Date : 20180605
Dossier : T-988-17
Référence : 2018 CF 582
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 5 juin 2018
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
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WILLIAM A. JOHNSON
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
L’aperçu
[1]
William A. Johnson, qui se représente lui-même dans la présente instance, est détenu à l’Établissement de Warkworth, un pénitencier à sécurité moyenne en Ontario. M. Johnson invoque le paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7 pour présenter une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 6 janvier 2017 par le commissaire adjoint, Politiques [CAP], rejetant son grief au dernier palier.
[2]
Les principaux faits qui sous-tendent la demande de M. Johnson sont les suivants. Vers le mois d’août 2015, l’Établissement de Warkworth a commencé à fournir du lait en poudre à ses détenus. Ce changement a été apporté dans le cadre du Menu alimentaire national, une initiative du Service correctionnel du Canada (SCC) visant à normaliser les repas des délinquants de sexe masculin qui résident dans les pénitenciers fédéraux, conformément au Guide alimentaire canadien.
[3]
Dans son grief, M. Johnson a allégué que lui et d’autres détenus n’étaient pas en mesure de boire du lait en poudre et qu’on leur refusait donc leur apport nutritionnel quotidien. M. Johnson a demandé qu’on fournisse du lait non déshydraté. Le CAP a rejeté le grief de M. Johnson au motif que le Menu alimentaire national était conforme au Guide alimentaire canadien et que M. Johnson n’avait fourni aucun détail à l’appui de sa prétendue incapacité de consommer du lait en poudre.
[4]
M. Johnson conteste le caractère raisonnable et correct de la décision du CAP. Il sollicite diverses mesures réparatoires, notamment : a) une ordonnance annulant la décision de lui refuser du lait non déshydraté; b) un jugement déclaratoire selon lequel la décision n’est pas raisonnable et qu’elle est nulle du fait qu’elle contrevient à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [LSCMLC], au Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [RSCMLC], ainsi qu’aux articles 7, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [Charte]; c) une ordonnance de mandamus au titre de la Loi sur les Cours fédérales, de même qu’une ordonnance en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte obligeant le SCC à lui fournir du lait non déshydraté; et (d) que lui soient adjugés les dépens afférents à sa demande.
[5]
J’ai examiné attentivement les observations de M. Johnson. Toutefois, pour les motifs qui suivent, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la décision était à la fois raisonnable et équitable sur le plan de la procédure. Par conséquent, je rejette la demande de M. Johnson.
[6]
D’entrée de jeu, je prends note de l’argument du défendeur selon lequel le procureur général du Canada est le défendeur approprié dans la présente instance, conformément à l’article 23 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50, et à l’article 303 des Règles des Cours fédérales (les Règles), DORS/98-106. Je suis d’accord, et j’ordonnerai que l’intitulé soit modifié en conséquence.
II.
Le contexte
[7]
Dans sa déclaration sous serment à l’appui de la présente demande, M. Johnson déclare qu’il avait auparavant accès à du lait homogénéisé à 2 % non déshydraté à l’Établissement de Warkworth, dont il consommait 2 ou 3 portions chaque jour, notamment lorsqu’il mangeait des céréales. M. Johnson affirme que, dernièrement, l’Établissement de Warkworth ne fournit plus de lait non déshydraté. Je note que, d’après le dossier, il est évident que ce changement s’est produit à la suite de la mise en œuvre du Menu alimentaire national. Quoi qu’il en soit, M. Johnson affirme qu’il ne peut pas boire le lait en poudre et qu’il ne peut donc pas consommer de céréales. M. Johnson déclare qu’il est allé voir le médecin pour obtenir de l’aide et que celui-ci lui a dit qu’il ne pouvait rien faire.
[8]
M. Johnson a ensuite présenté son grief au commissaire du SCC le 12 janvier 2015. Il y allègue que l’Établissement de Warkworth ne fournit à ses détenus que des œufs bouillis, plutôt que des œufs frits, brouillés et bouillis, et qu’il refuse à ses détenus du bacon et des frites. Pour ce qui est du lait en poudre, M. Johnson prétend : a) que du lait ordinaire est fourni par d’autres établissements et que le fait de priver l’Établissement de Warkworth de lait ordinaire constitue une forme de sanction et est dégradant; b) que de nombreux détenus sont, comme lui, incapables de consommer du lait en poudre et se voient ainsi privés de leur apport nutritionnel quotidien; c) que le SCC n’a pas consulté les détenus préalablement au changement du type de lait fourni. M. Johnson prétend que la [traduction] « plupart des gens n’aiment pas le lait en poudre ou sont incapables de le consommer »
, et il demande que du lait non déshydraté soit fourni.
[9]
Le CAP a rendu sa décision pour régler le grief de M. Johnson le 6 janvier 2017 :
[traduction]
[…] en 2014, le Service correctionnel du Canada (SCC) a élaboré et mis en œuvre un menu alimentaire national (MAN) afin de normaliser les recettes et la taille des portions des repas fournis à tous les délinquants de sexe masculin dans les pénitenciers fédéraux partout au pays. Cela est conforme à l’obligation légale du SCC énoncée à l’alinéa 83(2)a) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (RSCMLC), qui est ainsi libellé :
Le Service doit prendre toutes les mesures utiles pour que la sécurité de chaque détenu soit garantie et que chaque détenu :
a) soit habillé et nourri convenablement;
Conformément à la législation ci-dessus, le MAN prescrit les aliments et les portions fournis pour chaque repas du jour de la semaine, selon un cycle de quatre (4) semaines, à l’exception du petit-déjeuner, qui fait partie d’un cycle d’une (1) semaine. Une fois le cycle de quatre (4) semaines terminé, le service de repas reprend le menu de la semaine 1.
Le MAN a été élaboré conjointement avec des diététiciens régionaux – ainsi qu’en fonction des recommandations figurant dans le Guide alimentaire canadien – et prévoit la consommation de 2 600 calories par jour, ce qui correspond au niveau énergétique recommandé selon Santé Canada pour une personne de sexe masculin âgée entre trente et un (31) et cinquante (50) ans, soit le profil du délinquant sous responsabilité fédérale de sexe masculin moyen. Cela est conforme au paragraphe 10 de la Directive du commissaire (DC) 880, dont voici le libellé :
Les repas des détenus doivent satisfaire aux normes de nutrition pertinentes.
Le MAN normalisé est conforme à l’obligation du Service de veiller à ce que les délinquants soient convenablement nourris et est conforme aux recommandations nutritionnelles énoncées dans le Guide alimentaire canadien.
[10]
Le CAP a indiqué dans sa décision avoir confirmé que des œufs bouillis et brouillés étaient en fait servis à l’Établissement de Warkworth et a rejeté cette partie du grief de M. Johnson. Le CAP a également indiqué que le bacon et les frites ne faisaient pas partie du Menu alimentaire national et, une fois de plus, a rejeté cette partie du grief de M. Johnson. Pour ce qui est du grief de M. Johnson concernant le lait en poudre, le CAP a rendu la décision suivante :
[traduction]
Vous présentez également un grief relatif au fait qu’un certain nombre de délinquants sont incapables de boire le lait en poudre servi à l’Établissement de Warkworth et que, par conséquent, on vous refuse votre apport nutritionnel quotidien. Cependant, vous ne fournissez aucun détail à l’appui d’une telle prétention. Tel qu’indiqué précédemment, le passage au MAN est conforme à l’obligation du Service de veiller à ce que les délinquants soient convenablement nourris et est conforme aux recommandations nutritionnelles énoncées dans le Guide alimentaire canadien. Si vous croyez que vous n’êtes pas en mesure de boire le lait en poudre pour des raisons médicales, nous vous invitons à consulter les Services de santé pour examiner d’éventuelles options qui pourraient s’offrir à vous. Cette partie de votre grief est rejetée.
Vous affirmez également que les consultations nécessaires auprès des délinquants n’ont pas été menées conformément aux DC 880 et 880-1. On m’a confirmé que les comités de détenus ont été consultés lors de l’élaboration du MAN. Cette partie de votre grief est donc rejetée.
[En caractères gras dans l’original.]
[11]
Dans son affidavit à l’appui, M. Johnson déclare que, le 1er juin 2017, à la suite de la décision du CAP, il a présenté une « Demande du détenu » au chef des Services de santé de l’Établissement de Warkworth, libellée comme suit :
[traduction]
L’administration centrale m’a demandé de discuter avec le service hospitalier des options qui s’offrent aux détenus qui, comme moi, sont incapables de boire le lait en poudre nouvellement adopté par Warkworth. On m’a déjà dit que c’est le seul choix au menu, que je suis incapable de consommer. Le service hospitalier peut-il ordonner au service alimentaire de fournir un autre lait convenable? Dans l’affirmative, quel serait cet autre lait?
[12]
M. Johnson a reçu la réponse suivante le 6 juin 2017 : [traduction] « Je ne crois pas qu’il y ait quoi que ce soit d’autre au menu. J’ai donc fait suivre votre demande au diététicien. »
[13]
Bien que le défendeur n’ait pas contesté l’ajout de renseignements ultérieurs à la décision du CAP, je fais remarquer que, règle générale, les demandes de contrôle judiciaire sont instruites selon les pièces dont disposait le décideur (voir la décision Johnson c Canada (Commissaire du service correctionnel), 2018 CF 529, au paragraphe 37 [Johnson 2018]).
III.
Les questions en litige et la norme de contrôle
[14]
M. Johnson conteste la décision du CAP de deux façons en particulier.
[15]
En premier lieu, il soutient que la décision était incompatible avec certaines dispositions de la LSCMLC, du RSCMLC et de la Charte. Comme je l’explique plus loin, ces questions peuvent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. M. Johnson soutient également que le CAP a fait fi de certains documents pour rendre sa décision – encore une fois, cette question est susceptible d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.
[16]
Pour ce qui est de l’équité procédurale, M. Johnson soutient que la décision du CAP donne lieu à une crainte raisonnable de partialité, tant au niveau personnel qu’institutionnel. Il allègue également que le retard à rendre la décision constitue un abus de procédure. Ces questions sont susceptibles d’un contrôle selon la norme de la décision correcte.
A.
Questions relatives au caractère raisonnable
(1)
La décision du CAP était-elle conforme aux dispositions de la LSCMLC et du RSCMLC?
[17]
M. Johnson soutient que la décision du CAP de refuser de lui fournir du lait non déshydraté était ultra vires au titre des alinéas 3a), 4c) et d) et de l’article 74 de la LSCMLC, qui sont ainsi libellés :
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[18]
M. Johnson soutient en outre que la décision du CAP était ultra vires au titre du paragraphe 83(1), de l’alinéa 83(2)a) et de l’article 101 du RSCMLC :
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[19]
M. Johnson soutient que le SCC a été créé au moyen d’une loi et que, dès lors, il ne peut agir que dans les limites prévues par la loi, s’appuyant sur la décision Tegon Developments Ltd (Egon P Tensfeldt Development Consultants Ltd) c Edmonton (City), 1977 ALTASCAD 304 (CanLII) (Cour suprême de l’Alberta – Division d’appel), au paragraphe 17. Il soutient que, les limites prévues par la loi ayant été outrepassées, la décision du CAP est nulle, s’appuyant sur la décision Anisminic Ltd c Foreign Compensation Commission, [1969] 2 AC 147 (HL). Il demande à la Cour de déclarer nulle et illégale la décision du CAP en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales.
[20]
Dans ses documents écrits, M. Johnson semble parfois contester à la fois le rejet par le CAP de son grief et la mise en œuvre globale par le SCC du Menu alimentaire national, qui a donné lieu à la fourniture de lait en poudre dans les pénitenciers fédéraux, y compris l’Établissement de Warkworth. Cependant, à l’audience de la présente demande, j’ai cru comprendre que M. Johnson avait clarifié de vive voix que sa contestation se limite à la décision du CAP, qui ne concerne que lui. Je remarque que, de toute façon, une telle position est conforme à l’avis de demande de M. Johnson, qui demande expressément le contrôle judiciaire de la seule décision du CAP. De plus, à mon avis, la demande de M. Johnson repose à juste titre sur son incapacité personnelle de consommer du lait en poudre pour des raisons médicales, et non sur la nullité ou l’illégalité du Menu alimentaire national dans son ensemble, comme il s’applique à la population carcérale en général. Par conséquent, je tiendrai compte des arguments de M. Johnson en ce qui a trait à la décision du CAP.
[21]
Tout d’abord, je n’accepte pas l’argument de M. Johnson selon lequel la question en litige soulève une question de compétence, de telle sorte que la décision du CAP devrait être examinée selon la norme de la décision correcte. Dans sa décision, le CAP s’acquittait simplement de ses fonctions à la lumière des dispositions de la loi constitutive, des règlements et des directives du SCC; l’affaire peut donc faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir l’arrêt Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC47, aux paragraphes 23 et 26). Par conséquent, je dois être convaincu que la décision du CAP était justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartenait à l’éventail des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47). Dans le cadre de mon analyse, je suis conscient du fait que je me dois de faire preuve d’un degré de déférence élevé à l’égard du CAP en raison de son expertise en matière de gestion de détenus et d’établissements (McMaster c Canada (Procureur général), 2017 CF 25, au paragraphe 21 [McMaster], conf. par 2018 CAF 37).
[22]
Compte tenu de cette norme de contrôle, je ne suis pas d’accord avec M. Johnson pour dire que la décision du CAP était déraisonnable parce qu’elle ne respectait pas les dispositions de la LSCMLC ou du RSCMLC cités précédemment. Les documents présentés au CAP confirment que le Menu alimentaire national est conforme aux exigences nutritionnelles du Guide alimentaire canadien et qu’il a été élaboré après consultation des comités de détenus. De plus, comme je l’explique plus en détail dans mon analyse qui suit, dans la mesure où M. Johnson est incapable de consommer lui-même du lait en poudre pour des raisons médicales, le système de réglementation prévoit la fourniture d’un régime alimentaire pour personnes allergiques aux détenus ayant un diagnostic confirmé.
[23]
M. Johnson fait valoir que, en rejetant son grief, le CAP a agi de façon abusive ou arbitraire, de telle sorte que sa décision ne comporte aucune assise rationnelle ou légale, et qu’il l’a rendue sans dûment tenir compte de certaines pièces, ayant délibérément fermé les yeux sur des éléments au dossier prouvant que M. Johnson est privé de lait homogénéisé à 2 %. M. Johnson allègue en outre que le CAP savait qu’il n’y avait pas d’option de rechange au lait en poudre et que le fait d’indiquer à M. Johnson de consulter les Services de santé constituerait une perte de temps. Il soutient que le CAP ne s’est pas le moindrement préoccupé de son allergie alimentaire, n’a pas tenté de mener une enquête appropriée sur les questions soulevées et n’a fait aucun effort pour communiquer avec les Services de santé dans le cadre de l’examen de son grief. Il laisse entendre dans ses documents que la décision du CAP est un effort injustifié pour le punir davantage et soutient que la plupart des membres de la société consomment du lait non déshydraté. M. Johnson fait également remarquer qu’il n’est pas le seul à se plaindre du Menu alimentaire national.
[24]
En vertu de l’alinéa 97a) et du paragraphe 98(1) de la LSCMLC, le commissaire peut établir des règles, appelées « Directives du commissaire », pour la gestion du SCC. Certaines dispositions des directives 880 et 880-01 se rapportent aux questions que M. Johnson soulève dans sa demande.
[25]
En premier lieu, la directive 880, intitulée « Services d’alimentation », stipule que les repas des détenus doivent satisfaire aux normes de nutrition pertinentes. Elle prévoit également que les détenus obligés de suivre un régime alimentaire thérapeutique spécial dans le cadre d’un traitement approuvé par les Services de santé de l’établissement à la suite d’un diagnostic clair et précis doivent recevoir des repas adaptés à ce régime (voir respectivement les articles 10 et 13).
[26]
En second lieu, les articles 7.3 et 7.5 de la directive 880-01, intitulée « Services d’alimentation centralisés », stipulent respectivement qu’un régime alimentaire thérapeutique est servi à un détenu lorsque le médecin de l’établissement l’autorise et (ou) que le diététiste de l’établissement ou de la région le recommande, et que les régimes pour allergies alimentaires ne devraient être prescrits qu’en réponse à des tests d’allergies ou si le détenu peut fournir d’un médecin un document confirmant que des tests effectués auparavant ont révélé la présence d’allergie(s) alimentaire(s).
[27]
À la lumière de ces directives, je souscris à l’argument du défendeur selon lequel la décision du CAP était raisonnable : M. Johnson n’a présenté aucune preuve, aucun détail ni aucun autre renseignement concernant sa prétendue incapacité médicale de consommer du lait en poudre. Dans son grief, M. Johnson n’a pas précisé, par exemple, que sa plainte était fondée sur une allergie au lait en poudre et il n’a pas non plus fourni de renseignements qui corroboraient une telle allergie. Comme l’indique clairement la directive 880-01, les régimes alimentaires pour personnes allergiques sont disponibles après des tests d’allergies ou des preuves d’un diagnostic.
[28]
De plus, je ne suis pas d’accord sur l’argument de M. Johnson selon lequel le CAP avait le devoir de consulter les Services de santé avant de rendre sa décision, alors que M. Johnson n’a fourni aucun détail sur sa prétendue allergie.
[29]
Après tout, dans la mesure où l’un des droits de M. Johnson n’a pas été reconnu, c’est à M. Johnson qu’il appartient de présenter le bien-fondé de ses arguments au CAP. Bien que je reconnaisse que l’application de ses droits à l’Établissement de Warkworth comporte certaines limites et certains retards, le contexte ne libère pas M. Johnson de l’obligation de se prévaloir des recours qui lui sont offerts, lesquels, s’ils lui sont refusés, peuvent certainement faire l’objet d’un grief avec la preuve de ces recours. Le problème en l’instance, c’est tout simplement le manque de preuve. Même l’affidavit qu’il a déposé à la Cour à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire (dont le CAP ne disposait pas, bien entendu) ne comportait aucun autre détail particulier quant à la nature de son trouble médical, notamment des réactions allergiques, ni en ce qui a trait à toute tentative d’obtention d’un diagnostic en ce sens.
[30]
Par conséquent, j’estime que la décision du CAP de rejeter le grief de M. Johnson concernant le lait en poudre et de suggérer en outre qu’il consulte les Services de santé n’était pas déraisonnable en raison du non-respect de la LSCMLC ou du RSCMLC.
(2)
Le CAP a-t-il omis de tenir compte de la preuve?
[31]
Je ne comprends pas très bien quelle information, selon M. Johnson, le CAP a omis de prendre en compte lorsqu’il a rejeté son grief. Si je comprends bien la position de M. Johnson, il croit qu’il n’y a tout simplement pas d’option de rechange au lait non déshydraté qui lui serait accessible, de sorte que le fait de collaborer avec les Services de santé ou d’entreprendre la procédure de règlement des griefs constitue une perte de temps, d’où le besoin de l’intervention de la Cour.
[32]
Toutefois, comme il a été exposé précédemment, les directives prévoient expressément que des régimes alimentaires pour les personnes allergiques seront fournis à un détenu qui en a démontré le besoin. Par conséquent, je rejette l’argument de M. Johnson selon lequel la décision du CAP était déraisonnable parce qu’elle faisait fi de la preuve.
(3)
La décision du CAP était-elle conforme aux valeurs de la Charte?
[33]
M. Johnson soutient que ses droits prévus aux articles 7, 12 et 15 de la Charte ont été violés, de sorte que la décision du CAP soit nulle et non avenue. Il s’appuie sur l’arrêt May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82 [May], dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que « [l]es décisions administratives prises en violation de la Charte sont nulles pour défaut de compétence »
(au paragraphe 77).
[34]
Dans l’arrêt Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12 [Doré], la Cour suprême du Canada a précisé l’approche analytique correcte devant être adoptée par la Cour fédérale lorsqu’elle effectue un contrôle judiciaire des actions des organismes administratifs et que des questions relatives à la Charte sont soulevées — la norme de contrôle demeure celle de la décision raisonnable, et la question consiste à déterminer si le décideur administratif a mis en balance comme il se doit les valeurs pertinentes consacrées par la Charte et les objectifs visés par la loi (aux paragraphes 57 et 58). Comme je l’ai mentionné aux parties lors de l’audition de la présente demande, la Cour a dernièrement repris, dans sa décision Ewert c Canada (Procureur général), 2018 CF 47, la solution donnée dans l’arrêt Doré en réponse aux arguments du demandeur fondés sur la Charte dans le contexte d’un grief au dernier palier :
[28] Il est bien établi que la Charte s’applique aux organismes administratifs qui exercent les pouvoirs qui leur sont délégués (voir tout particulièrement l’arrêt SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 RCS 573, aux pages 598 et 599, 33 DLR (4th) 174). En fait, tant le SCC en effectuant le transfèrement du détenu que le sous-commissaire principal dans son évaluation du grief devaient agir en conformité avec la Charte, et donc mettre en équilibre les valeurs protégées par la Charte et les objectifs poursuivis par la législation et la réglementation qu’ils appliquent (voir, par exemple, l’arrêt Doré c. Barreau du Québec, 2012 SCR 12 [Doré]). Contrairement à ce que le demandeur prétend, le rôle de notre Cour dans le cadre du contrôle judiciaire n’est pas de rechercher si le SCC a violé ou non la Charte en effectuant le transfèrement, mais plutôt de savoir si le sous-commissaire principal a accordé suffisamment d’attention à la Charte au moment d’évaluer le grief.
[35]
En ce qui concerne les faits de cette affaire, je conclus que la fourniture de lait en poudre ne constitue pas une peine cruelle ou inusitée, au point de mettre en cause les valeurs de l’article 12 (voir généralement la décision Guérin c Canada (Procureur général), 2018 CF 94, au paragraphe 68).
[36]
De même, en ce qui concerne l’article 15, comme le CAP l’a indiqué dans sa décision, le Menu alimentaire national normalise les repas des détenus à l’échelle nationale – par conséquent, les valeurs prévues dans cette disposition ne sont pas non plus mises en jeu.
[37]
Enfin, en ce qui concerne l’article 7, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la Charte n’assure pas une protection contre les restrictions négligeables à l’égard des droits (Cunningham c Canada, [1993] 2 RCS 143, à la p. 151).
[38]
Dans l’ensemble, compte tenu de la nature de la décision à l’étude et de son contexte législatif et factuel, je suis convaincu que le CAP a correctement, sinon implicitement, mis en balance les valeurs de la Charte en rejetant le grief de M. Johnson (arrêt Doré, aux paragraphes 57 et 58).
[39]
En fin de compte, ce que M. Johnson souhaite obtenir par cette demande, c’est une ordonnance en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte exigeant que le SCC lui fournisse du lait homogénéisé à 2 %, en invoquant tout argument fondé sur la Charte qui pourrait tenir la route. Cette stratégie et les arguments de M. Johnson, tant écrits qu’oraux, comportent deux faiblesses. Premièrement, la condition préalable à une mesure réparatoire en vertu du paragraphe 24(1) est la constatation d’une violation de la Charte (voir l’arrêt Vancouver (Ville) c Ward, 2010 CSC 27, au paragraphe 23). J’ai expliqué précédemment que la décision du CAP était raisonnable à la lumière de l’analyse fondée sur l’arrêt Doré et que les dispositions de la Charte sur lesquelles le demandeur s’appuie n’ont pas trait aux faits de sa cause.
[40]
Le deuxième problème que posent les observations de M. Johnson au sujet de la Charte, qui est inextricablement lié au premier, c’est qu’elles ne présentent pas suffisamment de faits à la Cour pour appuyer les violations de la Charte selon l’un ou l’autre des articles qu’il soulève. Comme la juge McDonald l’a dernièrement indiqué dans la décision McMaster :
[45] En outre, malgré la longueur des observations écrites et orales, M. McMaster a omis de faire valoir des faits importants pour appuyer la violation alléguée de la Charte (voir Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien-être Social, 2015 CAF 227, au paragraphe 21).
[41]
Compte tenu de ces faiblesses fondamentales, je rejette la demande de M. Johnson qui est fondée sur le paragraphe 24(1).
[42]
Enfin, comme j’ai conclu que la décision du CAP était raisonnable, je rejette également la demande subsidiaire que M. Johnson a présentée en vue d’obtenir une ordonnance de mandamus en vertu de la Loi sur les Cours fédérales.
B.
Questions d’équité procédurale
[43]
M. Johnson fait valoir deux arguments concernant l’équité procédurale : (i) la crainte raisonnable de partialité et (ii) le retard. Comme il a été mentionné précédemment, ces deux questions sont susceptibles d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Canadian Pacific Railway Company v Canada (Attorney General), 2018 CAF 69, au paragraphe 36).
(1)
Crainte raisonnable de partialité
[44]
J’aborderai d’abord l’argument de M. Johnson selon lequel la décision du CAP révèle une crainte raisonnable de partialité. Si je comprends bien, l’argument de M. Johnson sur ce point repose sur trois motifs.
[45]
Premièrement, M. Johnson renvoie la Cour à la page 11 du dossier certifié du tribunal, qui est un document interne du SCC portant le titre [traduction] « Table des matières ». Ce document énumère les documents qui se rapportent au grief de M. Johnson. Il indique également le nom complet et la date de naissance de M. Johnson, le numéro de référence et le code de son grief ainsi que son statut de priorité, et les renseignements relatifs à la peine de M. Johnson, y compris la date de début et les déclarations de culpabilité sous-jacentes, et la classification de M. Johnson comme délinquant dangereux. Dans la présente demande, M. Johnson soutient que les renseignements contenus dans le document [traduction] « Table des matières » concernant ses déclarations de culpabilité n’ont rien à voir avec son grief et que leur inclusion donne lieu à une crainte raisonnable de partialité.
[46]
Le critère de crainte raisonnable de partialité consiste à se demander à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Selon elle, serait-il plus probable que le contraire que le CAP ne rendrait pas une décision juste par rapport au grief de M. Johnson? (Committee for Justice and Liberty et al c Canada (Office national de l’énergie) et al (1976), [1978] 1 RCS 369 (CSC), à la page 394). Même si, dans la présente affaire, je conviens que les déclarations de culpabilité de M. Johnson n’ont aucune incidence sur le fond de son grief, je ne suis pas convaincu que leur inclusion dans les documents dont disposait le CAP donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Compte tenu plutôt du contexte du grief de M. Johnson, je suis convaincu que les renseignements relatifs à ses déclarations de culpabilité sont simplement de nature administrative, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un document type de page couverture qui accompagne les décisions faisant suite à un grief (voir aussi la décision Johnson 2018 au paragraphe 36).
[47]
Deuxièmement, M. Johnson soutient qu’il existe une crainte raisonnable de partialité en l’espèce, parce que, dans la procédure de règlement des griefs, les bureaucrates s’échangent des faveurs en vertu d’un [traduction] « programme non officiel d’omission sélective »
des documents qui leur sont soumis. Sur ce point, M. Johnson s’appuie sur les paragraphes suivants de l’arrêt May rendu par la Cour suprême du Canada :
63 À l’opposé, la procédure interne de grief prévue par la LSCMLC prescrit l’examen de décisions d’autorités carcérales par d’autres autorités carcérales. Ainsi, dans le cas de contestation de la légalité d’une politique établie par le commissaire, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le décideur, un subordonné du commissaire, rende une décision juste et impartiale. Il convient également de signaler que ni la LSCMLC ni son règlement d’application ne prévoient de recours, pas plus qu’ils n’énoncent des motifs d’examen des griefs. Enfin, les décisions rendues sur les griefs n’ont pas force exécutoire. Par contre, dans Peiroo, la Cour d’appel de l’Ontario a souligné que le législateur avait mis en place un régime d’examen complet, exhaustif et spécialisé d’une portée au moins aussi large que la procédure d’habeas corpus et tout aussi avantageux. De toute évidence, il n’en va pas de même en l’espèce.
64 Par conséquent, la faiblesse intrinsèque de la procédure de grief ne justifie nullement ici de transposer le raisonnement adopté en droit de l’immigration. Le législateur n’a pas encore élaboré pour le contexte carcéral un régime d’examen et d’appel exhaustif comparable à celui qui s’applique en matière d’immigration. Notre Cour avait déjà formulé une telle conclusion dans l’affaire Idziak en matière d’extradition (p. 652-653).
[48]
Je conclus que le fondement des commentaires de l’arrêt May qui précèdent n’est pas analogue aux circonstances dont je suis saisi. Ce sont plutôt les motifs énoncés par le juge Shore dans la décision MacInnes c Établissement Mountain, 2014 CF 212 [MacInnes] qui donnent une réponse complète à l’argument de M. Johnson :
[26] Dans les observations du demandeur, rien ne permet de penser également que les griefs du demandeur ne seront pas considérés équitablement. Le demandeur fait valoir qu’il n’obtiendrait pas une décision juste et impartiale du processus de règlement des griefs parce qu’il met en doute la légalité des politiques du SCC, qui sont sanctionnées par le commissaire. Citant l’arrêt May c Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809, au paragraphe 63, le demandeur fait valoir que, dans le cas de contestation de la légalité d’une politique établie par le commissaire, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que le décideur, un subordonné du commissaire, rende une décision juste et impartiale.
[27] En se fondant sur les éléments de preuve, la Cour ne peut pas admettre l’affirmation du demandeur selon laquelle la procédure de règlement des griefs donnera lieu inévitablement à une décision défavorable pour cette raison.
[28] En fait, la Cour estime que le demandeur ne met pas en doute la légalité des politiques du SCC, mais plutôt l’interprétation que font les défendeurs de ces politiques et de la décision discrétionnaire ainsi rendue […]
[49]
Ici, comme dans l’affaire MacInnes, je suis d’avis que M. Johnson ne conteste pas la légalité du Plan alimentaire national, mais plutôt la décision particulière du CAP de ne pas lui fournir personnellement de lait homogénéisé à 2 % malgré sa prétendue allergie au lait en poudre. Par conséquent, les commentaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt May ne sont d’aucune utilité pour M. Johnson. De plus, dans la mesure où les arguments de partialité de M. Johnson sont fondés sur le traitement sélectif présumé des documents par le CAP ou sur le non-respect des obligations prévues par la loi, je me suis prononcé précédemment sur ces arguments en évaluant le caractère raisonnable de la décision du CAP. Encore une fois, je remarque que M. Johnson a dernièrement présenté des arguments semblables au juge Brown, qui ont été rejetés dans la décision Johnson 2018 (au paragraphe 36).
[50]
Enfin, M. Johnson laisse entendre dans ses documents que la partialité institutionnelle en l’espèce peut être déduite du temps mis à trancher son grief, ce qui, selon lui, constitue un déni de la justice naturelle et de l’équité procédurale qui lui sont dues. Il renvoie la Cour à l’alinéa 4f) et à l’article 90 de la 2018 FC 529, qui disposent respectivement que les décisions correctionnelles doivent être claires et équitables et que la procédure de règlement des griefs doit être juste et expéditive.
[51]
Pour obtenir gain de cause dans une allégation de partialité institutionnelle, M. Johnson doit démontrer une crainte raisonnable de partialité dans un « grand nombre de cas »
(R c Lippé (1990), [1991] 2 RCS 114 (CSC) à 144; Douglas c. Canada (Procureur général), 2014 CF 299, au paragraphe 153). Dans la présente demande, M. Johnson n’a tout simplement pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour étayer ses allégations de partialité institutionnelle.
(2)
Retard
[52]
M. Johnson soutient également que le retard excessif mis à trancher son grief traduit un abus de pouvoir de longue date de la part du SCC. M. Johnson attire l’attention sur l’article 12 de la directive 081, qui stipule que les décisions afférentes aux griefs finaux « non prioritaires »
doivent être rendues dans les 80 jours ouvrables suivant leur réception par le coordonnateur national des griefs. M. Johnson soutient que le SCC viole régulièrement la directive 081 afin de dissuader les détenus de demander justice par l’intermédiaire du processus de règlement des griefs.
[53]
Dans la présente affaire, il y a eu une période de plus de deux ans entre la date du grief final de M. Johnson et celle de la décision rendue par le CAP. Le défendeur reconnaît que ce délai est regrettable, mais renvoie la Cour à l’article 13 de la directive 081, qui prévoit ce qui suit :
Si le directeur de l’établissement/directeur du district ou le directeur, Recours des délinquants, juge qu’un délai plus long est nécessaire pour traiter adéquatement une plainte ou un grief, le plaignant doit être informé, dans une lettre envoyée avant ou à la date d’échéance, de la (des) raison(s) de la prolongation du délai ainsi que de la date à laquelle la décision sera rendue.
[54]
M. Johnson a reçu des lettres l’informant des dates d’échéance révisées conformément au paragraphe 13 de la directive 081, jusqu’à ce que la décision du CAP soit rendue.
[55]
M. Johnson semble indiquer que la question du retard comporte deux volets. Tout d’abord, il soutient que le retard a donné lieu à un manquement à l’équité procédurale au sens où on l’entend habituellement — cet argument est lié à son argument de partialité institutionnelle traité précédemment. Face aux prétentions de M. Johnson sur ce point, le défendeur s’appuie sur la décision Wilson c Canada (Procureur général), 2012 CF 57 [Wilson], dans laquelle la juge Mactavish a déclaré que, même si les retards liés au traitement du grief du demandeur sont regrettables, ils n’ont pas entraîné de violation de l’équité procédurale, celui-ci ayant pu amplement se prévaloir du processus de grief (au paragraphe 18). Le juge Russell a également considéré le retard sous cet angle dans la décision James c Canada (Procureur général), 2015 CF 965 [James], comme suit :
95 Je ne pense pas non plus que les retards subis ont été inéquitables sur le plan procédural, au sens où on l’entend habituellement. La demanderesse a eu tout le loisir de faire valoir son point de vue, et tout ce qu’elle dit est qu’il aurait fallu que la décision soit rendue plus rapidement. Elle a été avisée des retards, d’une manière conforme à la directive applicable, mais elle dit que les avis n’en donnaient pas les raisons ni ne justifiaient les périodes au cours desquelles le dossier a été inactif. J’ai passé en revue les étapes du processus, dans le contexte de ce qu’il fallait faire dans le dossier de la demanderesse ainsi que dans les autres dossiers dans lesquels l’analyste travaillait à l’époque, et je ne peux pas dire qu’en l’espèce les délais étaient déraisonnables.
[56]
Comme dans les décisions Wilson et James, je suis convaincu que le retard dans le traitement du grief de M. Johnson n’a pas entraîné un manquement à l’équité procédurale, car cela n’a pas nui à sa capacité de présenter ses arguments ou d’accéder au processus de grief. De plus, il ressort clairement du dossier que de nombreux détenus ont présenté des griefs à la suite de la mise en œuvre du Menu alimentaire national. Des retards seraient compréhensibles, car le SCC voudrait assurer l’uniformité de ses réponses.
[57]
M. Johnson laisse également entendre dans ses documents que le retard dans la présente affaire témoigne d’un [traduction] « abus de pouvoir »
du SCC — j’en déduis que, de l’avis de M. Johnson, le retard était si excessif qu’il constituait un abus de procédure. Pour obtenir gain de cause sur ce point, M. Johnson doit démontrer que le retard dans le traitement de son grief a causé un préjudice réel d’une telle ampleur qu’il heurte le sens de la justice et de la décence du public (Blencoe c Colombie-Britannique (Commission des droits de la personne), 2000 CSC 44, au paragraphe 133 [Blencoe])
[58]
À cet égard, le défendeur s’appuie sur la décision Ewert c Canada (Procureur général), 2007 CF 13, dans laquelle la Cour a retenu la solution donnée dans l’arrêt Blencoe dans le contexte d’un grief du SCC et a conclu que le délai n’était pas excessif, compte tenu de la complexité du dossier du demandeur (aux paragraphes 31 et 32). De plus, je note que, dans la décision James, les arguments de la demanderesse fondés sur l’arrêt Blencoe ont été rejetés parce qu’elle n’avait pas présenté une preuve suffisante de préjudice (au paragraphe 94). En l’espèce, je conclus que le retard n’était pas excessif au sens de l’arrêt Blencoe — M. Johnson n’a présenté aucune preuve démontrant que le retard compromettait l’équité de son grief ou qu’il en était autrement lésé.
[59]
Par conséquent, j’estime que le retard dans le traitement du grief final de M. Johnson, bien qu’important, n’a pas donné lieu à un manquement à l’équité procédurale.
IV.
Dépens
[60]
Les deux parties à la présente demande réclament des dépens. Plus particulièrement, M. Johnson demande, par l’intermédiaire de ses documents écrits, un montant forfaitaire de 500 $. À l’audience relative à la présente demande, le défendeur a précisé qu’il réclamait également des dépens de 500 $.
[61]
En vertu du paragraphe 400(1) des Règles, la Cour a le plein pouvoir discrétionnaire d’ordonner le montant et la répartition des dépens dans une instance. Pour l’adjudication des dépens, je peux examiner toute question que je juge pertinente, y compris le résultat de l’instance, la conduite des parties et l’importance et la complexité des questions (voir les alinéas 400(3)a), c) et o) des Règles). Comme le défendeur a entièrement eu gain de cause dans la présente demande, les dépens lui sont donc dus. Cependant, compte tenu de toutes les circonstances, y compris les moyens limités de M. Johnson, j’estime qu’un montant forfaitaire de 250 $ en faveur du défendeur est approprié.
V.
Conclusion
[62]
Il apparaît clairement que M. Johnson n’est pas satisfait du processus de règlement des griefs du SCC. Dans ses documents écrits, il mentionne qu’il s’agit d’un [traduction] « exercice inutile et une perte de temps »
. M. Johnson fait également référence à ses demandes antérieures de contrôle judiciaire où il a eu gain de cause et soutient que le fait de se présenter devant la Cour constitue le seul recours efficace. Toutefois, en l’espèce, M. Johnson ne m’a pas convaincu que la décision du CAP était déraisonnable ou incorrecte. Par conséquent, sa demande est rejetée, et des dépens de 250 $ sont adjugés au défendeur.
JUGEMENT dans le dossier T-988-17
LA COUR DÉCLARE :
La demande est rejetée.
L’intitulé est modifié afin qu’il soit indiqué que le défendeur est le « Le procureur général du Canada » plutôt que « Le commissaire du service correctionnel, représenté par Larry Motiuk, commissaire adjoint du Service correctionnel du Canada, secteur des politiques ».
Des dépens s’élevant à 250 $ sont adjugés au défendeur.
« Alan S. Diner »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T -988-17
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INTITULÉ :
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WILLIAM A. JOHNSON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 24 MAI 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE DINER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 5 JUIN 2018
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COMPARUTIONS :
William A. Johnson
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POUR LE DEMANDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)
|
Susan Jane Bennett
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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