Dossier : IMM-1235-18
Référence : 2018 CF 902
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2018
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
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ERADOR DORVILUS
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
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M. Dorvilus cherche à faire casser la décision d’un agent d’exécution de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’agent] de ne pas reporter l’exécution de son renvoi prévu pour le 21 mars 2018. Le report a été demandé jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à sa demande d’autorisation pour des circonstances d’ordre humanitaire [CH] de présenter une demande de résidence permanente à partir du Canada. La demande CH a été reçue par le Bureau de réduction de l’arriéré d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, le 30 novembre 2017.
[2]
À la lumière des observations présentées à l’appui du report, l’agent a examiné si le report était justifié, compte tenu (1) de la demande CH en instance et (2) de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur.
[3]
Après avoir examiné la décision de l’agent et les observations de l’avocat, je ne peux conclure que la conclusion et l’analyse de l’agent fondées sur la demande CH en instance étaient déraisonnables. L’avocat a fait valoir qu’il s’agit de l’un des cas où le renvoi de son client du Canada minerait sa demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire, dans la mesure où une décision favorable serait très improbable étant donné que la demande repose notamment sur le fait que le demandeur a soutenu financièrement ses enfants à l’étranger, et que cela cesserait s’il était renvoyé en Haïti. Il demande à la Cour de conclure que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de cette conséquence.
[4]
Malgré les observations valables de l’avocat, je ne suis pas convaincu qu’un agent de renvoi soit tenu de tenir compte d’un tel fait lorsque la décision relative à la demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire sera rendue à une date aussi tardive qu’en l’espèce. Il peut s’agir d’un facteur pertinent lorsqu’il peut être démontré que la décision est imminente, mais dans le cas présent, la décision ne semble pas prendre effet avant au moins deux ans.
[5]
Toutefois, j’ai quelques réserves au sujet de l’analyse de l’agent concernant l’intérêt supérieur des enfants du demandeur.
[6]
M. Dorvilus a quitté Haïti il y a une trentaine d’années et a vécu pendant un certain nombre d’années aux Bahamas. Il y est resté jusqu’à son arrivée au Canada en 2015. Il n’a quitté les Bahamas que lorsqu’on lui a dit que son permis de travail ne serait pas prolongé. Il est père de quatre enfants. Dans un affidavit à l’appui de sa demande CH, il déclare ce qui suit :
[traduction] J’ai quatre enfants, dont trois habitent en Haïti et un aux Bahamas. Ma conjointe (selon la coutume) Rosiana Hercule habite en Haïti avec nos deux filles, Rosemanie (17 ans) et Eraldine (15 ans). J’ai également deux autres enfants : Maraya (18 ans), qui habite aux Bahamas avec sa mère et Dieusin (23 ans), qui habite en Haïti. Un autre de mes enfants est décédé.
[…]
J’ai toujours soutenu ma famille. Pendant les années où j’ai travaillé aux Bahamas, je lui ai fourni un soutien financier. Depuis mon arrivée au Canada, je travaille chez Peninsula Alloy. J’envoie régulièrement de l’argent à Rosiane [sic] et à mes enfants (notamment Maraya et Dieusin). J’envoie de l’argent pour tous mes enfants. Chaque mois, j’essaie d’envoyer au moins 100 $. Parfois, j’envoie 150 $ et même 200 $.
Mes quatre enfants fréquentent encore l’école. Dieusin suit toujours des cours au Lycée Justin L’Herisson. Les autres enfants vont aussi à l’école. J’envoie de l’argent pour leur éducation. Dieusin veut devenir ingénieur. Rosemanie veut devenir infirmière. Maraya étudie au Bahamas Technical and Vocational Institute.
[7]
Dans la demande de report, l’avocat écrit :
[traduction] L’intérêt supérieur de ses enfants dépend de sa présence au Canada. Ils comptent sur son apport financier pour subvenir aux besoins de leur existence et leur éducation en Haïti (et aux Bahamas).
[8]
Dans sa décision, l’agent indique ce qui suit :
[traduction] Je prends acte des déclarations de l’avocat et suis sensible à la situation de la famille de M. Dorvilus en Haïti et aux Bahamas.
[…]
En outre, je ne crois pas que l’avocat ait fourni de preuve démontrant que M. Dorvilus est le père d’un quelconque enfant habitant à Haïti ou aux Bahamas. L’avocat n’a pas non plus fourni de documentation démontrant que M. Dorvilus envoie de l’argent à sa femme en Haïti ou à ses enfants. [Je souligne]
[9]
M. Dorvilus soutient que les déclarations ci-dessus indiquent que l’agent n’a pas tenu compte de sa preuve par affidavit selon laquelle il a quatre enfants qu’il soutient en Haïti et aux Bahamas.
[10]
Le défendeur soutient que lorsque l’agent a déclaré que « l’avocat n’a fourni aucun élément de preuve »
, l’agent entendait par cela qu’aucune preuve n’a été fournie pour corroborer les déclarations dans l’affidavit selon lesquelles M. Dorvilus a quatre enfants et qu’il leur a fait parvenir de l’argent.
[11]
Si l’interprétation du défendeur est correcte, c’est-à-dire que l’agent avait des réserves envers l’absence de preuve corroborante à l’appui des déclarations sous serment, cela soulève la question de la nécessité d’une preuve corroborante. L’agent a soit trouvé crédible la déclaration sous serment de M. Dorvilus, soit il ne l’a pas trouvée crédible.
[12]
Si l’agent n’a pas cru M. Dorvilus, il lui fallait fournir des explications à l’appui de cette conclusion. L’agent n’explique pas les motifs raisonnables de son incrédulité. Il s’agit d’une erreur susceptible de révision.
[13]
Si l’agent avait trouvé M. Dorvilus crédible (une position que le défendeur a semblé adopter à l’audience), il était tenu d’examiner ces éléments de preuve et de justifier pourquoi le soutien financier à ses enfants ne constituait pas un motif de report. Toutefois, l’agent n’a fourni aucune justification et, contrairement à l’argument du défendeur, on ne peut pas dire que l’agent était réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur des enfants en l’occurrence. Il s’agit d’une erreur susceptible de révision.
[14]
Pour ces motifs, on peut dire que la décision n’est ni justifiée, ni transparente, ni intelligible. Elle n’est pas raisonnable et doit être cassée.
[15]
Aucune partie n’a proposé une question aux fins de certification et il n’y en a pas sur les faits présentés.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-1235-18
La demande est accueillie. La décision de l’agent d’exécution de refuser le report du renvoi est cassée. La demande doit être étudiée par un autre agent d’exécution. Le demandeur a le droit de présenter d’autres documents en raison du délai écoulé depuis le dépôt de la demande initiale. Aucune question n’est certifiée.
« Russel W. Zinn »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1235-18
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INTITULÉ :
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ERADOR DORVILUS c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 6 SEPTEMBRE 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE ZINN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 3 octobre 2018
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COMPARUTIONS :
Timothy Wichert
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POUR LE DEMANDEUR
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Laoura Christodoulides
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman, Nazami and Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada Ministère de la Justice
Bureau régional de Ontario
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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