Date : 20180802
Dossier : IMM-5612-17
Référence : 2018 CF 813
Montréal (Québec), le 2 août 2018
En présence de madame la juge St-Louis
ENTRE :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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demandeur
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et
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JULIE OGANDA TONDA
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défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Le 15 mai 2017, le gestionnaire du programme d’immigration de l’ambassade du Canada au Sénégal [le Gestionnaire] conclut que Mme Victoria Oganda, la nièce mineure de Mme Julie Oganda Tonda, la défenderesse, ne répond pas aux critères pour être admise au Canada au titre du regroupement familial, qu’elle a fait une présentation erronée ou une réticence sur des faits importants, et qu’elle est conséquemment interdite de territoire pour une période de cinq ans conformément aux alinéas 40(1)a) et 40(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Le Gestionnaire refuse donc la demande de résidence permanente de Mme Oganda.
[2]
Le même jour, l’agent d’immigration de la section de l’immigration de l’ambassade du Canada au Sénégal [l’Agent] informe Mme Tonda que la demande de Mme Oganda a été refusée puisque cette dernière ne satisfait pas aux exigences de la Loi.
[3]
Mme Tonda interjette appel auprès de la Section d’appel en Immigration [SAI] qui, le 15 décembre 2017, accueille l’appel.
[4]
La Cour est ici saisie de la demande de contrôle judiciaire de cette décision de la SAI présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [le Ministre]. Ce dernier soutient essentiellement que la SAI (1) ne lui a pas donné l’occasion de soumettre des observations et a donc violé les règles d’équité procédurale; et (2) n’a pas compétence pour entendre l’appel étant donné que le refus de la demande de résidence permanente est fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations et que Mme Oganda n’est ni l’épouse ni l’enfant de Mme Tonda, ce qui prive cette dernière d’un appel, conformément au paragraphe 64(3) de la Loi.
[5]
Mme Tonda répond que (1) que la SAI n’a pas violé l’équité procédurale, car il incombait au Ministre de présenter ses observations, ce qu’il a omis de faire; (2) que la SAI avait la compétence pour entendre l’appel, car Mme Oganda est son enfant à charge; et (3) que la SAI a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant comme il se doit.
[6]
La Cour accueillera la demande de contrôle judiciaire, étant convaincue que la SAI a erré en violant les règles élémentaires d’équité procédurale et que cette erreur est fatale.
II.
Contexte
[7]
En 2015, Mme Tonda, citoyenne canadienne, dépose une demande de parrainage en faveur de sa nièce mineure, Mme Oganda, afin que cette dernière obtienne le statut de résidente permanente du Canada dans la catégorie du regroupement familial. Elles allèguent alors que Mme Oganda est orpheline, sa mère étant décédée à sa naissance et son père en 2010.
[8]
Le sous-alinéa 117(1)(f)(ii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement] prévoit qu’une nièce du répondant, si elle est mineure, orpheline et sans conjoint, appartient à la catégorie du regroupement familial. Mme Oganda soumet donc des documents destinés à confirmer le décès de ses parents.
[9]
Or, le Gestionnaire, après enquête, détermine que les certificats de constat de décès présentés par Mme Oganda pour soutenir le décès de chacun des parents ne sont pas authentiques. Le 15 mai 2017, le Gestionnaire informe Mme Oganda que sa demande de résidence permanente est refusée puisque, sans preuve qu’elle est orpheline, Mme Oganda n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial.
[10]
Au surplus, dans sa décision du 15 mai 2017, le Gestionnaire conclut que Mme Oganda a, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, qui entraine ou risque d’entrainer une erreur dans l’application de la Loi, en contravention de l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Il conclut donc que Mme Oganda est interdite de territoire pour cinq ans à compter du 15 mai 2017, tel que le prévoit l’alinéa 40(2)a) de la Loi. Toujours le 15 mai, l’Agent informe Mme Tonda que la demande a été refusée et cite des articles de la Loi en lien avec l’appel auprès de la SAI.
[11]
Le 31 mai 2017, Madame Tonda interjette appel auprès de la SAI. Le 2 juin 2017, un agent de règlement de la SAI écrit à Mme Tonda et essentiellement (1) accuse réception de son avis d’appel; (2) cite alors le paragraphe 64(3) de la Loi qui prévoit que « N’est pas susceptible d’appel au titre du paragraphe 63(1) le refus fondé sur l’interdiction de territoire pour fausses déclarations, sauf si l’étranger en cause est l’époux ou le conjoint de fait du répondant ou son enfant »
; (3) note que la demande de parrainage de Mme Tonda a été refusée au motif que l’étranger est interdit de territoire aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi pour fausses déclarations; (4) demande donc à Mme Tonda de transmettre les documents et observations nécessaires si elle croit que cette disposition ne s’applique pas à son appel; et (5) confirme la procédure qui sera suivie en terme de soumissions d’observations par le Ministre, que le Ministre n’est pas tenu de soumettre des observations au stade préliminaire, que les parties seront tenues informées et que, si le dossier d’appel procède, la SAI poursuivra le processus régulier d’examen de l’appel. (Notre souligné)
[12]
Le 5 juin 2017, Mme Oganda dépose quant à elle une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision du Gestionnaire, et le 24 août 2017, la Cour refuse d’autoriser la demande vu le défaut de Mme Oganda de parfaire son dossier.
[13]
Le 22 septembre 2017, Mme Tonda répond à l’agent de règlement de la SAI par la voie de son procureur. Elle soumet alors qu’il n’y a pas eu de fausses déclarations, que le Gestionnaire s’est trompé, qu’elle peut loger un appel auprès de la SAI, que le paragraphe 64(3) de la Loi ne s’applique pas en l’espèce puisque Mme Oganda est un « enfant à charge »
, Mme Tonda et son conjoint l’ayant déclarée solennellement sous leur garde légale et tutelle.
[14]
Le Ministre reçoit une copie de la lettre de Mme Tonda du 22 septembre, mais ne reçoit aucune autre nouvelle de la SAI et ne transmet conséquemment aucune observation. Enfin, le 15 décembre 2017, la SAI rend sa décision et accueille l’appel de Mme Tonda sans se prononcer sur sa compétence et sans offrir au préalable au Ministre l’occasion de présenter des observations.
[15]
Dans sa décision, la SAI accueille l’appel de Mme Tonda, essentiellement au motif qu’il y a eu manquement à la justice naturelle. La SAI indique notamment que (1) le dossier concerne l’adoption de la nièce de l’appelante; (2) l’agent de visa n’a tenu compte que des constats de décès alors qu’il ne s’est pas prononcé sur les autres documents au dossier attestant du décès des parents de Mme Oganda, surtout compte tenu de la lourde conséquence pour l’enfant; et (3) l’agent de visa aurait dû se prononcer sur l’ensemble du dossier, y compris les documents liés aux procédures devant les instances québécoises.
III.
Position des parties
A.
Position du Ministre
[16]
Le Ministre soutient que la décision soulève des questions de justice naturelle et d’équité procédurale, ainsi que des questions de compétence et qu’elles sont toutes révisables selon la norme de la décision correcte.
[17]
Le Ministre plaide que la décision de la SAI comporte plusieurs erreurs : (1) la SAI s’est trompée de catégorie, car il ne s’agit pas d’un dossier d’adoption, mais bien d’un dossier de la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(1)f) de la Loi; (2) la SAI a erré sur la question de sa compétence puisqu’elle ne l’a pas du tout abordée; (3) la SAI n’a pas donné l’occasion au Ministre de présenter des observations sur la question de la compétence et seules les représentations de la défenderesse ont été considérées, violant ainsi les règles d’équité procédurale; (4) le Gestionnaire a omis de tenir compte du fait que les autres documents au dossier attestant du décès des parents soumis par la défenderesse avaient fait l’objet de vérifications et que l’auteur des documents avait confirmé qu’il s’agissait de documents frauduleux.
[18]
Dans sa réplique, le Ministre soutient que (1) pour avoir un droit d’appel devant la SAI, la demanderesse doit faire partie de la catégorie du regroupement familial, ce qui n’est pas le cas vu que Mme Oganda n’a pas démontré qu’elle était orpheline aux termes de l’alinéa 117(1)f)ii) du Règlement; et (2) Mme Oganda ne peut être considérée comme une enfant à charge au sens de la Loi, n’étant ni l’enfant biologique ni l’enfant adoptive de Mme Tonda.
B.
Position de Mme Tonda
[19]
Mme Tonda répond que la norme de contrôle à appliquer en l’espèce est celle de la décision raisonnable, que la question est donc de déterminer si l’interprétation du paragraphe 64(3) de la Loi est raisonnable et qu’il n’est pas question de compétence de la SAI. Elle répond aussi que l’équité procédurale doit être contrôlée selon la norme de la décision correcte.
[20]
Mme Tonda soutient que la présente demande de contrôle judiciaire ne révèle aucune cause sérieuse, car la SAI a raisonnablement conclu que le Gestionnaire n’avait pas pris en compte les autres éléments de preuve au dossier et elle a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, comme il se doit. De plus, Mme Tonda affirme que la SAI avait la compétence d’entendre l’appel puisque l’enfant faisant l’objet de la demande de parrainage est son enfant à charge et que l’exception prévue à l’article 64(3) de la Loi s’applique. Elle prétend enfin que la SAI n’a pas manqué à l’équité procédurale puisqu’elle n’était pas tenue de demander au Ministre de présenter ses observations pour trancher la question de la compétence et que c’est plutôt le Ministre qui a choisi de ne pas présenter d’observations.
IV.
Décision
[21]
La Cour ne se prononcera que sur la question de la violation des principes d’équité procédurale puisque cela permet de disposer de la présente demande.
[22]
La norme de contrôle à appliquer aux questions d’équité procédurale et de justice naturelle ne fait pas l’unanimité (Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132 au para 12). La Cour d’appel fédérale a récemment traité de nouveau cette question dans sa décision Canadian Pacific Railway Company v Canada (Attorney General), 2018 FCA 69. Elle semble avoir alors écarté l’examen de l’équité procédurale à travers le prisme d’une norme de contrôle et retenu que cet examen consiste plutôt, ultimement, à déterminer si le demandeur connaissait les allégations formulées contre lui et s’il a eu l’occasion de se faire entendre complètement et équitablement.
[23]
La Cour est ici convaincue qu’il y a eu une violation à l’équité procédurale puisque le Ministre n’a pas eu l’occasion de soumettre des observations, ni sur la compétence de la SAI ni sur le fond de l’appel, et qu’il n’a pas été avisé par la SAI avant qu’elle ne rende sa décision. Or, il est bien établi en droit que la SAI, conformément aux principes de justice naturelle, est tenue de donner aux deux parties l’occasion de présenter des observations et de les informer lorsqu’elle prévoit rendre une décision (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conteh, 2018 CF 416 aux para 8-9 [Conteh]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Chen, 2011 CF 514 aux para 8-9 [Chen]).
[24]
D’ailleurs, dans sa lettre datée du 2 juin 2017, la SAI avait indiqué qu’elle informerait les parties par écrit si le commissaire jugeait que le processus régulier d’examen de l’appel devait se poursuivre et que si elle demandait des observations au Ministre, la défenderesse aurait l’occasion d’y répondre. Or, la SAI n’a jamais informé le Ministre avant de rendre une décision et ne lui a pas offert l’occasion de présenter des observations.
[25]
En rendant sa décision sur la seule base des observations de la défenderesse, la SAI a privé le Ministre de son droit d’être entendu, soit « un des droits les plus fondamentaux d’une partie à une instance »
(Chen, au para 8). Il s’agit d’un manquement fatal à l’équité procédurale qui justifie l’intervention de la Cour et l’annulation de la décision rendue par la SAI (Conteh, au para 11; Chen, aux para 8 à 10).
[26]
Puisque la décision de la SAI ne peut être maintenue en raison de ce vice, il n’est pas nécessaire de se pencher sur les autres aspects du litige (Bajwa c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 202 au para 82).
[27]
Le procureur de Mme Tonda a, lors de l’audience, annoncé son intention de soumettre à la Cour une question à certifier, mais il a subséquemment transmis à la Cour une renonciation de présenter une question à certifier.
JUGEMENT au dossier IMM-5612-17
LA COUR STATUE que :
La demande est accueillie;
Le dossier est retourné à la SAI pour un nouvel examen en tenant compte des présents motifs;
Aucune question n’est certifiée;
Le tout sans frais.
« Martine St-Louis »
Juge
ANNEXE
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5612-17
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INTITULÉ :
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c JULIE OGANDA TONDA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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MONTRÉAL
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 26 JUILLET 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE ST-LOUIS
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DATE DES MOTIFS :
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LE 2 AOÛT 2018
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COMPARUTIONS :
Jocelyne Murphy
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Pour le demandeur
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François Kasenda Kamemba
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Pour lA défenderESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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Cabinet François K. Law Office
Ottawa (Ontario)
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Pour lA défenderESSE
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