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Date : 20180727


Dossier : IMM-5433-17

Référence : 2018 CF 794

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juillet 2018

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

MEILAN YE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse, Meilan Ye, est une citoyenne de la Chine. Elle a présenté une demande d’asile en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés(LIPR), LC 2001, c 27, mais la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger en application de la LIPR et que sa demande était manifestement infondée.

[2]  Le 19 décembre 2017, la demanderesse a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire en soutenant que la décision de la SPR était à la fois déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural.

[3]  Pour les motifs ci-dessous, je rejette la demande.

II.  Contexte

[4]  L’audience de la demanderesse devant la SPR a eu lieu le 31 octobre 2017. En bref, elle a indiqué dans son témoignage que le 12 juillet 2015, alors qu’elle agissait comme surveillante pendant le service religieux de son ami de confession chrétienne des Crieurs, le Bureau de la sécurité publique (BSP) avait fait une perquisition dans l’église. Elle affirme qu’elle est désormais visée par un mandat d’arrestation pour avoir pris part à des activités religieuses illégales. Elle soutient que lorsque le BSP était arrivé, elle était allée se cacher et avait embauché un passeur pour qu’il l’aide à quitter la Chine pour venir au Canada. Elle allègue qu’elle continue de pratiquer la religion des Crieurs depuis qu’elle vit au Canada.

[5]  La SPR a conclu que l’identité personnelle de la demanderesse avait été établie, mais pas son identité à titre de membre des Crieurs. Elle a également affirmé que la demanderesse [traduction] « avait été prise à mentir à de nombreuses reprises au cours de l’audience » et a conclu que sa demande était manifestement infondée. Dans sa décision datée du 9 novembre 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile.

III.  Questions en litige

[6]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La SPR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en ne posant à la demanderesse aucune question au sujet de la preuve incohérente qu’elle a présentée au cours de l’audience?
  2. La décision de la SPR était-elle déraisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[7]  Les questions d’équité procédurale sont sujettes à un contrôle selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 [Khosa]), tandis que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité (Thevarajah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 458, au paragraphe 7) et aux conclusions de fait (Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 170, au paragraphe 2).

V.  Analyse

A.  La SPR a-t-elle manqué à l’équité procédurale en ne posant à la demanderesse aucune question au sujet de la preuve incohérente qu’elle a présentée au cours de l’audience?

[8]  La demanderesse soutient que la SPR a le devoir de souligner toute observation incohérente (Vorobieva v Canada (Solicitor General) (1994), 84 FTR 93 (1re inst); Guo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), A-928-92 (CF 1re inst.)), mais qu’elle n’a été interrogée que brièvement au sujet de ses incohérences. La demanderesse affirme que bien qu’elle se soit appuyée sur la décision Osei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), T-2992-92 (CF 1re inst.), la SPR n’a pas correctement interprété la présente affaire. Par conséquent, elle allègue qu’elle n’a pas eu la possibilité de s’expliquer ni de préciser comment elle est arrivée à quitter la Chine en utilisant son propre passeport.

[9]  La demanderesse soutient également que la SPR avait le devoir de lui faire part de toute préoccupation au sujet de son récit des événements visant sa sortie de Chine. La demanderesse croit que la SPR n’a pas agi à juste titre lorsqu’elle a suivi les directives jurisprudentielles et a omis de l’interroger au sujet de son récit des événements visant sa sortie de Chine pour ensuite avoir des préoccupations à son égard. Son avocat devait lui poser des questions à propos de sa sortie de Chine. La demanderesse déclare que la SPR [traduction] « a déployé des efforts explicites pour occulter les questions qui la préoccupaient » et affirme que ces arguments, s’ils sont retenus, indiquent que l’audience de la SPR était inéquitable sur le plan procédural. En outre, la demanderesse a comparé l’audience à [traduction] « une énigme ». Elle indique que la SPR s’est donnée beaucoup de mal pour éviter toute transparence et n’a tout simplement réglé aucun enjeu sans limiter les questions à trancher.

[10]  Je rejette l’argument de la demanderesse voulant que la SPR ait fait preuve d’iniquité sur le plan procédural, bien qu’à la suite de mon examen de la transcription, je concède que le commissaire et l’avocat de la demanderesse ont eu des échanges épineux au sujet de ces questions au cours de l’audience. Toutefois, contrairement à l’argument présenté par la demanderesse, la SPR a bel et bien souligné la présence d’incohérences, et j’estime que de nombreux exemples le démontrent. La décision en soi traite des réponses problématiques qu’a fournies la demanderesse aux questions posées au sujet de ses déclarations incohérentes. À plus d’une reprise, la SPR a estimé que les explications de la demanderesse étaient inacceptables puisqu’elles se contredisaient les unes les autres.

[11]  J’estime que la SPR n’a pas fait preuve d’iniquité sur le plan procédural. Bien qu’ils aient eu des échanges inutiles, le commissaire et l’avocat de la demanderesse ont adopté la conduite qui leur convenait et, comme je l’ai dit, celle-ci n’a entraîné aucune iniquité sur le plan procédural. Au cours de l’audience, la demanderesse a confirmé qu’elle ne soulevait aucune crainte raisonnable de partialité.

[12]  Pour qu’une erreur soit déraisonnable, elle doit changer l’issue d’une décision (Castillo Mendoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 648, au paragraphe 24). En l’espèce, ce n’est qu’après avoir tiré ses conclusions au sujet de la sortie de Chine de la demanderesse et appuyé ses motifs sur les articles 85 et 86 des directives jurisprudentielles que la SPR a tiré ses conclusions déterminantes. Plus précisément, la SPR avait déjà conclu que la demanderesse n’était pas un témoin fiable, qu’elle ne pratiquait pas la religion des Crieurs au Canada, qu’elle n’était pas membre des Crieurs en Chine, qu’elle n’était pas visée par un mandat d’arrestation émis par le BSP, que la perquisition n’avait jamais eu lieu et que la demanderesse ne s’était jamais cachée, et elle avait déjà rejeté la demande sur place de la demanderesse. Que la SPR ait commis ou non une erreur à l’égard de cette question ne change rien à l’issue de la décision et, par conséquent, cela ne peut servir de fondement pour déterminer que la décision est déraisonnable.

B.  La décision de la SPR était-elle déraisonnable?

1)  Conclusions de fait erronées

[13]  La demanderesse affirme que les conclusions de la SPR ne sont pas liées à la preuve. Par conséquent, elle soutient que la conclusion de la SPR voulant qu’elle n’eût jamais été membre des Crieurs est une conclusion de fait erronée. En outre, la demanderesse déclare que la décision de la SPR a décomposé sa foi en éléments constitutifs qui, en soi, sont légaux en Chine. Elle allègue que la preuve qu’elle a présentée doit être examinée dans son ensemble pour déterminer si elle doit être considérée comme membre du groupe des Crieurs en Chine.

[14]  Puisque la SPR disposait d’une preuve pour fonder sa décision à l’égard de chaque point soulevé par la demanderesse, je dois de nouveau rejeter l’argument de cette dernière. Par exemple, pour rendre sa décision, la SPR s’est appuyée sur la preuve documentaire indiquant qu’il ne suffit pas qu’une personne crie dans une église pour que les autorités chinoises considèrent qu’elle est de confession des Crieurs. En outre, la décision repose sur l’ensemble de la preuve, qui comprend les réponses incohérentes de la demanderesse (notamment celles au sujet de la période pendant laquelle elle était demeurée cachée et du nombre de fois que le BSP l’avait cherchée), de même que sur la conclusion selon laquelle le subpoena qu’avait présenté la demanderesse n’était pas authentique. Enfin, le fait que la demanderesse ne dispose d’aucun document de voyage a revêtu une importance capitale aux fins de sa demande, puisque son départ de la Chine et ses déplacements antérieurs ne sont étayés par aucune preuve.

[15]  La demanderesse conteste les conclusions de la SPR et le poids accordé à la preuve; toutefois, la lecture de la transcription, du formulaire Fondement de la demande d’asile et de la preuve à l’appui permet de conclure que la décision respecte la norme de la décision raisonnable.

2)  Demande d’asile sur place

[16]  La demanderesse affirme que l’analyse de la demande sur place de la SPR est trop limitée et ne permet pas de déterminer si elle est devenue membre du groupe chrétien des Crieurs au Canada. La demanderesse soutient que les demandes sur place ne se limitent pas aux activités ayant retenu l’attention des autorités chinoises, mais qu’elles s’appliquent également à la question de savoir si la demanderesse pourrait pratiquer sa religion librement et ouvertement à son retour en Chine (Ejtehadian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 158).

[17]  À la suite de l’audience de la SPR, celle-ci a reçu de la demanderesse une lettre dans laquelle était énoncé le droit applicable aux demandes sur place. Dans la lettre, l’avocat de la demanderesse a malencontreusement indiqué que cette dernière était de confession Falun Gong au lieu de la qualifier de membre des Crieurs. La demanderesse affirme que la SPR aurait dû reconnaître qu’il s’agissait d’une erreur commise par mégarde et qu’elle a commis une erreur susceptible de révision en omettant de tenir compte des arguments juridiques présentés par l’avocat (la SPR a jugé qu’il s’agissait d’une demande essentiellement différente en raison de la mention de la pratique du Falun Gong).

[18]  Je conviens que la SPR aurait dû reconnaître que l’avocat a fait une erreur regrettable lorsqu’il a décrit la raison pour laquelle sa cliente était persécutée. Toutefois, les faits indiquent que la SPR a effectué une analyse exhaustive de la demande sur place en fonction de l’allégation visant le groupe chrétien des Crieurs; par conséquent, elle n’a commis aucune erreur susceptible de révision lorsqu’elle a affirmé que cette déclaration essentiellement différente était d’une utilité limitée.

[19]  Bien que la demanderesse soutienne le contraire, la SPR a bel et bien examiné la question de savoir si la demanderesse pourrait pratiquer sa religion librement en Chine; cependant, elle a conclu que la demanderesse n’était pas membre des Crieurs. La conclusion de la SPR au sujet des croyances religieuses de la demanderesse en Chine repose sur le fait que la demanderesse a présenté une preuve incohérente, ce qui a entraîné une conclusion défavorable à l’égard de sa crédibilité. La conclusion quant aux croyances religieuses de la demanderesse au Canada repose notamment sur une lettre envoyée par l’église de Toronto qui indique qu’elle n’est pas associée à la secte des Crieurs de la Chine. La question traitée aux paragraphes 13 et 14 ci-dessus chevauche ce point. Compte tenu de cette preuve, la SPR a indiqué ce qui suit : [traduction« La lettre de l’église qu’a présentée la demanderesse indique sans l’ombre d’un doute que l’église de Toronto que fréquente la demanderesse n’est pas associée aux Crieurs de Chine. »

[20]  Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Khosa. Puisque cette décision appartient aux issues possibles acceptables, je rejette la présente demande.

[21]  Les parties n’ont présenté aucune question à certifier et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5433-17

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5433-17

 

INTITULÉ :

MEILAN YE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 juillet 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 juillet 2018

 

COMPARUTIONS :

Shelley Levine

Pour la demanderesse

Stephen Jarvis

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shelley Levine

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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