Date : 20160719
Dossier : T-340-99
Référence : 2016 CF 817
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2016
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
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LA NATION KAINAIWA (TRIBU DES BLOOD) ET LE CHEF CHRIS SHADE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA TRIBU DES BLOOD/KAINAIWA
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LA NATION PEIGAN ET LE CHEF PETER STRIKES WITH A GUN, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION PEIGAN
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LA NATION SIKSIKA ET LA CHEF DARLENE YELLOW OLD WOMAN MUNROE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION SIKSIKA
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LA NATION TSUU T’INA ET LE CHEF ROY WHITNEY, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION TSUU T’INA
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LA BANDE BEARSPAW ET LE CHEF DARCY DIXON, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE BEARSPAW
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LA BANDE CHINIKI ET LE CHEF PAUL CHINIQUAY, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE CHINIKI
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LA BANDE WESLEY ET LE CHEF JOHN SNOW PÈRE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE WESLEY
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demandeurs (intimés)
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA
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défenderesse (intimée)
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et
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SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ALBERTA
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mise en cause proposée (demanderesse)
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ORDONNANCE ET MOTIFS
(Objet : ordonnance de mise en cause)
I.
Introduction
[1]
Voici les motifs à l’égard de l’appel d’une décision d’une protonotaire, rendue le 9 juin 2015, visant à ajouter Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta [l’Alberta] à titre de mise en cause dans la présente action.
Le présent appel a été entendu par la Cour en même temps qu’un appel de la même décision d’une protonotaire, rendue le 11 juin 2015, rejetant une requête en vue d’obtenir l’ajout de l’Alberta à titre de défenderesse dans cette même action.
Comme les questions font l’objet de deux ordonnances distinctes, les appels comportent leurs propres motifs, et les ordonnances peuvent être lues ensemble de manière à situer le contexte.
[2]
L’ordonnance portée en appel (ordonnance de mise en cause) a accueilli la requête de Sa Majesté la Reine du chef du Canada [le Canada] visant à ajouter l’Alberta à titre de mise en cause.
II.
Historique des procédures
[3]
L’action a été intentée le 26 février 1999 contre le Canada et l’Alberta. Les demandeurs allèguent que le Canada et l’Alberta ont manqué à diverses obligations fiduciaires découlant de la Proclamation royale de 1793, du Rupert’s Land and North-Western Territory Order (décret sur la terre de Rupert et le Territoire du Nord‑Ouest), des Lois constitutionnelles de 1867 et de 1982, de la Loi sur les Indiens et du Traité no 7.
Ils soutiennent qu’ils n’ont pas renoncé au titre ancestral lié au territoire visé par le Traité no 7 et contestent le transfert fait par le Canada à l’Alberta du territoire et des droits sur ses ressources, en vertu de l’Accord de transfert des ressources naturelles de 1930.
[4]
Le 29 octobre 2001, le protonotaire Hargrave a accueilli la requête de l’Alberta visant à obtenir l’annulation de l’action intentée à son égard et à la retirer comme défenderesse, en raison de l’absence de compétence de la Cour fédérale pour entendre la demande déposée contre elle par les demandeurs. Le Canada n’a pas pris position concernant la requête. La décision n’a pas été portée en appel.
[5]
Suivant cette décision et le consentement des parties, le contentieux a été mis en suspens.
[6]
Le 7 mai 2009, l’avocat de la bande de Stoney a exigé que le Canada fournisse une défense, sans quoi il indiquerait le défaut de dépôt de défense de la part du Canada.
[7]
Entre temps, trois des demandeurs ont intenté une action distincte devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta à l’encontre du Canada et de l’Alberta. Le 22 octobre 2009, le Canada a avisé la Cour fédérale qu’une action avait été intentée par la bande de Stoney devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta qui soulevait des questions de nature presque identique.
[8]
Le Canada a avisé la Cour fédérale de son intention de demander une suspension de l’action en raison du chevauchement des demandes faisant l’objet d’un contentieux et de l’absence de compétence de la Cour fédérale pour instruire l’affaire.
[9]
Le 10 novembre 2009, la protonotaire Milczynski a ordonné au Canada de déposer son avis de requête à cet égard au plus tard le 31 mars 2010. L’avis de requête a été déposé le 31 mars 2010.
[10]
Le 9 avril 2010, le Canada a déposé une déclaration devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta en vue d’obtenir une contribution et une indemnisation de la part de l’Alberta dans l’éventualité où le Canada serait condamné à verser des dommages-intérêts dans le cadre de l’action.
[11]
La demande de sursis du Canada, qui devait initialement être entendue les 18 et 19 mai 2010, a été reportée lorsque la Cour a été avisée que certains demandeurs achevaient des instructions visant à se prononcer sur la demande. La requête a été reportée aux 23 et 24 février 2012.
[12]
Le 24 juillet 2012, la requête en sursis de l’instance du Canada a été rejetée, sans que la question de la compétence ait été tranchée. Un appel de cette décision a été déposé le 2 août 2012. La décision a été maintenue par le juge Harrington le 25 juin 2013.
[13]
Le 13 décembre 2013, le Canada a déposé sa défense en l’espèce et a envoyé à l’Alberta, mise en cause proposée, une copie de la mise en cause. L’Alberta a par la suite avisé le Canada d’obtenir une autorisation de signifier et de déposer la mise en cause.
[14]
Le 18 février 2014, le Canada a déposé une requête pour obtenir une ordonnance l’autorisant à introduire une mise en cause à l’égard de l’Alberta.
[15]
Le 11 juin 2014, Kainaiwa a déposé une requête pour obtenir une ordonnance l’autorisant à ajouter l’Alberta comme partie défenderesse.
[16]
Le 9 juin 2015, la protonotaire Milczynski a accueilli la demande d’autorisation du Canada d’introduire une mise en cause contre l’Alberta. Le 19 juin 2015, l’Alberta a déposé un avis de requête en vue d’interjeter appel de cette décision Les présents motifs portent sur cette question.
[17]
Le 11 juin 2015, la protonotaire Milczynski a rejeté la requête de Kainaiwa dans laquelle elle demandait la permission d’ajouter l’Alberta comme partie défenderesse. Le 19 juin 2015, Kainaiwa a déposé un avis de requête en vue d’interjeter appel de cette décision. C’est l’objet de la décision Nation Kainaiwa (Tribu des Blood) c. Canada, 2016 CF 818.
III.
Contexte
A.
Dispositions législatives pertinentes
[18]
Les dispositions pertinentes sont les suivantes :
Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7
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Règles des Cours fédérales, DORS/98-106
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Accord de transfert des ressources naturelles, S.C. 1930, ch. 3
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Judicature Act, RSA 2000, c J-2 (Loi sur la magistrature de l’Alberta)
[Traduction]
27Conformément à la Loi sur la Cour suprême (Canada) et à la Loi sur les Cours fédérales (Canada), la Cour suprême du Canada seule ou la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale du Canada ont compétence :
a) pour entendre les différends survenant entre le Canada et l’Alberta;
[...]
[Non souligné dans l’original.]
B.
Ordonnance contestée
[19]
La protonotaire Milczynski énonce les motifs allégués par le Canada pour déposer une requête en vue d’obtenir que l’Alberta soit ajoutée à titre de mise en cause :
l’Alberta est une partie essentielle à l’instance puisque les terres et les ressources revendiquées par les demandeurs dans l’instance se trouvent toutes en Alberta;
la Cour fédérale a compétence pour entendre la requête visant la mise en cause de l’Alberta;
le Canada a une mise en cause légitime à l’égard de l’Alberta en vertu des articles 1 et 10 de l’Accord de transfert des ressources naturelles;
le Canada peut légitimement prétendre à une contribution et à une indemnisation auprès de l’Alberta;
la volonté du Canada d’ajouter l’Alberta à titre de mise en cause est réelle.
[20]
La protonotaire Milczynski a énoncé le critère à trois volets de l’arrêt ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 RCS 752 [ITO], afin de déterminer si la Cour fédérale a compétence, elle est fonction : (1) d’une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral; (2) de l’existence d’un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l’attribution légale de compétence; et (3) la loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada »
au sens où l’expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
[21]
Dans la décision d’appel de la décision Southwind v Canada, 2011 FC 351, 386 FTR 265 [Southwind], à l’égard d’une requête similaire, notre Cour a déterminé que la norme appliquée consistait à savoir s’il était [traduction] « évident et manifeste »
que la Cour n’avait pas compétence pour entendre la demande.
C.
Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral
[22]
La protonotaire Milczynski a reproduit l’article 19 de la Loi sur les Cours fédérales [la Loi], et a mentionné que l’Alberta avait adopté une loi, prévue en vertu par cet article (voir l’alinéa 27a) de la Judicature Act de l’Alberta, lequel accorde compétence à la Cour fédérale pour entendre les [traduction] « différends survenant entre le Canada et l’Alberta »
).
[23]
L’Alberta a prétendu qu’il n’existe pas de différend réel entre le Canada et elle-même qui permettrait d’avoir recours à l’article 19 de la Loi, puisque la mise en cause proposée ne soutient pas qu’une demande de l’Alberta concernant un transfert de terre ait été présentée ou rejetée. La mise en cause proposée indique plutôt une simple responsabilité potentielle, conditionnelle à ce que le Canada soit déclaré responsable.
[24]
La protonotaire Milczynski a conclu que la mise en cause proposée ne présente pas de différend aux fins de l’article 19. La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada v Prince Edward Island, 1977 CarswellNat 122 (FCA) [PEI], a défini les [traduction] « différends »
comme [traduction] « tout type de droit, d’obligation ou de responsabilité juridique qui pourrait exister entre des gouvernements »
.
[25]
La Cour d’appel fédérale a également conclu que le terme est [traduction] « certainement assez large pour comprendre un litige portant sur la question de savoir si un gouvernement est passible de dommages-intérêts envers un autre »
(au paragraphe 67).
[26]
Si les demandeurs obtiennent gain de cause, et qu’il est déterminé que le Traité no 7 n’a pas annulé le titre et l’intérêt visant la terre, alors la mise en cause entre le Canada et l’Alberta serait nécessaire pour établir quelle terre a été transférée à l’Alberta, en vertu de l’Accord de transfert des ressources naturelles, et si des obligations continues existent, en vertu des articles 1 et 10 de l’Accord de transfert des ressources naturelles.
[27]
En conséquence, la protonotaire Milczynski a conclu à la présence d’un différend possible entre le Canada et l’Alberta, et qu’il n’était donc pas évident et manifeste que la Cour fédérale n’avait pas compétence.
[28]
La protonotaire Milczynski a noté que, lorsque l’article 19 de la Loi est respecté, il n’est pas nécessaire d’examiner les deuxième et troisième éléments du critère énoncé dans l’arrêt ITO (décision Southwind, au paragraphe 34). Cependant, elle a poursuivi en mentionnant que l’action concerne le titre ancestral, l’obligation fiduciaire envers les Autochtones et les effets de l’Accord de transfert des ressources naturelles, questions qui, selon ce qu’affirme le Canada, relèvent toutes d’une loi fédérale et sont suffisantes pour satisfaire aux deuxième et troisième éléments du critère de l’arrêt ITO. La protonotaire Milczynski ne se prononce pas expressément sur ces éléments du critère.
[29]
La protonotaire Milczynski a donc conclu que la Cour fédérale avait compétence et que l’autorisation d’introduire la mise en cause devait être accordée au Canada. Elle a mentionné que la défense fondée sur la prescription de même que d’autres défenses seront soulevées à juste titre après le dépôt de la mise en cause, plutôt que dans la présente requête.
[30]
La protonotaire a également accordé une prorogation, nécessaire pour ne pas retarder la requête, en mentionnant que le Canada avait justifié le retard et démontré son intention constante de poursuivre la mise en cause. Le Canada a également confirmé son intention de se désister de la demande de contribution et d’indemnité à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. Puisque les questions en litige dans la demande à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta sont essentiellement les mêmes que celles de la mise en cause, l’Alberta avait effectivement été avisée des questions en litige, et il n’existe pas de préjudice important.
IV.
Analyse
[31]
Les questions soulevées dans le présent appel sont les suivantes :
a) La protonotaire Milczynski a-t-elle commis une erreur en établissant qu’il n’était pas évident et manifeste que notre Cour n’avait pas compétence quant à la mise en cause proposée contre l’Alberta?
b) La protonotaire Milczynski a-t-elle commis une erreur en accordant une prorogation au Canada pour lui permettre de signifier et de déposer la mise en cause?
A.
Norme de contrôle
[32]
Il est constant, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable à l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire a été établie dans l’arrêt Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, au paragraphe 19, [2004] 2 RCF 459, et selon laquelle le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :
a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,
b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.
[33]
Si l’une ou l’autre des conditions est satisfaite, la Cour peut intervenir afin de rendre l’ordonnance qui aurait dû être accordée.
B.
Question 1 – Aspect évident et manifeste/Compétence
[34]
Concernant la question de la compétence, elle ne requiert pas d’être tranchée à ce stade et elle ne doit pas l’être. La Cour n’a pas à rendre de décision définitive concernant la compétence, cette question devrait être entendue en première instance ou lors d’autres instances, où des faits relatifs à la compétence pourraient être présentés en preuve.
[35]
À ce stade, la Cour doit seulement déterminer s’il est évident et manifeste que notre Cour n’a pas pleine compétence (Hodgson c. Ermineskin Indian Band No 942, [2000] ACF no 2042 (CAF), au paragraphe 5, 102 ACWS (3d) 2).
[36]
L’Alberta invoque à tort la décision Southwind pour faire valoir que les questions relatives à la compétence ont une influence déterminante à ce stade. L’affaire est raisonnablement similaire, et notre Cour l’a examinée de novo à titre subsidiaire, compte tenu des positions adoptées par les parties. La Cour a souligné que le critère juridique à ce stade démontrait qu’il était « évident et manifeste »
que la Cour fédérale n’avait pas compétence.
[traduction]
[24] Afin de déterminer si la conclusion du protonotaire concernant la compétence a une influence déterminante, il est important de prendre en considération le critère à satisfaire. Le protonotaire n’avait pas à trancher la question de la compétence de manière définitive. Dans l’arrêt Hodgson c. Ermineskin Indian Band No 942, [2000] ACF 2042 (CAF), la Cour d’appel fédérale a appliqué le critère afin de déterminer s’il était « évident et manifeste » que la Cour fédérale n’avait pas compétence.
[25] Vu ce critère, la question de la compétence reste toujours à trancher au procès. On peut donc soutenir que la question n’a pas une influence déterminante, bien que les deux parties soutiennent le contraire. Quoi qu’il en soit, j’ai tenu compte de la question de la compétence de novo, attendu que la décision concernant la prorogation est discrétionnaire.
[37]
Vu la position adoptée par le Canada selon laquelle la question n’a pas une influence déterminante, j’appliquerai le principe directeur du caractère « évident et manifeste »
.
[38]
Un élément essentiel des observations de l’Alberta consistait à prétendre qu’il n’existait pas de « différend »
entre le Canada et l’Alberta qui ferait entre en jeu l’article 27 de la Judicature Act de l’Alberta.
[39]
Il s’ensuit logiquement que s’il existe un différend (ou plus justement – s’il n’est pas évident et manifeste qu’il n’y pas de différend), l’argument relatif à la compétence est sérieusement miné.
[40]
La position de l’Alberta se fonde sur des commentaires émis par le juge Harrington dans ses motifs à l’égard d’une demande de sursis, dans lesquels il a indiqué que « [d]ouze années plus tard, on n’a toujours rien présenté à la Cour au sujet d’un différend entre le Canada et l’Alberta »
.
[41]
Toutefois, ces commentaires doivent être interprétés dans le contexte du paragraphe 30 des motifs du juge Harrington :
[...] Une nouvelle requête pourrait être examinée ultérieurement. La Cour est actuellement en présence d’un vide factuel d’une ampleur telle qu’elle se trouve dans l’incapacité d’agir.
[42]
Comme l’a mentionné la protonotaire, la mise en cause ne présente pas un différend aux fins de l’article 19. Tel que cela a clairement été présenté à la protonotaire ainsi qu’à la Cour dans la requête, la situation est nettement différente de celle présentée au juge Harrington. À ce moment-là, le Canada n’a pas pris position sur la requête de la nation Kainaiwa visant à ajouter l’Alberta.
[43]
Conformément aux principes d’interprétation modernes, le terme « différend »
doit être interprété de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec l’application de l’objet et de l’intention de la disposition. Dans l’arrêt PEI, une affaire portant sur le service de traversier et les conditions de l’union entre le Canada et l’Île-du-Prince-Édouard, la Cour a conclu que les différends correspondaient à [traduction] « tout type de droit, d’obligation ou de responsabilité juridique qui pourrait exister entre des gouvernements »
.
[44]
La Cour a de plus conclu, au paragraphe 67, que le terme était [traduction] « certainement assez large pour comprendre un litige portant sur la question de savoir si un gouvernement est passible de dommages-intérêts envers un autre »
.
[45]
Il ne fait aucun doute que l’Alberta et le Canada auraient d’importantes divergences de points de vue quant à leurs responsabilités, obligations et droits respectifs dans l’éventualité où les demandeurs auraient gain de cause au motif que le Traité no 7 n’a pas annulé le titre et l’intérêt visant la terre.
[46]
Il n’est pas évident et manifeste qu’il n’existe pas de différend. En outre, je souscris à l’analyse de la protonotaire Milczynski à l’égard des questions de compétence, dans le contexte du caractère « évident et manifeste »
. Toute autre observation que peut ajouter la Cour est du verbiage inutile.
[47]
Les passages suivants de la décision Southwind résument la question de la compétence :
[traduction]
[33] La question de savoir si un substrat de règles de droit fédérales existe (les éléments 2 et 3 de l’arrêt ITO) est mise en doute, et il ne s’agit certainement pas d’une question évidente et manifeste. La Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Fairford First Nation v Canada (Attorney General), [1996] FCJ No. 1242, a conclu que l’article 19 de la Loi sur les Cours fédérales et l’article 1 de la Loi sur la compétence des tribunaux fédéraux avaient un caractère suffisamment unique pour régler complètement la question de la compétence.1 Le juge Hugessen : — Nous souscrivons dans l’ensemble aux motifs du juge des requêtes. Plus précisément, nous convenons que l’effet de l’article 19 de Loi sur les Cours fédérales et de l’article 1 de la Loi sur la compétence des tribunaux fédéraux du Manitoba visait à conférer compétence à notre Cour quant à la mise en cause proposée par l’appelant à l’égard de la province du Manitoba. En admettant, ce dont nous doutons, que l’article 19 exige un substrat de règles de droit fédérales différent de celui de l’article 19 lui-même, nous sommes également d’accord avec le juge pour dire que l’action des intimés à l’encontre de l’appelant portera principalement sur les questions du titre ancestral, de la Loi sur les Indiens et de l’obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones, soit toutes indéniablement des questions de droit fédéral. Enfin, il est entendu que le juge a bien distingué la décision dans l’arrêt Union Oil Co. of Canada Ltd. v. The Queen in Right of Canada et al.
[34] Comme l’a indiqué le juge Strayer dans la décision Montana Band v Canada, [1991] 2 FC 273, au paragraphe 9, il n’est pas nécessaire que chacune des trois conditions du critère établi dans l’arrêt ITO soit considérée comme des compartiments étanches. Si deux conditions peuvent être satisfaites en vertu des mêmes dispositions, rien ne justifie que les trois conditions ne puissent pas aussi être satisfaites ou établies en vertu d’une disposition, notamment l’article 19. Il y a une différence importante entre une disposition contenue dans la Loi sur les Cours fédérales, qui confère une compétence concomitante dans les cas où la recherche d’un droit fédéral constituant le fondement de l’attribution de compétence est nécessaire afin de s’assurer que la question est véritablement de compétence fédérale, et une disposition particulière (pragmatique sur le plan constitutionnel) visant à accorder une compétence, sur consentement de la province, pour traiter des différends entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux.
[48]
Par conséquent, la Cour rejettera l’appel à l’égard de cette question.
C.
Question 2 – Prorogation
[49]
Cet aspect de l’appel concerne la décision de la protonotaire Milczynski d’accorder un délai au Canada pour lui permettre de signifier et de déposer la mise en cause.
[50]
Par ailleurs, il est très préoccupant de constater qu’une affaire peut demeurer devant notre Cour pendant près de 15 ans. La Cour comprend la complexité des affaires liées aux Autochtones, l’incertitude du droit et son évolution, de même que les impératifs politiques changeants de toutes les parties.
[51]
Toutefois, contrairement au vin, les affaires ne tendent pas à s’améliorer avec le temps. Les affaires qui s’éternisent s’apparentent davantage à une plaie qui suppure.
[52]
Je n’attribue aucune faute à quelque partie que ce soit, mais en la présente affaire, conformément à des normes plus récentes, sera placée en gestion des instances, comme indiqué par le juge en chef.
[53]
La protonotaire Milczynski a accordé une prorogation, mentionnant en particulier que le Canada avait fourni une explication satisfaisante relativement au retard. Le Canada a indiqué qu’il se désisterait de sa demande de contribution et d’indemnisation à la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta.
[54]
Les principes s’appliquant à l’examen d’une décision discrétionnaire d’un protonotaire ont été énoncés plus tôt.
[55]
Bien que la protonotaire Milczynski ne se soit pas concentrée précisément sur l’article 8, elle a appliqué le critère à quatre volets énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur Général) c. Hennelly, [1999] ACF no 846 (CAF), au paragraphe 3, 89 ACWS (3d) 376 :
une intention constante de poursuivre la demande;
une demande bien fondée;
une absence de préjudice;
une explication raisonnable.
[56]
En dépit de la critique de l’Alberta, la protonotaire Milczynski a abordé les quatre volets. Bien que les parties aient également choisi d’avoir recours aux tribunaux de l’Alberta, il n’en demeure pas moins que le Canada a l’intention de tenir l’Alberta responsable devant la Cour, si le Canada devait être tenu responsable à l’égard des demandeurs. La protonotaire Milczynski disposait d’une preuve à l’appui de sa conclusion sur la présente question, de même que sur les autres questions.
[57]
L’Alberta n’a pas été en mesure de faire valoir, de manière significative, et encore moins d’établir un préjudice résultant du retard.
[58]
Quant au bien-fondé, le Canada n’a qu’à démontrer qu’il a une cause défendable, ce dont la protonotaire Milczynski a tenu compte. Le Canada demande une exécution en nature, une contribution et une indemnisation précises, et il invoque des dispositions particulières de l’Accord de transfert des ressources naturelles. Bien que certains de ces plaidoyers reposent sur la common law, il n’en demeure pas moins que le Canada allègue que si ces terres sont détenues en fiducie, l’Alberta les a acquises sous réserve des conditions stipulées dans la fiducie. L’article 10 de l’Accord de transfert des ressources naturelles exige que l’Alberta garde des terres en réserve de manière à permettre au Canada de respecter ses obligations en vertu de traités. Par conséquent, on peut soutenir que le Canada a une demande à faire valoir contre l’Alberta à cet égard.
[59]
La protonotaire Milczynski était clairement consciente de la question du « bien-fondé »
.
[60]
Par conséquent, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la protonotaire Milczynski sur la prorogation.
V.
Conclusion
[61]
Pour ces motifs, l’appel sera rejeté avec dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté avec dépens.
« Michael L. Phelan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-340-99
|
INTITULÉ :
|
LA NATION KAINAIWA (TRIBU DES BLOOD) ET LE CHEF CHRIS SHADE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA TRIBU DES BLOOD/KAINAIWA, LA NATION PEIGAN ET LE CHEF PETER STRIKES WITH A GUN, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION PEIGAN, LA NATION SIKSIKA ET LA CHEF DARLENE YELLOW OLD WOMAN MUNROE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION SIKSIKA, LA NATION TSUU T’INA ET LE CHEF ROY WHITNER, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA NATION TSUU T’INA, LA BANDE BEARSPAW ET LE CHEF DARCY DIXON, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE BEARSPAW, LA BANDE CHINIKI ET LE CHEF PAUL CHINIQUAY, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE CHINIKI, LA BANDE WESLEY ET LE CHEF JOHN SNOW PÈRE, EN SON PROPRE NOM ET AU NOM DES MEMBRES DE LA BANDE WESLEY c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ALBERTA
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Calgary (Alberta)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 8 décembre 2015
|
ORDONNANCE ET MOTIFS :
|
LE JUGE PHELAN
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 19 juillet 2016
|
COMPARUTIONS :
Casey Smith
|
Pour la demanderesse (INTIMÉE),
La nation kainaiwa (tribu des Blood)
|
Michael Pflueger
|
POUR LA DEMANDERESSE (INTIMÉE),
LA NATION PIIKANI
|
Leah Pence
|
POUR LA DEMANDERESSE (INTIMÉE),
LA NATION SIKSIKA
|
Terry Braun
|
POUR LA DEMANDERESSE (INTIMÉE),
LA NATION TSUU T’INA
|
Brooke Barrett
|
POUR LA DEMANDERESSE (INTIMÉE),
LES BANDES STONEY
|
Shane Martin
|
POUR LA DÉFENDERESSE (intimée)
|
Sandra Folkins
Lisa Semenchuk
|
POUR LA MISE EN CAUSE PROPOSÉE (demanderesse)
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Walsh LLP
Avocats
Calgary (Alberta)
|
Pour la demanderesse (INTIMÉE),
LA NATION KAINAIWA (TRIBU DES BLOOD)
|
Michael Pflueger
Avocat
Brocket (Alberta)
|
POUR LA DEMANDERESSE (INTIMÉE),
LA NATION PIIKANI
|
Mandell Pinder LLP
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
|
POUR LA DEMANDERESSE (INTIMÉE),
LA NATION SIKSIKA
|
Terry Braun
Avocat
Tsuu T’ina (Alberta)
|
POUR LA DEMANDERESSE (INTIMÉE),
LA NATION TSUU T’INA
|
Rae & Company
Avocats
Calgary (Alberta)
|
POUR LA DEMANDERESSE (INTIMÉE),
LES BANDES STONEY
|
William F. Pentney
Sous-procureur général du Canada
Calgary (Alberta)
|
POUR LA DÉFENDERESSE (intimée)
|
Ministre de la Justice et Solliciteur général de l’Alberta
Droit autochtone et droit de l’environnement
Calgary/Edmonton (Alberta)
|
POUR LA MISE EN CAUSE PROPOSÉE (DEMANDERESSE)
|