Date : 20180424
Dossier : IMM-3809-17
Référence : 2018 CF 441
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 24 avril 2018
En présence de madame la juge McDonald
ENTRE :
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IAN DEREK HUTCHINSON
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS ET JUGEMENT
[1]
M. Hutchinson est un citoyen du Royaume‑Uni qui présente une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent des visas à l’étranger (l’agent), par laquelle l’agent a refusé sa demande d’approbation de la réadaptation et d’entrée au Canada en application de l’alinéa 36(3)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).
[2]
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.
I.
Résumé des faits
[3]
M. Hutchinson a déménagé du Royaume-Uni aux États-Unis lorsqu’il était adolescent. En 2002, alors qu’il travaillait comme camionneur aux États-Unis, il a été déclaré coupable de trafic de stupéfiants et a été condamné à une peine d’emprisonnement de 33 mois. Sa peine a été réduite après qu’il a accepté de collaborer avec les autorités américaines.
[4]
Il a été expulsé vers le Royaume-Uni après sa remise en liberté, en 2005.
[5]
M. Hutchinson est arrivé au Canada en 2009 et a présenté une demande de visa de visiteur. Il a par la suite présenté plusieurs demandes de prorogation de visa, qui ont été acceptées. Sa dernière demande de prorogation a été refusée en mars 2011, mais M. Hutchinson est resté au Canada.
[6]
En 2011, alors qu’il était encore au Canada, M. Hutchinson a été accusé de proférer des menaces. Cette accusation a par la suite été retirée.
[7]
En 2013, une mesure d’exclusion a été prononcée à l’encontre de M. Hutchinson, car celui-ci était resté au Canada après l’échéance de son visa de visiteur. M. Hutchinson soutient que l’Agence des services frontaliers du Canada lui a retiré son passeport, mais qu’on lui a dit qu’il pouvait rester au Canada sous certaines conditions, en attendant le traitement d’une demande de parrainage par sa conjointe de fait de l’époque. Cette demande de parrainage a été retirée en 2016, lorsque leur relation a pris fin.
[8]
M. Hutchinson a rencontré quelqu’un d’autre et il s’est marié le 23 octobre 2016. M. Hutchinson a toutefois été expulsé vers le Royaume-Uni le 25 octobre 2016, en application de la mesure d’exclusion.
[9]
En 2017, M. Hutchinson a présenté une demande d’approbation de la réadaptation afin que son épouse puisse parrainer sa venue au Canada.
II.
Dispositions législatives
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Les dispositions pertinentes de la LIPR sont les suivantes :
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III.
Décision faisant l’objet du contrôle
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La décision faisant l’objet du contrôle est constituée de la lettre de décision datée du 5 juillet 2017 et des notes inscrites par l’agent dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC).
[12]
Dans la lettre de décision, l’agent a déclaré que M. Hutchinson était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR.
[13]
Dans les notes du SMGC, l’agent a indiqué que M. Hutchinson avait eu « des démêlés avec la justice »
, faisant ici référence à l’accusation retirée en 2011. Il a également indiqué que M. Hutchinson avait omis de déclarer sa criminalité dans sa demande de prorogation de visa de visiteur présentée en 2005 ce qui, selon l’agent, a entraîné une erreur dans l’administration de la LIPR.
[14]
L’agent a pris acte des prétentions de M. Hutchinson, selon lesquelles il assumait la responsabilité de ses crimes et il éprouvait des remords, et selon lesquelles la gravité de son infraction avait été atténuée par sa coopération avec les autorités américaines. L’agent a toutefois mis en doute ces allégations.
[15]
L’agent a pris acte de l’argument de M. Hutchinson qui disait mener une vie stable avec sa famille. Il a toutefois mis à nouveau en doute ces observations, en soulignant le fait que sa demande antérieure de parrainage par une conjointe avait été retirée et que M. Hutchinson avait eu des enfants d’une autre union.
[16]
L’agent a également souligné le fait que M. Hutchinson a été expulsé des États-Unis en 2005, puis du Canada en 2016. De plus, de 2011 à 2016, M. Hutchinson a vécu au Canada sans avoir de statut juridique et il y a travaillé illégalement de 2009 à 2016.
[17]
L’agent a exprimé des « réserves »
au sujet de la réadaptation de M. Hutchinson, en raison de son absence de statut et de son manque de « respect »
à l’égard des lois sur l’immigration. L’agent a pris en compte l’allégation de M. Hutchinson selon laquelle il avait été autorisé à rester au Canada durant cette période, sous certaines conditions. L’agent a toutefois conclu que cela ne lui « avait pas conféré un statut juridique ou une permission de travailler »
[traduction] et que le fait que M. Hutchinson soit resté au Canada sans statut est un élément « important »
, car il témoigne de sa propension à respecter ou non les lois en vigueur.
[18]
Bien que l’agent ait pris en compte la preuve de bonne moralité et les lettres d’appui, il a finalement conclu que M. Hutchinson n’a pas été réadapté, parce qu’il a enfreint les lois sur l’immigration, qu’il a omis de divulguer des condamnations antérieures et qu’il a fait l’objet de mesures d’expulsion.
IV.
Questions en litige
[19]
M. Hutchinson a soulevé plusieurs questions, mais les questions déterminantes en l’espèce sont les suivantes :
L’agent s’est-il fondé sur une accusation au criminel qui avait été retirée?
- L’agent a-t-il tiré des conclusions sans éléments de preuve?
V.
Norme de contrôle
[20]
La norme de contrôle applicable aux demandes d’approbation de la réadaptation est celle de la décision raisonnable (Tejada c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 933, au paragraphe 7).
VI.
Discussion
A.
L’agent s’est-il fondé sur une accusation au criminel qui avait été retirée?
[21]
M. Hutchinson affirme que l’agent a commis une erreur en invoquant une accusation au criminel qui a été retirée, pour rejeter sa demande.
[22]
La Cour d’appel fédérale a examiné directement cette question dans l’arrêt Sittampalam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CAF 326, au paragraphe 50 [Sittampalam], où la Cour note que, bien que la preuve relative à des accusations qui ont été retirées ou rejetées puisse être prise en considération, ces accusations ne peuvent être utilisées comme seule preuve de la criminalité d’une personne.
[23]
En l’espèce, la manière dont l’agent a traité l’accusation retirée pose problème. L’agent n’a pas tenu compte des faits ou des circonstances sous-jacents de l’accusation retirée et a plutôt noté que ces accusations témoignaient des « démêlés »
de M. Hutchinson avec la justice. L’agent a donc clairement utilisé les accusations comme preuve de la « criminalité »
de M. Hutchinson, ce qui est va à l’encontre de l’arrêt Sittampalam.
[24]
De plus, le fait d’invoquer l’accusation retirée, en elle-même, constitue une erreur susceptible de révision (Veerasingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1661, au paragraphe 5, sous « Première question en litige »
).
[25]
La décision dans Thuraisingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607 est différente. Dans cette dernière affaire, l’agent disposait d’une preuve qui consistait en des articles de journaux, des affidavits et des résumés de communications téléphoniques interceptées. Bien que la Cour dans Thuraisingam ait réduit le poids accordé à certains éléments de preuve, elle a conclu que ces éléments appuyaient la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur était membre d’une organisation criminelle.
[26]
En l’espèce, l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve portant sur le retrait de l’accusation de profération de menaces. Le dossier ne fait mention que d’un rapport de police et du retrait de l’accusation. Voilà l’étendue de la preuve dont disposait l’agent pour conclure que les « démêlés avec la justice »
de M. Hutchinson étaient une indication de son risque de récidive.
[27]
La déclaration et les conclusions de l’agent concernant l’accusation retirée ne sont pas corroborées par les éléments de preuve; il s’agit donc d’une erreur susceptible de révision.
B.
L’agent a-t-il tiré des conclusions sans éléments de preuve?
[28]
M. Hutchinson affirme que l’agent a conclu à tort qu’il était « interdit de territoire pour des raisons d’ordre criminel »
et qu’il a été expulsé du Canada pour cette raison. Il fait valoir que l’agent a donc omis de faire une analyse appropriée de son interdiction de territoire.
[29]
L’agent a conclu que le demandeur a été [traduction] « expulsé du Canada en octobre 2016, notamment parce qu’il était interdit de territoire au Canada pour des raisons d’ordre criminel […] »
. Cependant, aucune évaluation de l’équivalence de sa condamnation et de sa peine aux États-Unis en regard des lois du Canada n’a été faite. L’agent n’a donc pris aucune décision formelle d’interdiction de territoire.
[30]
Sur cette question, les observations suivantes de la Cour dans l’affaire Lau c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1184 sont pertinentes :
[21] Je conviens avec le demandeur que, selon le dossier dont est saisie la Cour, il n’est pas clair qu’une décision formelle d’interdiction ait été prise de façon appropriée – du moins pas avant que la décision faisant l’objet du contrôle n’ait été rendue. Rien n’indique que l’agente a effectué une évaluation approfondie de l’équivalence comme celle décrite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] A.C.F. no 47, à la page 9. Le dossier ne permet pas de conclure, par exemple, si l’agente a considéré que les infractions comparables en vertu du droit de Hong Kong et du droit canadien comportaient des éléments essentiels communs.
[22] En l’espèce, l’agente a pu supposer qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une évaluation de l’équivalence étant donné que le demandeur semblait avoir présenté sa demande en supposant qu’il serait jugé interdit de territoire. Le défendeur soutient qu’une décision relative à l’interdiction de territoire peut être rendue avant ou après qu’une décision en matière de réadaptation a été rendue. Comme l’a fait remarquer le juge Shore dans la décision Alabi c. Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 370, au paragraphe 46, il se peut que cela soit incompatible avec le libellé de la loi. À mon avis, il serait préférable de prendre la décision d’interdiction de territoire avant d’aborder la question de la réadaptation. Cela ne semble pas avoir été fait en l’espèce. S’il fallait trancher la question, j’estime, d’après le dossier dont je suis saisi, que la décision d’interdiction de territoire était inadéquate.
[31]
De même, en l’espèce, rien n’indique que l’agent a examiné l’évaluation de l’admissibilité de M. Hutchinson. L’agent a toutefois tenu compte de la présumée interdiction de territoire de M. Hutchinson pour des raisons d’ordre criminel pour examiner sa demande de réadaptation.
[32]
Par conséquent, la décision de l’agent est déraisonnable, car elle repose sur des conclusions qui vont à l’encontre du droit et de la preuve.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3809-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour faire l’objet d’un nouvel examen complet.
Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée.
« Ann Marie McDonald »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3809-17
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INTITULÉ :
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IAN DEREK HUTCHINSON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 1er mars 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE MCDONALD
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DATE DES MOTIFS :
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Le 24 avril 2018
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COMPARUTIONS :
David Orman
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Pour le demandeur
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Neeta Logsetty
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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