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Date : 20180829


Dossier : IMM-2088-17

Référence : 2018 CF 869

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 août 2018

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

NOSAKHARE AGHAYERE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Aghayere Nosakhare (le « demandeur ») est un citoyen du Nigéria âgé de 41 ans et a vécu environ la moitié de sa vie – et toute sa vie adulte – au Canada. Il est marié à une citoyenne canadienne et a trois enfants qui sont également citoyens canadiens.

[2]  Après avoir perdu son statut de résident permanent à la suite de deux condamnations criminelles, il a présenté une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire (« CH »). À l’appui de la demande, le demandeur a invoqué trois facteurs : l’intérêt supérieur de ses enfants, les difficultés, et son établissement au Canada.

[3]  Un agent d’immigration principal (l’« agent ») a rejeté la demande. L’agent a conclu qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants que le demandeur demeure au Canada, mais a estimé que ce n’était pas un facteur déterminant. L’agent a également retenu que le demandeur s’était établi au Canada, mais a constaté que son entreprise demeurait en activité pendant son incarcération (grâce aux efforts de sa femme), et que son renvoi constituerait en fait le maintien du statu quo pour sa famille. Quant aux difficultés, l’agent a conclu que le demandeur ferait face aux mêmes conditions socioéconomiques que toutes les personnes vivant au Nigéria à son retour dans ce pays, et a abordé les préoccupations du demandeur en ce qui a trait aux menaces à sa vie émanant de son ancien complice et a conclu que le demandeur pouvait choisir de vivre dans une autre partie du pays. En conséquence, la demande de résidence permanente a été rejetée et le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire à notre Cour.

[4]  J’ai examiné la décision de l’agent et je l’annule par les motifs énoncés ci-dessous.

II.  Les faits

A.  Le demandeur

[5]  Le demandeur est un citoyen du Nigéria âgé de 41 ans. En octobre 1997, à l’âge de 20 ans, il a immigré au Canada et est devenu un résident permanent. En 2005, il a épousé Theresa Kashama (Mme Kashama), une citoyenne naturalisée canadienne de la République démocratique du Congo, et ils ont trois enfants mineurs canadiens. Avant son incarcération, le demandeur était un travailleur indépendant, exploitant une entreprise d’importation-exportation avec le Nigéria dans le secteur automobile, ainsi qu’une entreprise de promotion musicale et du multimédia. Mme Kashama a exploité l’atelier automobile en son absence, et est également employée à temps plein dans une maison de vente aux enchères.

[6]  En mai 2003, le demandeur a plaidé coupable à une accusation de fraude de plus de 5 000 $ et à deux chefs d’accusation de fraude de moins de 5 000 $. Avant d’être reconnu coupable, le demandeur avait coopéré avec des détectives de la fraude pour exposer certaines fraudes impliquant des Nigérians vivant dans les régions de Toronto et de Peel, notamment les fraudes d’un ancien complice et locataire dans sa maison, Courage Idahosa (« M. Idahosa »). Le demandeur a cru que ces discussions étaient confidentielles, mais le procès a révélé une grande partie de sa participation à l’enquête.

[7]  En août 2008, une mesure de renvoi a été prise contre le demandeur, mais la Section d’appel de l’immigration (« SAI ») a sursis à la mesure de renvoi pour une période de cinq ans en juin 2010.

[8]  Le 15 septembre 2011, le demandeur a été déclaré coupable de complot en vue de commettre une fraude, de possession d’instruments de falsification de documents, et de possession de biens volés. Ces accusations étaient liées à une deuxième série d’événements qui ont eu lieu en 2007. En raison de sa condamnation, le sursis de la mesure de renvoi a été annulé en application du paragraphe 68(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (« LIPR »), ce qui a été confirmé par la SAI en février 2012. Le demandeur a interjeté appel de la condamnation, mais en janvier 2016, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel. Il a été incarcéré à l’époque, mais a depuis été libéré.

[9]  Le demandeur affirme qu’il n’était pas au courant que l’annulation du sursis lui faisait également perdre son statut de résident permanent. Après l’avoir appris, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire ou, subsidiairement, un permis de séjour temporaire (« PST »).

[10]  Depuis 2007 jusqu’à aussi récemment qu’en 2016, le demandeur a été menacé par M. Idahosa, qui blâme le demandeur pour avoir été lui-même condamné et renvoyé au Nigéria.

B.  La décision relative aux considérations d’ordre humanitaire

[11]  Dans une décision datée du 13 avril 2017, l’agent a rejeté la demande CH du demandeur. L’agent mentionne l’intérêt supérieur des enfants du demandeur, le risque (d’enlèvement, par le coaccusé), et l’établissement comme les facteurs CH invoqués par le demandeur. L’agent examine ensuite la situation générale qui attend le demandeur en cas de retour au Nigéria : il serait séparé de sa famille, ses enfants vont en souffrir et grandiront sans leur père, et son renvoi aura une incidence négative sur son entreprise.

[12]  L’agent poursuit en procédant à l’analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants du demandeur. L’agent fait remarquer que le Dr Parul Agarwal (« Dr Agarwal »), un psychiatre, a effectué une évaluation des enfants pour donner un avis d’expert sur l’incidence de la séparation de leur père sur eux. L’agent expose les conclusions du rapport : les enfants sont troublés par l’absence de leur père due à l’incarcération, ils ne comprennent pas qu’il est en prison, ils lui ont rendu visite dans un établissement à sécurité minimale, et ils croient qu’il reviendra à la maison bientôt. Citant la littérature sur la santé mentale, le Dr Agarwal estime que les enfants sont susceptibles de souffrir d’anxiété et de dépression s’ils sont séparés de leur père pour une période prolongée. Le Dr Agarwal ajoute que si le demandeur est envoyé au Nigéria, les enfants seront touchés indirectement du fait que le défi d’assurer l’éducation des trois enfants reposera de façon permanente sur les seules épaules de la mère. L’agent conclut par conséquent que l’intérêt supérieur des enfants sera mieux servi s’ils sont réunis avec le demandeur après sa peine, et décide que ce facteur sera pris en compte dans l’évaluation globale de la demande.

[13]  En ce qui a trait à l’établissement, l’agent estime que le demandeur était un résident permanent, ce qui lui a fait croire qu’il n’aurait pas à quitter le Canada à moins que ce ne soit de son propre gré. Il a épousé une Canadienne, il a des enfants canadiens et a immigré ici alors qu’il était jeune. L’agent décide que l’établissement fera également partie de l’évaluation globale la demande.

[14]  Enfin, l’agent procède à une « évaluation globale » de la demande présentée par le demandeur. L’agent reconnaît que la famille éprouvera de la souffrance émotionnelle, mais note que l’épouse du demandeur travaille déjà dans son entreprise et s’occupe de son fonctionnement pendant qu’il est en prison, de sorte que le renvoi du demandeur au Nigéria constituera un maintien du statu quo. L’agent souligne ensuite que le demandeur retourne à l’occasion au Nigéria pour affaires, et qu’il est probable qu’il puisse poursuivre ses activités du Nigéria. L’agent retient en outre que le fait que le demandeur soit séparé de sa famille deviendra probablement une situation plus permanente si la demande est rejetée, et causera [traduction« du malheur, de la solitude et un état de dépression » chez le demandeur et sa famille (Décision relative aux considérations d’ordre humanitaire, p. 6). L’agent rappelle que l’intérêt supérieur des enfants serait mieux servi si le demandeur demeurait au Canada, mais souligne que cela ne constitue pas la seule considération pertinente, et qu’une décision défavorable sera en grande partie une [traduction] « continuation de la situation actuelle ». En ce qui concerne le danger posé par M. Idahosa, l’agent s’appuie sur un ancien examen des risques avant renvoi (« ERAR ») qui a abordé cette question et a donné lieu à la conclusion que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État et n’avait produit aucun élément de preuve établissant un risque personnalisé. L’agent ajoute que le demandeur peut choisir de vivre ailleurs au Nigéria, loin de M. Idahosa. L’agent résume l’argumentation du demandeur qu’il est peu probable qu’il récidive et conclut que le demandeur assume la responsabilité de ses actes, mais note que les infractions [traduction] « démontrent une tendance dans l’approche du demandeur à ses besoins financiers » et théorise qu’« il n’y a aucune garantie que le demandeur n’aura pas les mêmes motivations à commettre des crimes à l’avenir ou qu’il changera son comportement » (Décision relative aux considérations d’ordre humanitaire, p. 7 et 8).

C.  Permis de séjour temporaire

[15]  Bien que la décision ne fasse pas référence à la demande subsidiaire de PST du demandeur, le 19 avril 2017, l’agent a envoyé au demandeur une lettre relative à sa demande de PST dans le contexte de sa demande CH. Dans la lettre, l’agent indique que des instructions ont été demandées à la « Direction générale de la gestion opérationnelle et de la coordination » qui a avisé l’agent de fournir des instructions sur la façon de déposer une demande de PST, indiquant apparemment que le PST doit faire l’objet d’une demande distincte.

D.  L’historique des procédures

[16]  Le 18 décembre 2017, à la suite du dépôt d’une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de l’affaire en instance, la demande de PST, avec le consentement du défendeur, a été réexaminée. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») a accordé le PST, mais aux seules fins de conférer un statut temporaire au demandeur, pour une période de six mois, pour que sa demande de contrôle judiciaire puisse suivre son cours. IRCC a expressément refusé d’examiner la demande de PST pour la raison invoquée par le demandeur, à savoir permettre au demandeur de demeurer au Canada et démontrer sa réhabilitation. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision dans une procédure connexe (numéro de dossier de la Cour IMM-14-18).

[17]  Le 31 janvier 2018, le protonotaire Aalto a décidé de faire instruire conjointement l’instance IMM-14-18 et l’affaire en instance (IMM-2088-17) sous le numéro de dossier de la Cour IMM-14-18.

[18]  Aux termes d’une ordonnance datée du 4 avril 2018, le juge Harrington a rejeté la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de décembre 2017 relative au PST. Le 13 avril 2018, il a accordé l’autorisation d’initier la demande de contrôle judiciaire de l’affaire en instance, et le contrôle judiciaire s’est déroulé sous le numéro du dossier de la Cour IMM-2088-17.

III.  Questions en litige

[19]  Bien que le demandeur formule plusieurs questions à traiter dans la présente demande de contrôle judiciaire, j’exposerais la principale question à trancher comme suit :

  1. Est-ce que l’analyse des considérations d’ordre humanitaire faite par l’agent était déraisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[20]  La conclusion de l’agent est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44).

V.  Analyse

A.  Est-ce que l’analyse des considérations d’ordre humanitaire faite par l’agent était déraisonnable?

[21]  Le demandeur invoque plusieurs raisons pour lesquelles il considère que la décision visée par le présent contrôle est déraisonnable. Je me pencherai sur chaque question l’une à la suite de l’autre.

1)  L’agent a-t-il fait une évaluation raisonnable de la réhabilitation du demandeur?

[22]  Le demandeur souligne qu’il a présenté plusieurs observations à propos de sa réhabilitation, notamment le fait que sa dernière accusation remonte à 10 ans, sa motivation à demeurer au Canada avec son épouse et ses enfants, le fait qu’il n’a pas enfreint les conditions qui lui étaient imposées par les autorités de l’immigration et les autorités criminelles, et le fait qu’il a été évalué comme présentant un faible risque de récidive. Le demandeur fait valoir que l’agent a centré son analyse sur ses antécédents criminels et a imposé une norme de preuve irréaliste en concluant qu’il n’y avait [traduction] « aucune garantie » qu’il ne récidive pas. Le demandeur fait en outre valoir que l’agent était tenu d’évaluer le degré de la réhabilitation du demandeur, notamment ses rapports correctionnels, qu’il associe à des évaluations psychologiques (auxquelles un poids considérable est normalement accordé).

[23]  Le défendeur soutient que l’agent a examiné plusieurs facteurs lors de l’évaluation de l’interdiction de territoire pour criminalité du demandeur, notamment le fait qu’il a nié toute participation à la conspiration de 2007 et qu’il a contesté la conclusion de la SAI voulant qu’il ne se soit pas réhabilité. Le défendeur fait en outre observer que l’agent a émis des observations concernant le modèle de comportement criminel commun aux deux infractions (p. ex., altération de chèques et conspiration de fraude). De plus, le défendeur rappelle que la jurisprudence de notre Cour enseigne qu’il existe une présomption selon laquelle l’ensemble des éléments de preuve ont été examinés par l’agent, et souligne que, de toute façon, l’agent a bien fait mention des rapports des services correctionnels. De l’avis du défendeur, il serait contraire à la jurisprudence de minimiser l’importance de l’interdiction de territoire du demandeur pour criminalité, alors que les objectifs de la LIPR démontrent clairement que le législateur se préoccupait beaucoup de la criminalité des non‑citoyens.

[24]  À mon avis, l’analyse de l’agent de cette question n’était pas raisonnable. Je retiens la thèse du défendeur selon laquelle l’agent a entrepris un examen approfondi des éléments de preuve, mais le fait que l’agent ait conclu qu’il n’y avait « aucune garantie » que le demandeur ne récidive pas constitue clairement la preuve qu’il a imposé une norme irréaliste (et donc déraisonnable) à l’affaire en instance. Comme le demandeur le souligne à juste titre, il est impossible de garantir que « quelque personne que ce soit » ne commettra pas une infraction criminelle; si l’approche de l’agent est correcte, cela voudrait dire qu’un ressortissant étranger ayant un casier judiciaire ne pourrait jamais se qualifier pour obtenir la prise de mesures spéciales pour des considérations d’ordre humanitaire. Cela semble être la norme que l’agent a imposée au demandeur, et cette norme est déraisonnable.

2)  L’examen de l’agent quant à l’intérêt supérieur des enfants du demandeur était-il raisonnable?

[25]  Le demandeur soutient qu’il a présenté des arguments convaincants dans sa demande pour considérations d’ordre humanitaire démontrant que l’intérêt supérieur de ses trois enfants commandait qu’il reste au Canada, ce qui a été appuyé par le témoignage d’expert du Dr Agarwal. Le demandeur fait remarquer que l’agent a accepté cette conclusion, mais a indûment minimisé l’importance de l’intérêt supérieur des enfants de deux façons. En premier lieu, le demandeur affirme que l’agent a adopté une approche centrée sur les [traduction« besoins de base » des enfants lors de l’examen de leur intérêt supérieur, et cite un courant jurisprudentiel qui condamne cette approche incorrecte. En deuxième lieu, le demandeur affirme que l’agent a commis une erreur en concluant que les enfants avaient appris à vivre sans leur père, encore une fois en citant une jurisprudence qui condamne une telle approche.

[26]  Le défendeur n’apporte pas de réplique substantielle aux questions soulevées par le demandeur, mais qualifie plutôt les préoccupations du demandeur de questions relevant du pouvoir discrétionnaire de l’agent d’apprécier l’importance à accorder à l’intérêt supérieur des enfants. S’appuyant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale (la « CAF ») dans l’affaire Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana], le défendeur fait observer que l’intérêt supérieur des enfants n’obvie pas aux obligations de l’agent de tenir compte des préoccupations stratégiques plus larges découlant d’une interdiction de territoire ordonnée dans le contexte d’une évaluation de considérations d’ordre humanitaire, et que le degré de difficultés que subiront les enfants doit être évalué de concert avec toutes les considérations d’ordre humanitaire.

[27]  À mon avis, l’agent n’a pas adopté une approche centrée sur les « besoins de base » des enfants. L’agent a retenu que l’intérêt supérieur des enfants serait mieux servi si leur père restait au Canada, et je ne crois pas que les motifs [traduction] « mettent la barre » au niveau des besoins de base des enfants.

[28]  Cela étant dit, je suis d’accord avec le demandeur que l’agent a commis une erreur en concluant que les enfants s’étaient habitués à vivre sans leur père. L’analyse de l’agent a porté sur la séparation ayant cours, affirmant que [traduction] « son renvoi vers le Nigéria sera une continuation de la séparation déjà en cours » et que « [l]a famille vit déjà une séparation et le fait d’aller de l’avant quant au renvoi sera donc en grande partie une continuation de la situation qui prévaut actuellement » (Décision relative aux considérations d’ordre humanitaire, p. 6 et 8). La conclusion voulant que le fait qu’un enfant soit déjà séparé d’un parent diminue l’impact du renvoi constitue une interprétation abusive dans l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. En tout état de cause, l’agent en est venu à cette conclusion sans égard aux éléments de preuve pointant dans la direction opposée, à savoir le rapport du Dr Agarwal, qui indique qu’une future séparation prolongée aura un effet négatif sur les enfants. Le demandeur a raison de souligner la décision de la CAF dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hawthorne, 2002 CAF 475 [Hawthorne] où il a été décidé que le point de comparaison pertinent est la vie des enfants avec leur père, non pas la période pendant laquelle il était absent. De plus, à mon avis la décision de la CAF dans Kisana n’est pas incompatible avec la décision rendue dans Hawthorne. Le premier cas enseigne que le degré de difficultés imposées à l’enfant doit être soupesé conjointement avec tous les autres facteurs, ce qui n’est pas contesté.

3)  L’agent a-t-il commis une erreur dans son évaluation des difficultés que vivra le demandeur s’il est renvoyé?

[29]  Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas analysé de façon appropriée le risque généralisé et le risque particulier auxquels il sera exposé s’il devait retourner au Nigéria. Le risque particulier a trait à la menace posée par M. Idahosa, que rejette l’agent en suggérant que le demandeur peut simplement se réinstaller quelque part loin de M. Idahosa à son retour au Nigéria. Le demandeur fait valoir que cela suppose, sans aucun élément de preuve, que le demandeur sait où se trouve M. Idahosa, et que l’agent omet de prendre en compte les difficultés associées au fait de prévenir le risque que M. Idahosa constitue pour le demandeur. Le risque est lié à la situation socioéconomique et aux problèmes de sécurité au Nigéria, ce que l’agent rejette en alléguant que tous les Nigérians y sont exposés. Le demandeur soutient que cette approche équivaut à importer à tort une exigence prévue à l’article 97 de la LIPR, et cite un courant jurisprudentiel que notre Cour a maintes fois confirmé selon lequel l’application de ce critère de « risque généralisé » dans une demande CH est à la fois déraisonnable et inappropriée.

[30]  Le défendeur soutient que l’agent a examiné la menace éventuelle que représente M. Idahosa, et souligne que l’agent a examiné cette question lors de la demande d’ERAR du demandeur (le même agent a traité la demande d’ERAR et la demande CH). En ce qui concerne le risque généralisé, le défendeur reconnaît que ce concept est applicable en application de l’article 97 de la LIPR, mais pas aux demandes CH présentées au titre du paragraphe 25(1), mais rappelle que le fardeau de démontrer le degré des difficultés incombe au demandeur.

[31]  Je suis encore une fois d’accord avec le demandeur. En considérant les difficultés auxquelles le demandeur se heurterait s’il devait retourner au Nigéria, l’agent tire une conclusion de fait (qu’il pouvait éviter M. Idahosa) qui n’est pas fondée sur les éléments de preuve, ce qui rend cette conclusion déraisonnable. Cela constitue une erreur susceptible de révision parce qu’il est impossible de savoir si l’agent serait arrivé à la même conclusion si la conclusion de fait déraisonnable n’avait pas été faite. En outre, le défendeur reconnaît effectivement que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique par l’importation d’une exigence de l’article 97 de la LIPR.

[32]  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le demandeur a démontré que l’agent a commis plusieurs erreurs susceptibles de révision dans l’examen de sa demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. Par ces motifs, la décision est renvoyée pour réexamen par un autre agent.

VI.  Question à certifier

[33]  La Cour a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions nécessitant une certification. Ils ont affirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je suis d’accord.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2088-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. LA COUR annule la décision visée par le présent contrôle, et l’affaire est renvoyée à un autre agent aux fins de réexamen.

  2. Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Shirzad Ahmed »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2088-17

INTITULÉ :

NOSAKHARE AGHAYERE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 juillet 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DES MOTIFS :

LE 29 août 2018

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

Pour le demandeur

Nadine Silverman

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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