Date : 20180907
Dossier : IMM-637-18
Référence : 2018 CF 898
Toronto (Ontario), le 7 septembre 2018
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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TIMOTHY KAYIGWA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
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M. Timothy Kayigwa (le demandeur) sollicite un contrôle judiciaire de la décision d’un agent (l’agent) qui a rejeté sa demande de protection présentée en application du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).
[2]
Le demandeur est un citoyen de l’Ouganda. Il a demandé la protection du Canada en raison de son orientation sexuelle, étant un homme homosexuel vivant en Ouganda.
[3]
Il a présenté une demande de protection à titre de réfugié au sens de la Convention, en application du paragraphe 96 de la Loi. Au terme d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, sa demande a été rejetée au motif que ses éléments de preuve ont été jugés non crédibles. La SPR a conclu, en application du paragraphe 107(2) de la Loi, que la demande du demandeur n’avait pas un minimum de fondement.
[4]
Le demandeur a demandé l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, mais sa demande d’autorisation a été rejetée en application d’une ordonnance rendue le 23 février 2016 dans l’affaire portant le numéro IMM-5086-15.
[5]
Le demandeur sollicitait une protection dans le cadre du processus d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Il a fondé sa demande sur le même risque que celui invoqué devant la SPR, à savoir sur le fait qu’il est un homme homosexuel vivant en Ouganda. Il a présenté de nouveaux éléments de preuve, consistant en une photographie du défilé de la Fierté, trois articles de journaux et deux lettres, chacune provenant de fournisseurs de services de soutien aux personnes LGBTQ+ de Toronto.
[6]
L’agent a noté sur une liste de vérification que les nouveaux éléments de preuve avaient été présentés avec la demande d’ERAR; voir la page 4 de la décision et la page 20 du dossier certifié du tribunal (DCT). Il a toutefois conclu que la photographie était une preuve insuffisante pour réfuter la conclusion de la SPR quant à « l’absence d’un minimum de fondement »
. Il a aussi laissé entendre que la photographie n’établissait pas l’orientation sexuelle du demandeur.
[7]
L’agent a accordé peu de poids aux trois articles de journaux, notant qu’il ne s’agissait pas de documents originaux et qu’un article n’était pas daté.
[8]
L’agent a également jugé que les lettres ne constituaient pas [traduction] « de nouveaux éléments de preuve »
, car elles faisaient référence à des événements survenus avant l’audience devant la SPR.
[9]
L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à présenter des éléments de preuve permettant de réfuter les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité du demandeur, ainsi que le rejet par la SPR de l’allégation du demandeur selon laquelle il était homosexuel, allégation qui constituait le fondement de sa demande de protection.
[10]
Le demandeur conteste la manière dont l’agent a examiné les nouveaux éléments de preuve présentés, ainsi que son refus de lui accorder une audience et de prendre en compte le dossier de la SPR pour statuer sur sa demande d’ERAR.
[11]
Les questions liées au traitement de la preuve et aux conclusions finales de l’agent soulèvent des questions de fait et de droit, sujettes à révision selon la norme de la décision raisonnable; voir la décision dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration) (2006), 58 Admin. LR (4th) 283 (CF) au paragraphe 12, conf. par (2007), 370 NR 344 (CAF), au paragraphe 3.
[12]
Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, la norme exige que la décision soit transparente, justifiable et intelligible, et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[13]
L’absence d’audience est une question d’équité procédurale, sujette à révision en regard de la norme de la décision correcte; voir la décision rendue dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339.
[14]
J’ai examiné la documentation qui a été présentée à l’agent et tenu compte des arguments des avocats des parties.
[15]
À mon avis, la décision de l’agent ne peut être maintenue.
[16]
La question déterminante pour la SPR était la crédibilité. La SPR est allée jusqu’à conclure à l’« absence d’un minimum de fondement »
. Il ne fait aucun doute que l’agent mettait en doute la crédibilité du demandeur, notamment quant à son orientation sexuelle.
[17]
Je suis toutefois d’avis que l’agent n’a pas fait une analyse raisonnable des nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur. Seules les deux lettres ont été clairement rejetées par l’agent, mais celui-ci n’a pas formulé de conclusion comparable au sujet des articles de journaux. Or, ces articles décrivent en des termes non ambigus les risques auxquels sont exposées les personnes homosexuelles en Ouganda.
[18]
À mon avis, dans son traitement de ces articles, l’agent a tiré des conclusions voilées quant à la crédibilité d’un élément essentiel de la demande d’asile du demandeur, à savoir son orientation sexuelle.
[19]
Tout comme le demandeur ne peut utiliser le processus d’ERAR pour interjeter appel d’une décision de la SPR, de même l’agent ne peut pas, durant l’évaluation d’une demande d’ERAR, appuyer une décision de la SPR sans examiner les nouveaux éléments de preuve qui lui sont présentés.
[20]
L’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, accorde le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience lorsque la crédibilité est mise en doute durant l’examen d’une demande d’ERAR. L’article 167 prévoit ce qui suit :
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Je suis d’avis que les facteurs énoncés à l’article 167 s’appliquent en l’espèce.
[22]
Si l’agent avait fait une analyse raisonnable des nouveaux éléments de preuve et s’il avait donné au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations, l’issue de la demande d’ERAR aurait pu être différente.
[23]
Je conclus que le demandeur, en l’espèce, a démontré que l’agent a tiré des conclusions voilées quant à sa crédibilité, et qu’une audience aurait dû lui être accordée. Le défaut de le faire constitue une erreur susceptible de révision.
[24]
Il n’est pas nécessaire que j’examine la question de la non-utilisation du dossier de la SPR par l’agent.
[25]
Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour une nouvelle détermination. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-637-18
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour une nouvelle détermination. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.
« E. Heneghan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-637-18
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INTITULÉ :
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TIMOTHY KAYIGWA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 6 septembre 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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La juge Heneghan
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DATE DES MOTIFS :
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LE 7 septembre 2018
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COMPARUTIONS :
Richard Wazana
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POUR LE DEMANDEUR
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Meva Motwani
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Pour le DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
WAZANALAW
Avocat et notaire
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
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Pour le DÉFENDEUR
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