Dossier : IMM-4513-17
Référence : 2018 CF 590
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 7 juin 2018
En présence de madame la juge Walker
ENTRE :
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SACAADA MAHAMAD HADI
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demandeure
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La demandeure, Sacaada Mahamad Hadi, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 2 octobre 2017. La SPR a conclu que la demandeure n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR]. La SPR a rejeté la demande d’asile de la demandeure au motif qu’elle n’avait pas établi son identité. En outre, en vertu du paragraphe 107(2) de la LIPR, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucun fondement crédible à sa demande.
[2]
Pour les motifs qui suivent, je conclus que la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en concluant que la demandeure n’avait pas établi son identité. La décision, prise dans son ensemble, est raisonnable à cet égard. Toutefois, certains éléments de preuve, dont a été saisie la SPR, étaient susceptibles d’établir le bien-fondé de la revendication de la demandeure, et la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y a aucun fondement crédible à sa demande était déraisonnable.
II.
Contexte
[3]
La demandeure prétend être une citoyenne de la Somalie et membre de la tribu minoritaire Yibir. Elle est veuve depuis 1991 et n’a pas d’enfant. La demandeure est analphabète et elle n’a jamais été titulaire d’un passeport somalien ou d’un autre document d’identité.
[4]
En avril 2016, deux représentants d’al-Shabaab ont abordé la demandeure pour lui demander d’utiliser sa maison afin d’y entreposer des armes et y cacher des hommes. Craignant des représailles de la part du gouvernement pour tout contact avec al-Shabaab, la demandeure a décidé de quitter la Somalie. Elle a vendu sa maison pour amasser de l’argent et elle s’est rendue au Kenya le 15 mai 2016. Elle est restée au Kenya avec un citoyen somalien pendant plusieurs mois. Elle a ensuite décidé de quitter le Kenya et de venir au Canada avec l’aide d’un passeur, M. Hassan. La demandeure affirme être arrivée au Canada avec M. Hassan le 21 août 2016 munie d’un faux passeport australien au nom de Fathia Mohamoud.
[5]
La demandeure a déposé sa demande d’asile le 14 octobre 2016.
III.
Intervention du ministre
[6]
Le ministre de Citoyenneté et Immigration Canada [le ministre] est intervenu dans le dossier relatif à la demande d’asile de la demandeure le 15 novembre 2016.
[7]
Le ministre a soutenu que la demandeure n’avait pas établi son identité. Les recherches effectuées dans le Système intégré d’exécution des douanes [SIED] de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] n’ont révélé aucun dossier concernant une personne portant le nom de Fathia Mohamoud qui serait entrée au Canada au cours des 10 dernières années, ce qui a remis en question l’identité et la crédibilité de la demandeure. De plus, le SIED ne contient aucun dossier concernant une personne portant le nom de Sacaada Mahamad Hadi qui serait entrée au Canada entre le 18 août 2016 et le 25 août 2016, ce qui remet en question l’identité déclarée de la demandeure. Enfin, le ministre a soutenu que l’absence de documents d’identité remettait aussi en question son identité.
IV.
La décision faisant l’objet du contrôle
[8]
La SPR a entendu la demande d’asile de la demandeure le 25 septembre 2017 et l’a rejetée dans sa décision du 2 octobre 2017.
[9]
La SPR a conclu que la question déterminante en l’espèce était l’identité. Elle a décrit la question comme suit :
[traduction] La question principale en l’espèce est l’identité. La demandeure d’asile est tenue de fournir des documents établissant son identité et d’autres éléments de la demande d’asile. Il s’agit d’une disposition obligatoire [Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012-256), Règle 11 [Règles de la SPR]]. Si une demandeure ne fournit pas de tels documents, elle doit expliquer pourquoi, ainsi que les mesures qu’elle a prises pour les obtenir. En vertu de la LIPR, la Section de la protection des réfugiés est tenue de déterminer, en évaluant la crédibilité de la demandeure, si elle est en possession de documents acceptables pour établir son identité. Si elle n’en détient pas, le tribunal doit déterminer si la demandeure a fourni une explication raisonnable de l’absence de documents ou des mesures elle a prises pour les obtenir [article 106 de la LIPR].
[10]
La SPR a conclu que la demandeure n’avait pas fourni des documents permettant d’établir son identité personnelle (nom et date de naissance), son identité en tant que citoyenne de la Somalie ou son identité en tant que membre de la tribu Yibir. Ce faisant, la SPR a tiré plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité, ce que conteste la demandeure dans la présente demande de contrôle judiciaire. De plus, la SPR n’a accordé aucun poids à une lettre [lettre de DB] présentée par la demandeure provenant d’un organisme sans but lucratif, Dejinta Beesha, qui aide les personnes originaires d’Afrique à établir leur citoyenneté. En vertu du paragraphe 107(2) de la LIPR, la SPR a aussi conclu qu’il n’y avait aucun fondement crédible à la revendication de la demandeure.
V.
Questions
[11]
La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
L’évaluation de l’identité et de la crédibilité de la demandeure par la SPR était-elle raisonnable?
Le traitement de la lettre de DB par la SPR était-il équitable sur le plan de la procédure?
La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’y avait aucun fondement crédible à la revendication de la demandeure?
VI.
Norme de contrôle
[12]
Il est bien établi que les conclusions de la SPR sur la crédibilité d’un demandeur doivent être examinées par cette Cour suivant la norme de la décision raisonnable (Behary c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794, au paragraphe 7 [Behary]; Rahal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 22 [Rahal]; (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4, 160 NR 315 (CAF)). Le contrôle judiciaire de conclusions d’un tribunal quant à la crédibilité selon la norme de la décision raisonnable exige que la cour procédant au contrôle fasse montre d’une grande retenue envers les conclusions du tribunal, reconnaissant « que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve » (Rahal, au paragraphe 42).
[13]
La demandeure soutient que la SPR a violé son droit à l’équité procédurale dans son examen de la divergence entre deux versions de la lettre de DB présentée au tribunal. La cour est tenue d’examiner les questions d’équité procédurale selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canadian Pacific Railway Company c. Canada (Attorney General), 2018 CAF 69, au paragraphe 34 [Canadian Pacific]). La Cour doit déterminer si le processus suivi par la SPR était équitable envers la demandeure dans les circonstances de l’espèce. La Cour d’appel fédérale a déclaré dans l’arrêt Canadian Pacific (au paragraphe 54) :
[traduction] Un tribunal qui évalue un argument relatif à l’équité procédurale doit se demander si la procédure était équitable eu égard à toutes les circonstances, y compris les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker. Un tribunal qui procède au contrôle judiciaire fait ce que ces tribunaux font depuis l’arrêt Nicholson; il détermine, en insistant particulièrement sur la nature des droits substantiels en cause et sur les conséquences pour l’individu, si un processus juste et équitable a été suivi. Je suis d’accord avec l’observation du juge Caldwell dans l’arrêt Eagle’s Nest (au paragraphe 21) voulant que, même si l’utilisation de la terminologie est maladroite, ce contrôle « se reflète le mieux dans la norme de la décision correcte » même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée.
VII.
Contexte législatif
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27
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Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256
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VIII.
Analyse
A.
L’évaluation de l’identité et de la crédibilité de la demandeure par la SPR était-elle raisonnable?
[14]
La question de l’identité est fondamentale à une demande d’asile fondée sur l’article 96 ou sur l’article 97 de la LIPR et la détermination de l’identité est au cœur de l’expertise de la SPR. Dans la décision Rahal, la Cour a décrit la retenue dont il faut faire preuve à l’égard des appréciations de la crédibilité de la SPR comme suit (au paragraphe 48) :
La question de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR, et s’il y a un endroit où la Cour doit se garder de mettre en doute les conclusions de la Commission c’est bien ici. Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.
[15]
C’est aux demandeurs qu’il incombe d’établir leur identité selon la prépondérance des probabilités. Une ou un demandeur est tenu de fournir des documents acceptables établissant son identité, à défaut de quoi elle ou il doit expliquer pourquoi ces documents ne sont pas en sa possession et quelles sont les mesures qui ont été prises pour se les procurer (article 106 de la LIPR; Règle 8 de la SPR).
[16]
La demandeure a fourni très peu de documents pour établir son identité. Les éléments de preuve présentés à la SPR comprenaient le formulaire « Fondement de la demande d’asile (FDA) » de la demandeure, deux versions de la lettre de DB et le témoignage de la demandeure. La différence entre les deux versions de la lettre de DB se trouve dans la description du processus par lequel Dejinta Beesha a évalué la nationalité somalienne de la demandeure. La lettre de DB porte sur la nationalité de la demandeure et fait référence à sa déclaration attestant qu’elle est membre de la tribu Yibir. La seule preuve dont disposait la SPR au sujet de l’identité personnelle de la demandeure reposait sur le formulaire FDA et son témoignage à l’audience.
(1)
Identité personnelle de la demandeure
[17]
La SPR a conclu que la demandeure n’avait pas été établi son identité personnelle (nom et date de naissance). La SPR a tiré les conclusions suivantes :
(a) La demandeure a utilisé un faux nom, Fathia Mohamoud, lorsqu’elle est entrée au Canada alors qu’elle aurait pu employer son propre nom. La demandeure est arrivée au Canada à la suite d’un séjour de plusieurs mois au Kenya et d’un voyage soigneusement planifié à destination du Canada. Elle ne fuyait pas la persécution en Somalie. Elle n’avait pas besoin d’utiliser un faux nom pour éviter d’être repérée. La SPR a conclu qu’il n’y avait aucune raison pour qu’elle n’utilise pas son vrai nom et a tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité en raison de l’utilisation du faux nom.
(b) La demanderesse a fourni à la fois le nom sous lequel elle a déposé sa demande d’asile, Sacaada Mahamad Hadi, et le nom sous lequel elle est entrée au Canada, Fathia Mohamoud, sept semaines après son entrée au Canada, et avec l’aide d’une personne de son choix. La demandeure avait reçu des conseils juridiques. Elle n’a pas donné les noms aux autorités canadiennes dans une situation de stress à un point d’entrée. Par conséquent, il n’y avait aucune raison de douter de l’exactitude des noms donnés par la demandeure. Rien dans sa demande n’indiquait qu’il pourrait y avoir d’autres orthographes de l’un ou l’autre des noms.
(c) La preuve du ministre a établi que la demandeure n’est pas entrée au Canada sous le nom de Fathia Mohamoud, comme elle l’a allégué dans son témoignage sous serment. La SPR en a donc tiré une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. De plus, comme la demandeure a menti au sujet de son entrée au Canada sous le nom de Fathia Mohamoud à un moment où elle n’avait pas besoin de le faire, la SPR a rejeté le témoignage de la demandeure selon lequel son vrai nom est Sacaada Mahamad Hadi.
(d) La demandeure n’a fourni aucun élément de preuve concernant son vrai nom. La SPR a déclaré qu’il n’y avait [traduction]
« pas de témoins, de photos, de lettres, et tout simplement rien d’autre que son témoignage pour attester de son identité personnelle véritable »
. La SPR a reconnu que des documents d’identité étaient difficiles à obtenir en Somalie, mais elle a déclaré que la demandeure aurait pu avoir accès à certains documents d’identité en Somalie, même si elle est analphabète. La SPR a fait référence à sa capacité de vendre ses terres et de prendre toutes les dispositions nécessaires pour son départ au Kenya et, par la suite, son voyage au Canada. La SPR n’a pas accepté le témoignage de la demandeure selon lequel elle avait fui la Somalie par crainte, ce qui expliquerait son manque de documentation.(e) La SPR a fait remarquer que, lorsqu’on a demandé à la demandeure si elle avait des photos de sa famille, de ses amis ou de ses relations qui pourraient l’aider à prouver son identité, elle a déclaré qu’elle n’avait rien apporté. Elle a plutôt vendu sa maison et est tout simplement partie. La SPR a conclu que cette réponse ne concordait pas avec le fait qu’il s’est écoulé 20 jours entre la date à laquelle Al Shabaab l’a abordée et la date à laquelle elle a quitté la Somalie. Le tribunal a déclaré que la demandeure s’était montrée évasive lorsqu’on l’a interrogée au sujet de documents provenant de la Somalie. Bien qu’analphabète, la demandeure a été en mesure de vendre sa maison en Somalie, d’organiser un voyage et de se procurer un logement au Kenya, d’étudier et d’évaluer la possibilité de demander le statut de réfugié au Kenya ainsi que de planifier un voyage au Canada.
(f) La SPR a remis en question le fait que la demandeure n’avait pas convoqué de témoins à l’appui de sa demande d’asile, en particulier la personne avec qui elle vivait à Toronto. La SPR a tiré une conclusion défavorable du fait que la demandeure n’ait pas convoqué cette personne et des raisons qu’elle a avancées pour l’expliquer. La SPR a également rejeté l’explication de la demandeure selon laquelle elle ne savait pas ce qu’on attendait d’elle, bien qu’elle ait reçu des conseils juridiques.
(g) La SPR a conclu que, même si la demandeure n’était pas en mesure de se procurer des documents d’identité somaliens, elle n’a fait aucun effort pour fournir une preuve de son vrai nom.
[18]
Dans la décision Rahal, la Cour a fourni une analyse détaillée de son rôle dans l’examen des évaluations de la crédibilité par la SPR, soulignant l’importance de la retenue « pour autant […] qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier »
(Rahal, au paragraphe 48). La Cour a également examiné la démarche qu’il convient d’adopter pour le contrôle judiciaire d’une décision de la SPR qui comporte de nombreuses conclusions relatives à la crédibilité (Rahal, au paragraphe 50) :
Dans la décision, la SPR a tenu compte de plusieurs faits connexes pour tirer sa conclusion au sujet de l’identité. C’est donc une erreur que de monter certains de ces faits en épingle — comme l’a fait la demanderesse — pour tenter de convaincre la Cour que les présumées erreurs justifient la modification de la décision. La règle qui s’applique est beaucoup plus globale : la Cour doit examiner tous les arguments portant sur le point en question à la lumière du dossier afin de décider si la conclusion de la Commission est raisonnable.
[19]
J’estime que la conclusion de la SPR suivant laquelle la demandeure n’a pas réussi à établir son identité personnelle était raisonnable lorsqu’elle est considérée dans son ensemble. Bien que j’aie certaines réserves relativement à certaines conclusions tirées par le tribunal à la suite de son évaluation défavorable de la crédibilité de la demandeure, il n’y a pas de contradiction flagrante entre les conclusions de la SPR et la preuve dont elle disposait.
[20]
La demandeure était tenue de fournir des documents à l’appui de son identité. À défaut de documents, elle devait fournir une explication crédible de l’absence de documentation et décrire les mesures qu’elle avait prises pour l’obtenir. La demandeure n’a pas satisfait à ces exigences. La demandeure n’a fourni aucun document officiel ou autre, lettres, factures de voyage, cartes d’embarquement ou photos. Elle n’a appelé aucun témoin pour l’aider à établir son identité. Le témoignage de la demandeure était le seul élément de preuve dont disposait la SPR au sujet de son identité personnelle, et la SPR a conclu que les raisons avancées pour expliquer l’absence de documents d’identité n’étaient pas crédibles.
[21]
La SPR a fourni des motifs détaillés pour ses conclusions défavorables en matière de crédibilité. La demandeure a exprimé des réserves à l’égard de certaines de ses conclusions, dont il est question ci-après. Toutefois, elle n’a pas réfuté les conclusions de fait de la SPR concernant les circonstances de son voyage de la Somalie au Canada (via le Kenya) qui ont amené le tribunal à remettre en question son explication de l’absence de documentation. C’est cette tendance des faits qui a été déterminante dans la conclusion de la SPR selon laquelle l’explication de la demanderesse voulant qu’elle ait fui la Somalie par crainte n’était pas crédible. L’évaluation par la SPR de la crédibilité de la demandeure en expliquant l’absence de tout document officiel ou personnel relève directement de sa compétence et doit faire l’objet d’une grande retenue. La conclusion de la SPR était raisonnable compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait.
[22]
La SPR a évalué deux aspects de l’absence de preuve documentaire de la demanderesse. Premièrement, le tribunal a conclu que, bien que ce soit difficile, la demandeure aurait pu obtenir certains documents d’identification somaliens. À cet égard, je remarque que la SPR n’a pas concentré son attention uniquement sur la question de savoir si la demandeure détenait un passeport ou un certificat de naissance somalien. La SPR cherchait n’importe quel type de document d’identité somalien :
[traduction] L’avocat de la demandeure d’asile lui a demandé si elle avait un certificat de naissance, un permis de conduire, un certificat de décès, des documents scolaires, des documents pour vendre des légumes ou d’autres documents commerciaux. La demandeure d’asile a déclaré dans son témoignage qu’elle n’avait aucun de ces documents.
[23]
La demandeure soutient que la conclusion de la SPR ne tient pas compte de la preuve de la situation dans le pays selon laquelle de nombreux ressortissants somaliens n’ont jamais reçu de pièces d’identité ou n’en ont jamais eu besoin. Les éléments de preuve présentés à la SPR ont confirmé l’explication de la demandeure quant à l’absence de pièces d’identité officielles.
[24]
Toutefois, la conclusion de la SPR concernant l’absence de documentation officielle de la demandeure n’a pas été déterminante dans sa décision. Le tribunal a fait observer que [traduction] « même si elle n’a pas été en mesure de se procurer des documents d’identité en Somalie, elle n’a fait aucun effort pour fournir des éléments de preuve quant à son vrai nom »
. Le deuxième aspect de l’absence de preuve documentaire de la demandeure, sur lequel s’est penchée la SPR, touche son explication de l’absence de documents personnels, de photographies ou de lettres pour étayer son affirmation d’identité. Comme il a été mentionné précédemment, la SPR n’a pas accepté l’argument de la demandeure selon lequel elle avait quitté la Somalie en raison de menace imminente de persécution. Elle a organisé la vente de sa propriété. Elle a eu le temps de se préparer et de faire ses valises. Arrivée au Kenya, elle a eu le temps d’examiner les possibilités qui s’offraient à elle et de planifier son voyage au Canada. La SPR a raisonnablement conclu que le fait que la demandeure n’ait conservé aucun document de la Somalie, de son voyage au Kenya et de son séjour au Kenya, ou de son voyage et de sa vie au Canada, n’était pas crédible.
[25]
La SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait que la demandeure n’ait pas fourni de preuve fournie par la femme avec qui elle est restée au Kenya et qu’elle n’ait pas appelé à témoigner la femme avec qui elle vivait à Toronto. La demandeure soutient que ces femmes ne la connaissaient pas en Somalie et ne pouvaient pas fournir de témoignage utile concernant son identité. Le défendeur soutient que la femme au Kenya aurait pu confirmer les dates de résidence de la demandeure au Kenya et le nom qu’elle a utilisé pendant qu’elle vivait au Kenya. En ce qui concerne la femme à Toronto, le défendeur affirme que la demandeure n’a pas demandé à cette femme de témoigner et que cette femme était souvent malade, contrairement à ce qu’elle soutient maintenant, à savoir qu’elle ne la connaissait pas en Somalie.
[26]
Le fait que les deux femmes en question ne connaissaient pas la demandeure en Somalie ne répond pas aux préoccupations de la SPR concernant l’absence de preuve de la part de ces personnes. Les deux femmes auraient pu fournir à la SPR des renseignements concernant le nom que la demandeure utilisait couramment et les dates de son voyage. En l’absence de preuve documentaire, les deux femmes auraient été des candidates idéales pour aider à corroborer le témoignage de la demandeure. Son argument selon lequel elle ne pouvait pas savoir que leur témoignage serait nécessaire n’est pas convaincant. La SPR n’a pas commis d’erreur en tenant compte de l’absence de preuve de la part de ces témoins lorsqu’elle a déterminé si la demandeure avait fourni une explication de son manque de documents d’identité.
[27]
La demandeure soutient que la SPR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité du fait que la demandeure ait utilisé un faux nom pour entrer au Canada. La demandeure soutient qu’elle n’avait pas de passeport somalien et qu’elle fuyait la persécution en Somalie. Bien qu’elle ait séjourné au Kenya, elle n’avait pas de statut juridique et risquait d’être renvoyée de force en Somalie. La demandeure s’appuie sur l’affaire Gulamsakhi c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 105 [Gulamsakhi]. Dans la décision Gulamsakhi, la demandeure a fui l’Afghanistan pour se rendre au Pakistan en utilisant un passeport afghan et, avec l’aide d’un passeur, a utilisé des documents pakistanais contrefaits pour entrer au Canada. La Cour a déclaré ce qui suit (au paragraphe 9) :
En outre, la Cour a régulièrement mis en garde les décideurs contre la tendance à tirer des conclusions défavorables en se fondant sur le recours à des passeurs et à l’utilisation de faux documents pour échapper à la violence et à la persécution. Le fait de voyager avec de faux documents ou de détruire des titres de voyage est d’une valeur très limitée lorsqu’il s’agit de se prononcer sur la crédibilité du demandeur d’asile : Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF) [Attakora]. Cela tient en partie au fait qu’il n’est pas inhabituel que la personne qui veut échapper à la persécution suive les instructions d’une ou de plusieurs personnes qui organisent sa fuite : Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587 (CF), au paragraphe 18, citant Attakora.
[28]
L’argument de la demandeure ne tient pas compte de la conclusion critique de la SPR selon laquelle elle ne fuyait pas la persécution au moment où elle a demandé à entrer au Canada. La SPR a analysé le voyage de la demandeure au Canada en passant par le Kenya et elle a pris note des mesures délibérées et planifiées que la demandeure a prises pour prendre ses dispositions. Bien que je sois d’accord avec l’observation de la demandeure selon laquelle la SPR a mal caractérisé les actions de la demandeure comme étant à la recherche d’un tribunal favorable, l’analyse que la SPR a faite de son utilisation d’un faux nom était raisonnable.
[29]
La demandeure soutient également que la SPR a commis une erreur en s’appuyant sur la recherche faite par le ministre de personnes entrant au Canada sous le nom de Fathia Mohamoud. Elle affirme que la SPR n’a pas tenu compte du fait que la demandeure est analphabète et n’avait aucun moyen de savoir comment le nom utilisé sur le passeport était orthographié. Ni elle ni la personne qui l’a aidée à remplir sa demande n’auraient pu prévoir que l’orthographe précise du nom deviendrait un problème. Elle soutient que le tribunal a également commis une erreur en concluant qu’elle était responsable de remplir le formulaire puisqu’un agent de l’ASFC et un interprète somalien l’avaient aidée.
[30]
La SPR a fourni les motifs de sa conclusion selon laquelle ni le ministre ni la SPR n’avaient de raison de douter de l’exactitude de l’orthographe du nom Fathia Mohamoud. La demandeure a fourni le nom avec l’aide d’une personne de son choix, un représentant d’une organisation non gouvernementale. L’agent de l’ASFC n’a pas aidé la demandeure à remplir le formulaire, sauf pour s’assurer qu’il était complet. Son rôle n’était pas de vérifier l’orthographe des renseignements qui lui étaient fournis ni d’avertir la demandeure et son représentant des conséquences de toute erreur d’orthographe. Il incombait à la demandeure de fournir des renseignements exacts. Les motifs et la conclusion de la SPR sont étayés par la preuve.
[31]
La SPR a rejeté le témoignage de la demandeure concernant son vrai nom, Sacaada Mahamad Hadi, en concluant qu’elle avait menti au sujet de son entrée au Canada sous le nom d’emprunt. La demandeure soutient que le tribunal s’est livré à un raisonnement linéaire et s’est écarté de l’examen approprié des autres éléments de preuve de la demandeure. Je suis d’accord avec la demandeure sur ce point. La SPR aurait dû examiner de façon indépendante le témoignage de la demandeure concernant son vrai nom. Sa conclusion selon laquelle la demandeure n’a fourni aucun élément de preuve au sujet de son nom et de sa date de naissance ne tient pas compte de son témoignage sous serment. Nonobstant l’erreur de la SPR, il reste que la demandeure n’a pas satisfait aux exigences de l’article 106 de la LIPR et de la règle 11 de la SPR. Son absence de documentation établissant son identité n’a pas été compensée par une explication crédible.
(2)
Identité tribale
[32]
La SPR a rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle elle est membre de la tribu Yibir en raison de son témoignage contradictoire. La demandeure a déclaré dans son formulaire FDA qu’elle appartenait à la tribu Yibir. Dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle appartenait à la tribu Yibir Bucur Bacayir. La SPR n’a pas accepté son explication selon laquelle l’incohérence découle du fait que « Yibir » est la forme abrégée du nom de sa tribu. La SPR a également fait référence à la lettre de DB qui faisait référence uniquement à la tribu Yibir.
[33]
Je conviens avec la demandeure que le rejet par la SPR de son allégation selon laquelle elle est membre de la tribu Yibir était déraisonnable. La SPR a fait référence uniquement au fait que la demanderesse n’avait pas mentionné le sous-clan Bucur Bacayir dans son formulaire FDA et que la lettre de DB mentionnait la tribu Yibir.
[34]
La demandeure a témoigné à l’audience au sujet de la lignée de son clan, indiquant clairement que Bucur Bacayir était un sous-clan de Yibir. Elle explique brièvement le clan somalien et la lignée des sous-clans. Le conseil de la demandeure a renvoyé la SPR à un certain nombre de demandes de renseignements qui traitent de la complexité des affiliations tribales somaliennes. La SPR n’a fourni aucune explication détaillée de sa conclusion sur cette question.
(3)
Nationalité
[35]
La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi sa nationalité en tant que citoyenne de la Somalie. La SPR a récusé le témoignage de la demandeure à l’audience au sujet de sa tribu Yibir, de sa ville d’origine, de son gouvernement et d’autres renseignements au motif qu’ils auraient pu être appris aux fins de l’audience. La SPR n’a accordé aucun poids à la lettre de DB.
[36]
La lettre de DB concluait que la demandeure était née à Afgoye, en Somalie. Cette conclusion est fondée sur une entrevue orale au cours de laquelle la demandeure a été interrogée dans la langue somalienne au sujet de l’histoire, du patrimoine, de la géographie, du lignage clanique et de la culture somaliens. La SPR a rejeté la conclusion tirée dans la lettre de DB en raison du fait qu’il y avait deux versions de la lettre dans le dossier. La première version indiquait que la demandeure avait rempli une demande et répondu à un questionnaire pour Dejinta Beesha. La deuxième version indiquait que la demandeure était une personne âgée qui ne pouvait ni lire ni écrire et qui n’avait subi qu’une évaluation orale. Compte tenu en grande partie de cette contradiction dans les deux versions de la lettre, la SPR ne lui a accordé aucun poids.
[37]
La demandeure soutient que la SPR a commis une erreur dans son analyse de sa nationalité en ne tenant pas dûment compte de la lettre de DB ni du témoignage de la demanderesse démontrant sa connaissance de l’histoire, de la culture, de la géographie et de la politique somaliennes.
[38]
Le répondeur reconnaît que la SPR a commis une erreur dans son traitement de la lettre de DB, mais soutient que l’erreur ne réfute pas les autres conclusions fondées sur la lettre. En particulier, le défendeur soutient que le traitement de la lettre de DB par la SPR n’a pas eu d’incidence sur sa conclusion selon laquelle la demandeure aurait pu apprendre les renseignements qu’elle a fournis à la SPR et à Dejinta Beesha en vue de préparer sa demande d’asile.
[39]
J’estime que la façon dont la SPR a traité la lettre de DB n’était pas raisonnable. La demandeure a expliqué clairement les contradictions entre les deux versions de la lettre. Dans la première version de la lettre, un paragraphe passe-partout concernant l’évaluation des clients n’a pas été modifié. L’erreur a été corrigée avant l’audience pour renvoyer à l’évaluation orale de la demandeure. La conclusion de fond de Dejinta Beesha concernant la nationalité somalienne de la demandeure est inchangée.
[40]
La SPR a fait remarquer que la lettre de DB ne précisait pas pourquoi la demandeure devait être considérée comme appartenant à la tribu Yibir. C’est vrai. Toutefois, la lettre de DB n’était pas censée établir que la demandeure appartenait à la tribu Yibir. La lettre indiquait seulement que la demandeure avait attesté ce fait. La SPR a commis une erreur en s’appuyant sur l’absence d’éléments de preuve dans la lettre de DB à l’appui de l’appartenance à un clan de la demandeure afin d’en diminuer davantage la valeur probante.
[41]
Les inférences négatives de la SPR sur la crédibilité et son rejet de la lettre de DB ont indûment teinté son analyse du témoignage de la demandeure concernant sa nationalité. La SPR n’a pas tenu compte du fait que Dejinta Beesha, après avoir évalué la demanderesse, a conclu qu’elle était ressortissante somalienne. La SPR n’a formulé aucune réserve à l’égard du contenu de la lettre de DB (autre que l’incohérence procédurale) et elle n’a pas contesté l’expertise de Dejinta Beesha dans l’exécution d’une telle évaluation.
[42]
Le rejet sommaire par la SPR du témoignage de la demandeure à l’appui de sa nationalité est troublant. Tout demandeur peut apprendre des renseignements sur son pays aux fins d’une demande d’asile, mais la SPR n’a tiré aucune conclusion quant à des incohérences internes dans le témoignage de la demandeure à cet égard. Cette Cour a examiné la question de la connaissance du pays dans Omar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 20 (au paragraphe 20) :
En l’espèce, la SPR n’a pas conclu que la totalité des éléments de preuve présentés par M. Omar n’était pas crédible. Elle a plutôt conclu qu’il convenait d’accorder peu de poids à une large part de la preuve. L’évaluation qu’a faite la SPR de la crédibilité de M. Omar a fortement influé sur cette conclusion. Je ne suis pas convaincu qu’il n’existait aucun élément de preuve crédible susceptible de justifier de donner gain de cause à M. Omar. Sa connaissance de la Somalie, son aisance dans la langue somalienne et le témoignage livré sur son identité étaient tous des éléments de preuve susceptibles d’établir qu’il était un citoyen somalien.
(4)
Conclusion
[43]
Le fait que la demandeure n’ait fourni aucun document établissant son identité personnelle à la lumière de la nature planifiée de son départ de la Somalie et de son voyage subséquent au Canada constitue une question importante dans sa demande d’asile. Il ne s’agit pas d’une affaire mettant en cause une personne qui fuit une menace immédiate de persécution. La SPR a tiré un certain nombre de conclusions discrètes en rejetant l’explication de la demanderesse pour son manque de documentation. Dans l’ensemble, les motifs donnés par la SPR ne sont ni spécieux ni incompatibles avec la preuve au dossier. La demandeure n’a fourni aucune pièce d’identité ni aucun document accessoire ni témoin quant à son identité personnelle. La SPR a examiné ses explications et ne les a pas retenues. Elles n’ont pas été ignorées. La SPR a commis une erreur dans son évaluation de la nationalité et de la tribu de la demandeure. Toutefois, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi son identité personnelle était raisonnable.
B.
La façon dont la SPR a traité la lettre de DB était-elle équitable sur le plan de la procédure?
[44]
La demandeure soutient que le traitement de la lettre de DB par la SPR était inéquitable sur le plan de la procédure. Elle déclare que son conseil a expliqué à la SPR pourquoi il y avait une incohérence entre les deux versions de la lettre de DB dans la description du processus utilisé pour évaluer la demandeure. La SPR a indiqué qu’elle comprenait l’explication, puis elle a écarté la lettre de DB en raison de l’incohérence.
[45]
Le défendeur reconnaît que le traitement que la SPR a réservé aux deux versions de la lettre de DB était erroné. Le défendeur soutient qu’il n’y a pas de preuve que cette erreur s’étendait à d’autres conclusions fondées sur la lettre de DB.
[46]
Comme je l’ai mentionné précédemment, je conviens avec les parties que la SPR a commis une erreur dans son traitement de la lettre de DB. La décision de la SPR de ne pas accorder de poids à la lettre de DB était déraisonnable. Toutefois, l’erreur de la SPR n’était pas un manquement à l’équité procédurale. La demanderesse cite les arrêts précédents Buwu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 850 [Buwu] et Garcia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1368 [Garcia], à l’appui de son argument.
[47]
Dans la décision Buwu, la SPR a déclaré qu’elle comprenait l’explication de la demandeure au sujet d’une question en litige, puis elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Il s’agissait d’un élément d’une décision de la SPR qui était truffée d’erreurs évidentes. La Cour n’a tiré aucune conclusion précise d’équité procédurale relativement à cette question, la traitant comme l’un des facteurs qui ont rendu la décision de la SPR « injuste, imprudente et déraisonnable »
.
[48]
Dans la décision Garcia, la Cour a conclu que la demandeure aurait dû disposer de la possibilité d’expliquer une contradiction évidente entre la version espagnole d’un rapport psychologique et la traduction présentée à la SPR. La demandeure n’a pas eu la possibilité de le faire, ce qui a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. En l’espèce, la contradiction entre les deux versions de la lettre de DB a été soulevée au cours de l’audience devant la SPR et la demandeure a eu pleinement l’occasion d’expliquer la contradiction. Le fait que la SPR n’ait pas déclaré à l’audience qu’elle n’acceptait pas l’explication n’a pas porté atteinte au droit de la demandeure à l’équité procédurale. Je ne constate aucune erreur dans le contenu ou le traitement des droits procéduraux accordés à la demandeure.
C.
Aucun fondement crédible
[49]
La SPR peut conclure qu’il n’y a pas de fondement crédible à une demande d’asile en vertu du paragraphe 107(2) de la LIPR s’ « il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu fonder une décision favorable »
.
[50]
La demandeure fait valoir que la SPR a confondu ses conclusions relatives à la crédibilité sur des aspects distincts de la demande d’asile avec une conclusion d’absence de fondement crédible. Elle soutient qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité n’est pas synonyme d’une conclusion d’absence de fondement crédible (Pournaminivas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1099). La demandeure soutient que la SPR n’a pas dûment pris en considération la lettre de DB ou son témoignage démontrant sa connaissance de l’histoire, de la culture, de la géographie et de la politique somaliennes.
[51]
Le défendeur soutient que cette Cour a conclu que, même en présence d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi, la SPR peut conclure à l’absence d’un minimum de fondement si la preuve n’est pas suffisante en droit pour que le statut de réfugié soit reconnu à un demandeur (Naeem c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1134). Le défendeur soutient que, comme la demandeure n’a pas établi son identité, l’élément le plus fondamental d’une demande d’asile, la SPR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas de fondement crédible à sa demande.
[52]
Une conclusion d’absence de fondement crédible a des conséquences importantes pour un ou une demandeure. Elle la prive de la possibilité d’interjeter appel auprès de la Section d’appel des réfugiés et elle élimine le sursis automatique à la mesure de renvoi si une demande de contrôle judiciaire est présentée. Avant de tirer une telle conclusion, la SPR doit déterminer s’il existe des documents dignes de foi ou d’autres éléments de preuve crédibles à l’appui de la revendication de la demandeure. L’arrêt de principe en ce qui concerne l’interprétation du paragraphe 107(2) de la LIPR est Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 89 [Rahaman] (aux paragraphes 28 à 30) (la décision fait référence au paragraphe 69.1(9.1) qui a été renuméroté comme le paragraphe 107(2), mais le libellé est identique) :
En outre, le paragraphe 69.1(9.1) prévoit que la Commission ne peut conclure à « [l’]absence de minimum de fondement » que s’il n’a été présenté à l’audience aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel le commissaire aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur. En d’autres termes, le commissaire ne peut conclure à l’ « absence de minimum de fondement » s’il dispose d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi qui peuvent lui permettre de reconnaître le statut de réfugié au revendicateur, même si la Commission décide, en se fondant sur la preuve dans son ensemble, que la revendication est dénuée de fondement.
Cependant, comme le juge MacGuigan l’a reconnu dans l’arrêt Sheikh, précité, le témoignage du revendicateur sera souvent le seul élément de preuve reliant ce dernier à la persécution qu’il allègue. Dans de tels cas, si la Commission ne considère pas que le revendicateur est crédible, il n’y aura aucun élément de preuve crédible ou digne de foi pour étayer la revendication. Comme ils ne traitent pas de la situation du revendicateur en particulier, les rapports sur les pays seuls ne constituent généralement pas un fondement suffisant sur lequel la Commission peut s’appuyer pour reconnaître le statut de réfugié.
Par contre, l’existence de certains éléments de preuve crédibles ou dignes de foi n’empêchera pas une conclusion d’ « absence de minimum de fondement » si ces éléments de preuve sont insuffisants en droit pour que le statut de réfugié soit reconnu au revendicateur. D’ailleurs, dans la décision faisant l’objet du présent appel, le juge Teitelbaum a confirmé la conclusion d’ « absence de minimum de fondement », même s’il a conclu, contrairement à la Commission, que le témoignage du revendicateur concernant la possibilité d’obtenir parfois la protection de la police était crédible à la lumière de la preuve documentaire. La preuve du revendicateur sur cette question n’a cependant pas joué un rôle déterminant dans la décision de la Commission de rejeter sa revendication.
[53]
La Cour a récemment examiné une conclusion d’absence de fondement crédible tirée par la SPR dans une affaire où le demandeur n’avait pas établi son identité. Dans la décision Mohamed c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 598, la Cour a déclaré (au paragraphe 36) :
Bien qu’il puisse y avoir des cas où la SPR peut raisonnablement conclure que le demandeur d’asile n’est pas parvenu à établir son identité et que sa demande est dénuée d’un minimum de fondement, je suis d’avis que la conclusion doit demeurer conforme aux décisions Boztas, Levario et Rahaman. Par exemple, dans la décision Mahdi, le juge Phelan a jugé que la SPR avait commis une erreur en concluant à une absence d’un minimum de fondement parce que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles quant à son identité. De la même façon, le juge Boswell a conclu, dans la décision Pournaminivas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1099, que les conclusions défavorables de la SPR en matière de crédibilité étaient raisonnables, mais que conclure à l’absence d’un minimum de fondement était déraisonnable.
[54]
En l’espèce, la SPR n’a présenté ni argumentation ni analyse de sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas de fondement crédible à la revendication de la demandeure. Afin de tirer une conclusion appropriée qui limitait les droits procéduraux subséquents de la demandeure, la SPR, par souci d’équité, était tenue de le faire. Bien que j’aie conclu que la décision de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas établi son identité était raisonnable, la SPR a clairement commis une erreur en examinant la lettre de DB, qui a influé sur son évaluation de la nationalité de la demanderesse et de son appartenance au clan Yibir. La SPR a également tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité du témoignage de la demandeure, qui étaient non fondées même si elles n’ont pas rendu la décision dans son ensemble déraisonnable. Dans ces circonstances, la conclusion de la SPR selon laquelle la revendication de la demandeure ne reposait sur aucun fondement crédible était déraisonnable.
IX.
Mesures correctives
[55]
La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La conclusion d’absence de minimum de fondement de la SPR est annulée et cette question seule est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour que celui-ci statue à nouveau sur la question.
[56]
Aucune question à certifier n’a été proposée et l’affaire ne soulève aucune question d’importance générale.
JUGEMENT DU DOSSIER DE LA COUR IMM-4513-17
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie en partie. La conclusion d’absence de minimum de fondement de la Section de la protection des réfugiés est annulée et cette question seule est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour que celui-ci statue à nouveau sur la question. Aucune question n’est certifiée.
« Elizabeth Walker »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-4513-17
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INTITULÉ :
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SACAADA MAHAMAD HADI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 AVRIL 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE WALKER
|
DATE :
|
LE 7 JUIN 2018
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COMPARUTIONS :
David P. Yerzy
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POUR LA DEMANDEURE
|
Judy Michealy
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POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David P. Yerzy
Avocat
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDEURE
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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