre différent de celui dans lequel ils sont présentés. De plus, un examen des motifs de la SPR révèle, sans aucun doute, que les deux allégations présentées par Mme Lawani ont été dûment évaluées par la SPR, et que les deux ont soulevé des préoccupations distinctes en matière de crédibilité.

[29]  L’argument de Mme Lawani concernant l'allégation de bisexualité en tant que demande faite « sur place » est également sans fondement. Un réfugié « sur place » est une personne qui n’était pas un réfugié lorsqu’elle a quitté son pays d’origine, mais qui craint d’être persécutée à son retour en raison de circonstances survenues dans le pays d’accueil (Kyambadde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1307 [Kyambadde], au para 15). Lorsqu’elle est confrontée à des éléments de preuve laissant croire que le demandeur d’asile peut être un réfugié « sur place », la SPR doit examiner si tel est le cas, même si les demandeurs n’ont pas expressément fait de demande d’asile « sur place » (Kyambadde, au para 16, citant Mohajery c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 185). Bien qu’il y ait une obligation d’évaluer la situation des réfugiés, il n’y a pas d’obligation de caractériser spécifiquement la revendication et la situation comme une demande d’asile « sur place » et de la désigner ainsi.

[30]  Mme Lawani remet également en question le point de vue de la SPR concernant l’emploi du terme « bisexuel » pour définir son identité sexuelle. Mme Lawani et son avocat s’opposent particulièrement aux déclarations faites par le tribunal à cet égard, qu’ils estiment ne pas relever de l’expertise de la SPR. Je ne suis pas d’accord. Contrairement à ce qu'affirme Mme Lawani, je ne suis pas convaincu que cela échappe à l’expertise de la SPR.

[31]  Je reconnais qu’il peut être difficile de déterminer l’identité sexuelle d’une personne, mais c’est une tâche que la SPR accomplit régulièrement lorsque l’orientation sexuelle constitue le fondement d’une demande d’asile (Osikoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 720, aux para 60 et 61). L’expérience antérieure d’un tribunal administratif, tant comme institution que du point de vue du décideur concerné, contribue au perfectionnement de l’expertise du tribunal. L’expertise et l’expérience d’un tribunal administratif sont au cœur du principe de retenue qui sous-tend la norme de la décision raisonnable, et c’est un élément dont une cour de révision devrait toujours tenir compte dans le contrôle judiciaire (Ville d’Edmonton, au para 33). L’approche empreinte de déférence dictée par la norme de la décisionraisonnable traduit donc la reconnaissance de l’expertise et de l’expérience particulières du décideur administratif à l'égard des questions qui relèvent de ses fonctions.

[32]  En l’occurrence, je reconnais que le commissaire aurait peut-être pu mettre de l'avant et utiliser son expérience personnelle passée avec plus de retenue. Dans le contexte des contrôles judiciaires, l’expertise ou l’expérience d’un tribunal administratif n’est pas évaluée en fonction des qualifications, des connaissances et des antécédents de chaque fonctionnaire. Il est vrai que les fonctionnaires mettent toujours à contribution leur expérience et leur expertise particulières dans leurs processus décisionnels respectifs, mais la déférence consiste à reconnaître l’expertise et l’expérience institutionnelles d’un tribunal administratif (Ville d’Edmonton, au para 33). Il serait en effet étrange que la déférence dont doit faire preuve une cour de révision à l’égard d’un décideur varie en fonction de l’identité et du niveau d’expérience de chaque personne concernée, ou selon la connaissance concrète qu’une personne peut avoir de la question dont elle est saisie. Les commentaires du commissaire sur la source de son expertise étaient donc superflus et inutiles. J’admets que certaines des déclarations concernant l’orientation sexuelle de Mme Lawani auraient pu être formulées de façon plus élégante et qu’elles frisaient l'inconvenance; mais elles ne poussent certainement pas la décision au-delà des limites du caractère raisonnable et de la portée des issues possibles et acceptables.

[33]  Je ne suis pas non plus d’accord avec l’affirmation de Mme Lawani selon laquelle la SPR a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables de la présentation tardive de sa prétention de bisexualité. La SPR a de la latitude dans l’examen des facteurs qui touchent la crédibilité. Elle n’a pas cru l’explication de Mme Lawani concernant l’ajout à la dernière minute de son affirmation de bisexualité, ce qu'elle a expliqué en grand détail  dans sa décision, en tenant compte du fait que Mme Lawani avait été au Canada pendant une longue période avant que sa demande d’asile soit examinée par la SPR.

[34]  Dans le même ordre d’idées, je considère que la SPR pouvait raisonnablement décider de ne pas accorder de poids au rapport psychologique, compte tenu de ses conclusions défavorables antérieures quant à la crédibilité du récit de Mme Lawani et de l’expertise institutionnelle de la SPR tirée d’autres affaires. La SPR a le droit de ne pas accorder de valeur probante aux évaluations ou  rapports fondés sur des éléments sous-jacents qu’elle a jugés non crédibles (Brahim, au para 17).

[35]  En ce qui a trait aux plaintes de Mme Lawani relatives aux conclusions de crédibilité défavorables tirées par la SPR à l’égard de sa crainte présumée de violence conjugale, la SPR pouvait douter de certaines déclarations faites sur le comportement de M. Omoruyi parce qu'elle jugeait invraisemblable  « qu’une personne ayant appris que sa petite amie le trompait en envoyant des textos à d’autres hommes soit encore plus déterminée à épouser cette personne [...] ». Il en va de même pour la conclusion d’invraisemblance concernant le fait que M. Omoruyi ne savait pas qu’elle n’était pas circoncise. Je remarque que même Mme Lawani et sa mère ont été étonnées par cette question lorsqu’elle a été posée par M. Omoruyi.

[36]  Je suis conscient qu’il faut faire preuve de prudence en ce qui concerne les conclusions d’invraisemblance dans les affaires de réfugiés (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au para 9). Les conclusions d'invraisemblance ne doivent être formulées que dans les cas les plus évidents et en faisant preuve de sensibilité face aux différences culturelles. La SPR doit toujours exposer de manière suffisante les motifs de telles conclusions (Alhaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 98, au para 14; Rahal, au para 44; Kiyarath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1269, au para 22). Sinon, elles peuvent être perçues comme arbitraires et déraisonnables. Je ne suis pas convaincu que les conclusions d’invraisemblance auxquelles est parvenue la SPR sur les allégations de violence familiale faites par Mme Lawani tombent dans cette catégorie. Au contraire, les évaluations de la SPR ont été faites en termes clairs et sans équivoque, et le tribunal a expliqué en détail pourquoi, aux yeux du tribunal, le témoignage de Mme Lawani comportait des lacunes et se situait en marge de ce à quoi on pouvait raisonnablement s’attendre.

[37]  En résumé, la SPR a fourni des motifs minutieux, exhaustifs et bien réfléchis expliquant pourquoi Mme Lawani n’a pas été jugée crédible. Le test du caractère raisonnable dicte que la cour de révision doit commencer par la décision et les motifs du décideur, en reconnaissant que le décideur administratif a la responsabilité première de tirer des conclusions de fait. Un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». Une cour de révision doit plutôt aborder les motifs et l’issue de la décision d’un tribunal « comme un tout » (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au para 138; Communications, Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au para 54; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au para 53). Si je lis la décision de la SPR dans son ensemble, et non selon l’approche fragmentaire proposée par Mme Lawani, je suis convaincu que la SPR a procédé à une évaluation approfondie et détaillée de la preuve et que ses conclusions sont raisonnables. La question dont la Cour est saisie n’est pas de savoir si un autre résultat ou une autre interprétation aurait pu être possible. La question est de savoir si la conclusion tirée par le décideur appartient aux issues possibles acceptables.

IV.  Conclusion

[38]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Lawani est rejetée. Je ne décèle rien d’irrationnel ou d’arbitraire dans les conclusions de fait de la SPR. J’estime plutôt que l’analyse faite par la SPR du manque de crédibilité de Mme Lawani comporte les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité, et qu’elle n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. Selon la norme du caractère raisonnable, il suffit que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C’est le cas en l’espèce.

[39]  Les parties n’ont pas, dans leurs plaidoiries, soulevé de questions graves de portée générale qu’il y aurait lieu de certifier, et je conviens qu’il n’y en a pas.


JUGEMENT dans le dossier IMM-21-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question grave d’importance générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-21-18

 

INTITULÉ :

PATIENCE LAWANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

4 SEPTEMBRE 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

17 septembre 2018

 

COMPARUTIONS :

Peter Lulic

POUR LA DEMANDERESSE

 

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Peter Lulic

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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