Date : 20180816
Dossier : IMM-670-18
Référence : 2018 CF 838
Toronto (Ontario), le 16 août 2018
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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ERITREA LEBASI MERASHE ET
KIDANE MASHO MESELE
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Mme Eritrea Lebasi Merashe (la demanderesse principale) et son mari, M. Kidane Masho Mesele, (collectivement, les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 2 août 2017 par un agent des visas (l’agent), rejetant leur demande de traitement [traduction] « dans le cadre du délai prescrit d’un an pour un membre de la famille appelé à suivre »
du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002-227 (le Règlement).
[2]
Dans leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, les demandeurs ont nommé le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. L’intitulé est modifié afin que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur (le défendeur).
[3]
Dans une ordonnance rendue le 16 juillet 2018, une demande de prolongation de délais pour introduire la présente demande a été accueillie et une autorisation de contrôle judiciaire a été accordée.
[4]
La demanderesse principale est une citoyenne de l’Érythrée qui est déménagée au Soudan en 1969 ou 1970, où elle a été reconnue comme une réfugiée par le gouvernement du Soudan. Elle a été inscrite en tant que personne à charge dans la demande soumise par son fils, Sami Kidane Masho, dans son formulaire d’enregistrement aux fins de la réinstallation du Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au Soudan. Elle a signé le formulaire à l’aide de son empreinte de pouce le 10 mars 2014.
[5]
La demanderesse principale est venue au Canada à titre de réfugiée parrainée par le gouvernement et a obtenu une confirmation de résidence permanente le 21 septembre 2015.
[6]
Le 22 février 2016 ou aux alentours de cette date, la demanderesse principale a soumis une demande afin que le dossier d’immigration de son mari soit traité conformément à la disposition relative au délai prescrit d’un an énoncée à l’article 141 du Règlement, qui prévoit ce qui suit :
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Dans un courriel daté du 8 mai 2017 et adressé au mari, l’agent a soulevé des préoccupations concernant son statut, notamment sa date de naissance et la durée de son absence de Port-Soudan, ainsi que ses allées et venues avant le départ de la demanderesse principale pour le Canada. Dans ce courriel, l’agent a indiqué que les éléments de preuve étaient insuffisants pour [traduction] « établir que vous étiez l’époux qui n’accompagne pas »
la demanderesse principale ou qu’il n’était pas disponible pour une évaluation dans le cadre de la demande de résidence permanente de la demanderesse principale avant son départ pour le Canada.
[8]
Bien qu’il fût adressé au mari, ce courriel a été envoyé à l’adresse d’une certaine Flora Aruna, travailleuse sociale auprès du Manitoba Interfaith Immigration Council. Mme Aruna était considérée comme la [traduction] « personne-ressource »
puisqu’elle avait soumis un formulaire IMM 5475, intitulé « Autorisation de communiquer des renseignements personnels à une personne désignée »
.
[9]
Les demandeurs n’ont jamais reçu ce courriel et n’y ont pas répondu. Ce courriel était considéré par le défendeur comme une [traduction] « lettre relative à l’équité procédurale »
.
[10]
Selon les notes inscrites par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC), contenues dans le dossier certifié du tribunal, une entrée a été effectuée le 1er août 2017 pour confirmer qu’aucune réponse n’avait été reçue par la poste ou par courriel relativement au courriel du 8 mai 2017. La note précisait qu’à la lumière des renseignements qui figuraient au dossier, les exigences de l’article 141 du Règlement n’avaient pas été satisfaites et que la demande serait refusée.
[11]
La décision défavorable a été envoyée à l’adresse postale actuelle des demandeurs le 2 août 2017.
[12]
Le 25 septembre 2017, Mme Shakila Atayee, également à l’emploi du Manitoba Interfaith Immigration Council, a fait parvenir au défendeur un courriel l’informant que le demandeur avait reçu la lettre de refus datée du 2 août 2017 et demandant que la demanderesse principale puisse répondre aux préoccupations soulevées dans le courriel daté du 8 mai 2017.
[13]
Selon l’entrée faite au SMGC le 20 octobre 2017, le défendeur était prêt à recevoir les observations au cours des 30 prochains jours relativement à la lettre relative à l’équité procédurale du 8 mai 2017.
[14]
Le 22 novembre 2017, une entrée a été faite pour indiquer que la date limite pour présenter les observations en vue d’obtenir un réexamen avait été dépassée sans que des observations soient soumises. L’agent a noté que la demande restait fermée.
[15]
Les demandeurs soutiennent maintenant que la décision a été prise en violation de leur droit à l’équité procédurale puisqu’ils n’ont pas eu l’occasion de répondre à la lettre relative à l’équité procédurale datée du 8 mai 2017 avant que leur demande soit refusée. Ils font valoir que le courriel daté du 8 mai 2017 a été envoyé à Mme Aruna, qui n’avait pas l’autorité nécessaire pour les représenter puisque le formulaire IMM 5475 autorisait Mme Aruna à [traduction] « communiquer des renseignements personnels à une personne désignée »
seulement.
[16]
Les demandeurs soutiennent que les préposés et les agents du défendeur n’ont pas confirmé que le formulaire IMM 5476 avait été soumis. Selon les directives préparées par le défendeur à l’usage de ses préposés et de ses agents, l’inclusion dans un dossier de ce formulaire, intitulé « Recours aux services d’un représentant »
, est la responsabilité des employés du défendeur. Citant la décision dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, les demandeurs soulignent les différents facteurs à prendre en considération pour évaluer le contenu de l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné, particulièrement l’importance d’une décision administrative pour les personnes concernées.
[17]
Les demandeurs soutiennent que la décision en question revêt une importance cruciale pour eux et que le manquement du défendeur à se conformer à ses procédures administratives équivaut à un manquement à l’équité procédurale.
[18]
Les demandeurs affirment également que la décision négative était déraisonnable puisqu’elle a été prise sans tenir compte de la preuve fournie. Ils citent la décision dans l’affaire Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.). Ils plaident que l’agent a commis une erreur susceptible de révision en omettant de tenir compte de l’ensemble de la preuve.
[19]
Pour sa part, le défendeur soutient qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale puisque les demandeurs ont eu l’occasion de soumettre leurs observations, même après la décision du 2 août 2017, comme l’indique la note entrée le 20 octobre 2017 dans le SMGC.
[20]
Le défendeur affirme également que la décision négative de l’agent était raisonnable, compte tenu de la preuve présentée par les demandeurs.
[21]
La question d’équité procédurale en l’espèce est sujette à révision en regard de la norme de la décision correcte; voir la décision rendue dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339. Le bien-fondé de la décision, fondé sur une constatation des faits, est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable; voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190.
[22]
Selon l’arrêt Dunsmuir, précité, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit transparente, justifiable et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[23]
Bien que les observations des demandeurs concernant le manquement à l’équité procédurale soient fondées, il n’est pas nécessaire que je me penche sur ces arguments, puisque je suis convaincue que la décision ne satisfait pas à la norme de la décision raisonnable.
[24]
Je suis d’accord avec les observations des demandeurs selon lesquelles l’agent a omis de prendre en compte la totalité des éléments de preuve concernant les circonstances de leur mariage, les allées et venues du mari avant le départ de la demanderesse principale pour le Canada et la date de naissance du mari.
[25]
Des éléments de preuve ont été soumis à l’agent. Ces éléments de preuve étaient importants et le principe abordé dans la décision Cepeda Gutierrez, précitée, s’applique en l’espèce. Je m’en rapporte au paragraphe 17 de cette décision, où la Cour affirme ce qui suit :
Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion.
[26]
L’omission de tenir compte de l’ensemble de la preuve constitue une erreur sujette à révision.
[27]
La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.
[28]
Dans les circonstances où la lettre relative à l’équité procédurale n’a pas été envoyée à un représentant autorisé des demandeurs, je suggère que les demandeurs aient maintenant la possibilité de répondre à cette lettre.
JUGEMENT dans le dossier IMM-670-18
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour une nouvelle détermination. Aucune question n’est soulevée pour être certifiée.
« E. Heneghan »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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IMM-670-18
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INTITULÉ :
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ERITREA LEBASI MERASHE ET KIDANE MASHO MESELE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 13 août 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 16 août 2018
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COMPARUTIONS :
Kristin Marshall
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Pour les demandeurs
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Margherita Braccio
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Neighbourhood Legal Services
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour les demandeurs
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Procureur général du Canada
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Pour le défendeur
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