Date : 20180719
Dossier : T-1739-17
Référence : 2018 CF 761
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2018
En présence de monsieur le juge Brown
ENTRE :
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MARTIN PROULX
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Le demandeur demande à la Cour de procéder au contrôle judiciaire d’une décision rendue le 12 octobre 2017 par le directeur général (le directeur du Centre des pensions) du Centre des pensions du gouvernement du Canada, de Services publics et Approvisionnement Canada (le Centre des pensions). Le directeur du Centre des pensions a informé le demandeur que sa demande de rachat de service ouvrant droit à pension d’un ancien employeur était nulle, et que par conséquent, sa demande de redressement en application de l’alinéa 8(5)a) de la Loi sur la pension de la fonction publique, LRC (1985), c P-36 (la Loi) était refusée (le refus).
[2]
Le demandeur soutient que les étapes qu’il a suivies en 2011 pour racheter le service ouvrant droit à pension respectaient les conditions légales préalables prévues à l’alinéa 8(5)a) de la Loi.
[3]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs qui suivent.
II.
Les faits
[4]
Le demandeur est actuellement employé par la fonction publique fédérale.
[5]
Il a été travaillé pour Nortel Networks Limited (Nortel) de décembre 1989 jusqu’à sa mise à pied, en janvier 2010. Pendant qu’il travaillait pour Nortel, il a adhéré au régime de retraite à prestations et y a contribué pendant 18 ans. Par conséquent, il avait droit à un montant forfaitaire de 196 191,28 $ de la caisse de retraite de Nortel en supposant que le plein montant lui soit versé.
[6]
Toutefois, en janvier 2009, Nortel s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC (1985), c C-36) (les procédures fondées sur la LACC) en raison de son insolvabilité. Le demandeur a été mis en pied par suite de l’insolvabilité de l’entreprise.
[7]
Après le mois de septembre 2010, Nortel a cessé de contribuer à son régime de retraite en raison de son insolvabilité.
[8]
Le surintendant des services financiers de l’Ontario a ordonné que le régime de retraite de Nortel soit liquidé à compter du 1er octobre 2010, et qu’un administrateur soit nommé pour ce faire.
[9]
En raison de la décision de liquider le régime de retraite en 2010, les participants au régime de retraite de Nortel n’ont pas pu choisir entre la réception d’une pension différée ou le transfert de la valeur de rachat de leur pension à un autre instrument de placement une fois la liquidation terminée. En effet, l’argent de la caisse de retraite de Nortel était bloqué dans un compte en fiducie distinct. La liquidation du régime de retraite de Nortel n’a été terminée qu’en décembre 2016.
[10]
En septembre 2010, le demandeur a obtenu un emploi dans la fonction publique fédérale. Les fonctionnaires fédéraux participent au Régime de pension de retraite de la fonction publique (le RPRFP). Aux termes du RPRFP, les employés ayant accumulé du service antérieur ouvrant droit à pension auprès d’un autre employeur peuvent verser une somme forfaitaire dans le RPRFP et, en échange, se voir créditer quelques-unes ou la totalité des années de service ouvrant droit à une pension de cet ancien employeur. La possibilité de choisir de racheter le service ouvrant droit à pension accumulé auprès d’un autre employeur est énoncée à la division 6(1)b)(iii)(F) de la Loi.
[11]
Le demandeur soutient qu’il a choisi, en 2011, de racheter le service ouvrant droit à pension accumulé auprès de Nortel conformément à la division 6(1)b)(iii)(F) qui prescrit ce qui suit :
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Il est également entendu que pour racheter une pension en vertu de la Loi, le demandeur devait être en mesure de renoncer à son droit existant aux prestations de retraite. Cette exigence est imposée par le paragraphe 4(3) du Règlement pris en application de la Loi, et sera abordée ultérieurement. Le demandeur n’a donc pas été en mesure – sans aucune faute de sa part – de renoncer à sa pension de Nortel avant la liquidation du régime de retraite de Nortel, en 2016.
[13]
Le demandeur a déclaré, dans un courriel daté du 10 juillet 2011, qu’il souhaitait racheter les périodes de service ouvrant droit à pension. Il avait été informé que le coût de rachat du service ouvrant droit à pension auprès de Nortel pour le convertir en temps en application du RPRFP était d’environ 371 388,43 $. Il a reconnu que le régime de retraite de Nortel était sous-financé, et que par conséquent, il n’était certain de recevoir qu’une partie du montant dû, actuellement estimée à 69 % selon ses dires. À cela s’ajoute le fait, bien qu’il ne l’ait pas indiqué dans son courriel, qu’il ne pouvait pas renoncer à son régime de retraite de Nortel puisque les procédures fondées sur la LACC ne le lui permettaient pas. Sa demande d’accommodement a été envoyée par courriel, et non selon la forme requise par la Loi en ce qui a trait au choix.
[14]
Le 28 juillet 2011, un agent en politiques et en mesures législatives du RPRFP (l’agent) a informé le demandeur que ce dernier n’était pas autorisé à racheter sa pension de Nortel, parce qu’il n’était pas en mesure de renoncer à son droit à cette pension. Le demandeur a été dûment avisé qu’il ne pourrait pas présenter une nouvelle demande avant que la situation ne soit réglée avec Nortel, et ce, s’il était toujours employé dans la fonction publique fédérale à ce moment-là. L’agent a déclaré ce qui suit :
[traduction]
« [Comme je l’ai dit précédemment], nous avons consulté le Secrétariat du Conseil du Trésor en ce qui a trait à votre situation particulière. Le Secrétariat a confirmé que, pour effectuer un rachat valide de service lié à un emploi à l’extérieur, la personne doit être en mesure de renoncer à son droit au moment où le rachat est effectué. Comme vous n’êtes pas en mesure de renoncer à votre droit à la pension en ce moment, il n’est pas satisfait aux exigences de la Loi sur la pension de la fonction publique, de sorte qu’il n’est pas possible d’effectuer un rachat valide. Toutefois lorsque la situation sera réglée avec Nortel, si vous êtes toujours employé de la fonction publique et participez activement au régime, vous serez en mesure d’effectuer un rachat. Le rachat sera établi en fonction du salaire autorisé à la date où vous rachetez le service. »
[15]
En novembre 2016, le demandeur a appris que la liquidation du régime de retraite de Nortel était imminente. Il a communiqué avec le Centre des pensions de la fonction publique pour enfin procéder au rachat de service auprès de Nortel. En mars 2017, il a été informé que le coût de rachat du service était passé d’environ 371 388,43 $ en 2011 à plus de 720 000 $ en 2017 – il semble que l’augmentation était due en grande partie aux augmentations de son salaire depuis lors.
[16]
En septembre 2017, le demandeur a écrit au directeur du Centre des pensions pour demander si le gouverneur en conseil validait le [traduction] « choix qu’il avait fait en 2011 »
prévu à l’alinéa 8(5)a) de la Loi.
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Le demandeur a dit que sa demande visant à ce que le directeur du Centre des pensions valide ce qui, selon lui, était le choix qu’il avait fait en 2011 repose sur ce qui suit : 1) en 2011, il a fait un choix conformément à la Loi; 2) il a fait ce choix en toute bonne foi; 3) le choix était invalide pour des raisons hors de son contrôle – uniquement parce que l’administrateur du régime de retraite a pris plus de six ans pour liquider le régime de retraite de Nortel. Le retard a évidemment été causé par les procédures fondées sur la LACC. Le demandeur a également demandé au directeur du Centre des pensions d’annuler l’augmentation du coût de son rachat.
III.
Le refus
[18]
Le 21 septembre 2017, le directeur du Centre des pensions a répondu au demandeur qu’il consulterait le Secrétariat du Conseil du Trésor :
[traduction]
« Merci d’avoir porté votre cas à mon attention. La décision d’invalider votre choix de rachat de service auprès de Nortel a été prise en consultation avec le Secrétariat du Conseil du Trésor, comme vous en avez été informé dans une lettre datée du 28 juillet 2011. Afin que nous puissions déterminer si le redressement prévu à l’alinéa 8(5)a) peut s’appliquer dans ce cas-ci, nous aurons besoin de consulter le Secrétariat du Conseil du Trésor.
Nous mettrons tout en œuvre pour vous donner une réponse rapide. Lorsque le Secrétariat du Conseil du Trésor formulera ses commentaires, nous communiquerons avec vous. »
[19]
Le 12 octobre 2017, le directeur du Centre des pensions a refusé la demande du demandeur, parce que le rachat demandé en 2011 était considéré comme nul, c’est-à-dire que demandeur n’avait pas fait un choix valide en 2011 :
[…]
L’examen des circonstances entourant votre dossier est maintenant terminé. Dans le cadre du processus d’examen, le Centre des pensions du gouvernement du Canada a acheminé votre demande de renseignements datée du 18 septembre 2017 au Secrétariat du Conseil du Trésor afin qu’il puisse l’examiner. Le Secrétariat du Conseil du Trésor est responsable des lois sur les pensions et de l’élaboration des politiques connexes.
Permettez-moi de vous expliquer que l’alinéa 8(5)a) peut être utilisé dans des cas où le participant « a fait un choix en vertu de l’une de ces lois, avec l’intention de se conformer aux dispositions de cette loi et des règlements pris en vertu de celle-ci, que ce choix a été fait en toute bonne foi et qu’il n’était invalide qu’en raison de circonstances non attribuables à une faute de cette personne ».
Dans votre cas, le rachat de 2011 a été considéré comme nul aux termes de l’alinéa 7(2)a) (on devrait plutôt lire l’alinéa 8(2)a)) et du paragraphe 4(3) de la Loi sur la pension de la fonction publique. En substance, selon ces dispositions, un rachat effectué pour des périodes antérieures au service ouvrant droit à une pension à laquelle le participant a droit ne peut être validé, à moins d’avoir perdu les droits à la pension. Ce n’est qu’au moment de la perte de ces droits, en décembre 2016, que le service est devenu admissible au rachat aux termes du Régime de pension de retraite de la fonction publique. Comme votre rachat n’était pas conforme à la réglementation au moment où il a été effectué, il ne peut être validé maintenant en application de l’alinéa 8(5)a).
Je regrette que cette réponse ne soit pas celle à laquelle vous vous attendiez. Je crois toutefois que vous comprendrez que le Centre des pensions est lié par les dispositions des lois sur les pensions. […]
[Souligné dans l’original.]
IV.
La demande de réexamen
[20]
L’avocat du demandeur a écrit au directeur du Centre des pensions le 19 octobre 2017 pour lui demander de réexaminer la décision de refus (la demande de réexamen) :
[traduction]
[…]
« Dans votre courriel du 12 octobre, vous déclarez que comme le choix [du demandeur] “n’était pas conforme à la réglementation au moment où il a été effectué, il ne peut être validé conformément à l’alinéa 8(5)a)”. À mon humble avis, vous n’avez pas compris le sens de l’alinéa 8(5)a) de la Loi. Cet alinéa est ainsi libellé :
(5) Nonobstant les autres dispositions de la présente loi ou de la Loi sur la pension de retraite, lorsque le gouverneur en conseil est d’avis qu’une personne a, selon le cas :
a) fait un choix en vertu de l’une de ces lois, avec l’intention de se conformer aux dispositions de cette loi et des règlements pris en vertu de celle-ci, que ce choix a été fait en toute bonne foi et qu’il était valide seulement en raison de circonstances non attribuables à une faute de cette personne;
[...]Cette personne est réputée avoir fait un choix valide pour l’application des dispositions pertinentes de la présente loi ou de la Loi sur la pension de retraite, selon le cas, à une date et selon les modalités que le gouverneur en conseil peut prescrire.
L’alinéa 8(5)a) de la Loi comporte quatre exigences :
1. l’employé a fait un choix;
2. le choix était apparemment conforme à la Loi;
3. le choix a été fait en toute bonne foi;
4. le choix était invalide en raison de circonstances non attribuables à une faute de l’employé.
Le point central de l’alinéa 8(5)a) de la Loi est qu’il s’applique lorsque le choix initial était invalide. Autrement dit, le but même de l’alinéa 8(5)a) est de valider les choix qui ne sont pas conformes à la Loi ou au Règlement pris en vertu de la Loi. [Le demandeur] ne conteste pas le fait que le choix qu’il a fait en 2011 était invalide; le point central de l’alinéa 8(5)a) repose toutefois sur le fait que les choix antérieurs invalides peuvent être validés.
Comme [le demandeur] l’a déjà expliqué dans la lettre qu’il vous a envoyée, il satisfait à chacune des quatre exigences de l’alinéa 8(5)a) de la Loi :
1. Il a fait le choix de racheter un service ouvrant droit à pension (au moment où il était employé de Nortel).
2. Il a fait ce choix en apparente conformité avec la Loi.
3. Il a fait ce choix en toute bonne foi.
4. Son choix était invalide parce que Nortel était sous la protection de la LACC et que le régime de retraite était en cours de liquidation, de sorte que Nortel ne pouvait traiter la situation [du demandeur] qui tentait de se retirer de ce régime de retraite. Cette circonstance était entièrement attribuable à Nortel, et non au [demandeur].
Je vous écris donc pour vous demander de réexaminer la décision formulée dans votre courriel du 12 octobre 2017. »
[Souligné dans l’original.]
[21]
En réponse à la demande de réexamen, le directeur du Centre des pensions a écrit ce qui suit à l’avocat du demandeur :
[traduction]
« Les circonstances dans lesquelles l’alinéa 8(5)a) de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP) est susceptible de s’appliquer se limitent au choix de faire compter une période de service antérieur ouvrant droit à pension lorsque cette période est autorisée par la LPFP. En l’espèce, le choix [du demandeur] n’était pas invalide en raison de circonstances non attribuables à une faute de sa part. Son choix était nul en application de l’alinéa 8(2)a) de la [Loi] : la période de service ne pouvait pas être comptée comme service assorti d’une option, parce que la condition établie au paragraphe 4(3) du Règlement sur la pension de la fonction publique ne pouvait pas être remplie. En somme, le recours prévu à l’alinéa 8(5)a) de la LPFP ne va pas jusqu’à reconnaître qu’un choix est nul en application d’une disposition législative précise. »
[Non souligné dans l’original.]
V.
Les choix nuls en application de la Loi
[22]
Un certain nombre de conditions au rachat sont prévues dans la division 6(1)b)(iii)(F) de la Loi. L’alinéa 8(2)a) de la Loi dispose qu’un choix est « nul »
s’il couvre une période de service ouvrant droit à une pension visée au paragraphe 4(2) du Règlement sur la pension de la fonction publique, CRC, c 1358 (le Règlement). L’alinéa 8(2)a) de la Loi et les paragraphes 4(2) et 4(3) du Règlement ont pour conséquence qu’un fonctionnaire qui est toujours admissible à recevoir une pension d’un ancien employeur pourrait ne pas être en mesure de racheter ce service ouvrant droit à une pension. L’alinéa 8(2)a) est ainsi libellé :
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[23]
Les paragraphes 4(2) et 4(3) du Règlement se lisent comme suit :
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VI.
Les questions en litige
[24]
Le demandeur soulève deux questions aux fins d’examen :
i.
L’alinéa 8(5)a) s’applique-t-il à a situation du demandeur? De façon plus précise, un choix « nul »
en application de l’alinéa 8(2)a) de la Loi constitue-t-il un choix « invalide »
suivant l’alinéa 8(5)a) de la même Loi?
ii.
Le directeur du Centre des pensions avait-il compétence pour se prononcer sur le refus?
VII.
La norme de contrôle
[25]
Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier »
.
Les parties conviennent, tout comme moi, que la Cour a déterminé que la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par le Centre des pensions de la fonction publique était la norme de la décision raisonnable; c’est ce qu’a affirmé la juge Strickland dans Landriault c Canada (Procureur général), 2016 CF 664, au paragraphe 16. En outre, je me fonde sur l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, dans lequel on confirme, au paragraphe 27, que la norme de contrôle applicable aux décisions administratives est présumée être celle de la décision raisonnable.
[26]
Quoique les parties s’entendent sur le fait que la norme de la décision raisonnable s’applique en ce qui concerne la première question en litige, le demandeur soutient que, puisque cette première question en est une d’interprétation législative, les issues raisonnables possibles se limitent nécessairement à une seule interprétation suivant l’arrêt McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, au paragraphe 38 :
[38] Une disposition ne se prête pas toujours à plusieurs interprétations raisonnables. Lorsque les méthodes habituelles d’interprétation législative mènent à une seule interprétation raisonnable et que le décideur administratif en retient une autre, celle‑ci est nécessairement déraisonnable, et nul droit à la déférence ne peut justifier sa confirmation (voir, p. ex., Dunsmuir, par. 75; Mowat, par. 34). Dans ce cas, les « issues raisonnables possibles » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 4) se limitent nécessairement à une seule, que le décideur administratif doit adopter.
[27]
Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, au paragraphe 55, la Cour suprême du Canada a expliqué les éléments qu’un tribunal est tenu d’examiner lorsqu’il applique la norme de contrôle de la décision raisonnable :
[55] Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles-ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle‑même retenue.
[28]
Le demandeur soutient que la deuxième question en litige est une question exclusivement de compétence, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, tel qu’il a été expliqué dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, au paragraphe 59 :
La présomption de déférence n’est pas réfutée en l’espèce. La question en litige n’appartient pas à l’une des catégories établies de questions auxquelles s’applique la norme de contrôle de la décision correcte. Dans la présente affaire, il n’y a aucune question de constitutionnalité ou de compétence concurrente entre tribunaux administratifs.
[29]
Le demandeur fait valoir que la norme de la décision correcte est toujours la norme de contrôle qui s’applique aux véritables questions de compétence. Je suis généralement d’accord, quoique je n’examinerai pas la deuxième question, comme on le verra plus loin.
[30]
Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a expliqué les éléments qu’un tribunal est tenu d’examiner lorsqu’il applique la norme de contrôle de la décision correcte :
La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.
VIII.
Analyse
[31]
Je suis d’avis qu’en l’espèce, la question déterminante est de savoir si le demandeur a rempli les conditions énoncées au paragraphe 8(5) de la Loi, reproduit ici par souci de commodité :
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[32]
Je souscris aux observations du demandeur selon lesquelles cinq conditions préalables doivent être prises en considération à cet égard. J’aborderai donc chacune d’entre elles. À mon sens, la façon raisonnable d’aborder cette question, c’est-à-dire l’interprétation législative de la Loi, exige que le demandeur remplisse chacune des cinq conditions préalables. Le défaut de satisfaire à toutes les conditions prive le demandeur de son droit à toute réparation; la Cour ne peut pas permettre l’exemption d’application d’une règle.
A.
M. Proulx doit avoir fait un choix
[33]
À mon avis, le demandeur n’a pas fait un choix aux fins d’application de l’alinéa 8(5)a) dans le cadre des demandes que son avocat et lui ont présentées à l’automne 2011. Tout d’abord, le demandeur n’a pas utilisé le formulaire réglementaire requis aux termes du paragraphe 8(1) de la Loi. Au sujet des efforts qu’il a déployés à ce sujet, il ne parle pas de faire un choix, mais évoque plutôt [traduction] « des tentatives récentes visant à racheter le service, »
et [traduction] « [s]a tentative de racheter un service antérieur ».
Ce ne sont pas les termes qu’emploierait une personne qui exerce un choix, mais plutôt ceux d’une personne demandant que l’on examine une situation. Les réponses à ses demandes confirment également que le défendeur n’a pas considéré que son courriel et ses lettres se voulaient un choix. Il ressort aussi clairement que le demandeur n’était pas prêt à procéder réellement au rachat, ou n’était pas en mesure de le faire. Même s’il disposait d’environ 230 000 $ à transférer immédiatement de son REER, rien ne prouve que le solde (environ 140 000 $) fût disponible. Quant à ces sommes manquantes importantes, le demandeur a déclaré franchement ce qui suit : [traduction] « je prévois racheter le reste de mon service antérieur lorsque je recevrai les prestations de retraite de Nortel »
. Il ne fait aucun doute qu’il ne pouvait pas renoncer à sa pension de Nortel, comme l’exigent les paragraphes 4(2) et 4(3) du Règlement. Je ne vois pas comment sa correspondance peut être considérée comme un choix, lorsque les conditions du choix étaient loin d’être remplies. À mon avis, une personne qui est en droit de faire un choix est une personne qui a le droit de choisir une option ou de choisir entre deux ou plusieurs options. En 2011, le demandeur n’était pas autorisé à faire un tel choix. Il n’a été en mesure de faire un choix que lorsque le régime de retraite de Nortel a été retiré des procédures fondées sur la LACC, en 2016. Je suis d’avis qu’en 2011, le demandeur cherchait à être exempté de l’application de la Loi et de la législation subordonnée pertinente. Même s’il pouvait bien demander ce qu’il voulait, la demande qu’il a présentée ne constituait pas en droit l’exercice d’un choix. J’ajouterais qu’il demandait à la Couronne de s’engager à lui verser ce qui pourrait correspondre à des montants très importants de deniers publics.
[34]
Bien que la Cour soit sensible à la situation du demandeur, dans laquelle il se retrouve sans aucune faute de sa part, je n’ai pas le pouvoir de modifier le libellé de la Loi pour l’adapter à la présente affaire. En l’absence de fondement législatif, il n’était pas en mesure de faire un choix, comme en témoignent ses actions.
[35]
L’absence de choix m’amène à trancher la présente affaire en faveur du défendeur, parce que le choix est une condition préalable aux quatre autres conditions préalables de l’alinéa 8(5)a). Néanmoins, j’examinerai chacune d’entre elles.
B.
Son choix doit avoir été fait avec l’intention de se conformer à la Loi
[36]
Comme les parties ont débattu du sens de l’expression « purported »
(dans la version anglaise de la Loi), j’estime que le demandeur n’a pas respecté cette exigence pour des raisons semblables à celles qui viennent d’être énoncées. Il ne demandait ni ne faisait rien en conformité avec la Loi, censément ou de quelque autre façon. Il recherchait un avantage personnel. Même si sa correspondance et celle de ses avocats, à plus forte raison, faisaient référence à la Loi, ce que le demandeur cherchait réellement à obtenir n’était pas prévu par la Loi et son règlement d’application. Là encore, bien que je compatisse avec le demandeur, la Loi ne l’aide pas à cet égard.
[37]
Pour ce qui est de l’argument du défendeur, je conviens que le sens ordinaire du mot «
purport »
(dans la version anglaise de la Loi) est celui-ci : « have the often specious appearance of being, intending, or claiming (something implied or inferred) »,
selon la définition qu’en donne la 9e édition du Webster’s Ninth New Collegiate Dictionary. Je suis d’accord avec le défendeur qui soutient que le demandeur n’a pas « prétendu »
que ce qu’il faisait était conforme à la Loi; il a posé une question, c’est-à-dire qu’il s’est renseigné. À mon avis, c’est tout ce qu’il a fait.
C.
Il doit avoir fait le choix en toute bonne foi
[38]
Personne ne conteste que le demandeur ait agi de bonne foi. Cependant, puisqu’il n’a pas fait de choix, le demandeur ne remplit pas non plus l’autre partie de la troisième condition préalable.
D.
Le choix doit être invalide
[39]
Encore une fois, quoique les parties aient discuté des différences entre un choix nul et un choix invalide, aucun choix n’a été fait au départ. Par conséquent, le demandeur ne satisfait pas à cette condition préalable.
[40]
Bien que de façon générale, je reconnaisse que le mot « nul »
puisse être un synonyme du mot « invalide »
(voir l’arrêt American-Abell Engine and Thresher Co. c McMillan (1909), 42 SCR 377, à la page 396), je ne suis pas convaincu qu’en l’espèce, la question du régime législatif soit en cause. J’en arrive à cette conclusion parce que la Loi reconnaît trois types de choix « nuls »
: lorsque les droits à une pension ne peuvent pas faire l’objet d’une renonciation (alinéa 8(2)a)), lorsqu’aucun examen médical n’a été effectué [paragraphe 31(1)] et lorsque l’examen médical a lieu sans succès (alinéa 31(2)j)). Par ailleurs, la Loi décrit deux types de choix « invalides »
(paragraphes 8(5) et 62(4)). En ce qui a trait aux deux types de choix « invalides »
, un choix a été fait avec « l’intention de se conformer »
à la Loi, ce qui a déjà été abordé et ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La présente affaire se rapproche le plus d’un choix nul de la première catégorie, à savoir lorsque les droits à une pension ne peuvent pas faire l’objet d’une renonciation aux termes de l’alinéa 8(2)a) compte tenu des paragraphes 4(2) et (3) du Règlement.
E.
Le prétendu choix était invalide seulement en raison de circonstances non attribuables à la faute de M. Proulx
[41]
Étant donné qu’aucun choix n’a été fait, censément ou de quelque autre façon, cette condition préalable n’est pas remplie.
[42]
Je tiens à souligner que je suis d’accord avec le fait que le demandeur se retrouve dans sa situation actuelle uniquement en raison de circonstances qui ne sont pas attribuables à sa faute, pour reprendre les termes du paragraphe 8(5). Son droit à la pension de Nortel résultait entièrement des procédures fondées sur la LACC. Je suis d’avis que les procédures fondées sur la LACC ne sont aucunement la faute ou la responsabilité de M. Proulx. Cela dit, malheureusement pour le demandeur et peut-être pour d’autres personnes dans la même situation, la Loi et le Règlement n’offrent aucune réparation.
F.
La question de la compétence
[43]
Je souhaite aborder une autre question, soit celle de savoir si la décision de refus du directeur du Centre des pensions a été rendue sans la compétence requise, n’ayant pas été rendue par le gouverneur en conseil ou par toute personne ou entité possédant le pouvoir délégué requis. C’est ce que le demandeur allègue maintenant dans le cadre du contrôle judiciaire.
[44]
Dans ce cas-ci, le décideur était le directeur général du Centre des pensions du gouvernement du Canada. Le demandeur et son avocat se sont tous deux adressés à ce décideur par son nom et son titre. Ni le demandeur ni son avocat non invoqué ni même laissé entendre que le directeur général n’avait pas la compétence pour rendre des décisions de la nature de celle que le demandeur et son avocat lui ont demandé de rendre.
[45]
En fait, cette question a été soulevée pour la première fois dans le cadre du présent contrôle judiciaire, devant la Cour. Vers la fin de son affidavit, le demandeur déclare qu’il n’a [traduction] « pas été informé que le gouverneur en conseil déléguait le pouvoir que lui accorde l’alinéa 8(5)a) de la Loi sur la pension de la fonction publique »
au directeur général désigné.
[46]
Bien que ce point ait suscité l’intérêt de la Cour qui a par conséquent demandé qu’on lui présente des observations supplémentaires après l’audience à ce sujet, après réflexion, j’ai conclu qu’il n’est pas approprié de soulever cette toute nouvelle question dans le cadre du contrôle judiciaire. On me demande maintenant d’examiner un décret de même qu’une ou plusieurs décisions du Conseil du Trésor contenant des lacunes quant aux éléments de preuve. Cette question aurait dû être soulevée au moment de traiter avec le directeur général.
[47]
J’ajouterais également que la position du demandeur à ce sujet contredit directement celle qu’il a adoptée au moment où il a traité avec le directeur général au départ. Ensuite, il ne fait aucun doute que le demandeur a estimé que le directeur général avait le pouvoir de lui donner une réponse positive, alors qu’il soutient maintenant qu’il n’avait pas le pouvoir de lui refuser une réponse positive.
[48]
On ne m’a pas expliqué pourquoi cette question n’a pas été soulevée devant le directeur général, puisqu’elle aurait pu et aurait dû être soulevée en premier lieu.
[49]
À mon avis, il est trop tard pour ajouter cette nouvelle question au contrôle judiciaire, compte tenu surtout du fait qu’elle implique l’examen de nouveaux éléments de preuve et du manque présumé d’éléments de preuve concernant ce qui a été délégué, ce qui aurait pu ou n’aurait pas pu être délégué : voir l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22. Voir également l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654, aux paragraphes 22 à 29, et particulièrement au paragraphe 23, où la Cour suprême du Canada s’est exprimée ainsi sur le fait de soulever de nouvelles questions dans une instance de contrôle judiciaire : « En règle générale, dans une instance en contrôle judiciaire, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé au bénéfice du demandeur lorsque la question en litige aurait pu être soulevée devant le tribunal [...]. »
[renvois omis]
[50]
Je suis d’avis que le refus a été autorisé, et en fait prescrit par la Loi, et en outre, qu’il appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’il était donc raisonnable suivant l’arrêt Dunsmuir. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
IX.
Dépens
[51]
J’ai demandé aux parties d’indiquer à la Cour le montant des dépens adjugés sous forme d’une somme forfaitaire globale convenue entre elles, payable à la partie qui a gain de cause. Elles ont indiqué avoir convenu d’une somme forfaitaire globale de 4 000 $ que j’estime raisonnable, et, par conséquent, j’ordonne au demandeur de verser cette somme au défendeur si demande en est faite.
JUGEMENT dans le dossier T-1739-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Le demandeur paiera au défendeur la somme forfaitaire globale convenue de 4 000 $, si demande en est faite.
« Henry S. Brown »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1739-17
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INTITULÉ :
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MARTIN PROULX c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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OTTAWA (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 3 juillet 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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Le juge BROWN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 19 juillet 2018
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COMPARUTIONS :
Christopher Rootham
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Pour le demandeur
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Kevin Palframan
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nelligan O’Brien Payne, S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Ottawa (Ontario)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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