Date : 20180525
Dossier : T-2107-16
Référence : 2018 CF 544
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 25 mai 2018
En présence de monsieur le juge Fothergill
ENTRE :
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GUY PETERS, BRANDON LEE ENGSTROM et AMBER RACHEL RAGAN
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demandeurs
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et
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CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS, NORMA WEBB EN SA QUALITÉ DE CHEF DE LA PREMIÈRE NATION PETERS, LEANNE PETERS EN SA QUALITÉ DE CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS et VICTORIA PETERS EN SA QUALITÉ DE CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS
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défendeurs
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
M. Guy Peters, M. Brandon Lee Engstrom et Mme Amber Rachel Ragan ont présenté une demande de contrôle judiciaire visant des décisions de la Première Nation Peters [la PNP] leur refusant le statut de membre de la PNP. Leurs demandes d’adhésion ont été rejetées par le conseil de bande de la PNP le 25 juillet 2016. Les appels interjetés par M. Engstrom et Mme Ragan ont été rejetés par un vote des membres de la PNP le 6 novembre 2016. Les membres du PNP n’ont pas encore organisé de vote à l’égard de l’appel de M. Peters et le délai pour le faire est maintenant échu.
[2]
Pour les motifs qui suivent, les décisions du conseil de bande étaient déraisonnables et inéquitables sur le plan de la procédure. M. Guy Peters est déclaré membre de la PNP. Les décisions du conseil de bande de rejeter les demandes d’adhésion de M. Engstrom et de Mme Ragan sont annulées et les affaires sont renvoyées pour un nouvel examen conformément aux présents motifs de jugement.
II.
Contexte
[3]
La PNP est une petite Première Nation comprenant 65 membres répartis sur trois réserves. La première réserve n’a que 12 habitations et la deuxième, seulement une. La troisième n’en a aucune étant donné son relief inhospitalier.
[4]
Le 17 avril 1985, la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5 a été modifiée par le projet de loi C‑31, Loi modifiant la Loi sur les Indiens, 1re session, 33e législature, 1984-1985 [le projet de loi C-31] pour permettre aux bandes de décider de l’appartenance à leurs effectifs. Les dispositions pertinentes sont rédigées comme suit :
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[5]
Le 25 juin 1987, la PNP a donné un avis au ministre selon lequel elle déciderait dorénavant de l’appartenance à son effectif et a adopté des règles d’appartenance provisoires. Les règles provisoires énonçaient que le paragraphe 11(1) de la Loi sur les Indiens continuerait à régir l’appartenance jusqu’à ce que la majorité des électeurs de la PNP ait adopté un code d’appartenance définitif.
[6]
Le 18 septembre 1987, le ministre a confirmé que la PNP décidait de l’appartenance à son effectif aux termes du paragraphe 10(7) de la Loi sur les Indiens depuis le 25 juin 1987. La correspondance du ministre a également soulevé que les règles d’appartenance de la PNP ne pouvaient pas déposséder une personne de son appartenance si elle avait acquis ce droit avant que la PNP n’assume la responsabilité de l’appartenance.
[7]
Le 15 octobre 1987, le ministre a fourni une liste de ses membres à la PNP à la date où la PNP a assumé la responsabilité de l’appartenance. Il y avait 54 noms sur la liste comprenant les noms qui figuraient dans les registres informatiques du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada [AINC] et les noms figurant sur une liste « tenue manuellement »
.
[8]
Le nom de M. Guy Peters figurait sur la liste « tenue manuellement »
fournie à la PNP le 15 octobre 1987. Il apparaissait comme étant inscrit à la PNP en application de l’alinéa 11(1)a) de la Loi sur les Indiens.
[9]
Les membres de la PNP ont approuvé le code d’appartenance intitulé Peters (Final) Indian Band Membership Code [le Code d’appartenance] le 9 mars 1990. La partie III du Code d’appartenance est libellée comme suit :
[traduction]
Partie III – Critères d’appartenance
1. Les membres de la bande indienne Peters comprennent les personnes qui suivent :
A. les personnes dont le nom figurait sur la liste de bande le 17 avril 1985;
B. les personnes qui ont obtenu le droit de voir leur nom inscrit sur la liste de la bande Peters conformément au paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens, dans sa version modifiée, avant la date où le Code d’appartenance a été adopté par la bande;
C. les personnes qui ont obtenu le droit de voir leur nom inscrit sur la liste de la bande Peters conformément à l’alinéa 6(1)f) de la Loi sur les Indiens, dans sa version modifiée, avant la date où le Code d’appartenance a été adopté par la bande;
D. les personnes qui ont obtenu le statut de membre de la bande aux termes des parties IV et V du présent Code d’appartenance;
E. les personnes qui sont les enfants naturels d’un parent dont le nom est inscrit sur la liste de bande;
[10]
En application de la partie IV du Code d’appartenance, le conseil de bande doit examiner toutes les demandes conformément aux critères d’appartenance. Le conseil de bande doit notifier sa décision à un demandeur dans les 30 jours. Si une décision ne peut pas être rendue dans les 30 jours, le conseil de bande doit donner une réponse provisoire au demandeur. En cas de doute à l’égard de la demande, le conseil de bande doit convoquer une assemblée générale pour examiner la demande et rendre une décision. Les motifs sur lesquels la décision est fondée doivent être fournis au demandeur dont la demande d’adhésion a été rejetée.
[11]
La partie V du Code d’appartenance énonce que dans le cas où la demande d’adhésion d’un demandeur est rejetée, celui-ci peut interjeter appel auprès des électeurs de la PNP en transmettant un avis d’appel dans les 30 jours de la décision. Dans les 60 jours de la réception d’un avis d’appel, une assemblée générale des électeurs doit être convoquée afin d’examiner la décision et de rendre une décision. Un demandeur a le droit d’être présent et de faire des observations en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un conseiller juridique.
A.
M. Guy Peters
[12]
M. Peters est le fils de M. Robert Wilmer Peters, membre de la PNP, et de Mme Mary Tommy, membre de la Première Nation Skwah. Le 17 septembre 1985, à l’âge de 19 ans, M. Peters a soumis une demande d’inscription au registre des Indiens. Le 21 août 1987, il a reçu une lettre d’AINC confirmant son inscription en tant que membre de la PNP.
[13]
Dans une lettre à M. Frank Peters, ancien chef de la PNP, datée du 15 octobre 1987, le registraire par intérim d’AINC a confirmé que le nom de M. Peters avait été ajouté à la liste « tenue manuellement »
. La lettre expliquait que la liste « tenue manuellement »
était [traduction] « une liste de personnes dont le droit d’être membre d’une bande a été récemment confirmé et dont les noms ont été manuellement ajoutés à la liste de bande, mais ne figurant pas dans le registre informatique »
.
[14]
Le 12 novembre 1987, le chef Frank Peters a écrit au registraire par intérim pour confirmer que la PNP avait la responsabilité de l’appartenance à sa bande et a demandé que le nom de M. Peters soit enlevé de la liste « tenue manuellement »
. Il semble qu’AINC n’a jamais répondu à cette lettre.
[15]
En octobre 1996, Mme Minnie Peters a écrit à la PNP pour lui demander d’accepter M. Peters en tant que membre de la PNP. Il semble que la PNP n’a jamais répondu à cette demande.
[16]
Le 24 octobre 2012, M. Peters a été inclus dans une « demande collective »
d’adhésion à la PNP, ainsi qu’environ 60 autres personnes. Les défendeurs affirment que la PNP n’a pas jugé qu’il s’agissait d’une demande adéquate, mais qu’elle a tout de même demandé de plus amples renseignements de la part des demandeurs. En raison du fait que leur représentant n’a pas donné suite à cette demande, la PNP a présumé que la demande collective avait été abandonnée.
[17]
Le 11 mars 2016, M. Peters a soumis une autre demande d’adhésion à la bande. La PNP a rejeté la demande le 25 juillet 2016. La lettre du conseil de bande est rédigée comme suit :
[traduction]
Le conseil a examiné votre demande d’adhésion à la Première Nation Peters avec attention et a demandé un avis juridique. Après examen des registres, il semble que le ministère des Affaires indiennes ait placé votre nom sur la liste tenue manuellement aux termes du paragraphe 11(2) de la Loi sur les Indiens en 1987. En vue de l’adoption du code d’appartenance, la question de votre admission en tant que membre de la Première Nation Peters a été laissée à la discrétion de la Première Nation Peters. Par lettre datée du 12 novembre 1987, le chef Frank Peters a avisé le registraire par intérim du fait que votre nom devait être retiré de la liste créée aux termes du paragraphe 11(2) et, par conséquent, vous n’êtes pas devenu membre de la Première Nation Peters. Plusieurs autres personnes ont également été retirées à ce moment-là.
Malheureusement, nous sommes actuellement d’avis que vous n’avez pas le droit d’appartenir à la Première Nation Peters, ce que nos conseillers juridiques ont confirmé. Nous vous sommes reconnaissants de vouloir devenir membre de la Première Nation Peters.
[18]
Le 17 août 2016, M. Peters a interjeté appel. Le 12 octobre 2016, M. Peters a été informé par la PNP qu’elle examinait l’affaire et qu’elle devrait lui fournir de plus amples renseignements dans un avenir rapproché.
[19]
La partie V du Code d’appartenance stipule qu’une assemblée générale des électeurs doit avoir lieu dans les 60 jours de la réception d’un avis d’appel. À ce jour, aucun appel n’a été convoqué. Par conséquent, M. Peters demande un contrôle judiciaire de la décision du conseil de bande datée du 25 juillet 2016. La PNP déclare qu’elle souhaite encore tenir un scrutin à l’égard de l’appel de M. Peters.
B.
M. Brandon Lee Engstrom et Mme Amber Rachel Ragan
[20]
M. Engstrom est né le 11 décembre 1991. Son père, M. Robert Dwayne Peters, est membre de la PNP. Sa mère, Mme Sharon Engstrom, est membre de la Nation Heiltsuk.
[21]
M. Engstrom était anciennement dénommé Brandon Peters-Jackson. Il affirme que son nom figurait sur la liste de bande en 1996. Les défendeurs répondent que le document ne constitue pas une véritable liste de membres et que son origine est nébuleuse.
[22]
Mme Ragan est née le 23 octobre 1996. Son père, M. Robert Dwayne Peters, est membre de la PNP. Sa mère, Mme Corinna Ragan, n’a pas le statut d’Indienne. Mme Ragan a été inscrite au registre des Indiens à l’âge d’environ 14 ans. Ses parents croyaient qu’elle était inscrite comme membre de la PNP.
[23]
Le nom de Mme Ragan a été inclus dans la « demande collective »
présentée en octobre 2012, demande qui a subséquemment été présumée abandonnée par la PNP.
[24]
M. Engstrom et Mme Ragan ont présenté des demandes d’adhésion distinctes au PNP datées du 18 décembre 2015. Les deux demandes ont été rejetées le 25 juillet 2016. Les lettres du conseil de bande sont identiques et sont rédigées comme suit :
[traduction] Le conseil a examiné votre demande d’adhésion à la Première Nation Peters avec attention. Nous sommes d’avis, après avoir obtenu un avis juridique, qu’aux termes de notre Code d’appartenance actuel vous n’avez pas le droit de devenir membre. Toutefois, nous souhaitons vous aviser que nous proposerons des modifications au Code d’appartenance pouvant permettre un nouvel examen au cas où vous présenteriez une nouvelle demande lorsque le nouveau Code d’appartenance entrera en vigueur.
[25]
Mme Ragan a interjeté appel le 11 août 2016. M. Engstrom a interjeté appel le 23 août 2016. Le conseil de bande a convoqué une assemblée générale pour voter sur les deux appels le 6 novembre 2016. Les critères d’admissibilité à l’égard de l’appartenance à la PNP n’ont pas été discutés. La chef Norma Webb a questionné M. Engstrom et Mme Ragan sur la question de savoir s’ils avaient des casiers judiciaires, sur leurs antécédents de travail, sur les personnes à leur charge, sur les avantages qu’ils pourraient tirer de la PNP et sur la question de savoir s’ils ont l’intention de vivre sur une réserve. Les appels de M. Engstrom et de Mme Ragan ont été soumis au vote ensemble et ont été rejetés à une très faible majorité (19 à 18).
III.
Questions en litige
[26]
La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
Quelle est la norme de contrôle applicable?
Les décisions sont-elles susceptibles de contrôle judiciaire?
Les décisions étaient-elles raisonnables?
Les décisions étaient-elles équitables sur le plan de la procédure?
Quelles sont les mesures de réparation appropriées?
IV.
Analyse
A.
Quelle est la norme de contrôle applicable?
[27]
L’interprétation et l’application d’un code d’appartenance spécial sont susceptibles de révision par la Cour selon la norme du caractère raisonnable (Norris c. Première nation de Matsqui, 2012 CF 1469, au paragraphe 50 [Norris]). La Cour interviendra uniquement si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
[28]
Bien que les demandeurs allèguent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (citant Cameron c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 CF 579), ils affirment que cette norme n’est pas déterminante, car les décisions ne tiennent pas à l’égard des deux normes.
[29]
Les parties ne contestent pas que les questions d’équité procédurale sont assujetties à la norme de la décision correcte (Crawler c. Première Nation de Wesley, 2016 CF 385, au paragraphe 19).
B.
Les décisions sont-elles susceptibles de contrôle judiciaire?
[30]
Au cours de l’audience, la question de savoir quelles décisions font l’objet de la demande de contrôle judiciaire s’est posée. L’avis de demande déposé le 6 décembre 2016 vise les décisions qui suivent :
[traduction]
[...] trois décisions du conseil de bande de la Première Nation Peters (le conseil de bande) du 25 juillet 2016 rejetant chacune des demandes d’adhésion à la bande des demandeurs, qui ont finalement été jugées en appel le 6 novembre 2016 (les décisions).
[31]
Cela laisse croire que les trois décisions du conseil de bande datées du 25 juillet 2016 et les deux appels subséquents datés du 6 novembre 2016 sont tous concernés. En outre, l’avis de demande a été déposé dans les 30 jours des appels et non dans les 30 jours des décisions du conseil de bande. Les défendeurs ne contestent pas la demande de contrôle judiciaire au motif qu’elle a été déposée à l’extérieur des délais.
[32]
Aux termes d’une directive de la Cour datée du 27 mars 2018, les parties ont eu une autre occasion d’aborder la question des décisions assujetties au contrôle judiciaire et la question de savoir si ces décisions sont susceptibles de contrôle judiciaire. Les observations supplémentaires des parties ont été reçues le 6 avril 2018.
[33]
Les deux parties soutiennent que les deux appels datés du 6 novembre 2016 ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, car la PNP ne constitue pas un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Ils sont de cet avis malgré la jurisprudence établie par les décisions Lameman c. Gladue, [1995] ACF no 242 (QL) (CF), au paragraphe 5 et Cameron v Albrich, 2011 BCSC 549, au paragraphe 49. Ces deux décisions appuient la proposition voulant que l’exercice d’une obligation légale d’une bande de tenir une liste de bande, que ce soit aux termes de la Loi sur les Indiens ou de son propre droit coutumier, suppose que la bande agit comme un office fédéral aux fins de la Loi sur les Cours fédérales (voir, plus généralement, Horseman c. Première Nation de Horse Lake, 2013 CAF 159, aux paragraphes 4 à 6).
[34]
Les demandeurs allèguent plutôt que la Cour jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire d’examen des décisions du conseil de bande malgré les deux appels subséquents. Ils soulignent que les parties ont mené cette procédure en étant convaincues qu’elle vise les trois décisions du conseil de bande datées du 25 juillet 2016. Les demandeurs ont interjeté appel en espérant éviter les frais liés à un litige et pour éviter une objection préliminaire fondée sur la prématurité. La PNP a tenu un vote à l’égard de deux des trois appels et aucun autre motif n’a été fourni.
[35]
Les demandeurs citent aussi l’arrêt Poitras c. Bellegarde, 2011 CAF 317, au paragraphe 7, pour appuyer la proposition selon laquelle les appels ne peuvent pas tenir si le conseil de bande n’était pas compétent à l’égard du rejet de leurs demandes d’adhésion à la bande, car des votes subséquents des électeurs ne peuvent pas remédier à des décisions qui étaient illégales.
[36]
Les défendeurs allèguent que les décisions du conseil de bande datées du 25 juillet 2016 sont devenues théoriques en raison des appels subséquents. Les demandeurs se plaignent que le caractère théorique n’a pas été correctement soulevé dans le mémoire des faits et du droit des défendeurs. Le caractère théorique est mentionné aux paragraphes 44, 50 et 51 du mémoire des faits et du droit des défendeurs, mais seulement à l’égard de la décision de la PNP de retirer M. Peters de la liste de bande en 1987. La compétence de la Cour est contestée aux paragraphes 50 et 51, mais pas précisément au motif du caractère théorique.
[37]
La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger des questions hypothétiques ou abstraites et dans le cas où la décision de la cour n’aurait aucun effet pratique sur les parties. La question essentielle qu’il faut se poser est de savoir si un « litige actuel »
ayant, ou pouvant avoir, des conséquences sur les droits des parties existe (Borowski c. Canada (1989), 57 DLR (4th) 231, à la page 239 [Borowski]).
[38]
Le critère à deux volets du caractère théorique exige que la Cour décide : a) si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique; et b) si la réponse à la première question est affirmative, la Cour doit décider si elle doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire (Borowski, à la page 239). L’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour doit tenir compte des trois facteurs qui suivent : (i) l’existence d’un débat contradictoire entre les parties; (ii) le souci de l’économie des ressources judiciaires; et (iii) la considération de la fonction véritable de la Cour dans l’élaboration du droit (American Express Marketing & Development Corp. c. Black Card LLC, 2018 CF 362, au paragraphe 32).
[39]
Les demandeurs font valoir qu’un litige actuel existe sur la question de savoir s’ils ont le droit d’être membres de la PNP. À titre subsidiaire, ils demandent à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher l’affaire parce que le contexte contradictoire nécessaire continue d’exister; la question a été plaidée de manière approfondie; l’intérêt de l’économie des ressources judiciaires appuie une décision sur le fond; les questions sous-jacentes demeurent non résolues; et leur résolution aura un effet significatif sur les droits des parties. Les demandeurs affirment également qu’il serait contraire à l’ordre public de permettre au conseil de bande de soustraire ses décisions à l’égard de l’appartenance à la bande au contrôle judiciaire par le biais du processus d’appel prévu par le Code d’appartenance.
[40]
En supposant, sans trancher la question, que les appels ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire, pour les motifs énoncés par les demandeurs, je suis d’avis qu’il est dans l’intérêt de la justice de trancher la demande de contrôle judiciaire sur le fond. J’exercerai par conséquent mon pouvoir discrétionnaire pour le faire.
C.
Les décisions étaient-elles raisonnables?
i.
M. Guy Peters
[41]
Les défendeurs affirment que le nom de M. Peters ne figurait pas sur la liste de bande le 17 avril 1985 et qu’il était donc loisible à la PNP de subséquemment nier son appartenance à la bande. Ils soulignent que le statut d’Indien et l’appartenance à la PNP de M. Peters n’ont pas été confirmés par l’AINC avant le 21 août 1987.
[42]
M. Peters a soumis une demande d’inscription au registre des Indiens le 17 septembre 1985. Le 21 août 1987, le registraire par intérim d’AINC a fait parvenir une lettre à M. Peters énonçant ce qui suit :
[traduction]
[…] Je suis heureux de confirmer que vous êtes dorénavant inscrit au registre des Indiens tenu par le présent ministère conformément à l’alinéa 6(1)a) de la Loi sur les Indiens sous le nom de Guy Peters.
Vous êtes également inscrit en tant que membre de la bande Peters conformément à l’alinéa 11(1)a) de la Loi.
[43]
La lettre d’AINC au chef Frank Peters datée du 15 octobre 1987 confirmait que M. Peters était inscrit en tant que membre de la PNP. Le fait que le nom de M. Peters figurait seulement sur la liste « tenue manuellement »
n’est pas pertinent. En outre, il a acquis le droit d’appartenance avant que le Code d’appartenance entre en vigueur et il a par conséquent bénéficié de la protection accordée par le paragraphe 10(4) de la Loi sur les Indiens. Aux termes du projet de loi C-31, la PNP n’a pas le pouvoir de le déposséder du droit d’appartenir à la bande précédemment acquis. Il s’ensuit que le chef Frank Peter a agi sans en avoir le pouvoir lorsqu’il a entrepris de retirer M. Peters de la liste de bande en novembre 1987.
[44]
La tentative du chef Frank Peters de retirer le nom de M. Peters de la liste de bande en 1987 n’est pas assujettie à la présente demande de contrôle judiciaire. Toutefois, la déclaration de la décision du conseil de bande datée du 25 juillet 2016 énonçant que [traduction] « la question de [l’]admission de [M. Peters] en tant que membre de la Première Nation Peters a été laissée à la discrétion de la Première Nation Peters »
est manifestement erronée. L’omission du conseil de bande de reconnaître que M. Peters avait légalement le droit d’appartenir à la PNP par l’application du projet de loi C-31 rend sa décision déraisonnable.
ii.
M. Brandon Lee Engstrom et Mme Amber Rachel Ragan
[45]
Les demandeurs affirment que M. Engstrom et Mme Ragan satisfaisaient aux critères stipulés au Code d’appartenance et que le conseil de bande n’avait pas le pouvoir discrétionnaire de refuser leurs demandes. La partie III du Code d’appartenance énonce que la PNP est constituée de toutes les personnes qui figuraient sur la liste de bande le 17 avril 1985 ou qui sont les enfants naturels d’un parent dont le nom figure sur la liste de bande.
[46]
Les demandeurs font valoir que le conseil de bande n’était pas autorisé à tenir compte de facteurs qui ne sont pas énumérés au Code d’appartenance. À titre subsidiaire, ils allèguent que le conseil de bande a abusé de son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de facteurs non pertinents comme l’âge des demandeurs, la question de savoir s’ils avaient fourni le consentement écrit de leur mère et s’ils ont présenté leurs demandes en personne au bureau de la bande. Ils allèguent également que le conseil de bande a omis de tenir compte de facteurs pertinents comme l’âge des demandeurs au moment de leur première demande pour devenir membre de la PNP ou le moment où ils ont découvert qu’ils n’étaient pas déjà membres. Les demandeurs font valoir que le conseil de bande ne pouvait pas imposer des règles supplémentaires ayant pour effet d’entraver les objectifs du Code d’appartenance.
[47]
Les défendeurs répliquent que le critère d’appartenance prévu à la partie III du Code d’appartenance constitue seulement la première étape du processus. Le non-respect de ces critères disqualifie immédiatement un demandeur, mais leur respect ne lui donne pas nécessairement un droit d’appartenance. En outre, les défendeurs font valoir que les demandeurs pouvaient uniquement satisfaire l’exigence d’être un « enfant »
d’un membre de la PNP s’ils avaient moins de 17 ans. Selon les défendeurs, aucun des demandeurs n’avait moins de 17 ans au moment de présenter leurs demandes d’appartenance et, par conséquent, ils ne satisfaisaient pas au critère initial stipulé par le Code d’appartenance.
[48]
Les défendeurs s’appuient sur la décision Norris dans laquelle la Cour a confirmé l’interprétation d’une disposition comparable de son code d’appartenance par une bande comme comprenant seulement les personnes ayant moins de 18 ans. Dans la décision Norris, la Cour a conclu qu’il n’était pas déraisonnable qu’une bande exige qu’un demandeur démontre certains liens culturels avant d’être admissible à l’appartenance (au paragraphe 76).
[49]
En l’espèce, les défendeurs soulignent que la partie introductive du Code d’appartenance énonce ce qui suit :
[traduction] Nous, les peuples de la BANDE INDIENNE PETERS, afin que nos droits et libertés – droits inhérents, ancestraux ou autres – soient pleinement protégés, exercés et préservés en vue d’assurer justice et notre sécurité; le maintien des traditions et coutumes STALO; de promouvoir l’harmonie et le bien commun; par conséquent nous décrétons et établissons le présent CODE D’APPARTENANCE conformément à l’article 10 de la Loi sur les Indiens, dans sa version modifiée. […]
[50]
Les demandeurs font valoir que le code d’appartenance examiné dans la décision Norris est différent du Code d’appartenance de la PNP. Ils soulignent, par exemple, que le code d’appartenance examiné dans la décision Norris comprend une disposition explicite régissant l’âge d’un « enfant »
. Ils allèguent que les défendeurs utilisent la décision Norris pour justifier les décisions du conseil de bande de manière rétroactive. Selon les demandeurs, le Code d’appartenance doit être modifié conformément à la procédure prescrite si les défendeurs souhaitent introduire une restriction à l’égard de l’âge.
[51]
Le conseil de bande n’a donné aucune raison sérieuse à l’appui de ses décisions de rejeter les demandes d’adhésion des demandeurs. Les éléments de preuve présentés dans cette procédure appuient l’affirmation des demandeurs selon laquelle les diverses raisons subséquemment fournies par le conseil de bande ont été développées ex post facto. Le dossier ne comporte aucune indication confirmant que les décisions du conseil de bande, au moment où elles ont été rendues, étaient fondées sur l’âge des demandeurs, l’absence de consentement écrit de leurs mères ou le défaut de présenter leurs demandes en personne au bureau de la bande. Ces justifications ont été offertes au compte-gouttes longtemps après la communication des décisions aux demandeurs.
[52]
L’absence de motifs adéquats appuyant les décisions du conseil de bande les rend déraisonnables. Il ne s’agit pas d’une affaire pour laquelle le dossier permet à la Cour de « relier les points »
et de discerner les motifs pouvant avoir fondé les décisions (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paragraphes 15 à 18). Il semble que les demandes aient été sommairement rejetées et que les justifications possibles aient été concoctées seulement après que les demandeurs aient fait connaître leur intention de les porter en appel.
D.
Les décisions étaient-elles équitables sur le plan de la procédure?
[53]
Les demandeurs affirment que l’équité procédurale leur a été refusée en raison du fait que le conseil de bande :
(a) n’a pas respecté leur attente légitime selon laquelle leurs demandes ne seraient tranchées qu’en fonction des critères prescrits par le Code d’appartenance;
(b) les a privés d’une réelle occasion de connaître les motifs selon lesquels leurs demandes seraient en fait évaluées;
(c) a omis de les informer des lacunes de leurs demandes;
(d) a omis de leur fournir une décision dans les 30 jours de leurs demandes comme le stipule la partie IV du Code d’appartenance;
(e) a omis de leur fournir des motifs adéquats;
(f) a omis de convoquer un appel pour M. Peters;
(g) a fait une présentation erronée des critères d’appartenance;
(h) a fait des déclarations préjudiciables et non pertinentes au cours des appels.
[54]
Dans la décision Ermineskin c. Conseil de la bande d’Ermineskin (1995), 96 FTR 181 (1re inst.), le juge James Jerome énonce ce qui suit au paragraphe 11 :
[traduction] Tout en convenant que la Cour devrait hésiter à passer au peigne fin le processus décisionnel du Conseil de bande vu que cela met en cause les coutumes et les rites de la bande, cela ne signifie pas que le Conseil a carte blanche pour prendre des décisions sans tenir aucunement compte de l’équité en matière de procédure ni appliquer les règles et procédures qu’il a lui-même établies. Le conseil de bande ne peut pas exercer ses activités en vase clos. Le conseil doit à tout le moins exercer son pouvoir discrétionnaire de manière équitable et l’omission de le faire justifiera une intervention judiciaire dans les circonstances appropriées.
[55]
En l’espèce, on ne sait pas si les décisions du conseil de bande ont été rendues conformément au Code d’appartenance, en s’appuyant sur d’autres considérations, ou si elles se fondaient sur une combinaison des deux. Selon la décision Norris, le conseil de bande peut avoir une certaine latitude dans l’interprétation et l’application du Code d’appartenance. Toutefois, si le conseil de bande souhaite interpréter ou appliquer le Code d’appartenance d’une manière qui déroge au langage clair de ses dispositions, il doit alors indiquer aux demandeurs la façon dont leurs demandes seront décidées et leur donner une occasion raisonnable de préparer leurs demandes en conséquence. Des considérations semblables s’appliquent à l’appel d’une décision de rejeter une demande d’adhésion à la PNP.
[56]
Les demandeurs n’ont pas été informés des facteurs qui ont été examinés par le conseil de bande en rendant une décision sur leurs demandes. Je conclus par conséquent que les décisions du conseil de bande de rejeter les demandes d’adhésion à la PNP des demandeurs étaient injustes sur le plan de la procédure.
E.
Quelles sont les mesures de réparation appropriées?
[57]
Comme le juge Jerome l’a fait remarquer dans la décision Ermineskin, les tribunaux sont réticents à intervenir à l’égard des décisions des conseils de bande relativement aux questions qui sont au cœur de l’autonomie générale et gouvernementale d’une bande (Sandberg c. Conseil de bande de la Nation crie de Norway House, 2005 CF 656, au paragraphe 23; Shotclose c. Première Nation Stoney, 2011 CF 750, au paragraphe 58). Toutefois, ceci doit être pesé par rapport à l’obligation des gouvernements, qu’ils soient autochtones ou non autochtones, de respecter la règle de droit. Les personnes lésées doivent avoir un droit de faire valoir leurs droits devant une cour compétente et d’obtenir une réparation significative.
[58]
M. Peters est un membre de la PNP aux termes de la Loi sur les Indiens, dans sa version modifiée par le projet de loi C-31. Il a acquis le droit d’appartenir à la PNP par l’application de la loi. À la lumière de cette conclusion, il serait inutile de renvoyer sa demande d’adhésion au conseil de bande pour un nouvel examen. M. Peters a le droit d’être déclaré membre de la PNP.
[59]
Les décisions du conseil de bande relativement aux demandes d’adhésion présentées par M. Engstrom et Mme Ragan étaient déraisonnables et injustes sur le plan de la procédure. Toutefois, selon la décision Norris, la PNP peut avoir une certaine latitude dans l’interprétation et l’application de son Code d’appartenance. Il serait par conséquent inapproprié que la Cour prononce une déclaration relative à l’appartenance de M. Engstrom et de Mme Ragan à la PNP. Leurs demandes d’adhésion doivent être renvoyées devant le conseil de bande pour être à nouveau examinées conformément aux présents motifs de jugement.
[60]
Je n’exprime aucun avis sur la question de savoir si le Code d’appartenance doit être interprété et appliqué pour exclure des demandeurs qui a) sont âgés de plus de 17 ans; b) n’ont pas fourni le consentement écrit de l’un ou l’autre de leurs parents; c) n’ont pas rempli le formulaire prescrit ou ne l’ont pas remis en personne au bureau de la bande; ou d) ont omis de satisfaire d’autres critères qui ne sont pas explicitement compris dans le Code d’appartenance. Ces questions doivent être décidées par la PNP de manière raisonnable dans le cadre d’un processus équitable. Le rejet d’une demande d’adhésion est assujetti à un appel aux termes de la partie V du Code d’appartenance ou à une demande de contrôle judiciaire devant la Cour.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
Guy Peters est déclaré membre de la Première Nation Peters.
Les décisions du conseil de bande de la Première Nation Peters de rejeter les demandes d’adhésion de Brandon Lee Engstrom et de Amber Rachel Ragan sont annulées et les affaires sont renvoyées devant le conseil de bande pour un nouvel examen conformément aux motifs de jugement de la Cour.
Un mémoire de dépens est accordé aux demandeurs selon la limite supérieure de la colonne III du tarif B.
« Simon Fothergill »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-2107-16
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INTITULÉ :
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GUY PETERS, BRANDON LEE ENGSTROM ET AMBER RACHEL RAGAN c. CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS, NORMA WEBB EN SA QUALITÉ DE CHEF DE LA PREMIÈRE NATION PETERS, LEANNE PETERS EN SA QUALITÉ DE CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS et VICTORIA PETERS EN SA QUALITÉ DE CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver (Colombie-Britannique)
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DATES DE L’AUDIENCE :
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Les 14 et 15 mars 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE FOTHERGILL
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DATE DES MOTIFS :
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Le 25 mai 2018
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COMPARUTIONS :
Karey Brooks
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Pour les demandeurs
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Stanley H. Ashcroft
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Pour les défendeurs
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
JFK Law Corporation
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour les demandeurs
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Ashcroft & Company
Avocats
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour les défendeurs
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