Dossier : IMM-4784-17
Référence : 2018 CF 968
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2018
En présence de monsieur le juge Southcott
ENTRE :
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XINJIN OU
JIANFENG ZHOU,
KAI CHENG OU (personne mineure)
HAO NAN OU (personne mineure)
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 26 octobre 2017 [la décision] par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [la SPR], selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés, ni des personnes à protéger au titre des paragraphes 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) [la LIPR].
[2]
Comme je l’explique plus en détail ci-après, j’accueille la présente demande car la décision de la SPR ne démontre pas que celle-ci a cherché à tenir compte, relativement aux conditions existant dans le pays d’origine des demandeurs, d’éléments de preuve pouvant venir en contradiction avec sa conclusion selon laquelle il n’y aurait aucun risque que la demanderesse adulte soit soumise à l’utilisation obligatoire d’un dispositif intra-utérin [DIU] si les demandeurs devaient retourner en Chine.
II.
Le contexte
[3]
Les demandeurs, M. Xinjin Ou et Mme Jianfeng Zhou, constituent un couple marié et ont deux enfants. M. Ou et Mme Zhou sont des citoyens chinois originaires de la province de Guangdong. En juin 2006, le couple a déménagé à Trinité-et-Tobago, où leurs enfants sont nés. Les enfants sont citoyens de Trinité-et-Tobago, mais ils sont également admissibles à la citoyenneté chinoise.
[4]
En juin 2012, Mme Zhou est retournée en Chine pour y effectuer une visite. Elle déclare qu’un fonctionnaire local lui a dit qu’elle et son mari seraient mis à l’amende s’ils retournaient en Chine étant donné qu’ils en ont enfreint la politique de planification familiale, qui à l’époque, ne permettait pas aux couples d’avoir plus d’un enfant, qu’elle serait obligée d’utiliser un DIU et que si elle tombait de nouveau enceinte, elle ou son mari seraient soumis à la stérilisation forcée. En novembre 2012, le permis de travail de M. Ou à Trinité-et-Tobago est venu à expiration et il n’a pas été en mesure de le renouveler. Mme Zhou et lui ont ensuite passé un contrat avec un passeur qui les a aidés à se rendre au Canada en passant par les États-Unis. La famille est entrée au Canada et a présenté une demande d’asile parce qu’elle voulait avoir plus d’enfants, mais craignait que Mme Zhou soit forcée de porter un DIU ou que l’un des deux soit stérilisé de force s’il retournait en Chine. Mme Zhou est redevenue enceinte en 2015 alors qu’elle se trouvait au Canada, mais elle a fait une fausse couche.
III.
La décision de la SPR
[5]
La SPR a conclu que M. Ou et Mme Zhou étaient crédibles quant à leur désir d’avoir plus d’enfants et à leur opposition à toute contrainte à leur capacité de procréer. Toutefois, elle a rejeté leur demande au motif que les allégations de Mme Zhou quant à son risque de persécution si elle était renvoyée en Chine n’étaient pas crédibles.
[6]
En ce qui concerne la contraception forcée, la SPR a fait référence à l’article 19 de la Population and Family Planning Law of the People’s Republic of China [traduction] (Loi sur la population et la planification familiale de la République populaire de Chine), qui stipule que les citoyens chinois peuvent utiliser la méthode contraceptive de leur choix. Il en va de même en ce qui concerne le règlement sur la planification familiale de la province du Guangdong. La SPR a également mentionné que dans l’affaire Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 327, c’est l’introduction forcée d’un DIU qui constitue de la persécution, tout en laissant entendre que l’utilisation forcée d’autres formes de contraception ne serait pas nécessairement considérée comme un traitement relevant de la persécution. La SPR a conclu que, même s’il était clair d’après la preuve documentaire que le DIU constitue la méthode de contraception préférée, il n’existe aucune preuve que le DIU serait la seule méthode contraceptive disponible. Elle a conclu que des méthodes de contraception de rechange seraient à la disposition de M. Ou et de Mme Zhou s’ils retournaient en Chine, que ces méthodes ne représentent pas une violation physique directe du droit à la procréation de Mme Zhou au point de constituer de la persécution et qu’il n’y aurait aucun risque que Mme Zhou serait contrainte à utiliser un DIU.
[7]
En ce qui concerne la stérilisation, la SPR a fait remarquer que la question de savoir si M. Ou et Mme Zhou auraient un troisième enfant est hypothétique pour le moment. Comme la loi chinoise sur la planification familiale a été modifiée en 2016 de façon à permettre deux enfants par famille, et comme le couple n’a commis aucun délit en Chine au titre de la politique actuelle des deux enfants, la SPR a conclu qu’il leur serait possible de retourner en Chine sans risque de sanction en vertu de la loi sur la planification familiale, notamment la stérilisation.
[8]
La SPR a également examiné des éléments de preuve documentaire portant spécifiquement sur la province du Guangdong, et notamment sur Guangzhou, la ville natale des demandeurs adultes. Ces éléments de preuve indiquent que les politiques de planification familiale sont appliquées de façon inégale en Chine et que, historiquement, les autorités du Guangdong ont adopté une approche plus souple à l’égard de la planification familiale que les autorités d’autres régions du pays. La SPR a remarqué que bien que la stérilisation forcée et les avortements forcés se produisent en Chine, elle a constaté qu’il n’y avait aucune preuve que de telles pratiques aient eu lieu dans la province du Guangdong depuis 2012. La SPR a conclu que si M. Ou et Mme Zhou avaient un troisième enfant après leur retour en Chine, ils seraient passibles d’une amende, ce qui ne représente pas de la persécution.
[9]
La SPR a conclu que si les demandeurs retournaient en Chine, il y aurait moins qu’une simple possibilité qu’ils soient exposés à un risque de persécution et, selon la prépondérance des probabilités, ils n’auraient pas besoin de protection en vertu de l’article 97 de la LIPR. Elle a donc conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger et a rejeté leur demande.
IV.
Les questions en litige et la norme de contrôle
[10]
La seule question soulevée par les demandeurs est de savoir si la conclusion de la SPR selon laquelle la crainte de persécution des demandeurs n’est pas fondée est raisonnable. Comme l’indique la formulation de la question, la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR est le caractère raisonnable.
V.
L’analyse
[11]
Les observations écrites des demandeurs soulèvent divers arguments à l’appui de leur position selon laquelle la décision est déraisonnable. Toutefois, à l’audience relative à la présente demande, leur conseil s’est concentré sur un argument en particulier, à savoir que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il n’y aurait aucun risque que Mme Zhou soit forcée d’utiliser un DIU sans tenir compte de la preuve contraire de la situation en Chine.
[12]
Les demandeurs reconnaissent que ni la législation nationale, ni la législation provinciale citées par la SPR ne prévoient l’utilisation obligatoire d’un DIU pour l’exécution de la politique de planification familiale de la Chine. Toutefois, ils soutiennent que la preuve documentaire appuie néanmoins leur crainte que l’utilisation du DIU soit imposée de façon obligatoire. Ils ont cité à la Cour des parties de ces éléments de preuve qui figuraient dans les documents présentés à la SPR à l’appui de leur demande, mais ont souligné en particulier une déclaration des Country Reports on Human Rights Practices [traduction] (Rapports sur les pratiques des pays en matière de droits de l’homme) pour 2016, publiés par le Département d’État des États-Unis [USDOS]. Selon cette déclaration, bien que le gouvernement chinois ait fait passer la limite de naissance imposée à ses citoyens de 1 à 2 enfants, la loi révisée n’a pas éliminé les limites à la naissance imposées par l’État ni les sanctions imposées aux citoyens qui enfreignent la loi. La déclaration indique en outre que le gouvernement chinois considère le DIU et la stérilisation comme étant la forme la plus fiable de contraception et qu’il a obligé les femmes à accepter l’introduction d’un DIU par des fonctionnaires.
[13]
La loi stipule clairement que la SPR est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve documentaire dont elle disposait. Toutefois, cette présomption est réfutable et plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans la décision est importante, plus une cour de justice sera disposée à inférer que l’on a négligé de tenir compte d’éléments de preuve (voir l’affaire Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) au paragraphe 17). Les demandeurs soutiennent que les éléments de preuve sur lesquels repose leur argument répondent à ce critère parce qu’ils contredisent directement la conclusion de la SPR selon laquelle il n’existe aucune preuve que Mme Zhou serait forcée d’utiliser un DIU.
[14]
Je remarque que la SPR n’a pas expressément déclaré qu’il n’existe aucune preuve que Mme Zhou serait assujettie à l’utilisation obligatoire d’un DIU. Elle a plutôt déclaré qu’il n’existe aucune preuve que le DIU serait la seule méthode contraceptive utilisée. Elle a conclu que d’autres méthodes contraceptives seraient disponibles et qu’elles ne seraient pas persécutoires, conclusion qui n’est pas contestée par le conseil de la demanderesse. Toutefois, compte tenu du contexte, j’accepte la caractérisation par les demandeurs de la conclusion de la SPR comme étant liée à la preuve de l’utilisation forcée d’un DIU. J’admets également que la SPR était obligée de tenir compte non seulement des dispositions législatives pertinentes, mais également de la preuve documentaire sur la façon dont la politique de planification familiale de la Chine est mise en œuvre dans la pratique. Le rapport de l’USDOS est relativement récent et semble refléter la situation en Chine après le changement apporté à la politique sur les deux enfants en 2016. Il appuie également la conclusion selon laquelle les femmes demeurent assujetties à l’utilisation obligatoire du DIU. Je conviens que ces éléments de preuve sont suffisamment incompatibles avec la conclusion de la SAI, à savoir qu’il n’y aurait aucun risque que Mme Zhou soit forcée d’utiliser un DIU, et qu’il n’est pas prudent de conclure que la SPR a tenu compte de ces éléments de preuve.
[15]
Le défendeur soutient que le rapport de l’USDOS porte sur la situation en Chine en général et qu’il n’est pas propre à la province du Guangdong. Le défendeur fait remarquer que la SPR a analysé spécifiquement la preuve documentaire liée à la province du Guangdong. Compte tenu de la preuve relative à la situation en Chine selon laquelle les politiques de planification familiale y sont appliquées de façon inégale, le défendeur soutient que les éléments de preuve propres à la province du Guangdong devraient être préférés à des éléments de preuve plus généraux et que la conclusion de la SPR était donc raisonnable.
[16]
Je suis d’accord avec le raisonnement du défendeur en tant que question de principe général. Toutefois, comme l’ont souligné les demandeurs, l’analyse par la SPR de la preuve documentaire propre à la province du Guangdong semble se limiter à l’utilisation de la stérilisation forcée et des avortements. Cette partie de la décision ne comporte aucune analyse sur l’utilisation forcée de DIU ou d’autres moyens de contraception, outre la stérilisation, dans la province du Guangdong.
[17]
Par conséquent, je conclus que la décision est déraisonnable sur le fondement invoqué par les demandeurs et j’accueille la demande de contrôle judiciaire, renvoyant ainsi la demande des demandeurs pour un nouvel examen. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question pour la certification aux fins d’un appel et aucune n’a été énoncée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4784-17
LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.
« Richard F. Southcott »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-4784-17
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INTITULÉ :
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XINJIN OU
JIANFENZ ZHOU
KAI CHENG OU (personne mineure)
HAO NAN OU (personne mineure)
c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 24 MAI 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SOUTHCOTT
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DATE DES MOTIFS :
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LE 28 SEPTEMBRE 2018
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COMPARUTIONS :
Michael Korman
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POUR LES DEMANDEURS
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Meva Motwani
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Korman & Korman LLP
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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