Date : 20180827
Dossier : IMM-3917-17
Référence : 2018 CF 859
Ottawa (Ontario), le 27 août 2018
En présence de monsieur le juge Lafrenière
ENTRE :
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WISLANDE FLERIDOR
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demanderesse
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et
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse sollicite l’annulation de la décision d’une agente d’immigration (« l’agente ») datée du 8 août 2017, qui a rejeté sa demande de résidence permanente en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 ch 27 (la « Loi » ou « LIPR »), car elle est interdite de territoire au Canada.
II.
Les faits
[2]
La demanderesse est citoyenne haïtienne née le 10 février 1980. Le 30 juin 2011, elle arrive au Canada sous le programme des aides familiaux résidants, et travaille à la résidence de sa cousine.
[3]
Le 12 juin 2013, la demanderesse dépose une demande pour l’obtention d’un visa de résidence permanente dans la catégorie d’aide familiale. Dans sa demande, elle inclut son conjoint, Mardoche Joseph, et trois filles, Youlandie Castellan, Roseberline Jerome et Ruth Fleridor, comme personnes à charge. Comme Ruth Fleridor n’est pas visée par la définition d’un « enfant à charge » à cause de son âge, elle est enlevée du dossier par l’agente.
[4]
L’agente effectue un examen préliminaire du dossier qui révèle des soucis concernant la bonne foi de la relation entre la demanderesse et son conjoint et la véracité du lien de parenté entre la demanderesse et les deux enfants.
[5]
En conséquence, le conjoint est convoqué pour un entrevue par le bureau des visas en Haïti. Les informations fournies par le conjoint sont jugées insuffisantes pour établir une relation de bonne foi avec la demanderesse puisqu’il avait une connaissance limitée sur les informations générales de la vie de la demanderesse au Canada, sur leurs projets et sur la vie des deux filles en Haïti.
[6]
De plus, une preuve d’ADN est sollicitée le 14 février 2017 pour vérifier le lien qui existe entre la demanderesse et les filles qu’elle identifie comme personnes à charge. Suite à la sollicitation de l’ADN, la demanderesse demande le retrait des deux filles du dossier.
[7]
Étant donné la possibilité de fausses déclarations dans sa demande, la demanderesse est convoquée pour une entrevue à son tour le 20 juin 2017.
[8]
Lors de l’entrevue par l’agente, la demanderesse est interrogée au sujet de son conjoint, les deux filles et son refus de présenter les preuves d’ADN.
[9]
Par rapport à son conjoint, la demanderesse ne peut expliquer de façon satisfaisante pourquoi il n’a qu’une connaissance limitée de sa vie au Canada ainsi que de la vie des filles. Sa seule explication est que son conjoint n’a pas bien répondu aux questions sous le stress de l’entrevue. De plus, il n’y a rien qui explique les contradictions entre les informations données par la demanderesse et celles fournies par son conjoint. Par rapport aux filles, elle maintient à maintes reprises qu’elles sont ses enfants biologiques. En ce qui concerne les actes de naissance des filles, la demanderesse se contredit et offre plusieurs versions de faits quant à leur origine et la façon dont elle les a obtenus.
[10]
L’agente lui redemande de faire le test d’ADN dans les trente prochains jours. Durant cette entrevue, l’agente lui indique clairement que si ses déclarations s’avèrent fausses, elle peut être jugée inadmissible et interdite de territoire pour fausses représentations.
[11]
Le 19 juillet 2017, l’agente reçoit par courriel une demande de prorogation du délai pour le test d’ADN. La demanderesse ne fournit aucun motif pour appuyer sa demande. Le 28 juillet 2017, l’agente tente d’appeler la demanderesse pour discuter de sa demande de prorogation. La cousine de la demanderesse répond et indique que la demanderesse est absente. Après un bref échange, la cousine lui indique que la demanderesse avait menti au sujet des enfants et qu’elles ne sont pas ses enfants biologiques. L’agente répond que si la demanderesse veut que ces renseignements soient considérés avant qu’elle prenne sa décision, cela doit parvenir de la demanderesse dans les trois jours au plus tard.
[12]
Le 31 juillet 2017, l’agente reçoit une lettre de la demanderesse expliquant que les filles ne sont pas ses enfants biologiques, mais qu’elle les considère comme ses enfants depuis leurs naissances. La demanderesse reconnaît avoir menti et demande pardon.
[13]
Le 8 août 2017, l’agente avise la demanderesse que sa demande de résidence permanente est rejetée pour les motifs suivants :
J’ai le regret de vous informer que votre demande de résidence permanente a été refusée, puisqu’il a été établi que vous ne répondiez pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. […]
Je suis satisfaite sur une prépondérance des probabilités, que vous êtes interdite de territoire puisque vous avez fait une fausse déclaration ou avez omis de signaler des faits importants dans votre demande, et vous avez fait un manquement à la loi en ne répondant pas véridiquement aux questions qui vous ont été posées lors du contrôle. Il s’agit plus précisément de ce qui suit :
-Inclure and [sic] déclarer sur votre demande Youlandine Castellan, Roseberline Jerome and Ruth Fleridor comme membres de la famille (enfants biologiques ou adoptés)
-Déclarer être la mère biologique des trois enfants
-Déclarer être dans une relation de bonne foi avec Mardoche Joseph
-Présenter des documents frauduleux, soit des Actes de Naissance.
J’ai examiné votre demande malgré les fausse [sic] déclarations/l’absence de faits importants. En raison de cette fausse déclaration/des faits importants omis, une décision incorrecte aurait pu être prise, soit l’autorisation de l’immigration et la résidence permanente de personnes qui ne satisfassent pas aux exigences.
Pour les raisons ci-dessus, je ne suis pas satisfaite que vous n’êtes pas interdite de territoire et que vous répondez aux exigences de la Loi. En conséquence, votre demande de résidence permanente est refusée. […]
[14]
La demanderesse dépose une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agente le 17 septembre 2017.
[15]
Le 2 janvier 2018, la demanderesse présente également une demande de réexamen de la décision. La demanderesse admet avoir fait de fausses représentations par rapport aux enfants qu’elle a déclarées, ainsi qu’avoir présenté de faux actes de naissance pour celles-ci. Elle indique que les enfants sont en fait deux de ses sœurs et sa nièce. Elle demande pardon et exprime du remords. La demanderesse indique ne pas avoir compris auparavant les conséquences de ses actions.
[16]
Dans sa demande de réexamen, la demanderesse invoque qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale par l’agente, que les intérêts des enfants concernées n’ont pas été pris en considération, et nie avoir fait de fausses déclarations à l’égard de son conjoint Mardoche.
[17]
Suite à un examen de la totalité du dossier ainsi que tous les éléments de preuve nouveaux présentés par la demanderesse, l’agente demeure satisfaite que la demanderesse est interdite de territoire pour fausses déclarations et rejette la demande de réexamen le 19 janvier 2018.
[18]
Il est important de souligner que la demande de contrôle judiciaire est déposée à l’encontre de la décision initiale de l’agente et non pas à l’encontre de la décision suite à la demande de réexamen.
III.
Questions en litige
[19]
Au début de l’audience, le procureur de la demanderesse indique que son argumentation se limiterait aux questions suivantes :
(1) Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale en omettant d’accorder la chance à la demanderesse de répondre à la possibilité d’interdiction de territoire à son égard?
(2) L’agente a-t-elle commis une erreur déraisonnable dans son appréciation des motifs d’ordre humanitaire?
(3) L’agente a-t-elle commis une erreur déraisonnable en concluant que la demanderesse n’était pas dans une relation de bonne foi avec son conjoint?
IV.
La norme de contrôle
[20]
Les parties s’entendent sur les normes de contrôle qui s’appliquent en l’espèce. Comme l’a décidé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans chaque cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence antérieure, la cour siégeant en révision peut adopter cette norme. Il a été jugé à plusieurs reprises par cette Cour que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la norme de la décision raisonnable. Cette Cour doit donc déterminer si la détermination de l’agente est justifiée, transparente et intelligible, appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale révisables est la norme de la décision correcte.
V.
Analyse
(1)
Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale en omettant d’accorder la chance à la demanderesse de répondre à la possibilité d’interdiction de territoire à son égard?
[21]
La demanderesse soumet qu’elle n’a jamais été informée que sa demande pourrait être refusée parce que le défendeur croyait qu’elle pourrait être interdite de territoire. Elle plaide qu’elle n’a pas eu d’avertissement à cet effet durant son entrevue du 20 juin 2017 et qu’elle n’a pas reçu de lettre relative à l’équité, ce qui constitue un manquement à l’obligation d’agir équitablement de la part de l’agente.
[22]
De plus, suite à la divulgation de la cousine de la demanderesse du fait que Youlandie et Roseberline n’étaient pas ses enfants biologiques, l’agente ne lui a pas accordé suffisamment de temps pour qu’elle puisse répondre à ses préoccupations avant la soumission d’un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR. Selon la demanderesse, elle était en droit de s’attendre que l’agente lui demande de transmettre des soumissions écrites pour expliquer les allégations de fausses représentations et soumettre des motifs d’ordre humanitaire pour autoriser des membres de famille de facto à immigrer au Canada.
[23]
Dans le cadre de l’étude d’une demande de résidence permanente, l’agente est tenue d’agir dans le respect de l’équité procédurale. Selon la jurisprudence, l’équité procédurale exige que la demanderesse soit suffisamment informée de l’étendue des préoccupations de l’agente d’immigration et qu’elle ait l’opportunité de lui fournir des arguments.
[24]
Dans le cas présent, l’agente a agi équitablement à l’endroit de la demanderesse. Avant l’entrevue du 20 juin 2017, la demanderesse était bien au courant des inquiétudes de l’agente et du genre de questions auxquelles elle pourrait faire face. La demanderesse a eu l'occasion voulue de fournir des explications. De plus, elle a obtenu une prorogation de délai après l’entrevue pour soumettre tous les renseignements qu’elle jugeait nécessaires pour la détermination de sa demande. Je suis convaincu me fondant sur le témoignage de l’agente et malgré le témoignage contraire de la demanderesse que celle-ci a été avertie que si ses déclarations s’avéraient fausses, elle pourrait être jugée inadmissible et interdite de territoire.
[25]
Vu les circonstances, on ne peut faire de reproches à l’agente. En aucun temps, il n’y a eu manquement à l’équité procédurale.
(2)
L’agente a-t-elle commis une erreur déraisonnable dans son appréciation des motifs d’ordre humanitaire?
[26]
La demanderesse soumet que dans son appréciation des motifs d’ordre humanitaire, l’agente n’a pas considéré sa requête d’inclure ses enfants comme des membres de sa famille à charge de facto, ce qui rend la décision déraisonnable. Selon elle, puisqu’elle a élevé les enfants depuis leur naissance comme les siennes, l’agente aurait dû pousser son analyse plus profondément pour considération fondée sur des motifs humanitaires et obtenir plus d’information sur la situation des enfants, sachant que leurs intérêts supérieurs seraient affectés.
[27]
La demanderesse n’a pas réussi à établir une erreur de la part de l’agente. Cette dernière a exercé son pouvoir discrétionnaire à considérer une requête humanitaire même si la demanderesse ne l’avait pas demandée. De plus, elle a donné des explications à ce sujet pour justifier pourquoi les éléments de considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisants pour surmonter l’interdiction de territoire. La demanderesse n’a pas présenté des documents à l’appui du fait qu’elle donnait du support financier aux enfants et elle n’explique pas de façon claire comment celles-ci sont arrivées dans sa vie. De plus, elle n’a pas démontré qu’une relation de facto existe réellement entre eux.
[28]
En outre, l’agente a donné à la demanderesse la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires sur la situation des enfants dans sa demande de réexamen, laquelle a été rejetée et n’est pas contestée par la demanderesse. Dans sa décision découlant du réexamen, l’agente a spécifiquement considéré la relation de facto avec les enfants. Elle se base sur plusieurs raisons pour conclure à l’inexistence de cette relation, dont le fait que la demanderesse était incapable de donner les dates de naissances des enfants sans son aide-mémoire et qu’elle avait opté de retirer les enfants du dossier lorsque confrontée avec les conséquences que pourraient entraîner faire de fausses déclarations.
[29]
La demanderesse n’a pas établi que la décision de l’agente sur cette question était déraisonnable.
(3)
L’agente a-t-elle commis une erreur déraisonnable en concluant que la demanderesse n’était pas dans une relation de bonne foi avec son conjoint.
[30]
La demanderesse prétend que l’agente a commis une erreur déraisonnable en concluant que sa relation avec son conjoint Mardoche n’était pas de bonne foi. Selon elle, après son départ de l’Haïti, ils ont continué leur relation et se parlaient tous les jours. Elle soumet que l’agente a porté toute son attention à la difficulté de Mardoche à répondre aux questions lors de son entrevue, et qu’elle ne peut être tenue responsable des lacunes de celui-ci.
[31]
À la lumière de la preuve au dossier, la conclusion de l’agente que la relation entre la demanderesse et Mardoche n’est pas authentique semble bien fondée et certainement pas déraisonnable. Il y a plusieurs contradictions quant aux informations fournies par la demanderesse comparées à celles fournies par son conjoint. De plus, celui-ci était incapable de répondre aux questions générales sur la vie de la demanderesse et cette dernière n’a pas pu fournir des explications raisonnables à ce sujet. Elle s’est aussi contredite lorsqu’elle a soumis à l’agente, dans sa demande de réexamen, qu’ils n’étaient plus ensemble depuis le 19 avril 2017, alors qu’elle insistait qu’ils étaient encore en relation durant son entrevue du 20 juin 2017.
VI.
Conclusion
[32]
Pour les motifs précités, je ne suis pas convaincu que la décision de l’agente était déraisonnable. De plus, la demanderesse n’a pas établi qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale de la part de l’agente. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[33]
Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification. Aucune question n’est donc certifiée.
JUGEMENT au dossier IMM-3917-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La présente demande est rejetée;
Aucune question n’est certifiée.
« Roger R. Lafrenière »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3917-17
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INTITULÉ :
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WISLANDE FLERIDOR c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 août 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE LAFRENIÈRE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 27 août 2018
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COMPARUTIONS :
Me Jean-Nicolas Yacoub
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Pour la demanderesse
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Me Mélissa Mathieu
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat et notaire
Services d’aide juridique du CFT
Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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