Date : 20180809
Dossier : T-523-16
Référence : 2018 CF 820
St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 9 août 2018
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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GAETANO CRAIG GAGLIANO
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demandeur
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et
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L’HONORABLE RALPH GOODALE, MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, CHAMBRE DES COMMUNES, OTTAWA (ONTARIO)
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
M. Gagliano (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 29 février 2016 par M. Jeffrey Strickland, conseiller principal en matière de programmes (le conseiller principal en matière de programmes) de la Division des appels de la Direction des recours de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). Dans cette décision, le conseiller principal en matière de programmes a déterminé qu’en application de l’article 131 de la Loi sur les douanes, LRC 185, c 1 (2e supp.) (la Loi), il y avait eu contravention à la Loi, et que conformément à l’article 133 de la Loi, les 7 563,33 $ que le demandeur avait versés pour recouvrer la possession d’une bague à diamant devait être confisqués.
[2]
Par voie de contrôle judiciaire daté du 28 mars 2016, le demandeur souhaite obtenir les réparations suivantes :
Que la décision mentionnée précédemment soit infirmée et que le montant total de la confiscation de la [traduction]
« bague à diamant »
soit restitué.Que cette affaire de saisie soit radiée du dossier de Gaetano Gagliano.
II.
CONTEXTE
[3]
Les faits qui suivent sont tirés de l’affidavit du demandeur, assermenté le 26 avril 2016, et de l’affidavit de Tara-Lee Fraser, déposé pour le compte du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le défendeur ou le ministre). Le renvoi aux affidavits comprend le renvoi aux pièces jointes à ces affidavits. Les pièces comprennent les notes des agents de l’ASFC, de même que la transcription du contre-interrogatoire de Mme Fraser.
[4]
Le demandeur est citoyen canadien. Il voyage fréquemment et détient une carte Nexus.
[5]
Le 25 juin 2015, le demandeur s’est rendu à New York où il a effectué un paiement initial pour une bague à diamant, censée être une bague de fiançailles.
[6]
À son retour au Canada, à l’aéroport international Pearson, le demandeur a été sélectionné en vue d’une inspection secondaire par un agent des services frontaliers (ASF). Au cours de cette procédure, il a posé des questions sur ses exemptions prévues dans le cadre d’un voyage aller-retour de 24 heures. Le demandeur a déclaré 200 $ sur sa carte de déclaration douanière E311.
[7]
Interrogé sur ses achats, le demandeur a déclaré avoir acheté des jeans au comptant, et qu’il n’avait pas gardé de reçus. Il a également dit qu’il avait commandé une bague de fiançailles à diamant valant entre 19 000 $ et 22 000 $, et que cette bague serait prête dans quatre à six semaines.
[8]
Les renseignements fournis par le demandeur au sujet de ses achats étaient inexacts. À la suite d’une fouille de ses bagages, des vêtements ont été trouvés, dont une jupe, avec des étiquettes de prix et des reçus d’achats. Un [traduction] « avis de surveillance »
relatif à la bague a été versé dans son dossier. Le demandeur a versé la somme de 637,35 $ pour obtenir la mainlevée des marchandises, le 25 juin 2015.
[9]
Un ami du demandeur a finalement traversé la frontière en possession de la bague de fiançailles du demandeur, à la fin du mois d’août 2015. La bague n’a pas été déclarée et aucun droit de douane n’a été payé.
[10]
Le 31 août 2015, le demandeur est entré une fois de plus au Canada en passant par l’aéroport international Pearson. Il revenait d’un voyage en Europe. Lors de son voyage de retour au Canada, il a transité par les États-Unis. La bague de fiançailles était en sa possession lorsqu’il est entré États-Unis, en route vers le Canada.
[11]
Le demandeur a utilisé la borne d’enregistrement électronique à l’aéroport de Toronto pour présenter sa première carte de déclaration douanière E311. Il n’a pas déclaré la bague à ce premier point de contrôle.
[12]
Il a été dû subir une inspection secondaire en raison de la note versée à son dossier après la prise de la mesure d’exécution, en juin. Au cours de cette inspection secondaire, la bague de fiançailles a été trouvée en sa possession.
[13]
La bague a été saisie parce qu’elle n’avait pas été déclarée conformément à l’article 12 de la Loi.
[14]
La bague a été évaluée à 25 211,10 $. Les conditions de la mainlevée ont été évaluées en fonction du premier niveau d’infraction. Pour que le demandeur puisse recouvrer la possession de la bague, il s’est vu imposer 30 % de la valeur de la bague, soit 7 653,33 $.
[15]
Le 13 septembre 2015, le demandeur a demandé la révision des conditions relatives à la saisie, de même que la révision de la sanction. Il a présenté sa demande conformément au paragraphe 129(1) de la loi qui dispose que :
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En demandant la révision des conditions relatives à la saisie, le demandeur a soutenu qu’il s’était montré disposé à collaborer avec l’ASF à l’aéroport international Pearson, et qu’il n’avait pas tenté de dissimuler la bague. Il a également allégué que l’ASF l’a assuré que, s’il faisait preuve d’honnêteté au sujet de la personne qui avait initialement apporté la bague au Canada, il ne serait pas pénalisé.
[17]
Le 6 octobre 2015, Mme Tracy Bangs, agente principale des appels, a envoyé au demandeur un [traduction] « avis des motifs de la saisie »
. Il s’agissait d’une étape intérimaire avant de trancher l’appel de manière définitive.
[18]
La lettre était signée par Mme Tracy Bangs, agente principale des appels de la Direction des recours de l’ASFC. Mme Bangs a informé le demandeur que la lettre devait être considérée comme l’[TRADUCTION] « avis écrit des motifs de la saisie »
, tel que l’exige l’article 130 de la Loi. Mme Bangs a également dit qu’elle joignait à la lettre une copie de l’article pertinent de la Loi sur les délais et les conditions, ainsi qu’une copie du rapport narratif concernant la mesure d’exécution.
[19]
Dans ces motifs, Mme Bangs a mentionné que le demandeur n’avait pas inscrit la bague sur sa première carte de déclaration E311 à son arrivée à l’aéroport international Pearson. Comme la bague était en sa possession à ce moment-là et qu’elle n’a pas été déclarée, cette omission de déclaration constituait une contravention à la Loi.
[20]
Mme Bangs a de plus souligné que, n’eût été la mesure d’exécution antérieure et le signalement du demandeur en vue d’une inspection secondaire, la bague n’aurait pas été déclarée ni découverte.
[21]
Le demandeur a eu l’occasion de déposer des pièces justificatives supplémentaires avant qu’une décision relative à son appel soit rendue. Sans la communication d’autres renseignements, une décision serait rendue sur la foi des renseignements alors au dossier.
[22]
En outre, Mme Bangs a inclus dans sa lettre un tableau dans lequel étaient indiqués les trois niveaux d’infractions conformément à l’article 12 de la Loi, de même que les montants de pénalité imposés à l’égard de chaque niveau d’infraction.
[23]
Par la suite, Mme Bangs a préparé son [TRADUCTION] « rapport de cas et sa recommandation »
en date du 16 février 2016. Elle a passé en revue les faits et la thèse du demandeur. Elle a déclaré qu’il s’agissait d’une omission de déclarer l’importation de marchandises, comme l’exige l’article 12 de la Loi. Elle a fait remarquer que les marchandises auraient pu faire l’objet d’une saisie de niveau 2 en raison de la prise de la mesure d’exécution antérieure, en juin 2015.
[24]
Mme Bangs a recommandé le maintien de la pénalité de niveau 1, même si une pénalité de niveau 2 était [TRADUCTION] « dûment justifiée ».
[25]
Le demandeur n’a fourni aucun autre document ou renseignement en réponse à la lettre du 6 octobre 2015, et, le 29 février 2016, une décision a été rendue en fonction des renseignements alors disponibles.
[26]
Mme Bangs a également recommandé que les 7 563,33 $ versés par le demandeur pour recouvrer la possession de la bague [TRADUCTION] « soient être confisqués ».
[27]
Dans une lettre en date du 29 février 2016, le conseiller principal en matière de programmes de la Division des appels de la Direction des dossiers a envoyé au demandeur la décision ministérielle relativement à son appel.
[28]
Dans cette décision, le conseiller principal en matière de programmes a conclu, en application de l’article 131 de la Loi, qu’il y avait eu contravention à la Loi [TRADUCTION] « en ce qui a trait aux marchandises saisies »
, à savoir la bague à diamant. Il a en outre déterminé que, selon l’article 133 de la Loi, la somme de 7 563,33 $ [TRADUCTION] « devait être confisquée »
.
[29]
Le conseiller principal en matière de programmes a passé en revue les faits tels que présentés par le demandeur, y compris son intention de déclarer la bague à son arrivée au Canada. Il a souligné que malgré cette intention, le demandeur n’avait pas déclaré l’[TRADUCTION] « importation de la bague »
sur sa carte de déclaration douanière.
[30]
Le conseiller principal en matière de programmes a fait remarquer que, même si le demandeur a eu l’occasion de produire des éléments de preuve selon lesquels la bague avait auparavant été importée légalement, il n’avait pas présenté d’éléments de preuve à cet égard.
[31]
Le conseiller principal en matière de programmes a également reconnu le fait que le demandeur a mentionné qu’un agent de l’ASFC lui avait dit qu’aucune pénalité ne serait imposée relativement à l’importation de la bague, mais que cet agent avait changé d’avis par la suite.
[32]
Le conseiller principal en matière de programmes a indiqué que [TRADUCTION] « comme la preuve confirme que la bague n’avait pas été déclarée et n’aurait pas fait l’objet d’une déclaration si vous n’aviez pas été soumis à une inspection secondaire, en application de l’article 110 de la [Loi], l’agent était autorisé à saisir ces marchandises ».
[33]
Le conseiller principal en matière de programmes a de plus indiqué que la décision de l’agent de saisir la bague faisait suite à l’inspection secondaire et [TRADUCTION] « n’a eu aucune incidence sur votre décision de ne pas déclarer l’importation de la bague ».
[34]
Sa décision comprenait les paragraphes suivants :
[traduction] Pour interjeter appel de la décision fondée sur l’article 131, vous pouvez introduire une action devant la Cour fédérale conformément à l’article 135 de la Loi sur les douanes. Vous devez introduire votre action dans les 90 jours suivant la date d’envoi par la poste de cette décision.
Pour interjeter appel de la décision fondée sur l’article 133, vous pouvez présenter une demande de contrôle judiciaire suivant le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Une demande à la Cour doit habituellement être déposée dans les 30 jours suivant la date de l’envoi par la poste de cette décision.
III.
CONTEXTE LÉGISLATIF
[35]
La décision faisant l’objet du contrôle découle de l’importation non déclarée de marchandises au Canada par le demandeur. Les articles pertinents de la loi sont les suivants :
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L’effet combiné des dispositions susmentionnées vise à imposer l’obligation, pour une personne qui entre au Canada, de déclarer les marchandises qu’elle cherche à importer; voir l’article 12. L’omission de déclarer des marchandises peut entraîner la saisie de ces marchandises, à titre de confiscation; voir l’article 110. Les marchandises qui ont été saisies peuvent être restituées en acquittant les droits ou en payant un montant inférieur ordonné par le ministre; voir le paragraphe 117(1).
[37]
Une personne peut demander la révision ministérielle de la saisie; voir le paragraphe 129 (1). Le ministre est autorisé à déterminer s’il y a eu contravention à la Loi; voir l’article 131. Si le ministre détermine qu’il y a eu contravention à la Loi, il peut déterminer la pénalité. Une décision fixant la pénalité peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale; voir l’article 133. Une décision rendue par le ministre selon laquelle il y a eu contravention à la Loi peut être portée en appel par voie d’action devant la Cour fédérale; voir l’article 135.
IV.
OBSERVATIONS
A.
Les observations du demandeur
[38]
Le demandeur n’est pas représenté par un avocat. Dans son mémoire des faits et du droit, il met l’accent sur la question de la contravention à la Loi, comme en fait état l’article 131 de la Loi. Il soutient que cette conclusion était déraisonnable puisqu’il avait l’intention de déclarer la bague, que cette dernière n’était pas dissimulée dans ses bagages et qu’on l’a assuré, le 31 août 2015, que s’il faisait preuve d’honnêteté, aucune pénalité ne lui serait imposée.
[39]
Il affirme de plus que la carte de déclaration douanière E311 vise à repérer les achats effectués lors d’un voyage précis, et, comme il n’avait pas acheté la bague pendant son voyage en Europe, son entrée au Canada au retour de ce voyage n’était pas le moment approprié pour déclarer la bague.
[40]
Enfin, le demandeur soutient que, se fondant sur le paragraphe 32.2 (1) de la Loi, il croyait disposer d’une période de 90 jours à compter du moment où son ami a apporté la bague au Canada sans être tenu de déclarer la bague, afin de rectifier l’erreur de non-déclaration.
[41]
Dans une lettre datée du 3 avril 2018, le demandeur a formulé d’autres observations. Il a notamment fait valoir qu’il ne comprenait pas la portée du contrôle judiciaire. Il a également soutenu que l’omission du défendeur de produire les rapports de la [TRADUCTION] « première inspection de l’agent »
ou de la [traduction] « deuxième inspection de l’agent »
, aux fins de contre-interrogatoire, était inappropriée et porte atteinte à sa capacité d’établir le bien-fondé de sa demande de remboursement du montant de la pénalité qu’il a versé.
[42]
Le demandeur a également contesté ce qu’il a décrit comme le fait pour le défendeur d’invoquer la [TRADUCTION] « tendance à mentir »
sur ses intentions de ne pas déclarer la bague à son retour d’Europe, en septembre 2015.
[43]
Les derniers arguments du demandeur sont énoncés en ces termes dans sa lettre du 3 avril 2018 :
[traduction]
● Le gouvernement ne cherche pas à répondre aux faits essentiels sur lesquels le ministère s’est apparemment appuyé, pour rejeter la décision ministérielle qui était celle de ne pas avoir déclaré la bague sur la carte de déclaration E311 (d’un autre voyage). Le ministère reconnaît pleinement que lors du contre-interrogatoire, la carte de déclaration E311 vise UNIQUEMENT les achats effectués pendant un voyage précis, concernant des destinations précises et des achats précis pour cette période précise. La bague achetée lors d’un voyage distinct aux États-Unis un mois plus tôt, ne pouvait pas être déclarée sur la carte de déclaration E311 à son retour d’Europe.
● Le
gouvernement n’a jamais concilié le rejet de mon appel, qui repose sur sa thèse concernant la carte de déclaration E311, qu’il a plus tard reconnue comme étant inexacte.
● Enfin, en tant que simple citoyen, il est extrêmement frustrant de constater que la prémisse centrale de l’argumentation du procureur général pour le compte du gouvernement repose sur le fait que, malgré les multiples erreurs procédurales demeurées sans réponse et non contestées, commises par les agents de la patrouille frontalière dans l’exécution des saisies, ils soutiennent que mon appel n’est pas valide invoquant une erreur procédurale dans le fait d’avoir sollicité le contrôle judiciaire. Autrement dit, le gouvernement peut commettre cinq erreurs en appliquant la loi, mais si un citoyen commet une seule erreur en tentant de contester ces cinq erreurs… la contestation n’existe plus et le gouvernement ne fait pas l’objet de vérifications.
B.
ii) Les observations du défendeur
[44]
En réponse au mémoire initial des faits et du droit déposé par le demandeur, le défendeur soutient que la décision en question, soit celle d’imposer une pénalité conformément à l’article 133, ne peut être contestée que par voie de contrôle judiciaire. Selon le défendeur, les observations du demandeur au sujet des interactions avec le personnel de l’ASFC ne sont pas pertinentes.
[45]
Dans la mesure où le demandeur semble contester la conclusion du ministre selon laquelle il a contrevenu à la Loi, le défendeur affirme qu’en application de l’article 135, cette conclusion ne peut être contestée qu’en intentant une action par voie de déclaration. Il soutient que le demandeur ne l’a pas fait, mais qu’il a plutôt présenté une demande de contrôle judiciaire portant seulement sur la pénalité imposée.
[46]
Le défendeur soutient également que la décision d’imposer une pénalité est une décision discrétionnaire susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, comme il en a été question dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.
[47]
Le défendeur a accusé réception d’une copie des observations supplémentaires du demandeur, et, dans une lettre en date du 30 avril 2018, il a indiqué qu’il ne déposerait pas d’observations en réponse.
V.
DISCUSSION ET PROCÉDURE
[48]
La première question à trancher en l’espèce porte sur la nature de la présente instance.
[49]
Le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire le 30 mars 2016 sollicitant l’annulation de la pénalité qu’il a payée afin de recouvrer la possession de la bague à diamant confisquée le 31 août 2015.
[50]
Cela signifie que le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision fondée sur l’article 133 de la Loi. Sa demande de contrôle judiciaire vise la décision rendue le 29 février 2016. Les observations formulées par le demandeur font toutefois valoir qu’il sollicite également le contrôle judiciaire de la décision concluant qu’il y a eu contravention à la Loi, décision fondée sur l’article 131.
[51]
Le demandeur soutient qu’il a fait preuve d’honnêteté au sujet de la bague lorsqu’il a été interrogé lors de l’inspection secondaire, et qu’il s’est appuyé sur le fait que l’ASF lui avait [TRADUCTION] « promis »
qu’il ne serait pas pénalisé s’il était honnête au sujet de la première importation de la bague au Canada par son ami.
[52]
Dans ses observations supplémentaires en date du 3 avril 2018, le demandeur fait valoir qu’il a été privé de l’occasion de contre-interroger les agents ayant procédé à la première et la deuxième inspections. Il soutient, en outre, qu’il n’était pas tenu de déclarer la bague sur le formulaire E311 puisque ce formulaire exigeait que soient déclarées uniquement les marchandises achetées au cours du voyage qu’il effectuait à ce moment-là, et que la bague n’avait pas été achetée au cours de ce voyage.
[53]
Les observations du demandeur, développées dans sa lettre du 3 avril 2018, visent la contestation de la conclusion du ministre selon laquelle il avait contrevenu à la Loi. Une telle contestation par voie de contrôle judiciaire n’est pas prévue dans les dispositions législatives. Aux termes de l’article 135 de la Loi, cette conclusion ne peut être contestée que par voie d’action.
[54]
L’économie générale de la Loi qui traite des différentes procédures à suivre lors de la contestation d’une conclusion de contravention à la Loi ou d’imposition d’une pénalité ont été examinées en détail dans la décision ACL Canada Inc. c La Reine du chef du Canada et al. (1993), 107 D.L.R. (4th) 736, aux pages 755 à 757 : Je me reporte aux extraits suivants :
[traduction]
En l’espèce, chacune des deux décisions rendues le 6 mai 1988 par le ministre consiste en la conclusion, tirée en application de l’article 131, qu’il y a eu contravention à la Loi, et en la décision fondée sur l’article 133 de restituer une fraction de l’argent versé par ACLC et de confisquer le solde. L’article 135, qui prévoit pour celui qui a demandé une décision du ministre en application de l’article 131, le droit d’interjeter appel de cette même décision, a-t-il pour effet d’exclure tout appel contre une décision rendue en application de l’article 133, comme le prétendent les défendeurs? Il faut, à mon avis, répondre par l’affirmative à cette question, et ce pour les raisons suivantes. Par l’article 135, le législateur autorise l’appel contre la décision que rend le ministre en application de l’article 131, lequel ne prévoit que la décision relative à la question de savoir s’il y a eu contravention à la Loi ou aux règlements.
[...]
À mon avis, le législateur a entendu protéger de tout appel l’amende prononcée après qu’il a été jugé qu’il y a eu contravention à la Loi. Cela pourrait surprendre puisque cette amende est souvent le principal sujet de préoccupation de la personne dont des marchandises ont été saisies sous le régime de la Loi ou à laquelle a été signifié un avis de paiement en application de l’article 124.
[...]
Cela ne veut pas dire qu’en matière d’amendes, le ministre soit investi d’un pouvoir discrétionnaire illimité. La Loi et les règlements prévoient un maximum pour les amendes, et la fixation du montant d’une amende n’échappera pas au contrôle judiciaire de la Cour en tant que décision administrative, surtout au regard de l’obligation d’équité. Il s’ensuit que si l’article 135 ne donne pas à la Cour compétence pour se prononcer sur l’amende infligée après verdict de contravention à la Loi, elle tient néanmoins des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, LRC (1985), c F-7, modifiée par LC 1990, c 8, art. 4 et 5, la compétence voulue pour examiner si le pouvoir discrétionnaire d’imposer une amende pour contravention à la Loi, a été exercé conformément aux règles de droit.
[55]
L’article 129 permet à une personne touchée de présenter une demande au ministre en vue de lui faire rendre une décision après la saisie des marchandises. L’obtention d’une décision du ministre permet à une personne qui demande qu’une décision soit rendue de prendre d’autres mesures.
[56]
Si le ministre décide, en application de l’article 131 de la Loi, qu’il y a eu contravention à la Loi, la personne touchée peut contester une telle conclusion en intentant une action en application de l’article 135 de la Loi.
[57]
Lorsque le ministre décide, en application de l’article 131 de la Loi, qu’il y a eu contravention à la Loi, il peut déterminer une pénalité conformément à l’article 135 de la Loi. Ce paragraphe est rédigé ainsi :
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[58]
Dans un tel cas, le recours dont dispose la personne visée, comme le demandeur, est de solliciter, devant la Cour fédérale, le contrôle judiciaire de la décision portant sur la pénalité. C’est ce que le demandeur a fait.
[59]
Les processus d’appel énoncés dans la Loi à l’encontre d’une décision portant sur une conclusion de contravention à la Loi et l’émission d’une pénalité imposée à l’égard de la contravention ont été abordés par le juge Shore dans la décision Nguyen c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CF 724. Je me reporte ainsi au paragraphe 1 :
[1] La demanderesse, Mme Thi Ngoc Nguyen, conteste une décision par laquelle le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a, en vertu de l’article 133 de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.) (la Loi), exigé le paiement d’une somme d’argent déterminée avant de restituer une bague à diamant qui avait été saisie. Tous les moyens invoqués par la demanderesse visent à contester la décision par laquelle le ministre a conclu, en vertu de l’article 131 de la Loi, que Mme Nguyen avait contrevenu à l’article 12 de la Loi en omettant de déclarer la présumée importation d’une bague. Le paragraphe 131(3) de la Loi est une clause privative de la Loi sur les douanes qui prévoit que les décisions rendues en vertu de l’article 131 de la Loi ne sont susceptibles d’appel que selon les modalités prévues au paragraphe 135(1) de la Loi, lequel prévoit que la décision prise par le ministre en vertu de l’article 131 de la Loi ne peut faire l’objet d’un appel que par voie d’action. En d’autres termes, la décision prise en vertu de l’article 131 de la Loi doit être contestée par voie d’action et elle ne peut être attaquée au moyen d’une demande de contrôle judiciaire.
[Souligné dans l’original.]
[60]
Plus loin, au paragraphe 20, le juge Shore s’est exprimé ainsi :
La Loi n’accorde aucun droit d’appel semblable en ce qui concerne les décisions prises par le ministre en vertu de l’article 133 de la Loi, lequel dispose que, s’il décide, en vertu de l’article 131 de la Loi, qu’il y a eu infraction à la Loi, le ministre peut infliger une amende ou prendre toute autre mesure de réparation applicable telle que la restitution des marchandises sur réception d’un montant déterminé. En conséquence, la décision prise en vertu de l’article 133 est souvent tributaire du constat d’infraction à la Loi. Ces deux décisions sont néanmoins distinctes et elles doivent être contestées séparément. La décision prise en vertu de l’article 131 de la Loi relativement à une infraction à l’article 12 de la Loi ne peut être portée en appel que par voie d’action devant notre Cour. Quant à la décision rendue en vertu de l’article 133 de la Loi au sujet de la restitution des marchandises, elle ne peut être contestée que par voie de demande de contrôle judiciaire introduite conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.
[61]
Le demandeur soutient qu’il avait l’intention de déclarer la bague, et qu’un agent de l’ASFC avait convenu de ne pas imposer une pénalité. Pour ce motif, il sollicite l’annulation de la pénalité pécuniaire.
[62]
Selon la décision rendue dans l’affaire H.B. Fenn and Co. c Canada, 53 F.T.R. 7, les bonnes intentions importent peu lorsqu’il est question de conformité avec l’obligation imposée par la loi de déclarer l’importation de marchandises.
[63]
Le demandeur ne peut pas contester la conclusion selon laquelle il a contrevenu à la Loi par voie de contrôle judiciaire. Il ne peut qu’intenter une action par déclaration dans les délais prescrits par la Loi. Le demandeur n’a pas suivi cette procédure. La seule question à laquelle la Cour doit répondre porte sur la décision d’imposer une pénalité de 7 563,33 $ pour permettre au demandeur de recouvrer la possession de la bague à diamant non déclarée.
[64]
La décision de maintenir la pénalité est une décision discrétionnaire susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[65]
La Loi impose l’obligation à une personne qui entre au Canada de déclarer l’acquisition de marchandises à l’extérieur du pays, à titre d’achat ou de don. La Loi autorise l’imposition de pénalités importantes si la contravention à la Loi est établie.
[66]
La conclusion de contravention ne peut pas être examinée dans la présente demande de contrôle judiciaire.
[67]
Dans la mesure où les arguments du demandeur au sujet de l’utilisation du formulaire E311 sont concernés, je suis d’avis que ces arguments se rapportent à la question de savoir si une contravention à la Loi a été établie. Pour les motifs exposés dans la décision Nguyen, précitée, ces arguments doivent être écartés et ne sont d’aucune pertinence pour la question en litige.
[68]
Le demandeur ne pourrait contester que la conclusion de contravention en intentant une action en vertu de l’article 135 de la Loi, c’est-à-dire au moyen d’une déclaration, préparatoire à l’instruction; voir la décision Trites c Canada (Sécurité publique et Protection civile) (2011), 400 F.T.R. 267.
[69]
La seule question à trancher est de savoir si la décision du ministre de maintenir la pénalité de 7 563,33 $ était raisonnable.
[70]
Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, précité, une décision discrétionnaire rendue par un décideur administratif est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Cette norme exige que la décision soit justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit; voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.
[71]
En l’espèce, le demandeur conteste le caractère raisonnable de la pénalité imposée par le conseiller principal en matière de programmes, à savoir le paiement de 7 653,33 $, correspondant à 30 % de la valeur de la bague à diamant non déclarée.
[72]
La pénalité a été imposée parce que le conseiller principal en matière de programmes a déterminé que la Loi avait été enfreinte du fait de l’importation non déclarée de la bague à diamant par le demandeur. Il a rendu cette décision en application de l’article 131 de la Loi et a fait référence à cette disposition dans la décision datée du 29 février 2016.
[73]
Le conseiller principal en matière de programmes a alors déterminé, conformément à l’article 133 de la Loi, que les 7 563,33 $ [traduction] « versés pour recouvrer la possession de la bague à diamant saisie, devait être confisqués »
.
[74]
Le conseiller principal en matière de programmes a entrepris de motiver sa décision. Je suis d’avis que ces motifs satisfont aux critères de l’intelligibilité, de la justification et de la transparence compte tenu des éléments de preuve dont disposait le conseiller principal en matière de programmes. Les motifs satisfont au critère établi dans l’arrêt Dunsmuir, précité.
[75]
Dans les circonstances, rien ne justifie l’intervention de la Cour et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[76]
Le défendeur sollicite des dépens.
[77]
Une directive sera donnée pour fixer le délai de dépôt des brèves observations sur les dépens.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-523-16
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Une directive sera donnée pour fixer le délai de dépôt des brèves observations sur les dépens.
« E. Heneghan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-523-16
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INTITULÉ :
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GAETANO CRAIG GAGLIANO c L’HONORABLE RALPH GOODALE, MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE, CHAMBRE DES COMMUNES, OTTAWA (ONTARIO)
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 23 OCTOBRE 2017
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OBSERVATIONS SUPPLÉMENTAIRES :
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Le 3 avril 2018 et le 30 avril 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 9 AOÛT 2018
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COMPARUTIONS :
Gaetano Craig Gagliano
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Pour le demandeur
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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Derek Edwards
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Pour le défendeur
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gaetano Craig Gagliano
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Pour le demandeur
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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