Dossier : IMM-803-18
Référence : 2018 CF 989
Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2018
En présence de monsieur le juge Bell
Dossier : IMM-803-18
|
ENTRE :
|
GURJEET SINGH
|
demandeur
|
et
|
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Cette affaire porte sur une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 [Loi], à l’encontre de la décision rendue le 8 décembre 2017 par un commissaire de la section de la protection des réfugiés [SPR] de la commission de l’immigration et du statut de réfugié [le commissaire], refusant la demande d’asile du demandeur, monsieur Gurjeet Singh [le demandeur]. Le demandeur réclamait d’asile en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 [LIPR].
II.
Faits pertinents
[2]
Le demandeur est citoyen indien âgé de 38 ans, de religion sikhe. Il vient d’une famille de fermiers et prêcheurs. Il est lui-même prêcheur. En 1988, son père a disparu sans laisser de traces. Le demandeur prétend que son père, qui était également prêcheur, a été probablement tué par la police qui l’accusait d’entretenir des liens avec des militants. Il n’y a pas de preuve de cette prétention. Le demandeur dit que depuis la disparition de son père, sa famille est victime de harcèlement de la part de la police en raison des liens que son père avait avec les militants.
[3]
Lorsque le demandeur est revenu d’un voyage en Thaïlande et en Malaisie, où il était parti prêcher, le 31 juillet 2011, il y a eu une invasion à son domicile. Il prétend avoir été arrêté et torturé par la police, qui l’accusait d’agir à titre de médiateur auprès des militants. Le demandeur prétend qu’il fut relâché deux jours plus tard à cause de l’intervention des personnes influentes en Inde et après avoir payé de l’argent. Le 23 mars 2012, il fut arrêté et torturé de nouveau par la police pour les mêmes raisons que la première fois, et il fut libéré sous les mêmes conditions.
[4]
Il est arrivé au Canada le 1er juillet 2012. Le 6 juillet 2012, il a présenté sa demande d’asile, qui a été entendue le 14 novembre 2017. Le 8 décembre 2017, le commissaire a refusé la demande et a conclu que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de « personne à protéger »
. Cette décision est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
III.
Décisions
[5]
Dans sa décision rendue le 8 décembre 2017, le commissaire a rejeté la demande d’asile en concluant qu’il n’existait aucune possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté, torturé ou soit soumis aux traitements ou peines cruels et inusités, selon la prépondérance des probabilités, s’il retournait en Inde.
[6]
Dans ses motifs, le commissaire a soulevé plusieurs incohérences dans l’histoire et les explications du demandeur, entre autres, en ce qui a trait aux dates. Par exemple, dans le passeport du demandeur, il est mentionné qu’il était en Malaisie et en Thaïlande du 26 juin 2011 au 6 août 2011, alors que le demandeur a soumis que le 31 juillet 2011 était la date de sa première arrestation qui a eu lieu en Inde. Lorsqu’il a été questionné sur cette incohérence, le demandeur a déclaré que c’était une erreur et que la date de sa première arrestation était le 17 août 2011 et non le 31 juillet 2011. Il explique qu’immédiatement après avoir découvert l’incohérence, il avait avisé son avocat de l’époque. Aussi, il dit que l’incohérence vient des erreurs de la traduction. Le Commissaire n’a pas accepté ces explications.
[7]
Le Commissaire a noté que le demandeur est retourné dans son pays d’origine sans difficulté et qu’il n’a pas eu de problème à quitter son pays en utilisant son passeport indien. Le demandeur répond à cette observation qu’il avait engagé un passeur qui aurait payé un pot-de-vin.
[8]
Nonobstant la conclusion du commissaire à l’égard du statut de réfugié ou de personne à être protégée, le commissaire a conclu qu’il existe la possibilité de refuge intérieur [PRI] pour le demandeur soit à Mumbai ou à New Delhi. Les deux parties ont axé leurs plaidoiries orales sur la question de la PRI.
IV.
Dispositions pertinentes
[9]
Les dispositions pertinentes de la LIPR sont énoncées à l’annexe que comportent les présents motifs.
V.
Question en litige
[10]
La réponse à la question de la PRI sera déterminante dans cette requête. Ainsi, la question à trancher est la suivante : est-ce que c’était raisonnable pour le commissaire de conclure qu’il existe une PRI à Mumbai ou à New Delhi ?
VI.
Analyse
[11]
La question à savoir, s’il y a une PRI, est une question mixte de fait et de droit. Par conséquent, cette Cour doit exercer une très grande retenue face aux conclusions du commissaire tout en déterminant si le processus décisionnel était justifié, transparent et intelligible ainsi que si la décision était parmi des « issues possibles acceptables au regard du contexte factuel et juridique »
(Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93 aux para 30 – 35, [2016] 4 RCF 157; Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 182 au para 5, 289 ACWS (3e) 166).
[12]
Après que le tribunal ait soulevé la PRI, le demandeur avait le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il : 1. risquait sérieusement d’être persécuté s’il trouvait refuge à New Delhi ou à Mumbai ; et 2. qu’il était objectivement déraisonnable de chercher refuge dans cette autre région de son pays avant d’avoir recours à la protection internationale (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 FC 706 aux pp 709-711, 140 NR 138; Gomez Espinoza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 806 aux para 20-21, 179 ACWS (3e) 906 ; X (Re), 2017 CanLII 94170, CA IRB).
[13]
Le demandeur prétend qu’étant donné qu’il exerce sa profession de prêcheur depuis 2002, il est connu partout en Inde. Il prétend également qu’il ne pourra pas se dissimuler dans la société puisqu’il aura besoin de documents d’identité pour obtenir un logement ou pour entreprendre d’autres démarches et cela attirera l’attention de la police, qui est à sa recherche. Pour ces raisons, il considère que la décision du commissaire n’est pas raisonnable. Par contre, je note que le commissaire a conclu que le demandeur voyageait ailleurs en Inde sans problèmes avec les autorités. De plus, le commissaire a conclu qu’il y a beaucoup de sikhes qui demeurent dans les deux villes où la PRI est possible, sans persécution. Je note également qu’il n’y a pas eu de preuve que la police locale du Pendjeb a des contacts avec la police nationale ni que les autres services de police à l’extérieur de Pendjeb aient un intérêt à rechercher le demandeur. Finalement, je note que le demandeur n’a pas offert de preuve qu’il existe des communications entre les différents services de police en Inde.
[14]
De plus, le demandeur prétend que la décision n’est pas raisonnable à cause d’un manque d’analyse des faits par le commissaire ; c’est-à-dire, le commissaire s’est basé sur des précédents sans intégrer les faits et circonstances qui sont propres au demandeur. Même si j’ai une certaine sympathie pour la position prise par le demandeur, je ne partage pas son opinion. Le commissaire a souligné les prétentions du demandeur, y compris ses circonstances, et a utilisé la jurisprudence et les guides jurisprudentielles pour établir le fardeau que le demandeur devait rencontrer. Le commissaire n’a pas erré dans son interprétation du fardeau de preuve. Ensuite, le commissaire a observé que le demandeur n’avait pas rencontré ce fardeau. Étant donné que le fardeau d’établir les deux volets du test incombait au demandeur, le commissaire a pris une approche raisonnable.
VII.
Conclusion
[15]
Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT dans le IMM-803-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens. Il n’y a pas de question à être certifiée pour considération par la Cour d’appel fédérale.
« B. Richard Bell »
Juge
ANNEXE A
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-803-18
|
|
INTITULÉ :
|
GURJEET SINGH c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
|
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Montréal (Québec)
|
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 27 août 2018
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
|
LE JUGE BELL
|
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 4 octobre 2018
|
|
COMPARUTIONS :
Me Salif Sangare
|
Pour le demandeur
|
Me Michèle Plamondon
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Salif Sangare Avocat
Montréal (Québec)
|
Pour le demandeur
|
Procureur générale du Canada
Montréal (Québec)
|
Pour le défendeur
|