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Date : 20180719


Dossier : IMM-5202-17

Référence : 2018 CF 763

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2018

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

ABEBE KASSAYE DAMTE

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Abebe Kassaye Damte, présente une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 19 octobre 2017.

[2]  Le demandeur est arrivé au Canada en provenance de l’Éthiopie en 2016 et a demandé le statut de réfugié. En avril 2017, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le témoignage du demandeur à l’appui de sa demande n’était pas crédible et a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en application des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[3]  Dans la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, la SAR a confirmé les conclusions de la SPR. La SAR a conclu que le demandeur n’était pas crédible en raison des incohérences relatives à certains aspects de son témoignage. Par conséquent, il n’avait pas le profil décrit dans le cartable national de documentation (le CND) d’une personne susceptible d’être victime de persécution s’il devait retourner en Éthiopie.

[4]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

I.  Contexte

[5]  Le demandeur est un citoyen de l’Éthiopie qui appartient au groupe ethnique des Amharas. Il est graphiste et a enseigné à l’université d’Addis-Abeba pendant plus de 25 ans.

[6]  Le demandeur affirme qu’après la prise du pouvoir par le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (le FDRPE) en 1991, son supérieur à l’université a exercé de la pression sur lui pour qu’il se joigne au parti. Il a refusé de le faire, et il affirme qu’il a été persécuté par son supérieur et par des membres du parti à partir de ce moment-là. Le demandeur affirme aussi qu’il était un fervent partisan du parti de l’opposition. Il a ouvertement appuyé la Coalition pour l’unité et la démocratie lors des élections nationales de 2005 en Éthiopie, et son appui au parti de l’opposition a compromis son emploi. Par ailleurs, le demandeur affirme qu’il a reçu des menaces, qu’il a été victime de harcèlement et qu’il a subi des traitements dégradants parce qu’il était Amhara.

[7]  Des événements survenus en 2016 ont précipité le départ du demandeur de l’Éthiopie. Selon le demandeur, son frère a été placé en détention et torturé en avril 2016. Son frère a été relâché, mais il est mort des suites de ses blessures peu après. Le demandeur affirme que pendant la même période, son cousin a été battu par des membres d’un gang politique et a perdu un œil. Deux autres cousins ont aussi été arrêtés et emprisonnés pendant l’été 2016.

[8]  En juillet 2016, le demandeur s’est rendu à Gondar pour rendre visite à sa famille. Il affirme qu’il s’est joint au mouvement de résistance des Amharas à ce moment-là. Après son retour à Addis-Abeba, il a poursuivi ses efforts pour contribuer au mouvement et a recruté d’autres membres. Le demandeur affirme que deux hommes l’ont arrêté un soir alors qu’il retournait chez lui et ont menacé de le tuer s’il continuait à prendre part au mouvement de résistance. Il soutient aussi que des hommes sont venus chez lui en août 2016 et qu’ils lui ont fait subir des abus verbaux et physiques devant sa femme.

[9]  En octobre 2016, le demandeur a obtenu un visa temporaire pour rendre visite à son frère, à Calgary. Il est arrivé au Canada le 22 octobre 2016 et a demandé l’asile peu après.

[10]  Selon la femme du demandeur, qui est restée à Addis-Abeba, des hommes sont venus chez eux à deux reprises après le départ de son mari parce qu’ils le cherchaient.

[11]  À l’appui de sa demande d’asile, le demandeur a présenté une lettre écrite par sa femme, ainsi qu’une carte d’invitation au service commémoratif de son frère.

[12]  Le 12 avril 2017, la SPR a rejeté la demande du demandeur. La question déterminante était la crédibilité du demandeur. Selon la SPR, le demandeur n’a pas été en mesure de prouver ses allégations selon la prépondérance des probabilités étant donné qu’il y avait des incohérences et des omissions dans les éléments de preuve associés aux principales questions de fait, à savoir son témoignage sur l’arrestation de son frère et l’élément de preuve relatif à l’incident survenu en août 2016 chez lui. La SPR a déterminé que ces deux événements étaient importants dans l’exposé des faits du demandeur puisqu’ils étaient des catalyseurs de sa participation au mouvement de résistance. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur sur l’arrestation de son frère était changeant et incompatible avec les renseignements qu’il a fournis dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA). Elle a aussi déterminé que le récit du demandeur concernant l’incident d’août 2016 et l’identité des deux assaillants ne correspondait pas aux renseignements fournis par sa femme dans la lettre. Le tribunal a rejeté l’affirmation du demandeur selon laquelle il était recherché par les autorités éthiopiennes. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi son appartenance politique.

II.  La décision de la SAR

[13]  La décision de la SAR (la décision) est datée du 19 octobre 2017. La question soulevée par le demandeur devant la SAR consistait à déterminer si la SPR avait commis une erreur quand elle avait conclu que le demandeur n’avait pas établi une crainte justifiée d’être persécuté en Éthiopie en raison de ses opinions politiques. La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, et elle a rejeté son appel.

[14]  La question déterminante pour la SAR était la crédibilité du demandeur. La SAR était d’accord avec l’évaluation par la SPR du témoignage du demandeur en ce qui concerne les circonstances de l’arrestation et du décès de son frère. La SAR a cité des incohérences pour lesquelles la SPR avait demandé des explications au demandeur et a déterminé qu’il ne les avait pas expliquées. En fonction de son examen des éléments de preuve, la SAR a affirmé que le demandeur semblait [traduction] « ajuster son témoignage » pour obtenir une décision positive. La carte d’invitation au service commémoratif de son frère était inutile puisqu’elle ne mentionnait pas la cause de son décès.

[15]  La SAR a aussi tenu compte de l’observation du demandeur selon laquelle la lettre de sa femme constituait une confirmation crédible de son témoignage. La SAR a rejeté cette observation puisque les renseignements figurant dans la lettre au sujet de l’incident survenu en août 2016 à la résidence du demandeur n’étaient pas compatibles avec le récit de celui-ci. La SAR a déterminé que l’explication du demandeur des incohérences n’était pas satisfaisante.

[16]  La SAR a examiné l’argument du demandeur selon lequel son profil résiduel à titre d’Amhara et d’universitaire de longue date a donné lieu à sa crainte justifiée de persécution. La SAR a examiné les documents du CND et ceux fournis par le demandeur, et elle a conclu qu’ils ne contenaient rien pour étayer l’argument selon lequel le demandeur, à titre d’universitaire ou de membre du groupe ethnique des Amharas, risquait d’être persécuté. Le CND a confirmé que l’Éthiopie était constamment le théâtre de graves manifestations politiques, dont certaines étaient violentes. Cependant, le demandeur n’a pas été mesure de faire le lien entre ces manifestations et son profil résiduel. En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel il risquait d’être persécuté en raison de son profil politique, la SAR a réalisé l’examen des documents sur la situation dans le pays et a affirmé ce qui suit :

[traduction]

[24] Je comprends toutes ces questions, qui sont graves et touchent les personnes qui s’opposent au gouvernement ou qui sont perçues comme des opposants. Si le demandeur avait des éléments de preuve fiables et crédibles démontrant qu’il était une telle personne, alors il pourrait être considéré comme une personne à risque.

III.  Questions en litige

[17]  Le demandeur soulève deux questions dans la présente demande :

  1. La SAR a-t-elle fait une évaluation raisonnable de la crédibilité du demandeur?

  2. La SAR a-t-elle fait une évaluation raisonnable de la crainte de persécution du demandeur fondée sur ses opinions politiques, son activisme ou son profil résiduel?

IV.  Norme de contrôle

[18]  La norme de révision que la Cour doit appliquer à une décision de la SAR est celle du caractère raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35; Gebremichael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 646, au paragraphe 8. Concrètement, cela signifie que je suis tenue d’évaluer si les conclusions de la SAR relatives à la crédibilité, ainsi que son évaluation des éléments de preuve sur la situation en Éthiopie et du profil du demandeur étaient raisonnables : Gbemudu c Canada (Citoyenneté, Réfugiés et Immigration), 2018 CF 451, au paragraphe 23.

[19]  La norme de la décision raisonnable tient principalement à la justification de celle-ci, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicables en l’espèce : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (arrêt Dunsmuir). Les critères établis dans Dunsmuir sont respectés si « les motifs […] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16.

V.  Analyse

1.  La SAR a-t-elle fait une évaluation raisonnable de la crédibilité du demandeur?

[20]  Il y avait trois aspects derrière la crainte de persécution du demandeur s’il devait être forcé de retourner en Éthiopie. L’existence de deux de ces éléments n’est pas contestée : l’origine ethnique du demandeur, qui est Amhara, et son statut d’universitaire chevronné. Ces éléments forment le profil résiduel du demandeur. J’examinerai les conclusions de la SAR relativement au profil résiduel du demandeur dans la prochaine section de mon jugement. Le troisième élément concerne l’affirmation du demandeur selon laquelle les autorités éthiopiennes avaient eu vent de son activisme politique, ce qui avait donné lieu à des menaces et à du harcèlement. C’est principalement sur ce troisième élément, et sur le fondement factuel de son activisme politique, que le demandeur établit sa crainte de persécution.

[21]  La SAR a conclu que les éléments de preuve du demandeur à l’égard de ses activités politiques n’étaient pas crédibles et que, par conséquent, il n’avait pas établi qu’il était une personne susceptible d’être victime de persécution en Éthiopie en raison de son profil politique. L’argument central du demandeur était le suivant : la SAR a négligé d’examiner les éléments fondamentaux de sa demande, son profil politique et le fait qu’il était Amhara, et elle a centré son analyse de la crédibilité sur des questions accessoires, à savoir les circonstances de l’arrestation et du décès de son frère et le contenu de la lettre écrite par sa femme. Le demandeur allègue que la SAR a fait fi des éléments de preuve non contestés relatifs à ses opinions politiques et à sa participation au mouvement de résistance des Amharas.

[22]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que les conclusions de la SAR relatives au manque de crédibilité du demandeur et à son incapacité à établir son profil politique étaient raisonnables.

[23]  Le demandeur a correctement affirmé que la SAR avait concentré son analyse de la décision sur des incidents précis tirés des éléments de preuve qu’il a présentés, et non sur son témoignage général relatif à son activisme politique. En procédant de cette façon, la SAR n’a pas commis une erreur susceptible de révision.

[24]  Le demandeur a toujours indiqué que les événements pris en compte par la SAR avaient été décisifs dans sa décision de devenir un activiste politique et de quitter l’Éthiopie. Il s’agissait d’événements centraux dans l’exposé des faits du demandeur et des seuls événements pour lesquels il avait fourni des éléments de preuve détaillés. Dans son témoignage, le demandeur a décrit son activisme politique en termes généraux. Il a indiqué qu’il était actif sur le plan politique et qu’il appuyait le parti de l’opposition. Il a aussi affirmé qu’après sa visite à Gondor, il avait continué son travail dans le mouvement de résistance à Addis-Abeba. Cependant, il n’a fourni que peu de détails sur son travail et n’a pas présenté d’éléments de preuve à l’appui. Comme il avait caractérisé les circonstances entourant l’arrestation et le décès de son frère, ainsi que l’incident survenu en août 2016 chez lui de catalyseurs pour ses activités politiques, il était raisonnable que la SAR se concentre sur les incohérences dans les éléments de preuve du demandeur relatifs à ces événements.

[25]  La SAR a trouvé des incohérences importantes dans les éléments de preuve factuels du demandeur, incohérences qu’il a été incapable d’expliquer quand la SPR lui a demandé de le faire. Ces incohérences ont poussé la SAR à tirer la conclusion générale selon laquelle le demandeur n’était pas crédible :

[traduction]

[26] Il y a tout simplement de trop nombreuses contradictions, incohérences et explications douteuses pour que la SAR accorde toute crédibilité à l’appelant. Comme sa propre crédibilité est entachée, je ne peux pas conclure qu’il correspond au profil des personnes mentionnées dans les éléments de preuve comme des personnes susceptibles d’être victimes de persécution. Je ne peux pas conclure que ses éléments de preuve sont suffisants pour l’emporter sur les importantes lacunes relatives à la crédibilité.

[26]  La SAR a évalué le seul élément de preuve détaillé dont elle disposait et a tiré des conclusions défavorables sur la crédibilité du demandeur. La SAR a fourni des explications compatibles avec les éléments de preuve quant aux motifs de ses conclusions précises sur la crédibilité. Le reste du témoignage très général du demandeur n’a pas pu être vérifié au regard des faits. L’extrapolation de la SAR de ses conclusions défavorables précises sur la crédibilité à sa conclusion générale selon laquelle le demandeur n’était pas crédible était justifiable et intelligible. Les motifs de la SAR satisfaisaient aux exigences de l’arrêt Dunsmuir.

[27]  Le demandeur soutient que la SAR a entrepris un examen microscopique des questions accessoires. Comme il a été mentionné ci-dessus, le demandeur a indiqué que les circonstances entourant l’arrestation et le décès de son frère, ainsi que l’incident survenu en août 2016 chez lui avaient précipité l’intensification de son activisme politique. Les décisions citées par le demandeur à l’appui de son observation se distinguent pour ce motif.

[28]  Le demandeur allègue également que les questions de fait relatives à l’emplacement où a eu lieu l’arrestation de son frère étaient illusoires puisque son frère travaillait à Gondar et que les manifestations auxquelles il a fait référence ont aussi eu lieu dans cette ville. Cet argument ne me convainc pas. Le demandeur n’a jamais indiqué que son frère avait été arrêté à Gondar. Dans son formulaire FDA, il a plutôt indiqué que son frère avait été arrêté au travail. Lors de l’audience, le demandeur a aussi affirmé que son frère avait été arrêté lors d’une manifestation, mais quand la SPR l’a interrogé, il a indiqué qu’il avait été arrêté au travail. Le fait que le lieu de travail de son frère et les manifestations en question étaient à Gondar ne rend pas illusoires les contradictions constatées dans les éléments de preuve du demandeur.

[29]  Le demandeur allègue que l’examen réalisé par la SAR de la lettre de sa femme était déraisonnable pour deux raisons. Premièrement, les incohérences sont attribuables à des erreurs de traduction. Il mentionne une erreur dans la date de l’incident d’août 2016 et dans la façon dont les personnes qui sont venues chez lui ont été décrites. Cependant, ni la date de l’incident ni les écarts relatifs à l’identification des hommes attribuables à des erreurs de traduction n’ont pesé dans la décision de la SAR. La préoccupation de la SAR portait sur les incohérences entre le témoignage du demandeur, selon lequel les hommes ne s’étaient pas identifiés, et celui de femme, selon laquelle ils l’avaient fait.

[30]  Deuxièmement, le demandeur allègue que la SAR a utilisé la lettre pour miner sa crédibilité, puis qu’elle n’y a plus accordé de poids. Il affirme que cette utilisation incohérente de la lettre constitue une erreur susceptible de révision, et il cite Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (CAF). À mon sens, la SAR a traité la lettre de façon raisonnable. Selon la SAR, si elle acceptait l’affirmation du demandeur selon laquelle la lettre de sa femme contenait une erreur à l’égard de l’identification des hommes, alors la lettre n’avait aucune valeur probante. La SAR a ensuite affirmé que [traduction] « l’autre solution » consistait à considérer que la lettre était correcte et que le témoignage du demandeur était faux. Les deux affirmations ne sont pas incompatibles. En ce qui concerne la décision dans son ensemble, il est clair que la SAR avait de sérieuses préoccupations à l’égard de la crédibilité du demandeur et que les incohérences entre la lettre et son témoignage n’ont pas permis d’établir sa demande.

[31]  Le demandeur affirme que la SAR a négligé de prendre en compte ses antécédents linguistiques et culturels quand elle a évalué son témoignage. En fait, la SAR a directement abordé les capacités linguistiques du demandeur dans sa décision. Pour étayer son allégation selon laquelle la SAR n’a pas pris en compte ses antécédents culturels, le demandeur cite la décision Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 (décision Lubana). Dans la décision Lubana, la demanderesse était une femme originaire de l’Inde rurale qui souffrait d’un trouble de stress post-traumatique avéré après avoir été emprisonnée et agressée sexuellement. Elle s’était effondrée à de nombreuses reprises pendant l’audience. Le demandeur allègue qu’il est un graphiste qui ne s’exprime pas bien avec des mots. Par ailleurs, en raison de son âge et de son statut, il n’a pas l’habitude d’être interrogé et de voir ses affirmations remises en question. Je ne considère pas que ces arguments sont persuasifs. Rien n’indique dans le dossier que ces questions tenaient une place particulièrement importante dans le témoignage du demandeur ou que la SAR aurait dû y faire précisément référence. Ces arguments sont de nature générale et contrastent avec les questions précises et évidentes auxquelles étaient confrontés la demanderesse et le tribunal dans la décision Lubana.

[32]  Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle la SAR a recherché des incohérences dans le dossier pour pouvoir prendre sa décision. Le demandeur s’est fondé sur l’arrestation et le décès de son frère ainsi que sur l’incident survenu en août 2016 chez lui pour expliquer l’intensification de son activisme politique, activisme qui est au centre de sa demande. Le témoignage du demandeur n’était pas compatible avec son formulaire FDA. Il n’a présenté que très peu de documents à l’appui. La SAR a décrit en détail les incohérences du témoignage du demandeur et des éléments de preuve documentaire relatifs aux deux événements. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas adéquatement expliqué ces incohérences quand il a été interrogé par la SPR. Comme il est indiqué ci-dessus, la confirmation des conclusions de la SPR sur la crédibilité du demandeur à l’égard de ces événements était justifiée et intelligible. Le reste du témoignage du demandeur contenait peu de détails sur ses activités politiques réelles. Il n’a présenté aucun autre élément de preuve démontrant que la SAR aurait pu établir un lien entre ses activités politiques et l’intérêt que lui portaient les autorités. Comme le seul élément de preuve qui lui a été présenté n’était pas fiable, il était raisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’était pas crédible et qu’il n’avait pas établi un profil d’activisme politique.

2.  La SAR a-t-elle fait une évaluation raisonnable de la crainte de persécution du demandeur fondée sur ses opinions politiques, son activisme ou son profil résiduel?

[33]  Le principal argument du demandeur est le suivant : comme la SAR n’a pas rendu de conclusion défavorable à l’égard de ses croyances ou de son activisme politique, qui constituaient le cœur de son témoignage, elle a commis une erreur quand elle a conclu qu’il ne risquait pas d’être persécuté en raison de son profil politique. Le demandeur soutient également que la SAR a commis une erreur quand elle a conclu qu’il n’y avait pas de preuve récente sur la situation au pays à l’appui de son affirmation selon laquelle il risquait d’être persécuté en Éthiopie en raison de son statut d’universitaire membre du groupe ethnique des Amharas. Je remarque que dans ses observations orales, le demandeur a reconnu que son origine ethnique et son statut d’universitaire étaient des éléments secondaires dans sa crainte d’être persécuté.

[34]  Le principal argument du demandeur repose sur sa thèse selon laquelle la SAR a commis une erreur quand elle a fondé sa décision sur ses conclusions défavorables précises sur la crédibilité. Cependant, j’ai déterminé que la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi un profil politique en Éthiopie était raisonnable. Par conséquent, j’ai aussi conclu que la détermination de la SAR selon laquelle le demandeur ne risquait pas d’être persécuté en Éthiopie en raison de son profil ou de ses opinions politiques était raisonnable.

[35]  La SAR a fait référence aux manifestations violentes qui ont lieu partout en Éthiopie décrites dans le CND, mais a conclu qu’il s’agissait de manifestations politiques. Elle a affirmé que [traduction] « les personnes qui sont considérées comme des opposants au gouvernement » sont à risque. La SAR, qui a déterminé que le demandeur n’était pas un opposant au gouvernement ou qu’il n’était pas considéré comme tel par les autorités, a conclu qu’il ne correspondait pas [traduction] « au profil des personnes mentionnées dans les éléments de preuve comme des personnes susceptibles d’être victimes de persécution ». Le raisonnement de la SAR est intrinsèquement cohérent. Étant donné qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve crédibles sur les activités politiques du demandeur, la conclusion de la SAR selon laquelle il ne courait pas de risque en raison de son profil politique était raisonnable.

[36]  La SAR s’est concentrée sur le profil résiduel du demandeur à titre d’Amhara et d’universitaire. La SAR a déterminé que ni l’ethnicité amharique ni le statut d’universitaire du demandeur ne constituaient des motifs suffisants pour justifier une crainte fondée de persécution.

[37]  La SAR a examiné les documents du CND et ceux fournis par le demandeur, et elle a conclu qu’ils ne démontraient pas qu’un universitaire était plus susceptible d’être persécuté en 2016 que d’autres personnes en Éthiopie. Le tribunal a affirmé que le CND ne démontrait pas que des universitaires avaient récemment été persécutés en Éthiopie.

[38]  Le demandeur souligne un certain nombre de passages dans les récents documents du CND qui portent sur des problèmes qui touchent les universitaires. Ces documents décrivent des restrictions par le gouvernement des libertés des universitaires, des freins à l’avancement professionnel et des congédiements. La question en ligne dont je suis saisie consiste à déterminer si la conclusion de la SAR selon laquelle le CND ne démontrait pas que les universitaires étaient persécutés était raisonnable. J’ai examiné les documents du CND auquel le demandeur a fait référence. Même si ces documents décrivent différentes formes de discrimination à l’encontre des universitaires qui ne sont pas affiliés au FDRPE, il est raisonnable de conclure qu’ils ne décrivent pas des persécutions. La SAR n’a commis aucune erreur susceptible de révision à cet égard.

[39]  En ce qui concerne la question de déterminer si l’ethnicité amharique du demandeur donnait lieu à une crainte justifiée de persécution, la SAR a examiné les documents du CND et a reconnu que l’Éthiopie était continuellement le théâtre de manifestations violentes au cours desquelles des manifestants étaient emprisonnés, y compris dans la ville de Gondor, dans la région Amhara. La SAR a aussi reconnu que le CND indique que plus de 800 manifestants ont été tués, et qu’un plus grand nombre encore ont été arrêtés. Le rapport d’Amnistie Internationale auquel renvoie le demandeur décrit en détail les manifestations qui ont lieu dans la région Amhara et précise que des centaines [traduction] « d’activistes politiques, de défenseurs des droits humains, de journalistes et de manifestants ont été arrêtés ».

[40]  La SAR a conclu que le fondement des manifestations était politique et non ethnique. Le demandeur allègue que la SAR a commis une erreur fondamentale dans la façon dont elle a compris la nature de l’agitation en Éthiopie. Il cite l’extrait suivant tiré de la décision :

[traduction]

[22] Aucun des documents auxquels l’avocat a renvoyé n’indique que la violence exercée par des acteurs du gouvernement a quelque chose à voir avec l’ethnicité ou la religion du demandeur. Des personnes de différentes villes, y compris d’Addis-Abeba, ont participé à des manifestations pour protester contre des questions plus politiques qu’autre chose.

[41]  Compte tenu des éléments de preuve documentaire, la caractérisation des manifestations en Éthiopie de politiques ou de religieuses/ethniques simplifie excessivement la dynamique complexe qui définit le pays. Cependant, la distinction simplifiée qu’a faite la SAR ne rend pas déraisonnable sa décision à l’égard du rôle de l’ethnicité amharique du demandeur et des persécutions potentielles par l’État. Tant la SAR que le demandeur se sont concentrés sur l’aspect politique, et non sur l’aspect relatif à l’ethnicité amharique du profil du demandeur. Dans son mémoire, le demandeur affirme que son ethnicité est importante pour l’évaluation du risque résiduel advenant son retour en Éthiopie [traduction] « en raison de ses opinions et de ses activités antigouvernement réelles ou apparentes ».

[42]  De nombreux Amharas ont participé aux manifestations antigouvernementales décrites dans le CND de l’Éthiopie et ont subi des répercussions violentes. La SAR n’a pas remis en question la portée des manifestations, la participation d’Amharas ou la violence exercée par le gouvernement à l’encontre des manifestants ou n’a pas fait fi de cette dernière. Cependant, le demandeur n’a pas fourni d’éléments de preuve crédibles démontrant qu’il a participé à ces manifestations. En outre, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi de profil politique qui aurait pu pousser le gouvernement à croire qu’il prenait part au mouvement de protestation ou à des activités politiques similaires. En l’absence de profil politique, l’identité amharique du demandeur ne constituait pas un motif suffisant pour conclure à une crainte de persécution. Je conclus que la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur ne risquait pas d’être persécuté en Éthiopie était conforme aux documents du CND et qu’elle était raisonnable.

VI.  Conclusion

[43]  La demande est rejetée.

[44]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel par les parties, et aucune question de portée générale n’a été soulevée dans la présente affaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5202-17

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Elizabeth Walker »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5202-17

 

INTITULÉ :

ABEBE KASSAYE DAMTE c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 juin 2018

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE :

LE 19 JUILLET 2018

 

COMPARUTIONS :

Teklemichael Sahlemariam

 

Pour le demandeur

Catherine Vasilaros

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet de Teklemichael Ab Sahlemariam

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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