Date : 20180917
Dossier : IMM-5226-17
Référence : 2018 CF 922
Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2018
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
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SHAMSUL ALAM
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Shamsul Alam est un citoyen du Bangladesh. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration de refuser sa demande de résidence permanente. L’agent a conclu que M. Alam était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2]
M. Alam était un ancien membre du Parti national du Bangladesh (le BNP). L’agent d’immigration a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le BNP est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme ou une subversion, contrairement à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.
[3]
L’agent d’immigration a tiré une conclusion explicite selon laquelle le BNP s’est livré à des activités qui constituent du terrorisme. Elles comprennent des manifestations violentes, de grands rassemblements, des bombardements et des attaques physiques. Elles avaient un but politique et tentaient d’intimider les opposants de même que les civils innocents. Les activités étaient dirigées et organisées par le BNP lui-même, et non par des éléments indésirables.
[4]
Eu égard à la fonction de contrôle judiciaire et à la retenue dont la Cour doit faire preuve à l’égard de l’expertise de l’agent d’immigration, je suis convaincu que la conclusion de l’agent, selon laquelle M. Alam est interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f), était raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Énoncé des faits
[5]
Le BNP et la Ligue Awami (la LA) sont les deux principaux partis politiques du Bangladesh. M. Alam a reconnu avoir été le « secrétaire organisateur »
pour l’aile étudiante du BNP de 1994 à 2013. Il est venu au Canada le 20 mars 2013 et a présenté une demande d’asile en raison d’un risque de persécution résultant de sa participation antérieure au BNP.
[6]
La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté la demande de M. Alam le 4 juillet 2013. Cependant, le 2 décembre 2013, la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR a renvoyé l’affaire à la SPR pour que celle-ci rende une nouvelle décision. Par conséquent, la SPR a conclu que M. Alam était un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger.
[7]
Le 17 septembre 2014, M. Alam a présenté une demande de résidence permanente à titre de personne protégée.
III.
Décision faisant l’objet du contrôle
[8]
La demande de résidence permanente de M. Alam a été rejetée le 29 novembre 2017. L’agent d’immigration a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le BNP est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à du terrorisme et/ou à de la subversion. Selon des documents publics au dossier, le BNP a eu recours à des grèves générales (connues sous le nom de « hartals »
) et des blocus comme moyen de coercition à contre le gouvernement. Ces actes ont souvent donné lieu à de la violence, des dommages matériels et de la perturbation. L’agent a fait valoir l’inexistence de composante temporelle dans l’analyse aux termes de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, et a également pris en compte les activités du BNP après l’arrivée de M. Alam au Canada.
IV.
Questions en litige
[9]
La seule question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si la décision de l’agent d’immigration est raisonnable. La question peut être décomposée en sous-questions, soit les suivantes :
Quelle est la norme de contrôle applicable?
La conclusion de l’agent d’immigration, selon laquelle le BNP est une organisation visée à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, est-elle raisonnablement étayée par la preuve?
L’importance accordée par l’agent d’immigration à la définition d’
« activité terroriste »
énoncée au chapitre C-46 du Code criminel, LRC 1985 était-elle raisonnable?La conclusion de l’agent d’immigration, quant à l’inexistence de composante temporelle dans l’analyse en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, était-elle raisonnable?
L’agent d’immigration a-t-il omis de façon déraisonnable de prendre en considération le rôle particulier et la participation de M. Alam au sein du BNP?
[10]
M. Alam a demandé que soit certifiée une question aux fins d’appel.
V.
Analyse
A.
Quelle est la norme de contrôle applicable?
[11]
Une décision portant sur l’interdiction de territoire en application du paragraphe 34(1) de la LIPR est une question de fait et de droit et est susceptible de contrôle par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable (S.A. c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 494, aux paragraphes 9 et 10 [SA]; (Gazi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 94, au paragraphe 17 [Gazi]). La Cour n’intervient que si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
[12]
Les faits qui constituent l’interdiction de territoire doivent être fondés sur la norme des « motifs raisonnables de croire »
(LIPR, article 33; Gazi, aux paragraphes 21 et 22; Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, au paragraphe 116 [Mugesera]). Les motifs raisonnables de croire exigent « davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile »
(Mugesera, au paragraphe 114).
[13]
La question dont est saisie la Cour ne consiste pas à déterminer s’il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Alam était interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Elle consiste plutôt à déterminer si la conclusion de l’agent d’immigration qu’il y avait des motifs raisonnables était raisonnable en soi (Pzarro Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623, au paragraphe 22.
[14]
Un agent d’immigration est présumé posséder l’expertise et la sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités du régime législatif de la LIPR. Il faut donc faire preuve de retenue l’égard de la décision de l’agent. Il n’appartient pas à la cour de révision de soupeser les éléments de preuve (Khosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009, CSC 12, aux paragraphes 25 et 59).
B.
La conclusion de l’agent d’immigration, selon laquelle le BNP est une organisation visée à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, est-elle étayée par la preuve?
[15]
Le paragraphe 34(1) de la LIPR est ainsi libellé :
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[16]
Le terrorisme n’est pas défini dans la LIPR. Dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 98 [Suresh], une affaire concernant le contrôle judiciaire relative à une opinion de danger visée par la Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I-2, la Cour suprême du Canada a défini comme suit le terme « terrorisme » :
À notre avis, on peut conclure sans risque d’erreur, suivant la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, que le terme « terrorisme » employé à l’article 19 de la Loi inclut tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. […] »
[17]
La définition d’« activité terroriste »
au paragraphe 83.01(1) du Code criminel est plus large, et comprend les éléments suivants :
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[18]
Selon M. Alam, rien dans la preuve présentée à l’agent d’immigration ne peut appuyer une conclusion que les hartals et blocus constituent des actes de terrorisme ou de la subversion. Ils constituent plutôt « une partie inexorable de la culture »
et sont communément utilisés au Bangladesh pour expliquer des intérêts politiques. Ils n’ont pas pour but de tuer ou blesser des civils, et ils ne sont pas illégaux. Bien que la violence puisse découler des hartals, cela ne signifie pas que le BNP promeut la violence, ou que les actes violents des sympathisants peuvent être attribués au groupe. M. Alam souligne que dans une décision confidentielle datée du 4 avril 2017, un membre de la Section de l’immigration (SI) a soutenu que le BNP n’est pas une organisation décrite à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.
[19]
M. Alam a accordé beaucoup d’importance à la décision récente du juge Richard Mosley dans A.K. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 236 [AK]. Dans cette décision, le demandeur a été actif au sein de diverses organisations du BNP entre 1980 et mai 2013. Le juge Mosley a conclu que la conclusion de l’agent d’immigration selon laquelle le demandeur était interdit de territoire, en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, était déraisonnable parce que les conclusions factuelles ont fait l’objet de qualifications et qu’il n’y avait aucune conclusion voulant que les appels aux hartals équivalaient à des appels à commettre des actes de terrorisme. Le juge Mosley a déclaré ce qui suit, au paragraphe 41 :
J’ai beaucoup de difficultés à accepter la notion qu’un appel à la grève générale par un parti politique en vue d’inciter le parti au pouvoir à entreprendre des mesures, comme proroger le législateur ou convoquer des élections partielles, s’inscrit dans le cadre de « ce que l’on entend essentiellement par “terrorisme” à l’échelle internationale ». Il n’est pas exagéré de prétendre, comme l’a fait le demandeur dans la présente instance, que l’interprétation de la loi par le défendeur pourrait comprendre des activités politiques qui, si elles étaient menées au Canada, seraient protégées en application de l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, en l’absence d’une intention d’avoir recours à la violence à des fins politiques.
[20]
L’absence de conclusion par l’agent d’immigration selon laquelle les appels aux hartals du BNP équivalaient à des appels à commettre des actes de terrorisme était un élément clé de la décision du juge Mosley dans AK. Son point de vue plus large concernant le discours sur la protection par la Charte au Canada fait l’objet de la qualification importante que cela doit être « en l’absence d’une intention d’avoir recours à la violence à des fins politiques »
.
[21]
La décision de l’agent d’immigration était étayée, notamment, par la preuve suivante versée dans le dossier certifié du tribunal (le DCT) :
a) en 1994, l’aile étudiante du BNP à laquelle appartient M. Alam a attaqué le défilé d’un groupe d’étudiants de la LA, causant des blessures à 45 personnes, dont trois agents de police;
b) en 2004, des membres du BNP ont lancé plus de 24 grenades à un rassemblement politique, à la suite de quoi 20 personnes ont été tuées et 150 blessées;
c) en 2006, M. Alam a été blessé dans un
« conflit »
intra-parti du BNP;d) en avril 2012, le BNP a organisé et mis à exécution un hartal qui a paralysé le pays pendant trois jours;
e) en décembre 2012, le BNP a organisé et mis à exécution un hartal dans lequel des bombes artisanales ont été utilisées dans le but de rétablir le gouvernement de transition;
f) M. Alam a déclaré dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) que le BNP lui avait demandé d’organiser la protestation de décembre 2012 et de rétablir le gouvernement de transition;
g) la Division du filtrage de sécurité à l’échelle nationale a conclu de la façon suivante :
[traduction] « [...] le BNP s’est livré à des activités qui constituent des actes de terrorisme, comme des manifestations violentes, de grands rassemblements, des bombardements et des attaques physiques », et bien que ces actes soient de motivation politique, ils ont été perpétrés par le BNP et l’aile étudiante contre des opposants politiques et des civils innocents afin de les intimider, et de tels actes ont [traduction] « été dirigés et organisés par le BNP lui-même et n’étaient pas des incidents distincts commis par des membres indésirables agissant indépendamment de l’organisation ».
[22]
La question consistant à déterminer si un agent d’immigration avait des motifs raisonnables de croire que le BNP est une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme dépendra du dossier factuel dont est saisi l’agent. Le juge Mosley a conclu dans AK que l’agent n’avait tiré aucune conclusion explicite voulant que les appels aux hartals du BNP équivalaient à des appels à commettre des actes de terrorisme. Dans SA, j’ai maintenu la décision d’un agent de trouver un ancien membre du BNP qui avait été interdit de territoire à la suite de conclusions factuelles tirées en l’espèce. Le juge Henry Brown a agi de la même manière dans Gazi et, plus récemment, dans Kamal c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 480, aux paragraphes 56 à 65 [Kamal].
[23]
En l’espèce, l’agent d’immigration a tiré une conclusion explicite selon laquelle le BNP s’est livré à des activités qui constituent du terrorisme. Elles comprennent des manifestations violentes, de grands rassemblements, des bombardements et des attaques physiques. Les activités avaient un but politique et tentaient d’intimider les opposants politiques de même que les civils innocents. Elles étaient dirigées et organisées par le BNP lui-même, et non par des éléments indésirables.
[24]
En général, M. Alam ne conteste pas la fiabilité des sources sur lesquelles se fonde l’agent d’immigration. Comme il a été mentionné précédemment, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve. Eu égard à la fonction de contrôle judiciaire et à la retenue à l’égard de l’expertise de l’agent d’immigration, je suis convaincu que la conclusion de l’agent, selon laquelle le BNP est une organisation visée à l’alinéa 34(1)f), était raisonnablement étayée par la preuve.
C.
L’importance accordée par l’agent d’immigration à la définition d’« activité terroriste »
énoncée dans le Code criminel était-elle raisonnable?
[25]
M. Alam affirme que l’agent d’immigration s’est fondé de manière déraisonnable sur la définition large d’activité terroriste du Code criminel, plutôt que sur la définition élaborée précisément dans le contexte de l’immigration par la Cour suprême du Canada dans Suresh. Il souligne que la perturbation et l’ingérence économiques des services essentiels sont englobées seulement par la définition du Code criminel. Dans AK, le juge Mosley a fait remarquer au paragraphe 39 qu’il croyait qu’il était « plus utile de commencer par la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Suresh »
.
[26]
Dans Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 182, au paragraphe 39 [Ali], le juge Brown a rejeté l’argument selon lequel l’alinéa 34(1)f) de la LIPR devrait être interprété seulement en lien avec Suresh. La Cour suprême a reconnu dans Suresh, au paragraphe 93, qu’elle n’essayait pas de définir le terrorisme de façon exhaustive, « tâche notoirement difficile »
, mais qu’il se contenterait plutôt de conclure que ce terme a fourni un fondement suffisant pour qu’une décision soit rendue et qu’il n’est pas imprécis au point d’être inconstitutionnel. La définition fournie n’était pas exhaustive (« comprend »
), et la Cour suprême a affirmé que le Parlement était libre d’adopter une définition plus détaillée ou différente du terme terrorisme. Le juge Brown a conclu au paragraphe 42 de la décision Ali que c’est précisément ce qu’a fait le Parlement en édictant l’article 83.01 du Code criminel. Il a invoqué la doctrine in pari materia pour étayer sa conclusion voulant que la définition d’activité terroriste énoncée à l’article 83.01 du Code criminel éclaire la signification du terme terrorisme visé à l’article 34 de la LIPR (au paragraphe 44).
[27]
Dans Kamal, le juge Brown a fait observer au paragraphe 54 que le législateur a édicté l’article 83 du Code criminel et l’alinéa 34(1)c) de la LIPR immédiatement après les attaques terroristes contre les États-Unis d’Amérique le 11 septembre 2001. Je ne crois pas que le législateur ait adopté ces deux dispositions presque simultanément dans l’esprit qu’elles seraient considérées isolément.
[28]
Je suis d’accord avec le juge Brown. Comme je l’avais conclu dans SA, il était loisible à l’agent d’immigration de se fier à la définition juridique d’activité terroriste édictée par le législateur dans le Code criminel, ainsi qu’à celle énoncée par la Cour suprême du Canada dans Suresh.
D.
La conclusion de l’agent d’immigration, quant à l’inexistence de composante temporelle dans l’analyse exigée par l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, était-elle raisonnable?
[29]
La façon dont cet argument soutient M. Alam est imprécise. Il n’est pas contesté qu’il était membre du BNP pendant la majeure partie de cette période, tandis que l’agent d’immigration a conclu que l’organisation s’était livrée à des activités terroristes. Quoi qu’il en soit, notre Cour a précédemment rejeté l’argument selon lequel l’analyse exigée en application de l’alinéa 34(1)f) comprenait une composante temporelle. Les paragraphes suivants découlent en grande partie de ma décision dans SA (aux paragraphes 13 à 15).
[30]
Dans Anteer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 232, aux paragraphes 50 à 57, la juge Cecily Strickland a confirmé qu’il n’y a aucune composante temporelle dans l’analyse en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. La Cour d’appel fédérale a effectivement résolu cette question dans Gebreab c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CAF 274, au paragraphe 3 [Gebreab] :
Il n’est pas requis pour pouvoir conclure à l’interdiction de territoire conformément à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR que les dates de l’adhésion d’un individu dans l’organisation correspondent aux dates auxquelles cette organisation a commis des actes de terrorisme ou un renversement par la force.
[31]
Dans ses motifs essentiellement appuyés par la Cour d’appel fédérale (dans Gebreab, au paragraphe 2), la juge Judith Snider a dit ce qui suit dans Gebreab c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 1213, conf. par 2010 CAF 274 :
[21] Dans Al Yamani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1457, 304 F.T.R. 222, on a demandé à notre Cour d’examiner la décision de la Commission de prononcer l’interdiction de territoire au Canada à l’encontre de M. Al Yamani pour raison de sécurité en application de l’alinéa 34(1)f). M. Al Yamani avait admis qu’il était membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Cependant, il soutenait que la Commission avait commis une erreur en concluant qu’il était interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIRP parce qu’il n’était pas un membre actif lorsque le FPLP a commis des actes de terrorisme.
[22] La Cour a statué que, aux termes du paragraphe 34(1)f), la Commission devait évaluer deux questions distinctes :
1. la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’organisation en cause est, a été ou sera l’auteure d’un acte d’espionnage, de terrorisme ou de renversement par la force;
2. la question de savoir si l’individu est membre de l’organisation (au paragraphe 10).
[23] Selon cette analyse, « le facteur temps n’est pas à prendre en compte » dans la décision relative à une organisation ou dans celle relative à l’appartenance d’un individu à une organisation (Al Yamani, précitée, aux paragraphes 11 et 12). La Commission n’a pas à examiner la question de savoir si l’organisation a mis fin à ses actes terroristes et elle n’a pas à vérifier s’il existe une « correspondance […] entre la participation active comme membre de l’intéressé et la période pendant laquelle l’organisation se livrait à des actes terroristes » (Al Yamani, précitée, au paragraphe 12). Au surplus, pour l’application de l’alinéa 34(1)f), la question de savoir si une organisation se livre, s’est livrée ou se livrera à des actes de terrorisme est indépendante de l’appartenance de l’intéressé.
[32]
M. Alam se fonde sur la décision récente du juge Richard Southcott dans Chowdhury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 189 [Chowdhury]. Dans Chowdury, le juge Southcott a maintenu que, pour tirer une conclusion d’interdiction de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, il faut déterminer « si, au moment de son appartenance, il existe des motifs raisonnables de croire que l’organisation pourrait se livrer à l’avenir à des actes terroristes » (au paragraphe 20)
. La présente affaire se distingue de l’arrêt Chowdhury. Dans Chowdhury, les prétendues activités terroristes du BNP sur lesquelles s’est fondé l’agent d’immigration étaient postérieures à l’appartenance du demandeur (au paragraphe 23). Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. De plus, dans la mesure où Chowdury peut sembler se démarquer de la décision de la Cour d’appel fédérale dans Gebreab, je suis lié par cette dernière décision.
E.
L’agent d’immigration a-t-il omis de façon déraisonnable de prendre en considération le rôle particulier et la participation de M. Alam au sein du BNP?
[33]
M. Alam soutient que l’agent d’immigration a omis d’évaluer adéquatement le lien entre ses activités en tant que membre du BNP et les prétendues activités de terrorisme ou de subversion. Il s’appuie sur la décision du juge Michel Shore dans Zahw c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1112 [Zahw]. Dans Zahw, le demandeur était un militaire égyptien et a été interdit de territoire pour des raisons de sécurité. Le juge Shore a conclu que le seul fait d’appartenir à l’armée ne permettait pas d’établir son appartenance en tant que membre en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Citant la décision du juge Leonard Mandamin dans El Werfalli c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 612, il a maintenu que, aux termes de l’alinéa 34(1)f), « [i]l s’agit d’une disposition unique exigeant la prise en compte de tous ses éléments d’une façon intégrée »
(au paragraphe 30).
[34]
Une complicité directe n’est pas requise par l’alinéa 34(1)f de la LIPR (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86, au paragraphe 22). L’agent d’immigration a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le BNP est une organisation qui s’est livrée à du terrorisme ou à de la subversion. Aucune conclusion n’a été tirée concernant le militaire égyptien dans Zahw.
[35]
Compte tenu de la conclusion de l’agent d’immigration, selon laquelle le BNP exerçait des activités terroristes, il n’était pas obligatoire de procéder à une enquête relative à la fonction ou au rôle précis qu’occupait M. Alam au sein de l’organisation. Conformément au libellé de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, l’agent a cherché à déterminer si M. Alam était membre de l’organisation. L’agent s’est référé à la jurisprudence qui établit que le terme « membre »
devrait recevoir une interprétation large en ce qui a trait à la preuve dans son ensemble (Poshteh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, au paragraphe 27; Stables c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1319, au paragraphe 45; Krishnamoorthy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1342, aux paragraphes 21 à 26). L’agent a dressé la liste non exhaustive de 20 facteurs pouvant dénoter une appartenance.
[36]
L’agent d’immigration a appuyé la décision à l’aide des conclusions de fait suivantes :
a) M. Alam a reconnu son appartenance au BNP et à son aile étudiante;
b) M. Alam a déclaré dans son formulaire FDA et dans le cadre de son interrogatoire qu’il était un membre actif du BNP et avait participé à des réunions, à des démonstrations et au recrutement de nouveaux membres;
c) M. Alam n’était pas simplement un membre ordinaire. Il occupait un poste de secrétaire organisateur;
d) la nature et la portée de sa participation au sein du BNP ont constitué le fondement du succès d’une demande de statut de réfugié devant la SPR.
[37]
En conséquence, il est clair que l’agent d’immigration a pris en considération la participation et le rôle précis de M. Alam au sein du BNP. L’agent a traité tous les éléments visés au paragraphe 34(1) de la LIPR [traduction] « d’une façon intégrée »
.
F.
Est-ce qu’une question devrait être certifiée en vue d’un appel?
[38]
Notre Cour peut certifier une question si elle est déterminante quant à l’issue en appel et si elle transcende les intérêts des parties au litige en raison de ses conséquences importantes (Torre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 48, au paragraphe 3).
[39]
M. Alam demande que la question suivante soit certifiée aux fins d’appel :
Une grève, ou toute autre activité organisée semblable, qui est un acte légal dans un pays en particulier et légal au Canada, donnant lieu à une perturbation économique, ou qui a pour but d’influencer un acte gouvernemental dans ce pays, peut-elle être considérée comme un acte de terrorisme ou une subversion en application de l’article 34 de la LIPR?
[40]
M. Alam soutient que les directives de la Cour d’appel s’imposent, compte tenu des contradictions de la jurisprudence sur la question de déterminer si le BNP peut être raisonnablement qualifié d’organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à du terrorisme. Il mentionne les doutes fortement exprimés par le juge Mosley dans AK, selon lesquels une grève générale organisée par un parti politique en vue d’inciter le parti au pouvoir à entreprendre des mesures démocratiques s’inscrit dans le cadre de « ce que l’on entend essentiellement par “terrorisme” à l’échelle internationale »
.
[41]
Dans AK, le ministre a proposé que la question suivante soit certifiée aux fins d’appel (au paragraphe 45) :
Les actes violents qui causent fréquemment et de façon prévisible pendant une grève générale ou un hartal dans un pays en particulier, qui ont pour but de contraindre un gouvernement à faire quelque chose, sont-ils considérés comme du terrorisme au sens du paragraphe 34(1) de la LIPR malgré le fait qu’ils se produisent dans le contexte d’une grève générale?
[42]
Le juge Mosley a refusé de certifier la question, puisqu’il la jugeait ambiguë, et n’était pas convaincu qu’elle permettrait de régler un appel compte tenu des faits en l’espèce (au paragraphe 47).
[43]
Dans Kamal, les deux parties ont présenté les questions possibles suivantes aux fins de certification au juge Brown :
[75] Le demandeur a proposé :
Est-ce qu’un parti politique se livre au terrorisme ou à un renversement par la force en appelant à la grève ou à la désobéissance civile sans encourager la violence lorsque la violence survient par la suite?
[76] Le défendeur a proposé :
Est-ce qu’un groupe ou individu qui appelle à une grève générale ou un hartal ou les tolère comme moyen de contraindre un gouvernement, ce qui, de façon prévisible aboutit fréquemment à la violence, est considéré comme ayant participé à des actes de terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR?
[44]
Le juge Brown a refusé de certifier les questions en vue d’un appel :
[77] À mon avis, aucune question de portée générale n’est soulevée. Pour commencer, c’est un truisme de dire que tous les cas comme celui dont notre Cour est actuellement saisie sont tranchés en fonction du dossier dont le tribunal dispose. Ces deux questions font précisément référence aux faits consignés dans le dossier dont disposait la SI. En outre, la question proposée par le demandeur ne permet pas de saisir les faits déterminants dans l’affaire, comme il y est fait référence dans les présents motifs. La question du défendeur touche des faits non établis par la SI, et semble demander à notre Cour de transformer la présente instance en renvoi d’initiative privée.
[78] Il me semble que les questions proposées demandent essentiellement à la Cour d’appel fédérale de rendre une sorte de décision exécutoire à savoir si les alinéas 34(1)b) et c) s’appliquent au BNP d’après les faits de la présente affaire.
[45]
Bien que je reconnaisse la tension créée par la jurisprudence sur la question de déterminer si le BNP peut être raisonnablement qualifié d’organisation terroriste, je ne suis pas convaincu qu’elle soit source de conflit au sens juridique. Comme l’a fait observer le juge Brown dans Kamal, au paragraphe 77, chaque cas est tranché en fonction du dossier dont le tribunal dispose. C’est ce qui explique les différents résultats dans Gazi, SA et Kamal d’une part, et dans AK d’autre part.
[46]
De plus, la question proposée par M. Alam omet toute allusion à la violence, et ne saisit donc pas les faits déterminants dans l’affaire. Même si la question reflétait avec exactitude le fondement de la décision de l’agent, elle équivaudrait à demander à la Cour d’appel fédérale de trancher si les alinéas 34(1)b), c) ou f) de la LIPR s’appliquent au BNP selon les faits de la présente affaire. Comme le soutient le juge Brown dans Kamal, il ne s’agirait pas d’une question qu’il convient de certifier.
[47]
La détermination voulant que les actes du BNP s’inscrivent dans le cadre de « ce que l’on entend essentiellement par “terrorisme” à l’échelle internationale »
est peut-être plus une question d’interprétation politique que juridique et, donc, une question que le législateur doit résoudre et non les Cours. Autrement, le ministre conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas soutenir l’interdiction de territoire d’un individu en se fondant sur l’appartenance antérieure au BNP.
VI.
Conclusion
[48]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.
JUGEMENT
LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.
« Simon Fothergill »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5226-17
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INTITULÉ :
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SHAMSUL ALAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Calgary (Alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 19 juillet 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE FOTHERGILL
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DATE DES MOTIFS :
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Le 17 septembre 2018
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COMPARUTIONS :
Ram Sankaran
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Pour le demandeur
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Galina Bining
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Stewart Sharma Harsanyi
Avocats
Calgary (Alberta)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Edmonton (Alberta)
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Pour le défendeur
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