Dossier : IMM-5152-17
Référence : 2018 CF 661
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 27 juin 2018
En présence de monsieur le juge Bell
Dossier : IMM-5152-17
|
ENTRE :
|
MOHAMMED KAMAL DEEN ILIAS
|
demandeur
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature des procédures
[1]
Le demandeur dépose une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision rendue le 3 novembre 2017 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la décision). La SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.
II.
Contexte
[2]
Le demandeur est un citoyen du Ghana. Il affirme à la Cour qu’il a fui le Ghana le 23 juillet 2014. J’ajoute le libellé restrictif « à la Cour »
parce que des éléments de preuve démontrent que le demandeur a indiqué à au moins une autre occasion avoir fui le Ghana à une date différente. Il affirme qu’il s’est rendu au Brésil avec un visa. Depuis le Brésil, il a parcouru l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale avant d’arriver aux États-Unis où, le 11 avril 2015, il a présenté une demande d’asile en raison de ses opinions politiques. Il convient de noter que cette demande ne mentionnait pas de persécution attribuable à l’orientation sexuelle. La demande a été rejetée. Confronté à la menace d’expulsion des États-Unis, le demandeur a fui au Canada en traversant la frontière près d’Emerson, au Manitoba.
[3]
Le 3 décembre 2016, des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada ont arrêté le demandeur. Dans la demande d’asile présentée au Canada, le demandeur a allégué qu’il craignait d’être persécuté au Ghana en raison de son orientation sexuelle, étant donné qu’il est homosexuel, et d’un litige avec son oncle au sujet d’une terre. Il n’a pas mentionné ses opinions politiques comme motif potentiel de persécution dans la demande d’asile qu’il a présentée au Canada.
[4]
Le demandeur affirme qu’il est attiré par les hommes depuis qu’il a l’âge de 11 ans. Il indique qu’il s’est livré pour la première fois à une activité homosexuelle quand il vendait des produits dans la rue. Il a ainsi entretenu une relation avec un homme qui était, selon lui, son protecteur et un soutien financier pour sa sœur et lui.
[5]
Le demandeur affirme que son oncle convoitait la propriété que lui avaient léguée ses parents. Cet oncle s’est servi de l’homosexualité du demandeur pour le forcer à lui donner la propriété. Quand le demandeur a refusé, son oncle a obtenu l’aide d’un gang local, qui a commencé à le menacer. Le demandeur affirme qu’il a été emmené dans la brousse, où il a été battu et coupé avec un couteau, ce qui lui a causé des blessures qui ont nécessité des soins médicaux. Il affirme que sa sœur et lui ont signalé les crimes à la police après qu’il soit sorti de l’hôpital, mais que la police n’a pris aucune mesure en raison de son incapacité à payer ou de son refus de le faire.
[6]
Le demandeur affirme que plusieurs mois après l’attaque, son oncle l’a dénoncé aux dirigeants communautaires et l’a ainsi [traduction] « exposé »
. Il affirme qu’il a été de nouveau attaqué, déshabillé, ne lui restant que ses sous-vêtements, attaché et d’avoir été menacé d’être asperger d’essence et d’être brulé. C’est l’intervention d’un étranger qui lui a permis de s’échapper. Après la dernière attaque, il a appelé son partenaire, qui a pris des dispositions pour qu’il se rende à Tamale, dans le nord du Ghana, où il a habité chez un membre de sa famille. Quand cette personne a appris qu’il était homosexuel, il a dû quitter Tamale. Le demandeur s’est rendu à Accra, où il a habité avec un ami d’enfance jusqu’à ce que cet ami soit menacé en raison de l’homosexualité du demandeur. Son ami a communiqué avec le partenaire du demandeur, qui lui a fourni (ainsi qu’au demandeur) un passeport et un visa pour le Brésil.
[7]
Le demandeur affirme qu’à son entrée aux États-Unis, on ne lui a pas donné l’occasion de donner tous les détails liés à sa demande d’asile. Selon lui, en raison de sa détention, il n’a pas été en mesure de rencontrer un avocat ou un bénévole en privé. Son audience n’a pas été tenue en privé puisqu’il a été interrogé devant d’autres détenus. Il affirme qu’il avait peur de ce que les autres détenus pourraient lui faire s’ils apprenaient qu’il était homosexuel. C’est pour cette raison qu’il n’a jamais divulgué son homosexualité aux autorités de l’immigration aux États-Unis.
[8]
Le demandeur indique qu’après son arrivée au Canada, il a été interviewé par un journaliste. Pendant cette interview, le journaliste lui a demandé quel était de motif de sa demande. Il a répondu qu’il était en danger au Ghana en raison de son homosexualité. Cette interview a été diffusée sur CTV News. Le demandeur affirme qu’un ami qui a vu l’interview au Ghana lui en a fait parvenir une copie. Il soutient qu’en raison de la diffusion de la vidéo au Ghana, il était autorisé à présenter une demande d’asile sur place.
[9]
Les audiences dans le cadre de la demande d’asile que le demandeur a présentée au Canada ont eu lieu devant la SPR le 6 février et le 7 mars 2017. Dans une décision écrite rendue le 5 mai 2017, la SPR a rejeté sa demande. Le demandeur a interjeté appel de la décision de la SPR, décision qui a été confirmée par la SAR. C’est cette décision de la SAR qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
III.
Décision de la SPR
[10]
La question déterminante pour la SPR était la crédibilité. La SPR a conclu que le demandeur manquait de crédibilité pour plusieurs raisons, à savoir : 1) l’absence complète de toute mention de son orientation sexuelle ou de la persécution dont il a été victime en raison de cette orientation dans la demande d’asile présentée aux États-Unis; 2) les incohérences dans les renseignements fournis par rapport à son départ du Ghana (dates, destinations, etc.); 3) les incohérences dans les dates des principaux événements, comme la vente de la terre, le différend avec son oncle, la première attaque et l’hospitalisation subséquente à celle-ci; 4) les éléments de preuve contradictoires relatifs au décès de son père.
[11]
En ce qui concerne les omissions relatives à son orientation sexuelle dans la demande d’asile politique présentée aux États-Unis, la SPR a rejeté les explications du demandeur au sujet du manque de respect de la vie privée et de la peur. La SPR a souligné que le demandeur avait eu au moins trois occasions d’informer les autorités américaines de la persécution dont il avait été victime au Ghana en raison de son orientation sexuelle : 1) dans sa demande d’asile et son formulaire de demande de suspension d’expulsion; 2) dans sa déclaration écrite; 3) au département de la Sécurité intérieure quand il est arrivé au point d’entrée aux États-Unis. En outre, la SPR a considéré qu’il est invraisemblable que le demandeur n’ait pas eu l’occasion de discuter de sa situation personnelle en privé étant donné que les États-Unis ont de solides antécédents en matière de respect des droits de la personne, que les autorités américaines lui ont donné des renseignements sur l’obtention de conseils juridiques gratuits et qu’il a eu de l’aide pour la préparation de sa demande d’asile.
[12]
Par ailleurs, la SPR a indiqué que le demandeur n’avait pas mentionné aux autorités américaines, par écrit ou autrement, l’événement traumatisant au cours duquel il avait été attaché et menacé d’être aspergé d’essence et brûlé vif. La SPR a aussi souligné qu’une lettre de la sœur du demandeur, présentée aux autorités américaines à l’appui de la demande de son frère, ne mentionnait pas son orientation sexuelle. Ces omissions n’ont jamais été expliquées.
[13]
D’autres incohérences ont été justifiées par le demandeur comme des erreurs ou des retards dans l’enregistrement des documents. Par exemple, le demandeur avait d’abord indiqué qu’il avait été hospitalisé après avoir été battu en 2012, mais la lettre du médecin indique qu’il a été soigné en octobre 2013. Le demandeur n’a pas expliqué cet écart; il a simplement laissé entendre que le médecin avait commis une erreur. Dans les déclarations écrites et les renseignements fournis aux autorités américaines, le demandeur a indiqué s’être rendu en Équateur depuis le Ghana le 23 janvier 2015; cependant, dans les renseignements qu’il a fournis aux autorités canadiennes et dans la demande d’asile présentée au Canada, il a allégué qu’il a voyagé à partir du Ghana vers le Brésil le 23 juillet 2014. Une fois encore, le demandeur affirme que cette incohérence est attribuable à des erreurs de la part des autorités américaines. Une autre incohérence importante concernait son départ de sa ville natale de Kumasi. Il a affirmé avoir fui Kumasi en avril 2014; cependant, un contrat signé de vente de terrain le place à Kumasi en juin 2014. La SPR a indiqué que plusieurs des incohérences, pour la plupart, étaient [traduction] « compliquées et déconcertantes»
ou [traduction] « vagues et évasives »
. Le fait que de nombreuses incohérences ont été constatées dans multiples documents écrits par différentes personnes n’a pas été en faveur du demandeur.
[14]
La SPR a examiné les autres éléments de preuve documentaire pour déterminer si, sans égard au manque de crédibilité du demandeur, il existait d’autres éléments de preuve crédibles qui lui auraient permis d’accueillir la demande. En ce qui concerne les lettres de soutien du Canada, la SPR a conclu qu’elles ne faisaient essentiellement que répéter les renseignements déjà communiqués par le demandeur, dont la crédibilité était sérieusement entachée. Le comité a aussi conclu que les lettres d’appui du Ghana, les photos des avis de recherche sur lesquels figurait la photo du demandeur et les photos de la deuxième attaque n’étaient vraisemblablement pas légitimes et ne pouvaient pas l’emporter sur la myriade de questions de crédibilité soulevées par les autres éléments de preuve.
[15]
Les lettres du Ghana étaient toutes non solennelles et semblaient avoir été rédigées dans le même format et le même style, bien qu’elles aient soi-disant été écrites par trois personnes différentes. Une lettre de la sœur du demandeur ne contenait pas d’explication sur la raison pour laquelle elle n’avait pas mentionné l’orientation sexuelle de son frère dans la lettre qu’elle a envoyée aux autorités américaines. En ce qui concerne les [traduction] « avis de recherche »
sur lesquels figurait la photo du demandeur, la SPR a souligné que les avis contenaient des fautes d’orthographe et qu’ils semblaient être posés de façon inhabituelle sur les arrière-plans sur lesquels ils étaient affichés. Selon la SPR, les avis semblaient avoir été retouchés. Pour ce qui est des photos sur lesquelles il est attaché, le demandeur a affirmé qu’elles ont été prises par un ami qui a apparemment observé l’attaque au moment où elle s’est produite. Le demandeur a affirmé qu’au moment de l’attaque, il ne savait pas que son ami était présent et qu’il l’a appris seulement plus tard. La SPR a conclu que la proximité apparente du photographe avec le demandeur rendait cette explication invraisemblable. Selon la SPR, il était difficile de croire qu’un ami a pu être en mesure de prendre de telles photos sans pour autant lui venir en aide pendant l’attaque, que le demandeur n’a pas aperçu cet ami ou que les photos n’ont fait leur apparition qu’après la demande d’asile présentée au Canada. Élément fondamental, la SPR a déterminé que les photos du demandeur attaché étaient une mise en scène.
[16]
Pendant l’interrogatoire du demandeur par la SPR, son avocate a présenté des arguments pour une demande d’asile sur place. Cette avocate a allégué qu’étant donné que le demandeur s’était identifié comme un homosexuel du Ghana dans une émission d’information télévisée, il allait automatiquement être victime de persécution au Ghana en raison de l’existence de lois qui criminalisent les actes d’homosexualité. La SPR a conclu qu’aucun fondement n’appuyait la demande d’asile sur place du demandeur. La SPR a considéré que l’allégation selon laquelle les autorités au Ghana prendraient les renseignements présentés dans le reportage suffisamment au sérieux pour alerter les agents des services frontaliers de l’arrivée imminente du demandeur au Canada ne reposait que sur une simple hypothèse.
[17]
Selon la SPR, aucun cas de violence commis contre des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles et transgenres par la police ou le gouvernement n’a été signalé durant l’année, et aucun rapport n’indique que les dispositions législatives du Ghana contre les homosexuels sont actuellement mises en application. La SPR a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.
IV.
Décision de la SAR
[18]
La SAR a d’abord examiné les observations relatives à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve (deux affidavits du Ghana, quatre lettres de soutien du Canada, une copie du visa brésilien du demandeur et des photos prises au Canada), ainsi qu’une demande d’audience. Elle a ensuite appliqué la norme de la décision correcte, conformément à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, [2016] 4 RCF 157 [Huruglica]. La SAR a ensuite réévalué le dossier afin de déterminer si la SPR avait commis une erreur en ce qui concerne les motifs invoqués par le demandeur.
[19]
Sur la question de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve, elle a tenu compte du paragraphe 110(4) de la LIPR, qui prévoit qu’un appelant ne peut présenter que des éléments de preuve survenus après le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas raisonnablement accessibles ou, que l’on ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à ce qu’ils soient présentés, dans les circonstances, au moment du rejet. La SAR a souligné qu’il incombe aux appelants de présenter des observations complètes concernant les moyens par lesquels les nouveaux éléments de preuve respectent ces exigences et de quelle manière cette preuve s’applique à leur cas. Se reporter au sous-alinéa 3(3)g)(iii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257 [les Règles de la SAR]. La SAR a aussi indiqué que, si les nouveaux éléments de preuve satisfaisaient à l’une des exigences prévues au paragraphe 110(4), la deuxième étape de l’analyse consistait à appliquer les facteurs modifiés de l’arrêt Raza adoptés dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, [2016] 4 RCF 230 [Singh], à savoir évaluer l’admissibilité du nouvel élément de preuve en tenant compte des questions de la crédibilité, de la pertinence et de la nouveauté.
[20]
La SAR a fait remarquer que le demandeur n’avait fourni aucune observation sur la façon dont les nouveaux éléments de preuve satisfaisaient aux exigences du paragraphe 110(4) ou aux facteurs modifiés de l’arrêt Raza. Le demandeur a seulement affirmé que les documents étayaient son appel et que les photos avaient été prises après son audience relative à sa demande d’asile. J’indique brièvement ci-dessous les motifs donnés par la SAR pour expliquer son rejet de chacun des nouveaux éléments de preuve proposés.
[21]
Les deux affidavits du Ghana étaient postérieurs à la décision de la SPR, mais ils répétaient essentiellement les renseignements figurant déjà dans le dossier de la SPR. Dans les cas où les renseignements dans les affidavits étaient différents de ceux figurant déjà dans le dossier de la SPR, aucune date n’a été indiquée pour appuyer l’affirmation selon laquelle ils étaient postérieurs à la décision de la SPR. C’est aussi vrai pour les lettres d’appui du Canada. La SAR n’a pas été en mesure de déterminer si les renseignements figurant dans ces lettres étaient postérieurs à la décision de la SPR ou si on ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à ce que, dans les circonstances, le demandeur présente ces renseignements à la SPR avant qu’elle rende sa décision. À l’inverse, le visa brésilien, daté de juillet 2014, était antérieur à la décision de la SPR. Cependant, le demandeur n’a pas fourni d’explication crédible à la raison pour laquelle il ne l’avait pas présenté à la SPR avant qu’elle rende sa décision.
[22]
En ce qui concerne les « nouvelles »
photos, le demandeur affirme qu’elles ont été prises après l’audience de la SPR. Cependant, le fait qu’elles ont été prises après l’audience n’est pas le critère. Le demandeur a eu presque deux mois entre la date de l’audience et la date de la décision pour présenter des éléments de preuve postérieurs à l’audience à l’appui de sa demande. Il est difficile de déterminer si l’une ou l’autre des photos était disponible ou pourrait raisonnablement avoir été disponible avant la décision de la SPR en mai 2017.
[23]
Au sujet de la demande d’audience, la SAR a indiqué qu’elle peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe 110(3) de la LIPR qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause, qui sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile et qui, si admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas (paragraphe 110(6) de la LIPR). Dans les circonstances, la SAR a déterminé que le demandeur n’avait pas satisfait à ces exigences, que le ministre n’avait pas présenté d’élément de preuve et qu’aucun nouvel élément de preuve admissible n’avait été présenté par le demandeur. Par conséquent, elle a rejeté la demande d’audience du demandeur.
[24]
Dans son analyse du bien-fondé, la SAR a d’abord ciblé les deux allégations d’erreurs soulevées par le demandeur, notamment : a) la SPR a négligé de déterminer si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention en fonction d’éléments de preuve jugés crédibles; b) la SPR a commis une erreur quand elle a fait fi des explications raisonnables du demandeur qui, plutôt que d’être incohérentes, étaient complémentaires. La SAR a noté que les observations relatives à ces allégations d’erreurs étaient extrêmement brèves et n’énonçaient essentiellement que des principes généraux sur la crédibilité. Elle a conclu qu’il ne s’agissait pas d’observations complètes et détaillées concernant les erreurs alléguées qui constituaient le fondement de l’appel, pas plus qu’elles n’indiquaient où se trouvaient les erreurs dans les motifs de la décision, comme l’exigent les sous-alinéas 3(3)g)(i) et 3(3)g)(ii) des Règles de la SAR.
[25]
À la suite d’une évaluation indépendante des éléments de preuve, la SAR a conclu que la SPR avait mené une analyse approfondie de la crédibilité qui était claire, intelligible et fondée sur des contradictions et des omissions pour lesquelles aucune explication raisonnable n’avait été fournie. La SAR a conclu que la SPR avait eu raison de conclure que le demandeur n’était pas crédible, et elle a décidé que les conclusions de la SPR étaient suffisantes pour confirmer sa décision selon laquelle le demandeur n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était homosexuel.
[26]
Enfin, la SAR a observé que le demandeur n’avait pas contesté les conclusions de la SPR sur la demande sur place. Pour cette raison, la SAR a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’aborder cet aspect de la décision de la SPR. La SAR a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne ayant besoin de protection et a, par conséquent, rejeté l’appel.
V.
Dispositions pertinentes
[27]
Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les articles 96 et 111, ainsi que les paragraphes 97(1), 110(3), 110(4) et 110(6). Les sous-alinéas 3(3)g)(i), 3(3)g)(ii) et 3(3)g)(iii) des Règles de la SAR sont aussi pertinents. Ces dispositions sont énoncées à l’annexe A des présents motifs.
VI.
Questions en litige
[28]
Le demandeur soulève les questions en litige suivantes :
La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des nouveaux éléments de preuve conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR?
La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation des éléments de preuve relatifs à la crédibilité du demandeur?
La SAR a-t-elle commis une erreur quand elle a refusé d’évaluer la demande sur place du demandeur?
VII.
Analyse
A.
Norme de contrôle
[29]
Quand elle a pris en compte les nouveaux éléments de preuve et les questions relatives à la demande sur place, la SAR a interprété sa loi constitutive ainsi que les règles adoptées en vertu de celle-ci. Plus précisément, elle a interprété le paragraphe 110(4) de la LIPR, ainsi que les sous-alinéas 3(3)g)(i) et 3(3)g)(ii) des Règles de la SAR. Dans les cas où un tribunal interprète sa loi constitutive ou les règles adoptées en vertu de celle-ci, il y a une présomption que la norme de la décision raisonnable s’applique à leur interprétation : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 54 [Dunsmuir]; Huruglica, aux paragraphes 30 à 33; Singh, au paragraphe 23; Deng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 887, [2016] ACF no 843, au paragraphe 7; Warraich v Choudhry, 2018 ONSC 1275, [2018] O.J. no 1071, au paragraphe 11.
[30]
Par ailleurs, la Cour a affirmé que son rôle n’est pas de se pencher de nouveau sur la question de savoir si les éléments de preuve auraient dû être acceptés, mais de déterminer si les conclusions de la SAR sur l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve étaient raisonnables : Walite c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 49, [2017] ACF no 31, au paragraphe 30; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Ali, 2016 CF 709, [2016] ACF no 711, aux paragraphes 29 et 48. Elle a aussi déterminé que les conclusions de la SAR relatives à la crédibilité sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable : Deng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 887, [2016] ACF no 843, aux paragraphes 6 et 7; Diedhiou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1198, [2016] ACF no 1181, aux paragraphes 34 et 35). Par conséquent, les trois questions en litige doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable.
[31]
Lorsqu’un examen selon la norme de contrôle raisonnable est justifié, la Cour doit dûment prendre en compte la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus de prise de décisions, et n’intervenir que si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir, au paragraphe 47).
B.
La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve?
[32]
Le demandeur affirme que les nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR auraient dû être admis. Il allègue que l’affidavit qu’il a présenté à l’appui de son appel ainsi que les nouveaux éléments de preuve démontrent clairement qu’il satisfait aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR. Je ne suis pas d’accord. Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que la SAR déterminé de façon raisonnable que les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR n’étaient pas satisfaites.
[33]
La SAR a examiné les affirmations figurant dans l’affidavit du demandeur selon lesquelles certains de nouveaux éléments de preuve n’ont été disponibles qu’après l’audience de la SPR. La SAR a correctement souligné qu’il ne s’agissait pas du critère à respecter. Un demandeur ne peut présenter que des éléments de preuve survenus après le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas raisonnablement accessibles ou, que l’on ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à ce qu’ils soient présentés, dans les circonstances, au moment du rejet. Le demandeur ne peut expliquer en quoi les nouveaux éléments de preuve présentés satisfont à ce critère. Les observations du demandeur ne font plutôt qu’expliquer l’importance de ces éléments de preuve et la façon dont ils ont été rendus disponibles après l’audience. Sans de plus amples renseignements sur les dates auxquelles les éléments de preuve ont été rendus disponibles pour le demandeur, sur la façon dont il en a eu connaissance ou sur la raison pour laquelle ils n’ont pas été disponibles avant le rejet de sa demande, il était impossible pour la SAR de déterminer si les exigences du paragraphe 110(4) étaient satisfaites.
[34]
Les autres arguments avancés par le demandeur en ce qui concerne l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve sont présentés pour la première fois devant la Cour. Le défendeur affirme qu’un demandeur ne peut pas avancer de nouveaux motifs qui n’ont pas été présentés à la SAR dans une tentative pour amorcer l’admissibilité de ces nouveaux éléments de preuve : Lalonde c Canada (Agence du revenu du Canada), 2008 CF 183, [2008] ACF no 316, au paragraphe 66; Jakhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 159, [2009] ACF no 203, au paragraphe 18. Je suis d’accord. Par ailleurs, un demandeur ne peut pas présenter de nouveaux éléments de preuve « chaque fois qu’il ou elle est surpris par la décision de la SPR »
: Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 847, [2016] ACF no 830, au paragraphe 27; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Desalegn, 2016 CF 12, [2016] ACF no 11, au paragraphe 23; Ozomba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1418, [2016] ACF no 1442, au paragraphe 18.
[35]
Quoi qu’il en soit, je conclus que la SAR a raisonnablement déterminé qu’elle ne pouvait pas considérer les huit documents présentés par le demandeur comme des « nouveaux »
éléments de preuve. Les documents ne satisfaisaient pas aux critères d’admissibilité établis au paragraphe 110(4) de la LIPR et en application de l’arrêt Singh. Celui-ci est clair. Les exigences du paragraphe 110(4) ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR et doivent être interprétées restrictivement (paragraphe 35). Il était raisonnable pour la SAR de conclure que les documents n’étaient pas nouveaux, même s’ils ont été présentés après la décision, parce que les renseignements qu’ils contenaient étaient antérieurs à la décision de la SPR ou qu’on ne pouvait pas confirmer qu’ils étaient postérieurs à la décision : Jadallah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1240, [2016] ACF no 1276, au paragraphe 34. Rien ne pouvait laisser entendre que les documents n’étaient pas raisonnablement accessibles avant la décision de la SPR ou qu’on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient disponibles avant cette décision. La décision de la SAR en ce qui concerne l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve était justifiée, transparente et intelligible, et elle appartenait aux issues possibles et acceptables.
C.
La SAR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité?
[36]
Le demandeur reconnaît qu’il a fait des déclarations incomplètes en ce qui concerne certains des faits. Cependant, il affirme qu’il a présenté un témoignage crédible sur chaque aspect central de sa demande. Le demandeur allègue que la SAR a fondé sa décision concernant l’orientation sexuelle du demandeur sur des hypothèses et des suppositions plutôt que sur la preuve.
[37]
En effet, le demandeur prétend que la SAR aurait dû évaluer sa crédibilité sur la question de son orientation sexuelle en vase clos, séparément du reste de son témoignage. En d’autres termes, la SAR aurait dû prendre en considération uniquement la partie du témoignage du demandeur liée à ses préférences romantiques et sexuelles pour déterminer s’il était, selon la prépondérance des probabilités, homosexuel. Il cite la décision Tshibola Kabongo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 313, [2012] ACF no 367 (paragraphe 7) pour étayer son allégation. Selon le paragraphe cité par le demandeur, la SPR peut tirer des conclusions relatives à l’invraisemblance en fonction de la logique et du bon sens. La Cour doit intervenir si les décisions sont fondées sur des conclusions qui n’ont pas été tirées des éléments de preuve. À mon avis, les conclusions défavorables sur la crédibilité en l’espèce ont clairement été tirées des éléments de preuve. Ces conclusions sur la crédibilité touchent tous les aspects des éléments de preuve du demandeur, y compris l’affirmation selon laquelle il est homosexuel.
[38]
La SAR pouvait tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité du demandeur en se fondant sur l’omission, dans la demande d’asile précédemment présentée aux États-Unis, d’un élément central et fondamental de la demande d’asile au Canada (c.-à-d. son homosexualité), ainsi que sur les incohérences relatives aux autres éléments importants de sa demande : Arabalidoosti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 440, [2006] ACF no 552, au paragraphe 1; Osman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 921, [2008] ACF no 1134, aux paragraphes 36, 38 et 39; Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1063, [2009] ACF no 1457, aux paragraphes 6, 8 et 14; Gabriel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 232, [2009] ACF no 247, aux paragraphes 5, 10, 11 et 13; Bikoko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1313, [2015] ACF no 1370, aux paragraphes 9 et 10. Je conclus que l’évaluation de la SAR sur la crédibilité était justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartenait aux issues possibles et acceptables.
D.
La SAR a-t-elle commis une erreur quand elle a refusé d’évaluer la demande sur place du demandeur?
[39]
J’écarte l’allégation du demandeur selon laquelle la SAR aurait dû tenir compte de sa demande sur place. Le demandeur n’a pas contesté, en application des sous-alinéas 3(3)g)(i) et 3(3)g)(ii) des Règles de la SAR, la conclusion de la SPR à cet égard. Il incombe à l’appelant de soulever tout motif d’appel qui découle de la décision de la SPR. La SAR n’est pas responsable d’examiner les autres motifs : Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321, [2015] ACF no 286, aux paragraphes 18 à 20; Huruglica, au paragraphe 103; Ghauri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 548, [2016] ACF no 529, aux paragraphes 33 et 34; Murugesu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 819, [2016] ACF no 885, aux paragraphes 25 à 27; Dakpokpo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 580, [2017] ACF no 632, au paragraphe 14; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 736, [2017] ACF no 768, au paragraphe 25.
[40]
Je suis d’avis que la décision de la SAR de ne pas prendre en compte la demande sur place était justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartenait aux issues possibles et acceptables relatives à cette question.
VIII.
Conclusion
[41]
Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée sans dépens. Aucune question n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5152-17
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire du demandeur sans dépens. Aucune question de portée générale n’est certifiée aux fins d’examen par la Cour d’appel fédérale.
« B. Richard Bell »
Juge
ANNEXE A
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-5152-17
|
INTITULÉ :
|
MOHAMMED KAMAL DEEN ILIAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Montréal (Québec)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 4 JUIN 2018
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
|
LE JUGE BELL
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 27 juin 2018
|
COMPARUTIONS :
Camille Larouche
|
Pour le demandeur
|
Anne-Renée Touchette
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Anne Castagner
Étude Légale Stewart Istvanffy
Montréal (Québec)
|
Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
|
Pour le défendeur
|