Date : 20180522
Dossier : T-788-17
Référence : 2018 CF 529
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 22 mai 2018
En présence de monsieur le juge Brown
ENTRE :
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WILLIAM A. JOHNSON
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demandeur
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et
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LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL,
représenté par Larry Motiuk, commissaire adjoint du Service correctionnel du Canada, secteur des politiques
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’instance
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du commissaire adjoint, secteur des politiques [le commissaire] du Service correctionnel du Canada [SCC], rendue le 8 décembre 2016. Dans cette décision, le président a rejeté le grief du demandeur déposé relativement à deux décisions rendues par le SCC : 1) le refus d’émettre des chèques au nom des détenus fédéraux pour acquitter les droits de dépôt de la Cour fédérale; 2) l’exigence du SCC voulant que les détenus paient les frais de 7 $ imposés par les banques pour les mandats que les détenus doivent maintenant utiliser au lieu des chèques pour acquitter les droits de dépôt de la Cour fédérale.
[2]
Le demandeur sollicite un bref de certiorari annulant la décision du commissaire, une déclaration selon laquelle la décision de restreindre l’accès aux chèques ou aux mandats contrevient aux alinéas 4c) et 4d) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 [LSCMLC] et à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [Charte], ainsi qu’un bref de mandamus en vue de lui permettre d’obtenir un chèque ou un mandat, au besoin.
II.
Faits
[3]
En décembre 2013, le demandeur, un délinquant sous responsabilité fédérale âgé de 58 ans qui purge une peine d’une durée indéterminée à titre de délinquant dangereux à l’établissement Warkworth [EW], a présenté une demande au SCC pour obtenir un chèque certifié ou un mandat afin d’acquitter certains droits de dépôt de la Cour fédérale du Canada.
[4]
Quelques jours plus tard, sa demande a été rejetée, accompagnée de la note [TRADUCTION] « nous ne sommes plus en mesure de fournir des chèques certifiés ou des mandats. »
[5]
En juillet 2014, le demandeur a déposé une plainte concernant le refus du SCC de faire droit à sa demande de chèque ou de mandat [la première plainte]. Dans le grief, le demandeur a mentionné que le SCC avait changé ses pratiques en matière de chèques ou de mandats sans consulter les détenus, ce qui constitue une violation présumée de l’article 74 de la LSCMLC. En fait, l’article 74 ne parle pas de [TRADUCTION] « consultation »
, mais reconnaît l’obligation de permettre aux détenus [TRADUCTION] « de participer aux décisions »
qui les concernent.
[6]
L’article 57.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, exige que les droits de dépôt occasionnés par les procédures devant la Cour fédérale soient versés au receveur général [le receveur général]. Le grief du demandeur découlait du fait que les mandats sont désormais la seule option de paiement offerte aux détenus (qui sont dans l’incapacité de se rendre au greffe et d’utiliser des espèces) qui doivent acquitter les droits de dépôt de la Cour fédérale.
[7]
Il n’est pas contesté que les banques imposent actuellement des frais de 7 $ pour les mandats. Le demandeur affirme que les frais de mandat de 7 $ sont importants pour les détenus qui ne gagnent pas plus de 5,25 $ par jour. Le demandeur a demandé que le SCC [TRADUCTION] « conserve le processus de chèques simple, non onéreux et efficace »
et lui rembourse les frais bancaires de 7 $ qu’il a déboursés pour son mandat. Auparavant, le SCC émettait des chèques manuscrits.
[8]
En août 2014, le chef du service des finances du SCC a rejeté la première plainte du demandeur [le premier rejet] :
[traduction]
« En décembre, nous n’étions pas en mesure d’acheter un mandat auprès de la banque ou du bureau de poste. Depuis, notre politique a changé et nous pouvons maintenant acheter des mandats avec l’argent de la petite caisse. De plus, depuis décembre [2013], nous n’émettons plus de chèques manuscrits ou de chèques de compte bancaire ministériel. Auparavant, nous utilisions ces chèques pour payer le receveur général (Cour fédérale). Étant donné que nous ne pouvons pas émettre ces types de chèques, la seule option serait d’émettre des chèques réguliers par l’intermédiaire de Travaux publics, ce qui signifierait que le receveur général serait traité comme un fournisseur. Nous ne pouvons cependant pas traiter le receveur général comme fournisseur; ce serait comme si le receveur général se payait lui-même. Le système ne le permettra pas. Toutes les demandes de paiement à la Cour fédérale doivent être effectuées au moyen d’un mandat et, malheureusement, des frais de 7 $ sont imposés. Nous regrettons de ne pas pouvoir appliquer la mesure corrective que vous demandez. Nous ne pouvons pas préparer un chèque pour ce type de paiement, et nous ne pouvons pas vous rembourser le montant de 7 $. »
[9]
En réponse au premier rejet, le demandeur a déposé un grief auprès de la direction de l’établissement [le grief au premier palier] :
[traduction]
« La réponse ne remédie pas à l’injustice et à l’extorsion d’argent aux détenus. SSC réduit notre salaire et prend notre argent en otage en exerçant un contrôle total sur la rémunération des détenus. Étant donné que le SCC prend en charge l’argent des détenus, remettez-moi un chèque comme je vous le demande ou fournissez aux détenus leurs propres comptes bancaires afin d’éviter cette extorsion d’argent. Les détenus sont les gens les plus vulnérables et les plus pauvres en termes de salaires et d’isolement. »
[10]
La direction de l’établissement a rejeté le grief au premier palier :
[traduction]
« Le receveur général ne peut être établi comme fournisseur; par conséquent, les paiements à la Cour doivent être effectués au moyen d’un mandat. Les frais de mandat sont de 7 $ qu’il incombe au contrevenant de payer en remplissant le formulaire 532. Le SCC n’émet plus de chèques manuscrits ou de chèques de compte bancaire ministériel. Les mandats doivent donc être utilisés et des frais s’y appliquent. Les détenus ne peuvent pas ouvrir leur propre compte bancaire et faire des chèques pour payer ces articles.
Compte tenu de tous les renseignements disponibles, votre grief est rejeté. »
[11]
Le 10 octobre 2014, le demandeur a déposé un grief final [le grief au dernier palier], soutenant ce qui suit :
[traduction]
« La réponse de la direction de l’établissement ne tient pas compte du droit cité et des arguments fournis quant à la volte-face du SCC.
Les observations sont réitérées et des mesures correctives, demandées.
Autre question : la direction de l’établissement a enfreint la politique sur les directives du commissaire (DC) quant aux délais et n’a pas fourni d’avis de prorogation de délai. Ces violations persistantes sont approuvées par l’administration centrale, en refusant de prendre des mesures correctives pour faire cesser les abus de pouvoir à tous les niveaux.
De laisser entendre que le SCC peut verser au receveur général l’argent que doivent les détenus, sans frais, au moyen de mandats, ou qu’il peut payer ainsi tout autre achat, tout en décidant d’extorquer davantage d’argent aux détenus qui tentent d’avoir accès aux tribunaux pour dénoncer les gestes illégaux du SCC, est une forme d’intimidation et d’entrave qui ne sert qu’à décourager les détenus souhaitant obtenir justice auprès des tribunaux. »
[12]
En décembre 2014, le demandeur a déposé d’autres observations :
[traduction]
« Ci-joint, une copie de ma demande et de mon formulaire 532 (Demande du détenu pour charger/débourser des fonds), datés du 12 novembre 2014. Cette demande de mandat concernait des besoins familiaux.
Tout d’abord, on m’a dit qu’aucun mandat ne pouvait être mis à ma disposition. Seuls les chèques réguliers étaient disponibles.
Puis, on m’a dit qu’aucun mandat ne pouvait être mis à ma disposition. Seulement des chèques réguliers.
On me dit maintenant que je ne peux pas obtenir de mandats. Je ne peux que recevoir des chèques réguliers. Les mandats sont réservés à l’usage exclusif du procureur général.
C’est une autre preuve de violation du droit en vue d’extorquer de l’argent aux détenus qui tentent d’avoir accès aux cours fédérales pour obtenir justice. »
[13]
Le grief au dernier palier a été rejeté. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.
III.
Décision
[14]
La décision rejetant le grief au dernier palier de la procédure de grief a été rendue le 8 décembre 2016, et mentionnait ce qui suit :
[traduction]
« Dans votre plainte et votre premier grief, vous déclariez devoir effectuer une dépense supplémentaire de 7 $ pour acquitter les droits de dépôt de la Cour. Vous avez soutenu que votre demande initiale visant à obtenir un chèque certifié ou un mandat avait été rejetée, mais que vous avez par la suite été informé que vous pouviez demander un mandat de la banque; des frais supplémentaires de 7 $ s’appliquaient toutefois. Vous prétendez qu’il s’agissait d’une entrave à la justice, parce que le montant de 7 $ dépasse le salaire gagné par les délinquants en une (1) journée. Vous vous êtes également rappelé que précédemment, les chèques et les mandats pouvaient être tirés du compte de l’établissement qui n’imposait pas de frais supplémentaires.
Dans les réponses à la première plainte et au premier grief, on vous a expliqué que le receveur général du Canada n’acceptait plus les chèques de compte bancaire ministériel, ne laissant d’autre choix à l’établissement que d’émettre des chèques par l’intermédiaire de Travaux publics, ce qui ferait en sorte que le receveur général se paierait lui-même. Il était donc nécessaire de mettre en place un nouveau procédé de traitement des frais. Il a été déterminé qu’un mandat était un mode de paiement acceptable; des frais de 7 $ imposés par la banque s’appliquaient toutefois.
Vous ajoutez enfin que vous maintenez votre position selon laquelle les frais sont déraisonnables et les contrevenants ne devraient pas être tenus de payer un montant supplémentaire de 7 $ en frais bancaire pour obtenir un mandat. Vous avez également produit tardivement une annexe dans laquelle vous contestiez le fait que lorsque vous avez ultérieurement tenté d’envoyer un mandat à votre famille, vous avez plutôt été autorisé à envoyer un chèque.
Dans les observations à l’appui de votre grief final, vous soutenez que le fait d’imposer des frais de mandat aux délinquants restreint sensiblement leur accès au système judiciaire. [...]
Veuillez noter que, quel que soit votre statut social (détenu ou personne libre de circuler dans la collectivité), l’obtention d’un mandat s’accompagne de frais. Comme délinquant, le fait de payer des frais de mandat ne restreint en rien votre accès au système judiciaire, puisque vous devez vous conformer au même processus que les autres.
[…] le [Règlement] garantit un accès raisonnable à un avocat et aux textes juridiques, et rien n’indique que les frais associés à vos procédures judiciaires doivent être subventionnés par le Service.
De plus, la directive du commissaire no DC 860 « Argent des délinquants », indique au paragraphe 24 que les détenus sont responsables des frais de traitement supplémentaires pour toute somme provenant de sources extérieures; en l’espèce, ces frais sont imposés par la banque aux fins de traitement du mandat :
Les détenus seront responsables des frais de traitement supplémentaires pour toute somme provenant de sources extérieures.
Puisqu’il est raisonnable que vous, et non le Service, payiez les frais de traitement du mandat que vous exigez, et puisque rien n’indique que cette exigence crée pour vous une contrainte excessive ou vous empêche d’avoir accès au système judiciaire, cette partie de votre grief est rejetée.
En ce qui concerne la préoccupation que vous avez soulevée dans votre annexe selon laquelle vous êtes en mesure d’envoyer un chèque à votre famille plutôt qu’un mandat, comme je l’ai expliqué précédemment, les chèques libellés à l’ordre des tribunaux ne sont pas autorisés, puisque cela ferait en sorte que le receveur général se paierait lui-même. Cette situation est différente de l’envoi d’un chèque à votre famille. Comme on ne vous a pas expliqué ces différences, cette partie de votre grief ne requiert aucune autre mesure. »
[Souligné dans l’original.]
IV.
Questions en litige
[15]
À mon avis, les questions suivantes se posent en l’espèce :
1) En refusant de fournir un chèque ou un mandat sans frais comme il l’avait déjà fait, le SCC a-t-il contrevenu aux alinéas 4c) et d) de la LSCLMC et à l’article 7 de la Charte?
2) En rejetant la plainte, le grief au premier palier et le grief au dernier palier de la procédure de grief, le SCC a-t-il refusé au demandeur le droit d’obtenir un chèque ou un mandat, a-t-il omis d’examiner les violations de la loi alléguées par le demandeur et a-t-il agi de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte du fait qu’aucune règle de droit n’empêche le receveur général d’émettre un chèque à l’ordre du receveur général, faisant en sorte que les conclusions tirées par le SCC sont dénuées de fondement rationnel ou sont non justifiées en droit?
3) Le refus du SCC d’examiner les manquements procéduraux allégués en contravention du paragraphe 74(1) de la LSCLMC constitue-t-il une autre violation des droits du demandeur?
[16]
La question sous-jacente à trancher est de savoir si la décision du commissaire de refuser l’utilisation de chèques pour acquitter les droits de dépôt de la Cour fédérale est raisonnable. Une autre question concerne le délai de plus de deux ans et un mois entre le dépôt du grief au dernier palier de la procédure de grief et la décision rejetant ce grief, qui, comme le fait valoir le demandeur, est une question d’équité procédurale.
V.
Norme de contrôle
[17]
Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier »
. La norme de la décision raisonnable est la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions mixtes de fait et de droit tirées dans le contexte de la procédure de règlement des griefs des délinquants du SCC, et une grande retenue à l’égard du SCC doit être démontrée par la Cour en raison de l’expertise du SCC dans la gestion des détenus et des établissements : Leone c. Canada (Procureur général), 2018 CF 54 [Leone], le juge Manson, au paragraphe 19.
[18]
Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :
La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[19]
La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses].
[20]
Les questions d’équité procédurale, y compris celles qui sont soulevées dans le contexte de la procédure de règlement des griefs des délinquants du SCC, sont examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; et Leone, au paragraphe 19).
[21]
Au paragraphe 50 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision correcte :
La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.
VI.
Analyse
[22]
Le premier problème est que les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si la décision du commissaire était viciée, parce qu’en outre, il aurait fallu aborder la décision de ne pas émettre de mandats pour payer les destinataires autres que le receveur général, par exemple pour les paiements pour besoins familiaux. Même s’il existait des éléments de preuve au dossier en ce sens, la question n’a pas été directement soulevée par le demandeur dans ses observations supplémentaires et finales.
[23]
À mon humble avis, l’élément essentiel du litige que je dois trancher est le fait que le receveur général avait décidé que les établissements fédéraux ne pouvaient pas émettre de chèques à la fois payables par le receveur général et tirés à l’ordre de ce dernier. Il ne s’agit pas d’une décision ni d’une politique du commissaire, mais plutôt d’une décision du receveur général.
[24]
Cela m’amène à conclure que le commissaire a agi raisonnablement en mettant fin à la pratique antérieure d’émettre des chèques servant à acquitter les droits de dépôt de la Cour fédérale. En fait, cela semble la seule réponse raisonnable que le commissaire aurait pu donner à l’égard du changement de pratique apparemment exigé par le receveur général. Les conséquences découlant de la décision dont se plaint le demandeur échappent au contrôle du commissaire et ne résultent pas non plus de ses actions. Je ne puis voir en quoi la Cour peut ordonner le contrôle judiciaire d’une décision lorsque le décideur n’a pas fait en sorte que la décision en cause soit susceptible de contrôle.
[25]
Je souligne que le demandeur ne conteste pas le changement de politique du receveur général. Le receveur général n’est pas partie à la présente instance.
[26]
Je remarque également que le demandeur est toujours en mesure d’avoir recours aux « chèques réguliers »
qui n’occasionnent aucuns frais supplémentaires, pour des opérations qui ne lient pas le receveur général, comme les paiements pour les besoins de sa famille. De plus, le demandeur ne conteste pas l’article 57.1 de la Loi sur les Cours fédérales qui dispose que les frais occasionnés par les procédures devant la Cour fédérale sont payables au receveur général.
[27]
Je reconnais que le SCC est guidé par le principe voulant que les délinquants aient, entre autres, certains droits, y compris les droits énoncés à l’alinéa 4d) invoqués par le demandeur :
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Je ne suis pas convaincu que le commissaire contrevienne à l’alinéa 4d) de la LSCLMC en exigeant du demandeur qu’il paie les frais requis par la banque pour l’émission d’un mandat. Tous les membres de la société qui ont recours aux services des banques doivent acquitter les frais bancaires applicables; le demandeur est traité de la même façon qu’un autre membre de la société à qui l’on exige de payer des frais bancaires de 7 $. Le fait que le demandeur ne puisse pas se rendre à un greffe et acquitter les frais en espèces est une conséquence de sa peine d’emprisonnement.
[29]
Je reconnais que les frais bancaires de 7 $ sont importants pour un détenu qui gagne 5,25 $ par jour, mais la capacité limitée de gagner un revenu est également une conséquence de la peine d’emprisonnement.
[30]
À cet égard, il est aussi utile de mentionner, comme l’indique la décision du commissaire, que selon la directive du commissaire no DC 860 « Argent des délinquants »
: « Les détenus seront responsables des frais de traitement supplémentaires pour toute somme provenant de sources extérieures. »
À mon humble avis, cette directive justifie et confirme la décision du commissaire d’exiger le remboursement des frais bancaires pour le service que la banque dispense en émettant un mandat. La décision est conforme à la directive. Également, comme le souligne le défendeur, le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 ne comporte aucune exigence voulant que le défendeur couvre les frais associés aux procédures judiciaires d’un détenu ou subventionne de telles procédures.
[31]
Enfin, le demandeur affirme que le commissaire a manqué à son obligation [TRADUCTION] « de permettre aux détenus de participer aux décisions »
qui les concernent, tel qu’il est énoncé à l’article 74 de la LSCLMC :
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[32]
Il s’agit d’un argument dénué de fondement. Comme je l’ai déjà souligné, les décisions pertinentes en l’espèce n’ont pas été rendues par le commissaire, mais plutôt par suite des politiques du receveur général. Par conséquent, l’article 74 de la LSCLMC ne s’applique pas.
[33]
Ce qui précède traite du caractère raisonnable des décisions rendues en l’espèce.
[34]
En ce qui concerne les délais, il y a eu un délai de plus de deux ans et un mois entre le dépôt du grief au dernier palier de la procédure de grief et la décision de la Commission. Au départ, le demandeur était régulièrement informé de l’évolution du dossier, mais il ne l’était plus dans les dix mois précédant la décision du commissaire.
[35]
Une décision relative aux délais excessifs contrevenant à un manquement à l’équité procédurale exigerait que l’on procède à une analyse factuelle. Le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve à ce sujet, à l’exception du temps passé à répondre à ses arguments. Je ne suis pas convaincu que le retard en l’espèce ait contrevenu à l’obligation d’équité procédurale à laquelle le demandeur était en droit de s’attendre selon la norme de la décision correcte, ni qu’il s’agissait d’un abus de pouvoir ou d’un retard selon le dossier dont la Cour est saisie.
[36]
Le demandeur a formulé un certain nombre d’allégations supplémentaires non fondées :
- le changement a pour but de [TRADUCTION]
« punir et décourager le demandeur d’obtenir justice face aux actes illégaux du défendeur »
;- le changement violait l’article 7 de la Charte;
- le fait d’exposer ses condamnations sur la feuille de couverture du document présenté au commissaire n’a servi à rien, sauf de faire preuve de partialité à son endroit;
- subsidiairement, une crainte raisonnable de partialité a été établie par les décideurs du SCC qui font abstraction, de façon sélective, de certains documents, ce qui selon le demandeur prouve que le SCC agit sans aucune justification légale;
- le changement constitue une entrave à la justice, en violation du paragraphe 139(2) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46;
- le changement est injuste et constitue de l’extorsion d’argent aux détenus;
- le SCC a utilisé l’intimidation et a entravé l’accès à la justice;
- le SCC extorque de l’argent aux détenus qui tentent d’avoir accès aux cours fédérales pour obtenir justice.
[37]
Enfin, le demandeur a présenté à la Cour un assez long affidavit à l’appui de sa demande. À l’audience, j’ai informé le demandeur, qui se représentait lui-même, que cet élément de preuve n’était généralement pas admissible, sous réserve d’exceptions limitées, et que le contrôle judiciaire se limite généralement au dossier de preuve dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 19). L’audience s’est poursuivie sur le fondement du dossier certifié du tribunal seulement.
VII.
Conclusion
[38]
À mon avis, considérée comme un tout, la décision du commissaire appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard du droit et du dossier, comme l’a exigé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir. Il n’y a aucun fondement à l’allégation du demandeur au sujet de l’inéquité procédurale ni aux autres observations qu’il a formulées. Le demandeur a réclamé des dépens de 500 $; le défendeur n’a pas demandé de dépens. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée sans frais.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-788-17
LA COUR rejette la présente demande, sans dépens.
« Henry S. Brown »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-788-17
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INTITULÉ :
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WILLIAM A. JOHNSON c. LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL, représenté par Larry Motiuk, commissaire adjoint du Service correctionnel du Canada, secteur des politiques
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 9 mai 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS
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Le juge BROWN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 22 mai 2018
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COMPARUTIONS :
William A. Johnson
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Pour le demandeur
(POUR SON PROPRE COMPTE)
|
Eric Peterson
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
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