Date : 20180824
Dossier : IMM-5241-17
Référence : 2018 CF 858
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 24 août 2018
En présence de monsieur le juge Favel
ENTRE :
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Imadeddin A M Shaheen
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, un Palestinien de 34 ans né au Koweït, a présenté une demande d’asile en provenance de la Palestine (bande de Gaza), en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile dans une décision écrite rendue le 17 novembre 2017. Le demandeur sollicite un contrôle judiciaire de cette décision. La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.
II.
Énoncé des faits
[2]
L’épouse du demandeur et leurs trois enfants vivent à Gaza, en Palestine, et ne figurent pas sur la demande d’asile du demandeur. Le père du demandeur est né en Palestine et sa mère, une citoyenne égyptienne, est née en Égypte.
[3]
Le demandeur a vécu dans un certain nombre de pays différents. En 1992, le demandeur et sa famille sont déménagés du Koweït en Iraq. Ils sont restés en Iraq jusqu’en 1995, auquel moment ils ont déménagé à Gaza, en Palestine. Le demandeur y a travaillé comme enseignant. En 2007, il a épousé sa femme, elle aussi une Palestinienne. En 2009, le demandeur et son frère ont fui en Malaisie et ont demandé la protection du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. L’épouse du demandeur et leur unique enfant à l’époque ont toutefois été incapables de quitter Gaza et, en 2011, le demandeur a quitté la Hongrie pour retourner vivre avec sa famille. À peu près à cette époque, les lois égyptiennes ont été modifiées pour permettre à des Palestiniens nés de mères égyptiennes d’obtenir la citoyenneté égyptienne. Le demandeur a donc présenté une demande en vue d’obtenir la citoyenneté égyptienne, citoyenneté qui lui a été accordée en août 2012.
[4]
Le demandeur affirme avoir eu des difficultés à traverser la frontière du pays à cause de difficultés de la part des autorités égyptiennes. Il soutient également qu’il a eu de la difficulté à obtenir un nouveau certificat de naissance du Koweït afin de clarifier son statut auprès de l’Égypte et qu’il a été incapable d’obtenir le passeport de sa mère décédée.
[5]
Lorsqu’il vivait à Gaza, le demandeur craignait l’armée israélienne, en raison des conflits qui sévissaient dans cette région du monde. En août 2015, alors que le demandeur se rendait de Gaza en Cisjordanie, il a été interrogé et détenu par les forces israéliennes. Plus tard cette même année, le demandeur a obtenu une bourse d’études pour faire un doctorat en linguistique appliquée dans une université de Hongrie. Il ne pouvait toutefois pas se rendre en Hongrie depuis Gaza, à cause du blocus israélien. Le demandeur et sept de ses collègues ont obtenu l’autorisation du ministère égyptien des affaires étrangères de quitter la bande de Gaza pour se rendre en Égypte par le poste-frontière de Rafah, puis de prendre un vol vers la Hongrie à partir du Caire. Le demandeur a fréquenté l’université en Hongrie de décembre 2015 à avril 2016. Le 13 avril 2016, le demandeur s’est rendu aux États-Unis pour assister à une conférence et, trois jours plus tard, il est arrivé au Canada où il a présenté une demande d’asile.
[6]
Dans ses observations consécutives à l’audience, le demandeur allègue que le refus du gouvernement égyptien de coopérer pour lui délivrer un passeport est une preuve de persécution de la part de l’Égypte.
III.
Dispositions légales pertinentes
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Les articles 96 et 97 de la LIPR sont ainsi libellés :
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IV.
Questions en litige
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Bien que le demandeur ait soulevé plusieurs questions devant la Cour, la question centrale est de savoir si la SPR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’a pas fait d’efforts raisonnables pour obtenir la citoyenneté égyptienne.
V.
Norme de contrôle
[9]
Le demandeur n’a fait aucune observation directe relativement à la norme de contrôle devant s’appliquer.
[10]
Le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique. La Cour est d’accord avec le défendeur. Les questions de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Le caractère raisonnable tient principalement à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel »
, ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
VI.
Discussion
[11]
Les avocats des deux parties conviennent que l’affaire Tretsetsang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 455, conf. 2016 CAF 175 [Tretsetsang] définit le critère devant s’appliquer. L’arrêt Tretsetsang prévoit un critère à deux volets. Premièrement, il doit être déterminé qu’il existe un obstacle important qui empêche le demandeur d’exercer son droit à la citoyenneté. Deuxièmement, il doit être établi que le demandeur a fait des efforts raisonnables pour surmonter cet obstacle. Il incombe au demandeur de satisfaire à ce critère.
[12]
Il n’y a rien dans la décision de la SPR qui indique clairement que le commissaire a examiné le premier volet du critère Tretsetsang, à savoir qu’il existait un obstacle et que cet obstacle était important. La SPR a ensuite examiné les efforts faits par le demandeur afin de déterminer si ces efforts avaient été raisonnables. La Cour considère que l’absence d’analyse du premier volet du critère signifie que le commissaire était convaincu que ce volet du critère avait été satisfait.
[13]
L’argument invoqué par le demandeur pour indiquer qu’il a satisfait à ce volet du critère a convaincu la Cour. La SPR a conclu que les deux documents produits par le demandeur ont permis d’établir sa citoyenneté égyptienne. Ces deux documents indiquent que le demandeur a acquis la citoyenneté égyptienne le 18 août 2012. Le demandeur fait valoir que, malgré ces documents, il lui a été impossible d’obtenir un passeport égyptien ou la confirmation qu’il est citoyen égyptien, ou encore de bénéficier de la nationalité « effective »
de ce pays. Les éléments de preuve du demandeur sur les difficultés auxquelles il a fait face et sur le traitement dont il a fait l’objet, et qui témoignent de l’existence d’un obstacle important, ne sont pas contestés.
[14]
Les éléments de preuve sur la situation dans le pays, présentés par le demandeur, indiquent que l’Égypte a entrepris la révocation de la citoyenneté égyptienne de Palestiniens. La SPR a déclaré que le demandeur « n’est manifestement pas l’un des Palestiniens touchés par cette révocation massive »
. La SPR s’est basée sur le certificat consulaire daté du 10 mars 2017, qui confirme que le demandeur [traduction] « a acquis la nationalité conformément à la loi 154/2004 le 18 août 2012 »
. Cela ne va pas à l’encontre des allégations du demandeur selon lesquelles il est incapable de jouir d’une citoyenneté ou d’une nationalité effective.
[15]
La SPR a tenu compte des éléments suivants pour conclure que le demandeur n’a pas fait d’efforts raisonnables pour surmonter l’obstacle :
Le demandeur n’a pas tenté d’interjeter appel par écrit auprès du gouvernement égyptien;
Le demandeur n’a pas tenté de communiquer, par écrit ou en personne, avec l’ambassade du Koweït au Canada;
Le demandeur aurait pu demander que son certificat de naissance original soit notarié par l’ambassade du Koweït au Canada.
[16]
L’argument selon lequel le demandeur a fait des efforts raisonnables pour tenter d’obtenir une carte d’identité et un passeport égyptiens a convaincu notre Cour. Le demandeur a présenté des éléments de preuve indiquant qu’il a demandé l’aide des autorités égyptiennes à diverses reprises. Les éléments de preuve ont aussi établi que le demandeur avait demandé l’aide de sa tante au Koweït relativement à son certificat de naissance. Les éléments de preuve du demandeur montrent que les autorités égyptiennes ont considéré que son certificat de naissance du Koweït était périmé et qu’il devait en obtenir un nouveau. Le demandeur a fait des efforts raisonnables pour tenter d’obtenir un certificat à jour. La Cour s’appuie sur la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans Maldonado v Canada (Minister of Employment and Immigration), [1994] ACF no 72, selon laquelle, [traduction] « lorsqu’un demandeur jure que certaines allégations sont véridiques, il existe une présomption qu’elles le sont à moins qu’il y ait des raisons valables de douter de leur véracité »
.
[17]
La SPR a noté que [traduction] « le ministre avait signifié un avis d’intervention, mais n’avait présenté aucun élément de preuve, n’avait formulé aucune allégation ni n’avait fait aucun suivi de quelque nature que ce soit »
. Le demandeur a accepté que le défendeur mène une enquête auprès des autorités égyptiennes. Le demandeur a coopéré avec le ministre. Voilà autant d’autres éléments de preuve attestant des efforts raisonnables faits par le demandeur.
[18]
Notre Cour est convaincue par l’argument du demandeur lorsque celui-ci soutient que la SPR a formulé une hypothèse lorsqu’elle a déterminé qu’il était « peu probable »
que le gouvernement égyptien aurait eu quelque motif de rejeter le certificat de naissance original koweïtien du demandeur que l’ambassade du Koweït au Canada aurait accepté et qu’il existait d’autres mesures rentables que le demandeur aurait pu prendre. Aucun élément de preuve remis à la SPR ne permet de tirer pareilles conclusions. Les seuls éléments de preuve sont ceux du demandeur. La Cour juge que le demandeur a fait des efforts raisonnables pour surmonter les obstacles l’empêchant d’exercer son droit à la citoyenneté.
[19]
À la lumière de l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la Cour conclut que la décision de la SPR n’était pas raisonnable. Pour les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.
[20]
Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5241-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.
Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et aucune question n’a été soulevée.
« Paul Favel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5241-17
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INTITULÉ :
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IMADEDDIN A M SHAHEEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 28 mai 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE FAVEL
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DATE DES MOTIFS :
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Le 24 août 2018
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COMPARUTIONS :
Debora Brubacher
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Pour le demandeur
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Teresa Ramnarine
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael F. Loebach
Avocat
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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