Date : 20180622
Dossier : T-1717-17
Référence : 2018 CF 647
Ottawa (Ontario), le 22 juin 2018
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE :
|
LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA
|
demandeur
|
et
|
JAMES BYRON SMITH
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
M. James Byron Smith, un résident à temps partiel du Canada et un citoyen des États-Unis, veut obtenir la citoyenneté canadienne. Il a présenté une demande de citoyenneté en 2014, sachant qu’il ne pouvait pas prouver qu’il avait résidé au Canada durant trois des quatre dernières années comme l’exige l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29, car il voyageait fréquemment, et souvent pour de longues périodes, de sa résidence à Ottawa jusqu’aux États-Unis pour y travailler. Un juge de la citoyenneté a toutefois conclu que parce que M. Smith s’était établi au Canada avant la période visée (c.-à-d. avant 2010), il pouvait satisfaire à l’exigence de résidence malgré ses nombreuses absences du Canada.
[2]
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration demande le contrôle judiciaire de la décision du juge de la citoyenneté, faisant valoir que la décision était déraisonnable parce qu’elle n’était pas étayée par les éléments de preuve présentés devant le juge. Le ministre soutient que les éléments de preuve n’appuyaient pas la conclusion selon laquelle M. Smith s’était établi au Canada avant 2010 dans la mesure où ses nombreuses absences pouvaient être considérées comme des périodes de résidence au Canada.
[3]
Je conviens avec le ministre que les éléments de preuve démontrant l’établissement dans le dossier de la preuve sont peu nombreux. À eux seuls, ces éléments de preuve n’appuient pas la conclusion du juge de la citoyenneté. Cependant, le juge a tenu une audience sur la question de la résidence et a entendu le témoignage de M. Smith à ce sujet. Les éléments de preuve sur lesquels le juge s’est fondé semblent avoir été obtenus auprès de M. Smith directement. Les trois pages de notes prises par le juge durant l’audience figurent au dossier, mais elles sont largement illisibles.
[4]
Étant donné que le juge de la citoyenneté a tiré une conclusion de fait en se fondant sur l’ensemble de la preuve, y compris le témoignage de M. Smith, il n’y a aucun élément sur lequel je peux m’appuyer pour conclure que la décision du juge était déraisonnable. Je dois donc rejeter la demande de contrôle judiciaire.
II.
La décision du juge de la citoyenneté
[5]
Le juge de la citoyenneté est censé avoir suivi l’approche décrite par le juge en chef adjoint Arthur Thurlow dans les affaires re Citizenship Act et re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208 (CFPI). Selon cette approche, une personne ayant établi une résidence au Canada peut être considérée comme étant résidente même si elle a quitté temporairement le pays pour le travail, des vacances ou les études. Cela serait particulièrement vrai pour les personnes dont la famille demeure au Canada et qui reviennent fréquemment au pays lorsque c’est possible.
[6]
En l’espèce, le juge de la citoyenneté a conclu que M. Smith s’était [traduction] « établi au Canada bien avant sa première absence importante en raison de la durée pendant laquelle il a été au Canada et parce qu’il a fait des efforts consciencieux pour s’intégrer au pays »
. Le juge, reconnaissant que M. Smith était loin de satisfaire à la période de résidence requise (de 665 jours), a conclu qu’il s’était établi au Canada et avait maintenu ce lien même durant ses longues absences pour aller travailler aux États-Unis. Le juge a noté que M. Smith s’était marié avec une Canadienne en 2003, était devenu copropriétaire de leur maison à Nepean, en Ontario, et avait graduellement déménagé ses effets ici. Il a conclu que M. Smith détenait un bien immobilier au Canada ainsi qu’une automobile, qu’il possédait des comptes bancaires ici, qu’il payait de l’impôt au Canada et qu’il entretenait des liens sociaux et d’autres liens au Canada. Lorsqu’il travaillait aux États-Unis, M. Smith restait dans des hôtels ou chez des amis, ou encore dans des résidences temporaires. Il a tenté de façon continue de trouver du travail dans son domaine au Canada (spécialiste en enregistrement sonore) et a parfois accepté des petits boulots qui lui permettaient d’être plus près de la maison. Néanmoins, M. Smith a reconnu qu’il ne serait probablement jamais en mesure de satisfaire à l’exigence de résidence de la Loi sur la citoyenneté s’il devait être effectivement présent au Canada la plupart du temps.
[7]
Le fait que M. Smith réside parfois aux États-Unis en raison de son emploi ne diminue en rien, selon le juge, le fait que sa vraie résidence est au Canada. Le juge a déclaré que M. Smith [traduction] « a tous les accessoires nécessaires pour faire sa vie au Canada, notamment des relations sociales, des intérêts et des convenances ».
En outre, le juge a conclu que les absences de M. Smith du Canada étaient temporaires, même si elles étaient continues et qu’il était peu probable qu’elles diminuent.
III.
La décision du juge de la citoyenneté était-elle déraisonnable?
[8]
M. Smith, se représentant lui-même, concède que la décision du juge de citoyenneté était généreuse et il a exprimé en être heureux.
[9]
Mon rôle, toutefois, est de déterminer si la décision du juge était déraisonnable, en tenant compte des éléments de preuve qui ont réellement été présentés au juge. Le ministre, en ce qui concerne le dossier, soutient que la preuve documentaire n’étaye pas la conclusion du juge. Comme je l’ai mentionné, je conviens avec le ministre que les éléments de preuve cités par le juge ne figurent pas au dossier de preuve. Ils doivent donc avoir été présentés lors de l’audience, et ce sont ces éléments de preuve que le juge a trouvé convaincants. Il n’y a aucun élément me permettant de conclure que l’évaluation par le juge de ces éléments de preuve était déraisonnable.
[10]
Il est important de souligner ce que la loi exige. Un demandeur de citoyenneté doit démontrer qu’il a établi sa résidence au Canada pendant au moins trois ans au cours des quatre années précédant sa demande. Selon la jurisprudence, une personne peut être considérée comme résidant au Canada, même si elle est temporairement absente, pour autant qu’elle soit déjà fermement établie comme résident canadien (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650). Ces affaires portent sur ce que la personne a fait à son arrivée au Canada, les liens qui ont été créés ici, la force de ces liens, la durée du séjour au Canada avant de quitter le pays, le but des absences du Canada et la durée de ces absences.
[11]
Une personne qui a établi un lien solide avec le Canada peut être considérée comme un résident, même si elle voyage souvent à l’extérieur du pays pour des raisons légitimes. Une fois qu’une personne s’est bien établie au Canada, elle peut être considérée comme un résident canadien, même lorsqu’elle s’absente du pays temporairement. La Loi sur la citoyenneté impose une exigence de résidence et non une exigence de présence effective. La question est donc de savoir si un demandeur pourrait être considéré comme un résident canadien même s’il s’absente du pays pour y traiter des affaires temporairement. Cela peut être le cas seulement si la personne était déjà établie ici et a maintenu sa résidence pendant qu’elle était à l’étranger.
[12]
Comme je l’ai mentionné, le dossier de preuve contient peu d’éléments démontrant que M. Smith s’était établi au Canada ou avait maintenu sa résidence ici durant la période visée. Cependant, dans les motifs de son jugement, le juge a fait mention d’un certain nombre d’indices d’établissement permettant d’appuyer une conclusion favorable. Je ne vois rien qui me permettrait de conclure que l’évaluation par le juge de ces éléments de preuve était déraisonnable.
[13]
Le ministre soutient également que le juge de citoyenneté a conclu à tort que les absences de M. Smith à l’extérieur du Canada étaient temporaires. Encore une fois, je ne peux pas conclure que la conclusion du juge était déraisonnable.
[14]
D’après mon propre examen du dossier, il est évident que récemment, M. Smith a passé plus de temps à l’extérieur du Canada qu’au pays, et ce fait n’est pas contesté. Le temps passé au Canada au cours de la période visée varie de quatre jours à deux mois, tandis que le temps passé à l’étranger varie de 10 jours à quatre mois.
[15]
Toutefois, les éléments de preuve présentés au juge démontrent que M. Smith a tendance à passer d’un projet à un autre et que chacun est d’une durée temporaire. Par conséquent, chaque voyage qu’il fait aux États-Unis pour y occuper un emploi donné est temporaire. Les circonstances de M. Smith sont similaires à celles des personnes qui sont forcées de voyager à l’international pour des raisons professionnelles et dont les absences du Canada sont jugées temporaires (voir, par exemple, Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Iluebbey, 2016 CF 946, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Onur, 2011 CF 936). Je ne vois rien de déraisonnable à la conclusion du juge selon laquelle les absences de M. Smith étaient temporaires.
IV.
Conclusion et dispositif
[16]
La décision du juge de citoyenneté était fondée sur l’ensemble de la preuve et je dois donc conclure qu’elle n’était pas déraisonnable. Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1717-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« James W. O’Reilly »
Juge
Annexe
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-1717-17
|
INTITULÉ :
|
MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA c. JAMES BYRON SMITH
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Ottawa (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 7 mai 2018
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE O’REILLY
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 22 juin 2018
|
COMPARUTIONS :
Kevin Palframan
|
Pour le demandeur
|
James Byron Smith
|
Pour le défendeur – POUR SON PROPRE COMPTE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
|
Pour le demandeur
|