Date : 20180517
Dossier : IMM-4475-17
Référence : 2018 CF 515
Montréal (Québec), le 17 mai 2018
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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LILIANE UWASE
ET
CYNTHIA UGIRUMURERA
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demanderesses
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS ET JUGEMENT :
I.
Aperçu
[1]
La demande pour motifs d’ordre humanitaire ne vise pas à interjeter appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) (Yapa Mudiyansele c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 928, paragraphe 30 [Yapa]).
II.
Nature de l’instance
[2]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) de la décision d’une agente d’immigration supérieure (l’agente) du Bureau de réduction de l’arriéré de Montréal, datée du 29 septembre 2017 (la décision), qui a rejeté la demande de résidence permanente au Canada des demanderesses pour des considérations d’ordre humanitaire (CH).
III.
Faits
[3]
Les demanderesses, Liliane Uwase et Cynthia Ugirumurera, affirment être des sœurs, des citoyennes du Rwanda et des Tutsies.
[4]
Le 28 juillet 2013, les demanderesses sont arrivées au Canada et ont demandé l’asile. Elles ont été arrêtées et détenues à leur arrivée en raison de doutes quant à leur identité.
[5]
Le 23 octobre 2013, la SPR de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile pour des motifs de crédibilité et d’identité. Cette décision n’a pas été contestée devant cette Cour.
[6]
Le 27 décembre 2013, les demanderesses ont été libérées sous conditions.
[7]
Le 30 décembre 2014, les demanderesses ont déposé une demande d’examen des risques avant renvoi qui a été rejetée le 3 octobre 2016. Le 6 avril 2017, leur demande d’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision a été rejetée.
[8]
Le 28 avril 2015, les demanderesses ont obtenu un permis de travail venant à échéance en 2015. Elles ont ensuite pu renouveler leurs permis de travail jusqu’en 2017.
[9]
Le 22 juillet 2015, les demanderesses ont présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Celle-ci a été refusée le 3 octobre 2016. Bien que les demanderesses aient demandé le contrôle judiciaire de la décision, la demande a été abandonnée pour le motif qu’elle serait examinée de nouveau par un autre agent des visas.
[10]
Avec le consentement du ministre, les demanderesses ont fourni des mises à jour et des observations supplémentaires concernant leur demande pour motifs d’ordre humanitaire.
IV.
Décision contestée
[11]
Le 29 septembre 2017, l’agente a fait parvenir la décision aux deux demanderesses par une lettre, indiquant que leur demande avait été rejetée. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. L’évaluation des considérations d’ordre humanitaire est rédigée en français et s’applique à Mmes Liliane Uwase (Liliane) et Cynthia Ugirumurera (Cynthia), les deux demanderesses ayant conjointement déposé leurs observations.
[12]
L’agente a conclu que les demanderesses n’étaient pas admissibles à l’exemption des exigences législatives qui permettrait que leur demande de résidence permanente soit traitée à partir du Canada. Pour appuyer leurs allégations, les demanderesses ont principalement présenté de la preuve alléguée de leur identité, de leur établissement au Canada et fait état des conditions difficiles au Rwanda.
A.
Identité des demanderesses
[13]
L’agente a accordé une importance appréciable à l’évaluation effectuée par la SPR quant à l’identité des demanderesses. Dans le cadre de leur demande d’asile de 2013, les demanderesses ont eu l’occasion de répondre aux préoccupations soulevées lors de l’audience; l’agente a toutefois observé que les demanderesses n’ont pu établir leur identité et leur nationalité, selon la prépondérance des probabilités. À l’appui de leur demande pour motifs d’ordre humanitaire, les demanderesses ont soumis des éléments de preuve supplémentaires pour établir leur identité : le formulaire de renseignements personnels (FRP) de leur sœur Beathe datant de 2011, une copie des certificats de naissance et de mort de leur mère, ainsi qu’une copie des mandats d’arrêt émis à leur endroit au Rwanda. Après avoir pris ces documents en considération, l’agente a déterminé qu’ils ne suffisaient pas à établir l’identité des demanderesses en raison de doutes quant à l’authenticité des certificats de naissance et de mort de leur mère, ainsi que des mandats d’arrêt.
[14]
L’agente a tiré une conclusion défavorable supplémentaire à l’égard de la situation familiale des demanderesses. Elle a indiqué que les demanderesses ont été arrêtées à leur arrivée au Canada et détenues pendant cinq mois pour des motifs d’identité. Elle a également tenu compte de l’avis d’intervention du ministre de la sécurité publique envoyé à la SPR en 2013, et notamment du fait que les demanderesses ont fourni des dates de naissance erronées et ont omis de déclarer des membres de leur famille. Elles ont aussi voyagé au Royaume-Uni, mais ont rejeté les éléments de preuve en la matière lorsqu’elles ont été interrogées à ce sujet. L’agente a déterminé que les renseignements obtenus par l’Agence des services frontaliers du Canada étaient fiables et vérifiables, parce qu’elles dérivaient d’une comparaison entre des empreintes digitales et des photographies. L’agente a conclu que les demanderesses ne se sont pas acquittées du fardeau de prouver leur identité.
B.
Degré d’établissement au Canada
[15]
L’agente a pris acte du fait que les demanderesses sont arrivées au Canada en juillet 2013, et qu’elles y résident depuis leur libération en décembre 2013. Elle a tenu compte de la participation des demanderesses à la communauté, ainsi que de leurs relations amicales et familiales sur une période de quatre ans. Bien que ces aspects soient louables, l’agente a constaté qu’il n’était pas inhabituel pour les demanderesses de créer des liens au sein de leur communauté et d’avoir une bonne conduite au Canada. L’agente a également observé qu’il n’était pas inhabituel pour les demanderesses de chercher de l’emploi après l’obtention de leur permis de travail, survenue en l’espèce le 28 avril 2015. Bien que l’intégration au marché du travail constitue un élément positif, l’agente a observé que cette intégration restait relativement récente, compte tenu du fait que les demanderesses ont seulement obtenu un emploi en 2015. Dans le même ordre d’idées, l’agente a noté que Liliane et Cynthia ne sont plus en possession de permis de travail valides depuis janvier et août 2017, respectivement. Jusqu’à ce jour, les demanderesses n’ont fourni aucune explication quant à la raison pour laquelle elles n’ont pas renouvelé ces permis de travail.
[16]
Dans leur ensemble, les éléments de preuve n’ont pas permis de démontrer que, dans la situation des demanderesses, une rupture temporaire des liens entre elles et la communauté leur causerait des difficultés déraisonnables advenant le refus de leur demande pour motifs d’ordre humanitaire. L’agente a considéré comme bref un établissement de quatre ans au Canada, compte tenu du fait que les demanderesses ont vécu à l’extérieur du Canada la majeure partie de leur vie. Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve soumis par les demanderesses, l’agente n’a pas accordé de poids à leur degré d’établissement au Canada, puisqu’il ne justifiait pas une exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR dans les circonstances.
C.
Conditions défavorables au Rwanda
[17]
Les demanderesses allèguent qu’elles feraient l’objet de persécutions si elles devaient retourner au Rwanda, ces persécutions prenant la forme de harcèlement de la part des autorités rwandaises en raison de leur lien avec leur oncle allégué, le général Kayumba Nyamwasa Faustin. L’agente a déterminé que ces allégations quant au risque que les demanderesses soient ciblées en lien avec le général Faustin ont fait l’objet d’un examen et ont été rejetées par la SPR. De plus, ce ciblage a déjà été évalué, celui-ci étant à l’essence du récit initial des membres de la famille des demanderesses et constituant le contexte des dossiers examinés et rejetés par la SPR. Ces allégations, il convient de mentionner, étaient particulièrement importantes dans la demande d’asile de Beathe de 2011. L’agente n’a pas été convaincue de la parenté des demanderesses avec Kayumba Nyamwasa Faustin, celles-ci n’ayant pas fourni d’éléments de preuve suffisants à ce chapitre.
[18]
Les demanderesses allèguent également qu’elles ne pourraient recevoir de soutien de leur famille advenant un renvoi du Canada. L’agente n’a également pas été convaincue que les demanderesses ont été en mesure d’établir leur situation familiale, principalement en raison des questions quant à leur identité et à leur crédibilité. À titre d’exemple, les demanderesses ont indiqué ne pas être au courant des déplacements de leur frère Remy Zitoni, malgré le fait qu’elles aient présenté une lettre datée du 12 juin 2014, signé par un certain Zitoni, Remy. L’agente n’a accordé aucun poids à la lettre en question et a conclu qu’elle constituait un élément de preuve intéressé.
[19]
L’agente a tenu compte de la situation générale au Rwanda, en particulier les questions du harcèlement sexuel, de la discrimination selon le sexe et de la pauvreté. L’agente a reconnu que les conditions au Rwanda ne sont pas idéales, ces enjeux touchant la majorité de la population rwandaise. Par conséquent, elle a déterminé que les demanderesses n’ont pu démontrer la manière dont la situation au Rwanda pourrait avoir des répercussions sur elles les empêchant de présenter leur demande pour motifs d’ordre humanitaire de l’extérieur du Canada.
[20]
L’agente a conclu que les conditions défavorables dans le pays d’origine constituent des facteurs dont il faut tenir compte, mais que ceux-ci ne l’emportaient pas sur tous les autres facteurs. Dans le cas des demanderesses, l’agente n’a pas accordé un poids considérable à ce facteur pour les raisons susmentionnées.
D.
Problèmes de santé mentale de Cynthia
[21]
La demanderesse Cynthia a présenté des éléments de preuve indiquant qu’elle recevait un traitement pour un trouble dépressif. À la lumière de tous les renseignements au dossier, l’agente a finalement accordé un certain poids à la lettre datée du 6 décembre 2016 rédigée par le psychiatre de Cynthia. Toutefois, l’agente a conclu que les renseignements sur les traitements du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) au Rwanda, fournis par la demanderesse, n’étaient pas pertinents pour établir que Cynthia pourrait subir des difficultés à son retour au Rwanda en raison du manque de possibilités de traitement.
E.
Conclusion et pondération des facteurs
[22]
Après avoir examiné les prétentions des demanderesses ainsi que l’ensemble de la preuve et des renseignements au dossier, l’agente a refusé leur demande pour motifs d’ordre humanitaire. Elle n’était pas convaincue que les facteurs étaient suffisants pour justifier l’octroi de la résidence permanente au Canada, conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR.
V.
Questions en litige
[23]
Les demanderesses soulèvent les questions suivantes :
L’agente a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable quant à l’identité des demanderesses?
L’agente a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la santé mentale de Cynthia?
L’évaluation de l’agente des conditions défavorables au Rwanda était-elle déraisonnable?
L’agente a-t-elle appliqué un critère juridique erroné dans l’évaluation de la demande pour motifs d’ordre humanitaire des demanderesses?
VI.
Norme de contrôle
[24]
Les décisions d’un agent d’IRCC concernant les demandes de résidence permanente en vertu de considérations d’ordre humanitaire comportent des questions de droit et de fait, et sont susceptibles de révision aux termes de la norme de la décision raisonnable (Basaki c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 166, au paragraphe 18).
[25]
La décision d’un agent d’immigration est hautement discrétionnaire et la cour de révision doit faire preuve de déférence à l’égard du raisonnement de l’agent ayant pris la décision (Leung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 636, au paragraphe 11). La Cour interviendra uniquement si la décision est déraisonnable, c’est-à-dire qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
(Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).
VII.
Dispositions pertinentes
[26]
Le paragraphe 25(1) de la LIPR s’applique en l’espèce :
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VIII.
Discussion
[27]
Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
A.
L’agente a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable quant à l’identité des demanderesses?
[28]
L’agente s’est reportée à la décision de rejet rendue par la SPR en 2013 dans laquelle elle conclut que les demanderesses n’ont pas réussi à faire la preuve de leur identité. Elle a mentionné que les demanderesses ont soulevé les mêmes allégations que lors de leur demande présentée à la SPR. Advenant le refus de leur demande d’asile, les demanderesses ont exprimé leurs craintes de persécution au Rwanda en raison de leur parenté avec leur oncle allégué, le général Kayumba Nyamwasa Faustin. La SPR ne les a toutefois pas jugés crédibles et a donc rejeté leur demande.
[29]
La décision de la SPR n’a pas été contestée devant cette Cour. Par conséquent, il était raisonnable que l’agente, afin qu’elle puisse rendre sa décision, accorde un poids certain aux déterminations de la SPR, quoique celles-ci ne soient pas exécutoires. La demande pour motifs d’ordre humanitaire ne vise pas à interjeter appel d’une décision de la SPR (Yapa, précitée, au paragraphe 30).
(...) Les demandeurs semblent croire que s’ils continuent à ajouter des documents au dossier, les conclusions de la Commission du statut de réfugié quant à leur crédibilité seront « infirmées » ou « oubliées ». Selon moi, ils sont dans l’erreur puisque l’agent qui traite une demande pour motifs humanitaires ne siège ni en appel ni en contrôle de la Commission du statut de réfugié ou de la décision de l’agente chargée de la CDNRSRC. (...) En bref, l’objectif d’une demande pour motifs humanitaires n’est pas de rediscuter des faits dont avait été saisie la Commission du statut de réfugié, non plus que de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, savoir contester les conclusions de la Commission du statut de réfugié.
(Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000) ACF n° 751 (97 A.C.W.S. (3d) 726, au paragraphe 12.)
[30]
À l’appui de leur demande pour motifs d’ordre humanitaire, les demanderesses ont soumis des documents supplémentaires pour établir leur identité : le FRP de leur sœur Beathe lors de sa demande d’asile en 2011, les originaux et des copies des certificats de naissance et de mort de leur mère, ainsi qu’une copie des mandats d’arrêt émis à leur endroit au Rwanda. La Cour conclut que l’agente a effectué sa propre évaluation de l’identité des demanderesses. Bien que des documents supplémentaires concernant l’identité des demanderesses aient été présentés à l’agente, celle-ci a conclu que les demanderesses n’ont pas réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve qui leur incombait. Il était donc raisonnable pour l’agente de n’accorder que peu de poids, sinon aucun, aux éléments de preuve devant elle, l’évaluation et l’appréciation de la preuve constituant un champ d’expertise des agents. En conséquence, « le simple désaccord (des demanderesses) eu égard à l’évaluation qui en a été faite ne saurait justifier l’intervention de la Cour »
(Quijano c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1232, au paragraphe 35).
[31]
L’occasion de formuler une réponse a également été donnée aux deux demanderesses, et ce à plus d’une occasion (p. ex., dans une lettre datée du 17 novembre 2015 et envoyée par un agent d’immigration supérieur). Les demanderesses ont fait valoir que l’agente avait l’obligation de faire part de ses préoccupations quant à ces documents supplémentaires. Dans le cas en l’espèce, la Cour conclut que l’agente n’avait aucune obligation de demander des éléments factuels ou des clarifications supplémentaires. Les demanderesses avaient le fardeau de s’assurer que tous les renseignements disponibles aient été présentés à l’agente, afin qu’elle soit convaincue que les considérations d’ordre humanitaire sont suffisantes pour justifier une exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR (Kandasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1090, au paragraphe 36). La Cour conclut que la conclusion de l’agente concernant l’identité des demanderesses est raisonnable.
B.
L’agente a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la santé mentale de Cynthia?
[32]
Les demanderesses soutiennent que l’évaluation de la santé mentale de Cynthia n’est pas conforme à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Kandasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy]. Elles prétendent que l’agente a omis de tenir compte de l’effet que le renvoi du Canada aurait sur la santé mentale de Cynthia (Kanthasamy, décision de la CSC précitée, au paragraphe 48). D’après les demanderesses, il n’est nulle part fait mention dans la décision des répercussions de la déportation de Cynthia sur sa santé mentale, l’agente s’étant exclusivement concentrée sur le problème du traitement au Rwanda (Sutherland c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1212, aux paragraphes 32 et 33 [Sutherland]). Pour ces raisons, la demanderesse considère que l’affaire devrait être renvoyée à un autre agent pour une nouvelle détermination.
[33]
La Cour est en désaccord avec les affirmations précitées des demanderesses. Comme l’a expliqué le défendeur, dans l’affaire Kanthasamy, l’agent a accepté le diagnostic du psychologue sur la base que le demandeur « souffre d’un trouble de stress post-traumatique, ainsi que d’un trouble d’adaptation avec anxiété et humeur dépressive, en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, et son état se détériorerait s’il était renvoyé du Canada ».
[Non souligné dans l’original] (Kanthasamy, décision de la CSC précitée, au paragraphe 46). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit dans les raisons de son jugement :
[47] (...) Une fois reconnu qu’il souffre d’un trouble de stress post-traumatique, d’un trouble d’adaptation et de dépression en raison de ce qu’il a vécu au Sri Lanka, exiger en sus la preuve de l’existence de soins au Canada ou au Sri Lanka met à mal le diagnostic et a l’effet discutable d’en faire un facteur conditionnel plutôt qu’important.
[48] De plus, en s’attachant uniquement à la possibilité que Jeyakannan Kanthasamy soit traité au Sri Lanka, l’agente passe sous silence les répercussions de son renvoi du Canada sur sa santé mentale.
[Non souligné dans l’original.]
[34]
En l’espèce, l’agente a néanmoins donné une valeur probante (« un certain poids »
) à la lettre du psychiatre de Cynthia, datée du 6 décembre 2016. Il est notamment mentionné dans cette lettre que Cynthia a été hospitalisée en juin 2016 en raison d’un trouble dépressif. Il ne fait aucun doute que l’agente est consciente du trouble médical de Cynthia et qu’elle a accepté le diagnostic du médecin figurant dans les rapports psychiatriques. Toutefois, l’agente n’a pas attribué ce trouble dépressif aux motifs exprimés dans le récit effectué par la demanderesse. En fait, un ordre de la Cour du Québec daté de juillet 2016 a également été déposé comme preuve au dossier, indiquant que Cynthia devait être gardée sous supervision au CISSS de la Montérégie-Centre à la suite de sa tentative de suicide survenue en 2016. Cette preuve a été examinée par l’agente. Toutefois, à la suite de la décision de la SPR selon laquelle les demanderesses n’ont pas été jugées crédibles en raison de faiblesses dans la preuve liée à leur identité (p. ex., plusieurs contradictions ont été relevées entre leur témoignage et leurs FRP), ainsi que de la décision négative de l’agente concernant l’identité de demanderesse, l’agente a choisi de ne pas accorder un poids significatif à la lettre du psychiatre. En fait, la Cour note que l’élément de la lettre rejeté par l’agent était la possibilité que les symptômes de Cynthia aient pu se développer en raison des événements au Rwanda avant son arrivée au Canada, ce qu’avait déclaré le psychiatre de Cynthia. Les demanderesses ont failli à établir leur identité et n’ont pas présenté à l’agente suffisamment d’éléments de preuve pouvant confirmer leur lien de parenté avec le général Faustin ou leurs arrestations par les autorités rwandaises.
[20] C’est évidemment à l’agente qu’il revenait d’apprécier la valeur probante des rapports médicaux, comme de tout autre élément de preuve. Dans le cadre de cet exercice, elle pouvait à bon droit tenir compte du peu de crédibilité de la demanderesse : voir Mpia-Mena-Zambili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1349, au para 60; Palka c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 165 au para 17 (Palka). [Non souligné dans l’original.]
(Wann c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 346 [Wann].)
[35]
La Cour conclut que la décision de l’agente de ne pas accorder un poids significatif à la lettre a été expliquée dans ses motifs et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. L’agent a décidé que les éléments de preuve étaient insuffisants pour appuyer les allégations des demanderesses et leur accorder une exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. En outre, le rapport psychologique du Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA) fourni par les demanderesses était, une fois de plus, fondé sur des allégations dont la SPR a considéré qu’elles n’étaient pas crédibles et qui auraient contredit les observations de la SPR, advenant le cas où l’agente aurait accepté le rapport du PRAIDA. Dans de telles circonstances, « lorsqu’une personne qui présente une demande pour des considérations d’ordre humanitaire ne peut établir certains faits sur lesquels elle s’appuie, l’agent chargé d’analyser les considérations d’ordre humanitaire n’a pas à examiner les difficultés auxquelles ces faits pourraient mener »
(Miyir c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73, au paragraphe 26). En gardant à l’esprit que les demanderesses n’ont pas été en mesure de démontrer des faits cruciaux à leur demande pour motifs d’ordre humanitaire, tels que leur identité et celle des membres de leur famille, la Cour conclut que l’agente n’a pas commis d’erreur susceptible de révision.
A la lumière de l’ensemble des éléments précédemment mentionnés, compte tenu qu’à ce jour la demanderesse Cynthia, tel que sa sœur Liliane, n’a établi son identité, ni sa nationalité et qu’il y a insuffisance de preuve attestant sa situation advenant un éventuel départ, je ne peux accorder de poids significatif quant à son état de santé allégué.
(Dossier du tribunal, décision CH, p. 11.)
[36]
En ce qui concerne l’affaire Sutherland, l’agente a reconnu les deux rapports médicaux. Le diagnostic psychologique expliquait clairement la raison pour laquelle le trouble médical de Mme Sutherland s’aggraverait si elle devait être renvoyée au Rwanda. L’agente a par conséquent commis une erreur susceptible de révision en ne considérant que la disponibilité de soins de santé mentale à la Grenade ou à Saint-Vincent lorsqu’elle a explicitement reconnu l’avis médical. Comme la Cour l’a énoncé dans la décision Sutherland au paragraphe 20, « (l)’agent devait prendre expressément en considération les répercussions de son renvoi du Canada sur sa santé mentale »
(Kanthasamy, au paragraphe 48).
[37]
Dans la présente affaire, cependant, la lettre du psychiatre indiquait simplement que la déportation elle-même pourrait exposer de nouveau Cynthia à un environnement de vie instable qui pourrait causer une rechute de sa dépression. L’agente n’a pas remis en cause les préoccupations du psychiatre, reconnaissant que le fait d’être forcé à quitter le Canada peut causer de l’anxiété. Pour cette raison, la Cour estime que l’agente a bel et bien tenu compte des répercussions que pourrait avoir sur la santé mentale de Cynthia son renvoi du Canada. L’agente était toutefois d’avis que « la dépression ou le stress causés par un éventuel départ du Canada ne sauraient suffire à établir l’existence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées »
, considérant que les demanderesses avaient encore à faire la preuve de leur identité et de leur nationalité (Wann, précitée, au paragraphe 23). L’explication suivante a été fournie par l’agente dans ses motifs :
Je suis consciente que l’obligation de devoir quitter le Canada peut entraîner sa part d’anxiété mais, j’estime que cela ne justifie pas en soi une dispense dans ce cas en particulier.
(Dossier du tribunal, décision CH, p. 53.)
[38]
La Cour a précédemment établi que « les difficultés inhérentes au fait d’avoir à quitter le Canada ne suffisent pas »
pour accorder une demande CH (Mirza, précitée, au paragraphe 3; Paz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 412; Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 11; Ahmad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 646). La Cour conclut qu’aucune erreur n’a été commise par l’agente dans l’évaluation de la santé mentale de Cynthia. Dans le même ordre d’idées, la Cour suprême du Canada a confirmé des décisions antérieures de cette Cour, reconnaissant « L’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense pour considérations d’ordre humanitaire suivant le par. 25(1) »
(Kanthasamy, décision de la CSC précitée, au paragraphe 23). À la lecture des critères d’ordre humanitaire et de l’ensemble de la preuve, l’agente a été convaincue que la situation personnelle des demanderesses ne les empêcherait pas de présenter une demande pour motifs d’ordre humanitaire à partir de l’extérieur du Canada.
[39]
Au chapitre des traitements disponibles au Rwanda, l’agente a tenu compte des préoccupations du psychiatre à ce sujet et a conclu que les demanderesses n’ont soumis que des éléments de preuve documentaires concernant le traitement du VIH au Rwanda, selon un rapport de 2014. Dans les circonstances, il était raisonnable pour l’agente d’expliquer dans ses motifs que de tels renseignements ne sont ni pertinents ni utiles pour la situation de Cynthia. Il incombait à la demanderesse de démontrer qu’elle ferait face à des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives »
si elle devait faire une demande de résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada (Nicolas c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 903, au paragraphe 25). Les demanderesses n’ont fourni aucune autre preuve objective liée aux traitements et soins disponibles pour les troubles dépressifs au Rwanda. Pour ces raisons, l’agente a été convaincue que la lettre du psychiatre n’était pas en elle-même suffisante pour répondre favorablement à la demande d’exemption de Cynthia en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR.
C.
L’évaluation de l’agente des conditions défavorables au Rwanda était-elle déraisonnable?
[40]
L’agente a tenu compte de la preuve objective présentée par les demanderesses sur la situation au Rwanda. Contrairement aux prétentions des demanderesses, la Cour conclut qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agente de déterminer que « la discrimination ou les autres risques démontrés n’ont pas été jugés exceptionnels, comparativement à la situation à laquelle d’autres demandeurs à qui on a refusé une dispense seraient exposés s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine »
(Jesuthasan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 142, au paragraphe 57).
[41]
La Cour juge que l’agente a raisonnablement tenu compte des allégations des demanderesses. « La jurisprudence de cette Cour a confirmé à maintes reprises que les demandes CH doivent faire état d’un certain risque personnalisé concernant un demandeur en particulier »
[souligné dans l’original] (Dorlean c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1024, au paragraphe 35 [Dorlean]). La Cour rappelle observations dans la décision Lalane c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 6, au paragraphe 38 :
Le demandeur a le fardeau de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. Autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but et l’objectif d’une demande CH.
[42]
En l’espèce, l’agente a reconnu que la pauvreté, la discrimination selon le sexe ainsi que le harcèlement sexuel sont présents au Rwanda, comme il est admis par les éléments de preuve concernant la situation générale dans ce pays. Elle indique également à la fin de son évaluation que les demanderesses n’ont pu établir en quoi, dans leur cas précis, la situation au Rwanda serait telle qu’elle les empêcherait de faire une demande de résidence permanente à partir de l’extérieur du Canada. Comme l’a Cour l’a énoncé dans la décision Rebaï c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 24 au paragraphe 7 :
Dans une demande CH, la question principale est de savoir si l’obligation voulant que le demandeur présente sa demande de résidence permanente à partir de l’étranger lui causerait des difficultés inhabituelles, injustes ou indues.
[43]
La Cour ajoute enfin « (qu’) revient donc au demandeur de démontrer un lien entre le risque et sa situation personnelle. Même si un risque généralisé pouvait être prouvé dans le présent cas, cela ne serait pas assez pour obtenir une réponse favorable à la demande CH »
(Dorlean, précité, au paragraphe 36). L’agente n’a pas été convaincue que les conditions générales au Rwanda donnaient lieu à des difficultés suffisantes, dans le cas des demanderesses, pour justifier une exemption pour motifs d’ordre humanitaire. La réparation en vertu de l’article 25 de la LIPR est hautement discrétionnaire et constitue une mesure exceptionnelle. L’agente n’a commis aucune erreur dans l’évaluation des conditions défavorables au Rwanda.
D.
L’agente a-t-elle appliqué un critère juridique erroné dans l’évaluation de la demande pour motifs d’ordre humanitaire des demanderesses?
[44]
D’après les demanderesses, l’agente a commis une erreur de droit en appliquant un critère juridique erroné à l’évaluation de leur demande pour motifs d’ordre humanitaire. Elles prétendent que l’analyse de l’agente démontre qu’elle n’a tenu compte que des difficultés plutôt que des facteurs d’ordre humanitaire. La Cour n’est pas de cet avis. Comme l’indique le défendeur, [TRADUCTION] « (l)es demanderesses ont présenté dans leurs arguments les facteurs dont elles considéraient qu’ils justifiaient leur demande CH, et l’agente a raisonnablement apprécié et tenu compte de ces facteurs. […]Notamment, l’agente a évalué si les éléments de preuve, pris dans leur ensemble, justifiaient une exemption »
(exposé des arguments du défendeur, paragraphe 80).
[45]
« Les facteurs dont un agent peut tenir compte lorsqu’il prend une décision relative aux considérations d’ordre humanitaire sont multiples (…). Aucun facteur n’est en lui-même déterminant. (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, (2002) 4 CF 358) »
(Mirza, précitée, au paragraphe 15).
[46]
La Cour conclut que l’agente a appliqué le critère juridique approprié en considérant la décision dans son ensemble ainsi que la preuve présentée par les demanderesses. Contrairement à ce qu’ont fait valoir les demanderesses, la Cour conclut que l’agente a réitéré le fardeau de la preuve dont les demanderesses devaient s’acquitter tout au long de sa décision. Elle a également correctement appliqué l’approche Chirwa (Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1970) IABD no 1). Il est clair à la lecture de la décision qu’une « évaluation de l’ensemble »
des facteurs d’ordre humanitaire a été faite par l’agente (Kanthasamy, décision de la CSC précitée, au paragraphe 28) :
En somme, à la lumière de l’ensemble de l’information au dossier, considérant leur profil de même que leurs circonstances telles que précédemment mentionnées, considérant qu’elles n’ont pas établi à ce jour leur identité ni leur citoyenneté, considérant l’insuffisance de preuve appuyant leurs allégations, je ne suis pas satisfait que les motifs d’ordre humanitaire présentés justifient l’octroi d’une dispense.
(Dossier du tribunal, décision CH, p. 53.)
[47]
Il est important de rappeler que ni l’identité ni la nationalité des demanderesses n’ont pu être établies.
IX.
Conclusion
[48]
Pour ces raisons, la décision de l’agent ne justifie pas l’intervention de la Cour. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-4475-17
LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-4475-17
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INTITULÉ :
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LILIANE UWASE ET CYNTHIA UGIRUMURERA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 14 mai 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE SHORE
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DATE DES MOTIFS :
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Le 17 mai 2018
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COMPARUTIONS :
Arash Banakar
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Pour les demanderesses
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Yaël Levy
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Arash Banakar, avocat
Saint-Laurent, Québec
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Pour les demanderesses
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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