Date : 20180426
Dossier : IMM-4320-17
Référence : 2018 CF 451
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 26 avril 2018
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
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RICHARD OBIAJULU GBEMUDU
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), concernant la décision rendue le 14 septembre 2017 (la décision) par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.
II.
RÉSUMÉ DES FAITS
[2]
Le demandeur est un citoyen du Nigéria qui craint d’être persécuté en raison de sa bisexualité alléguée.
[3]
Le demandeur a vécu au Royaume-Uni de 2011 à 2016, pendant qu’il suivait trois programmes d’études universitaires supérieures. Même s’il était marié, son épouse et ses deux enfants sont d’abord restés au Nigéria et ne l’ont rejoint au Royaume-Uni qu’en 2014. Pendant qu’il était séparé de sa famille, il a commencé à recourir aux services de prostituées en 2012. Le demandeur affirme avoir pris conscience qu’il aimait avoir des relations sexuelles avec des hommes lorsqu’une prostituée qu’il avait l’habitude de fréquenter à Londres, Tony Black, lui a révélé que sur le plan biologique il était un homme, qui s’habillait en femme. Le demandeur affirme que lors de leurs premiers rapports bucco-génitaux, il pensait que Tony était une femme, et que ce n’est que lorsqu’il a voulu avoir des relations sexuelles complètes avec Tony qu’il a découvert son identité sexuelle. Le demandeur affirme qu’il avait éprouvé une certaine attirance envers ses amis de sexe masculin lorsqu’il était à l’université au Nigéria, mais qu’il n’avait jamais cédé à cette impulsion ni révélé cela à ses amis, parce que l’homosexualité est illégale dans ce pays. La relation du demandeur avec Tony aurait duré environ un an avant qu’ils ne perdent contact en 2013.
[4]
Le demandeur est arrivé au Canada en novembre 2016 pour assister à une conférence. Il affirme que le lendemain de son arrivée, il a reçu un appel de son cousin au Nigéria. Son cousin l’a informé qu’un oracle avait révélé la bisexualité du demandeur à sa famille et qu’il était désormais tenu responsable de la mort récente de sa tante. Le demandeur affirme qu’étant donné que son statut au Royaume-Uni venait à échéance après l’obtention de son diplôme en décembre 2016, il a décidé de ne pas y retourner comme prévu, pour ne pas risquer d’avoir à retourner au Nigéria. Le demandeur a plutôt choisi de présenter une demande d’asile au Canada.
[5]
Le 3 mars 2017, la Section de la protection des réfugiés a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, parce que son manque de crédibilité empêchait la Section de la protection des réfugiés de conclure qu’il était soit bisexuel, soit perçu comme tel par les gens au Nigéria. La Section de la protection des réfugiés a conclu que la description du demandeur, quant à la façon dont il a découvert que, du point de vue biologique, Tony était un homme, manquait de cohérence, qu’il avait fourni des versions contradictoires concernant la fréquence à laquelle il voyait Tony, que dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), il avait omis de donner des exemples concrets témoignant de son attirance sexuelle envers les hommes, et qu’il n’avait pas expliqué de façon raisonnable pourquoi il n’avait pas demandé l’asile au Royaume-Uni. La Section de la protection des réfugiés n’a pas non plus été convaincue que les éléments de preuve documentaire présentés par le demandeur établissaient sa bisexualité. Un rapport psychologique rédigé par le Dr Gerald Devins pourrait expliquer certains des problèmes relevés dans le témoignage du demandeur, mais la Section de la protection des réfugiés a conclu que cela ne suffisait pas pour rétablir la crédibilité du demandeur. La Section de la protection des réfugiés a donc rejeté la demande du demandeur.
[6]
Le demandeur a interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés devant la Section d’appel des réfugiés.
III.
DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[7]
En appel, la Section d’appel des réfugiés a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention, ni de personne à protéger.
[8]
En examinant le contexte de la demande d’asile du demandeur, la Section d’appel des réfugiés a souligné que le statut du demandeur au Royaume-Uni n’était pas clair, puisqu’il n’a pas présenté sa carte de résidence du Royaume-Uni lors de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, même s’il prétendait l’avoir avec lui au Canada.
[9]
Dans son analyse, la Section d’appel des réfugiés a d’abord refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur. La Section d’appel des réfugiés a refusé d’admettre un reçu du Trésor, daté du 16 février 2017, présenté par le demandeur pour établir la légitimité de l’affidavit souscrit par son frère ce jour-là. La Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi le reçu n’était pas normalement accessible avant le rejet de sa demande d’asile par la Section de la protection des réfugiés. Par conséquent, le reçu ne satisfaisait pas aux conditions prévues au paragraphe 110(4) de la Loi.
[10]
La Section d’appel des réfugiés a également rejeté un nouvel affidavit souscrit par le frère du demandeur, après l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, au motif que la provenance de l’affidavit et les circonstances de sa création soulevaient des doutes quant à sa crédibilité. La Section d’appel des réfugiés a souligné que la Section de la protection des réfugiés avait aussi des préoccupations quant à un affidavit précédent soi-disant souscrit par le même frère. En plus de souligner le manque d’uniformité dans l’épellation du nom du frère, la Section d’appel des réfugiés a conclu que l’on ne savait pas avec certitude qui étaient les personnes apparaissant sur les photos de format passeport jointes à l’affidavit, pourquoi ces photos ont été jointes, et pourquoi un notaire public joindrait sa propre photo à l’affidavit. L’une de ces photos figure également sur deux autres affidavits déposés par le demandeur, alors qu’ils ont été souscrits devant deux notaires différents et par des déposants différents. En outre, la Section d’appel des réfugiés a souligné que la preuve documentaire indiquait qu’il était facile d’obtenir de faux affidavits nigérians, qu’aucune confirmation de l’identité n’était jointe à l’affidavit, et qu’aucun élément n’indiquait comment le document aurait été envoyé du Nigéria. De plus, la Section d’appel des réfugiés n’a pas trouvé crédible que le frère du demandeur souscrive un affidavit indiquant que le demandeur est recherché par les autorités nigérianes, alors qu’il lui aurait envoyé des messages très hostiles et menaçants dans lesquels il affirmait que le demandeur était une [traduction] « honte aux traditions et à la race africaine »
et qu’il le rechercherait personnellement, peu importe où sur la planète.
[11]
La Section d’appel des réfugiés a rejeté les deux nouveaux éléments de preuve déposés par le demandeur, ainsi que sa demande pour la tenue d’une audience.
[12]
Après avoir examiné les conclusions de la Section de la protection des réfugiés, la Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur était incohérent dans des aspects clés et n’avait pas fourni d’explications raisonnables pour justifier les incohérences. La Section d’appel des réfugiés a souligné la déclaration du demandeur dans le formulaire FDA, selon laquelle il rencontrait Tony [traduction] « plusieurs fois par semaine »
après avoir découvert qu’il était un homme. Pourtant, dans son témoignage, le demandeur a affirmé qu’il rencontrait Tony une fois par semaine ou aux deux semaines, et a été incapable d’expliquer cette incohérence.
[13]
La Section d’appel des réfugiés a également conclu que les réponses du demandeur aux questions portant sur sa relation avec Tony et sur la façon dont son épouse en aurait été informée étaient vagues, changeantes et incohérentes. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré avoir perdu contact avec Tony en 2013, mais que son épouse n’a découvert sa relation avec Tony qu’en 2016, lorsqu’un ami appelé « Emmanuel »
l’a informée de la relation.
[14]
La Section d’appel des réfugiés a conclu que les omissions dans le formulaire FDA du demandeur concernant les détails de son attirance sexuelle pour des personnes du même sexe alors qu’il était à l’université au Nigéria, et de ses tentatives pour trouver des partenaires sexuels de même sexe après avoir perdu contact avec Tony, n’étaient pas que des problèmes mineurs et secondaires, car ils étaient au cœur de sa demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés a interrogé le demandeur au sujet de sa déclaration dans le FDA, selon laquelle une fois sa bisexualité révélée, il avait avoué à son cousin qu’il était attiré par les hommes pendant qu’il était à l’université au Nigéria. Le demandeur a fourni des détails au sujet de deux camarades de classe avec qui il avait vécu. Cependant, la Section d’appel des réfugiés a estimé qu’il n’avait pu expliquer de façon satisfaisante la raison pour laquelle il n’en avait pas fait mention dans son formulaire FDA. Le demandeur a également affirmé qu’après avoir perdu contact avec Tony, il avait essayé de rencontrer d’autres hommes dans un bar gai, une allégation totalement absente de son formulaire FDA. En plus de conclure que ces omissions n’étaient pas d’importance secondaire, la Section d’appel des réfugiés a aussi conclu que le récit du demandeur quant au moment où il a pris conscience qu’il était attiré par des hommes à l’université contredisait sa déclaration dans son FDA selon laquelle il a été [traduction] « très surpris »
du plaisir ressenti dans ses relations sexuelles avec Tony.
[15]
La Section d’appel des réfugiés a réfuté l’argument du demandeur selon lequel il avait fourni une explication raisonnable pour justifier son défaut de demander l’asile au Royaume-Uni, et a conclu que ce défaut minait sa crainte subjective et sa crédibilité en général. Le demandeur a déclaré n’avoir commencé à craindre pour sa vie que lorsqu’il a appris que son orientation sexuelle avait été dévoilée alors qu’il se trouvait au Canada. Mais la Section d’appel des réfugiés a conclu que le demandeur savait qu’il était attiré par des hommes dans les années 1990 alors qu’il était à l’université, et qu’il avait activement entretenu une relation homosexuelle alors qu’il était au Royaume-Uni en 2012. Étant donné que le demandeur connaissait les très mauvais traitements que subissent les minorités sexuelles au Nigéria, que son épouse était au courant de sa relation homosexuelle, qu’il était un homme instruit qui avait beaucoup voyagé, la Section d’appel des réfugiés a jugé qu’il n’était pas raisonnable que le demandeur n’ait pas présenté une demande d’asile au Royaume-Uni.
[16]
La Section d’appel des réfugiés a par ailleurs conclu que la Section de la protection des réfugiés avait eu raison d’accorder peu d’importance aux documents présentés par le demandeur. Invoquant la décision Hamid c Canada (MEI), [1995] ACF no 1293 (QL), au paragraphe 21 (CFPI), la Section d’appel des réfugiés a reconnu que la Section de la protection des réfugiés était en droit d’accorder peu d’importance aux documents présentés par un demandeur, lorsqu’elle estimait que ce dernier n’était pas crédible. La Section d’appel des réfugiés indique que : « [l]a SPR a aussi tenu compte de la preuve documentaire objective, et lui a accordé plus de poids qu’aux réponses vagues de l’appelant »
. La Section d’appel des réfugiés a convenu que les réponses du demandeur étaient vagues, quant à la manière dont il a obtenu les documents et la raison pour laquelle les souscripteurs signeraient volontairement des affidavits qui les exposeraient à un risque au Nigéria. De plus, les préoccupations existantes quant à la crédibilité du demandeur et la preuve documentaire concernant la disponibilité de faux documents au Nigéria justifiaient d’accorder peu de poids aux documents, même sans qu’un expert ne vérifie leur authenticité.
[17]
En plus de souligner que la Section de la protection des réfugiés avait bel et bien tenu compte du rapport psychologique du Dr Devins dans ses motifs, contrairement à ce qu’affirme le demandeur, la Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés avait eu raison d’y accorder peu d’importance. En plus du fait que les allégations figurant dans ce rapport provenaient du demandeur lui-même, ce dernier n’a pu fournir de détails quant à son affirmation selon laquelle il a été exposé à des événements traumatisants au Nigéria, et les allégations du rapport contredisent ses propres déclarations. La Section d’appel des réfugiés a également conclu que les explications fournies par le demandeur au sujet des vagues allusions dans le rapport à une relation amoureuse qu’il aurait entretenue avec une femme au Canada n’étaient pas convaincantes. Compte tenu de la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle les faits qui sous-tendent la demande d’asile du demandeur sont contradictoires, la Section d’appel des réfugiés a également accordé peu de poids aux conclusions du Dr Devins concernant l’état psychologique du demandeur, et a estimé que ces conclusions ne suffisaient pas pour dissiper les doutes au sujet de sa crédibilité.
[18]
Par ailleurs, la Section d’appel des réfugiés a conclu que la participation du demandeur à des activités de groupes communautaires de Toronto qui servent la communauté LGBTQ ne prouvait pas son orientation sexuelle et ne dissipait pas ses doutes quant à la crédibilité du demandeur. La Section d’appel des réfugiés a souligné que le demandeur avait vécu au Royaume-Uni pendant cinq ans, période au cours de laquelle il allègue avoir entretenu une relation homosexuelle et avoir fréquenté des bars gais, mais qu’il n’a pas fourni de lettres de groupes LGBTQ au Royaume-Uni.
[19]
La Section d’appel des réfugiés a donc conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour établir qu’il est bisexuel et serait exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté s’il était renvoyé au Nigéria.
IV.
QUESTIONS EN LITIGE
[20]
Le demandeur soutient que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :
- La décision de la Section d’appel des réfugiés de ne pas admettre les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur est-elle déraisonnable?
- L’évaluation de la crédibilité effectuée par la Section d’appel des réfugiés est-elle déraisonnable?
- L’appréciation de la preuve par la Section d’appel des réfugiés est-elle déraisonnable?
V.
NORME DE CONTRÔLE
[21]
Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).
[22]
La décision de la Section d’appel des réfugiés quant à la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve remplissent les exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la Loi pour être recevables est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 29 [Singh].
[23]
La norme de contrôle applicable aux conclusions de la Section d’appel des réfugiés en matière de crédibilité et à son évaluation des éléments de preuve documentaire est également la norme de la décision raisonnable : Amiryar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1023, aux paragraphes 7 à 11.
[24]
Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
. Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, l’intervention de la Cour se justifie seulement si une décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
VI.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[25]
Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :
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VII.
THÈSES DES PARTIES
A.
Thèse du demandeur
1)
Nouveaux éléments de preuve
[26]
Le demandeur soutient que les nouveaux éléments de preuve qu’il a présentés satisfont aux critères énoncés dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, et qu’ils auraient dû être admis. Même si le reçu du Trésor porte une date antérieure à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, le demandeur affirme qu’il ne pouvait pas prévoir que la Section de la protection des réfugiés contesterait la légitimité du premier affidavit souscrit par son frère. Puisqu’il s’agit d’un document officiel étranger, ce reçu est pertinent concernant les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés en matière de crédibilité. Le demandeur précise que le reçu porte le même numéro de réception que l’affidavit.
[27]
Le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés a procédé à une analyse microscopique de la preuve, s’attardant de façon déraisonnable sur des erreurs superficielles, comme dans la décision Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 814, aux paragraphes 27 et 31 [Ali]. Il soutient que la mauvaise épellation du nom de son frère dans le second affidavit ainsi que les autres erreurs de grammaire et d’orthographe non identifiées constituent des lacunes administratives négligeables qui ne suffisent pas pour discréditer le contenu de l’affidavit. De même, les réserves de la Section d’appel des réfugiés au sujet du format de l’affidavit ne tiennent pas compte du fait qu’il a été souscrit dans un autre pays. La Cour d’appel fédérale a mis en garde la Commission et indiqué qu’elle ne devait pas faire preuve de « zèle ... à conclure que le requérant n’était pas digne de foi »
: Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF) [Attakora].
[28]
Le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés interprète mal les photos jointes aux affidavits. Il affirme que sa photo est agrafée à la partie droite de chaque affidavit et que c’est la photo du souscripteur d’affidavit, et non du notaire public devant qui les affidavits ont été souscrits, qui est agrafée à la partie gauche.
[29]
Même si la Section d’appel des réfugiés dans sa décision fait état de la disponibilité d’affidavits frauduleux au Nigéria, cela ne signifie pas que tous les affidavits qui proviennent du Nigéria sont nécessairement frauduleux. Voir la décision Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 157, au paragraphe 55 [Lin]. Le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés n’invoque aucun élément de preuve attestant du caractère frauduleux de l’affidavit, et soutient que l’apparence d’une irrégularité ne signifie pas que l’affidavit est frauduleux. Par ailleurs, la Section d’appel des réfugiés avance des hypothèses quant au consentement du frère à fournir l’affidavit, en s’appuyant sur les sentiments de son frère à l’égard du demandeur, mais elle fait abstraction du fait que le frère a déclaré dans son premier affidavit qu’il était toujours préoccupé par la sécurité de son frère. Le demandeur fait valoir que la Section d’appel des réfugiés ne peut pas faire fi de la preuve documentaire pertinente corroborant sa thèse. Voir Orgona v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2001 CFPI 346, au paragraphe 31.
[30]
Par ailleurs, le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés aurait dû tenir une audience en application du paragraphe 110(6) de la Loi, afin de dissiper ses doutes quant à l’authenticité du second affidavit de son frère. Dans la décision Tchangoue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 334, au paragraphe 17 [Tchangoue], la décision de la Section d’appel des réfugiés de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour tenir une audience « afin de donner l’occasion à la demanderesse de répondre aux préoccupations de la Section d’appel des réfugiés au sujet de l’authenticité des nouveaux documents »
a été jugée déraisonnable. Le juge Mosley en est venu à la même conclusion dans la décision Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147, au paragraphe 25 [Horvath], parce qu’une audience était nécessaire « pour examiner les questions importantes sur la crédibilité qui avaient eu une importance fondamentale dans la décision de la SPR »
. Le demandeur soutient que, compte tenu des préoccupations de la Section d’appel des réfugiés concernant l’authenticité des nouveaux éléments de preuve, et considérant que les renseignements figurant dans le second affidavit de son frère auraient pu justifier l’approbation de sa demande, la décision de ne pas tenir une audience était déraisonnable.
2)
Crédibilité
[31]
Le demandeur affirme que la Section d’appel des réfugiés s’attarde indûment sur des incohérences entre son témoignage et le formulaire FDA, en ce qui concerne la fréquence à laquelle il voyait Tony après avoir découvert l’identité sexuelle de ce dernier. Le demandeur souligne que le témoignage fait sous serment d’un demandeur est présumé être vrai, à moins qu’il n’y ait une raison valable de douter de sa véracité. Voir Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 CF 302 (CA). En outre, dans la décision Guney c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1134, au paragraphe 17, le juge Zinn a conclu qu’« il n’était pas raisonnable pour la Commission de conclure que, parce que le demandeur avait inventé une partie de son récit pour étayer sa demande d’asile, il n’était pas généralement un témoin crédible, d’autant que la portion inventée de son récit avait peu de rapport, voire aucun, avec le reste du récit »
. Le demandeur soutient qu’il a été cohérent quant aux principaux aspects de son récit et que toute incohérence sur cette question ne le discrédite pas entièrement. Les questions sur la fréquence à laquelle il voyait Tony ne sont rien de plus qu’un « test de mémoire »
déraisonnable. Voir Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 190 FTR 225, au paragraphe 28 (CFPI) [Sheikh].
[32]
Le demandeur soutient par ailleurs qu’il existait une preuve documentaire susceptible d’étayer son allégation selon laquelle la Section d’appel des réfugiés n’a pas procédé à une évaluation objective, en raison de sa conclusion générale au sujet de sa crédibilité. En ce qui concerne la question de savoir s’il y a lieu d’effectuer une analyse distincte aux termes de l’article 97, la Cour d’appel fédérale a conclu que « [l]orsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur »
: Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3; voir également Pathmanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 519, aux paragraphes 52 à 57. À ce sujet, le demandeur affirme que le décideur doit étudier la preuve « dans son intégralité, avec un esprit ouvert, avant de tirer des conclusions sur la valeur à accorder aux éléments critiques de la preuve »
: Ruiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1339, au paragraphe 9 (Ruiz).
[33]
Même si la Section d’appel des réfugiés affirme avoir « effectué une analyse indépendante des documents de l’appelant »
avant de conclure que la Section de la protection des réfugiés avait eu raison de leur accorder peu de poids, le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés n’a pas tenu compte des [traduction] « articles de presse, lettres d’appui et affidavits souscrits par son frère et son cousin »
.
[34]
Le demandeur souligne également qu’il n’est pas tenu d’établir qu’il est plus probable que le contraire qu’il sera persécuté. Voir Adjei v Canada (Minister of Employment & Immigration), [1989] 2 FC 680 (CA). Il affirme que la preuve objective, la preuve documentaire et son propre témoignage attestent tous du risque auquel il serait exposé s’il retournait au Nigéria. Comme la preuve documentaire établit que la bisexualité est effectivement criminalisée au Nigéria, la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle un aspect particulier de sa demande manquait de crédibilité ne l’empêchait pas de conclure qu’il a qualité de personne à protéger, puisqu’il correspond au profil des personnes exposées à un risque de persécution au Nigéria. Voir la décision Attakora, précitée, au paragraphe 13.
[35]
Le demandeur affirme que, contrairement à la conclusion de la Section d’appel des réfugiés, la transcription de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés indique que son témoignage sur la manière dont son épouse a découvert sa bisexualité n’était pas vague, et qu’il a clairement expliqué qu’elle en avait été informée par son ami, Emmanuel. Le demandeur estime que la Section d’appel des réfugiés n’indique pas clairement ce qu’elle a trouvé vague dans sa réponse aux questions de la Section de la protection des réfugiés.
[36]
Concernant l’absence de détails dans son formulaire FDA au sujet de sa fréquentation de bars gais, le demandeur estime qu’il était déraisonnable de la part de la Section d’appel des réfugiés de rejeter son explication selon laquelle il ne faisait qu’ajouter des détails pour appuyer sa demande d’asile. Notre Cour a souligné que « [l]orsqu’un demandeur apporte des modifications à son [Formulaire de renseignements personnels] sans changer les faits relatés, mais tout simplement pour y ajouter des précisions, cet élément, à lui seul, ne mine pas la présomption que son témoignage est véridique »
: Diaz Puentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1335, au paragraphe 18. Voir également Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 69 FTR 142, au paragraphe 20 (1re inst.). Le demandeur affirme que les détails supplémentaires qu’il a fournis lors de l’audience n’altéraient pas son récit de façon importante. Mettre en doute la crédibilité d’un demandeur uniquement sur la base de simples omissions revient à juger une demande d’asile sur la base d’un test de mémoire, une pratique critiquée dans la décision Sheikh, précitée, au paragraphe 28.
[37]
Le demandeur affirme également que la conclusion de la Section d’appel des réfugiés, selon laquelle son témoignage à propos de l’attirance qu’il ressentait pour les personnes du même sexe lorsqu’il était à l’université contredit son formulaire FDA, constitue une interprétation erronée de ses déclarations à ce sujet. Il affirme qu’il n’y a rien de contradictoire entre son attirance pour un ami de sexe masculin à l’université et le fait d’avoir été plus tard surpris du plaisir ressenti dans ses relations sexuelles avec un homme après avoir commencé une relation amoureuse avec Tony. Dans la décision Arfan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 806, aux paragraphes 27 à 29, la mauvaise appréciation des éléments de preuve relatifs à la blessure à un pied d’un demandeur a amené la Commission à tirer une conclusion erronée quant à la vraisemblance de son témoignage, et a mené à un résultat déraisonnable. Le demandeur soutient que la mésinterprétation de son témoignage par la Section d’appel des réfugiés suffit pour que sa demande de contrôle judiciaire soit accueillie.
[38]
Le demandeur soutient également que la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle son défaut de demander l’asile au Royaume-Uni minait sa crainte subjective et sa crédibilité générale ne tient pas compte de ses explications concernant la raison pour laquelle il n’a pas fait sa demande d’asile plus tôt. Dans son témoignage, le demandeur a expliqué que lorsqu’il vivait au Royaume-Uni, il ne considérait pas qu’il était en danger, car aucun membre de sa famille élargie au Nigéria n’était au courant de son orientation sexuelle. Lorsqu’un demandeur d’asile fournit une explication raisonnable qui répond aux préoccupations de la Commission, cette dernière doit en tenir compte dans son évaluation de sa crédibilité. Voir la décision Kanapathipillai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1110 (QL), aux paragraphes 8 et 9 (CFPI). Voir également la décision Angel Gonzales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1292, au paragraphe 14. Et même si le retard à formuler une demande d’asile est pertinent, ce [traduction] « n’est pas un facteur déterminant en soi »
: Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 NR 225 (CAF). Voir également la décision Hue c Canada (M.E.I.), [1988] ACF no 283 (QL) (CAF); Gavryushenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 194 FTR 161, aux paragraphes 10 et 11 (CFPI). Le demandeur estime que la question « n’est pas celle de savoir si le revendicateur a déjà eu, dans le passé, des motifs de craindre la persécution, mais bien celle de savoir s’il a aujourd’hui, au moment où l’on statue sur sa revendication, des motifs sérieux de craindre d’être persécuté dans l’avenir »
: Mileva c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 CF 398, au paragraphe 8 (CA).
3)
Preuve documentaire
[39]
Le demandeur soutient que la Section d’appel des réfugiés a indûment écarté la preuve documentaire étayant sa demande en appliquant sa conclusion générale au sujet de sa crédibilité aux documents. Le demandeur répète que l’approche adéquate consiste à étudier la preuve dans son intégralité avant de tirer une conclusion générale au sujet de la crédibilité. Voir la décision Ruiz, précitée, au paragraphe 9.
[40]
Le demandeur souligne que les affidavits de son frère et de son cousin contiennent des éléments étayant sa demande. Même si ces affidavits comportent également des irrégularités, le demandeur soutient que ces irrégularités ne signifient pas nécessairement que les affidavits sont frauduleux. Et l’existence d’affidavits frauduleux au Nigéria ne signifie pas que tous les affidavits qui proviennent du Nigéria sont frauduleux. Voir la décision Lin, précitée, au paragraphe 55.
[41]
Le demandeur estime par ailleurs que les préoccupations de la Section d’appel des réfugiés quant au fait qu’il est peu probable qu’il ait été en mesure d’obtenir un affidavit attestant de la bisexualité d’une autre personne découlent d’une interprétation erronée de la preuve documentaire. Le demandeur affirme que les préoccupations décrites dans la Réponse à la demande d’information (RDI) NGA105379.E (7 janvier 2016), incluses dans le Cartable national de documentation sur le Nigéria, se rapportent aux cas où un déposant souscrit un affidavit sur sa propre sexualité, et non sur la sexualité d’un tiers. La RDI laissait également entendre qu’il y avait plus de chances d’obtenir un affidavit dans les cas où la confidentialité peut être garantie au souscripteur. Cependant, le demandeur souligne également que les opinions mentionnées dans la RDI proviennent de groupes de défense au Nigéria, et on ne sait pas avec certitude si les personnes citées sont des avocats qui pourraient avoir directement connaissance de la possibilité d’obtenir un tel affidavit.
[42]
Le demandeur affirme que la décision de la Section d’appel des réfugiés de ne pas accorder d’importance aux lettres d’appui provenant de la communauté LGBTQ de Toronto était déraisonnable. Ces lettres prouvent en effet sa participation au sein de la communauté LGBTQ et qu’il assume désormais sa bisexualité. Ces organisations n’ont aucun intérêt dans sa demande d’asile, et il soutient que notre Cour a conclu par le passé que les lettres provenant de groupes communautaires peuvent constituer un élément de preuve probant de l’orientation sexuelle. Voir la décision Buwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 850, aux paragraphes 27 à 29, citant Leke c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 848, au paragraphe 33. Le demandeur affirme que l’approche adoptée par la Section d’appel des réfugiés pour étudier la preuve documentaire ne tient pas suffisamment compte de la difficulté à prouver son orientation sexuelle. Voir la décision Gergedava c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 957, au paragraphe 10, et la décision Ogunrinde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 760, au paragraphe 42.
[43]
Le demandeur soutient également qu’au lieu d’utiliser le rapport du Dr Devins pour orienter son analyse sur la crédibilité, la Section d’appel des réfugiés s’est plutôt basée sur sa propre conclusion quant à la crédibilité pour rejeter ce rapport. C’est le type d’erreur qui est décrit dans la décision Belahmar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 812, au paragraphe 8 : « La SPR a essentiellement fait son analyse à l’envers : plutôt que de traiter des rapports médicaux pour évaluer la crédibilité du demandeur, la SPR en est venue à des conclusions sur la crédibilité pour ensuite utiliser ces conclusions pour rejeter les rapports. »
Voir également la décision Mendez Santos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1326, au paragraphe 19).
B.
Thèse du défendeur
1)
Nouveaux éléments de preuve
[44]
Le défendeur soutient que la décision de la Section d’appel des réfugiés de rejeter les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur est raisonnable, et qu’il est nécessaire de faire preuve d’une retenue considérable envers les conclusions de la Section d’appel des réfugiés, notamment en ce qui concerne sa décision de ne pas admettre de nouveaux éléments de preuve pour des motifs de crédibilité. Voir la décision Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 196, au paragraphe 13 [Belek].
[45]
Comme le reçu du Trésor qu’il a présenté était antérieur à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, il revenait au demandeur d’expliquer la raison pour laquelle il n’était pas normalement accessible avant l’audience : paragraphe 110(4) de la Loi, et arrêt Singh précité, au paragraphe 35. Le défendeur souligne que l’affidavit souscrit par le demandeur devant la Section d’appel des réfugiés ne fournit pas d’explication quant à la raison pour laquelle le reçu n’était pas normalement accessible. L’argument présenté dans le mémoire du demandeur – selon lequel le demandeur ne pouvait pas raisonnablement prévoir que la Section de la protection des réfugiés contesterait l’authenticité de l’affidavit souscrit par son frère – ne fait pas disparaître la non-recevabilité législative du reçu et ne devrait pas être pris en compte à ce stade. Le défendeur fait aussi valoir qu’il était prévisible que la Section de la protection des réfugiés évalue la crédibilité de l’affidavit souscrit par son frère, et qu’il revenait au demandeur de fournir tous les éléments de preuve disponibles étayant son authenticité. Voir la décision Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 847, au paragraphe 27.
[46]
Le défendeur affirme que la Section d’appel des réfugiés a donné les raisons pour lesquelles le second affidavit souscrit par le frère du demandeur n’était pas admissible pour des motifs de crédibilité. Le demandeur invite simplement à la Cour à soupeser de nouveau l’affidavit. Pour recevoir de nouveaux éléments de preuve, la Section d’appel des réfugiés doit être convaincue qu’ils sont crédibles. Voir l’arrêt Singh, précité, au paragraphe 44. La décision de la Section d’appel des réfugiés de ne pas faire fi des incohérences au niveau de l’épellation et des photos, de la preuve documentaire concernant la disponibilité de documents falsifiés au Nigéria, et du fait que le frère du demandeur ait changé d’avis quant à son désir d’appuyer le demandeur, relève d’une analyse cumulative des irrégularités ayant mené à une décision raisonnable. Voir la décision Aaron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1244, au paragraphe 26. Le défendeur affirme également que la Section d’appel des réfugiés n’a pas laissé entendre que l’affidavit était frauduleux. L’allusion à la disponibilité d’affidavits frauduleux n’était plutôt qu’une des nombreuses préoccupations exprimées par la Section d’appel des réfugiés. Le défendeur souligne en outre que l’explication fournie par le demandeur au sujet des photos jointes aux affidavits n’a pas été présentée à la Section d’appel des réfugiés, et ne justifie pas les autres lacunes relevées dans l’affidavit.
[47]
Le défendeur soutient que la Section d’appel des réfugiés ne pouvait tenir une audience, après avoir refusé d’admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur. Voir la décision Tota c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 890, au paragraphe 32; Horvath, précitée, au paragraphe 17; Belek, précitée, au paragraphe 20. Les décisions sur lesquelles le demandeur s’appuie pour affirmer qu’une audience aurait dû être tenue portent toutes deux sur une décision de ne pas tenir une audience après l’admission de nouveaux éléments de preuve. Voir la décision Horvath précitée, au paragraphe 8, et la décision Tchangoue précitée, au paragraphe 6.
2)
Crédibilité
[48]
Le défendeur affirme que les arguments du demandeur au sujet des conclusions de la Section d’appel des réfugiés quant à la crédibilité visent simplement à amener la Cour à réentendre la demande d’asile du demandeur. L’argument du demandeur, selon lequel les documents ont été rejetés sur la base de la conclusion générale de la Section d’appel des réfugiés en matière de crédibilité, est réfuté par des passages de la décision où la Section d’appel des réfugiés se penche sur les documents et choisit de ne pas en tenir compte en raison des préoccupations inhérentes aux documents eux-mêmes.
[49]
Le défendeur affirme également que les arguments du demandeur quant au risque auquel il serait exposé au Nigéria supposent que son allégation sur sa bisexualité a été jugée crédible. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, soit qu’un aspect de sa demande n’a pas été jugé crédible, la Section d’appel des réfugiés estime que le demandeur n’est pas crédible concernant sa bisexualité, ce qui constitue l’aspect central de sa demande. Par conséquent, la preuve relative au risque auquel sont exposées les personnes bisexuelles au Nigéria n’est pas pertinente.
[50]
Le défendeur soutient qu’une lecture de l’ensemble de la transcription révèle que la Section d’appel des réfugiés fonde sa conclusion, concernant le côté vague des explications entourant la manière avec laquelle la femme du demandeur a découvert son orientation sexuelle, sur une combinaison de facteurs appréciés comme un tout. Il est loisible à la Section d’appel des réfugiés de rejeter les explications du demandeur, faute de cohérence sur ce point et sur la fréquence à laquelle il rencontrait son prétendu partenaire de même sexe. Voir la décision Diaz Hevia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 472, au paragraphe 14, et la décision Sinan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 87, au paragraphe 10.
[51]
De même, le défendeur affirme que la Section d’appel des réfugiés a tiré des conclusions raisonnables concernant les incohérences liées à la découverte par le demandeur de son orientation sexuelle, et concernant l’absence de détails dans son formulaire FDA à propos de l’attirance qu’il avait à l’université pour certaines personnes. Et en ce qui concerne les récits contradictoires du demandeur sur les raisons pour lesquelles il n’a pas demandé l’asile au Royaume-Uni, la Section d’appel des réfugiés a raison de s’attendre à ce que les risques liés à une éventuelle exposition de sa sexualité auraient dû l’amener à demander l’asile au Royaume-Uni.
3)
Preuve documentaire
[52]
Le défendeur soutient également que le traitement par la Section d’appel des réfugiés de la preuve documentaire est raisonnable. La Section d’appel des réfugiés a fait un examen indépendant des documents, et la Cour ne devrait pas intervenir quant au poids qu’elle leur a accordé. Le défendeur affirme que la Section d’appel des réfugiés n’aurait pas pu fournir des motifs plus clairs et plus convaincants pour justifier le poids négligeable accordé au rapport du Dr Devins, et qu’elle est en droit d’écarter les événements relatés par le demandeur lui-même dans un rapport psychologique. Voir la décision Boyce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 922, aux paragraphes 60 à 62. Par ailleurs, la Section d’appel des réfugiés a comparé le contenu des affidavits au témoignage contradictoire du demandeur. Il convient de faire preuve de retenue à l’égard de sa conclusion selon laquelle ces affidavits ne remédient pas aux problèmes soulevés dans son témoignage. Les éléments de preuve provenant des groupes communautaires ont aussi été évalués, et une valeur probante leur a été accordée, en fonction des autres éléments de preuve inclus dans la demande du demandeur. Il était raisonnable de la part de la Section d’appel des réfugiés d’accorder peu de poids aux lettres des groupes communautaires, car elles étaient postérieures à l’arrivée du demandeur au Canada et à l’introduction de sa demande d’asile. La Section d’appel des réfugiés a aussi souligné que le demandeur n’a fourni aucune lettre provenant du Royaume-Uni, malgré qu’il soit au fait de son orientation sexuelle lorsqu’il y vivait.
VIII.
DISCUSSION
[53]
Vu les faits de la présente affaire, il était raisonnable pour la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés d’avoir des doutes quant à la crédibilité des allégations du demandeur, selon lesquelles il craignait d’être persécuté et exposé à un risque s’il retournait au Nigéria.
[54]
Le demandeur affirme être bisexuel, et la Section de la protection des réfugiés ainsi que la Section d’appel des réfugiés semblent toutes les deux avoir admis que l’État n’offre pas de protection pour les minorités sexuelles au Nigéria, et que, pour reprendre les termes de la Section de la protection des réfugiés, [traduction] « [l]e Nigéria est un endroit dangereux pour les personnes qui ont eu ou qui auront des relations homosexuelles […] »
. Par conséquent, la question déterminante était de savoir si le demandeur est bien bisexuel.
[55]
Au moment de l’audience devant la Section de la protection des réfugiés, le demandeur avait 40 ans. Il avait, apparemment, vécu au Nigéria sans problème concernant sa bisexualité, et s’était ensuite installé au Royaume-Uni en 2011, où il a suivi des études et travaillé avant de venir au Canada en novembre 2016.
[56]
Le demandeur est marié à une femme depuis 2004 et a deux enfants, mais les époux sont séparés depuis janvier 2016.
[57]
Aucune preuve ne permet d’établir que lors de son séjour au Royaume-Uni, le demandeur avait des liens avec les communautés ou les groupes bisexuels ou homosexuels. De plus, le demandeur n’a pas demandé l’asile lorsqu’il vivait au Royaume-Uni, laissant ainsi supposer qu’il ne craignait pas de retourner au Nigéria à cette époque.
[58]
En fait, le demandeur affirme qu’il n’a commencé à craindre pour sa vie au Nigéria qu’après être venu au Canada pour assister à une conférence en novembre 2016. Il semble qu’il ne soit pas venu au Canada dans le but de demander l’asile. Il affirme cependant que le lendemain de son arrivée, un cousin l’a appelé depuis le Nigéria pour l’informer qu’un oracle avait affirmé qu’il avait participé à des activités bisexuelles avec des hommes; c’est cette révélation qui l’a exposé à un risque, même si son penchant bisexuel allégué remonte à sa jeunesse lorsqu’il vivait encore au Nigéria.
[59]
Il est donc clair que, compte tenu des antécédents du demandeur, de son statut matrimonial, et de sa présence fortuite au Canada la veille du jour où il a appris que son secret avait été révélé par un oracle au Nigéria, la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés devaient déterminer si le demandeur pouvait être cru quand il affirmait qu’il était bisexuel. Les deux tribunaux ont conclu que le demandeur manquait de crédibilité quant à l’aspect central de sa demande, à savoir qu’il était bisexuel ou qu’il serait perçu comme tel, et comme une personne ayant eu des relations homosexuelles, s’il retournait au Nigéria.
[60]
La Section d’appel des réfugiés partageait les préoccupations de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité, mais a également effectué sa propre évaluation et a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.
[61]
Comme le souligne le défendeur, la décision de la Section d’appel des réfugiés repose sur trois principaux sujets de préoccupation : les incohérences et les omissions en ce qui a trait aux aspects importants de la demande; le défaut du demandeur de demander l’asile au Royaume-Uni alors qu’il savait qu’il était bisexuel et que, de ce fait, il serait en danger au Nigéria; et l’insuffisance de la preuve documentaire. Il m’apparaît à la lecture de la décision que c’est l’effet cumulatif de ces préoccupations qui a conduit à une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur au sujet de sa prétendue bisexualité.
[62]
Malgré la nécessité évidente de vérifier les allégations du demandeur, j’estime que la décision de la Section d’appel des réfugiés comporte plusieurs erreurs de fond importantes qui la rendent mal-fondée et qui exigent qu’elle soit renvoyée pour réexamen.
A.
Défaut de demander l’asile au Royaume-Uni.
[63]
Tout d’abord, la façon dont la Section d’appel des réfugiés a traité le défaut du demandeur de demander l’asile au Royaume-Uni est problématique. La Section de la protection des réfugiés a abordé la question dans les termes suivants :
[traduction]
3.4 Le demandeur n’explique pas de façon raisonnable la raison pour laquelle il n’a pas demandé l’asile au Royaume-Uni
[18] De mai 2011 à novembre 2016, le demandeur a vécu au Royaume-Uni. Il n’y a pourtant pas demandé l’asile, alors qu’il savait depuis 2012 qu’il éprouvait [traduction] « du plaisir à avoir des relations sexuelles avec un autre homme et […] que c’est quelque chose qu’[il] appréciait vraiment et devait combattre ». Quand on lui a demandé pourquoi il n’avait pas communiqué avec le Royaume-Uni pour demander l’asile, le demandeur a affirmé qu’il n’était pas en danger, avant que l’oracle ne révèle son secret. Je n’accepte pas cette réponse. Les documents présentés par le demandeur lui-même incluent des articles portant des titres tels que : [traduction] « Nigéria : des hommes gais traînés de force hors du lit, brutalement battus par une foule en colère », [traduction] « Un Nigérian lynché à mort parce qu’il était gai », et [traduction] « Les autorités nigérianes arrêtent et battent des hommes soupçonnés d’être homosexuels ». Toute personne qui « appuie l’enregistrement, la gestion et la subsistance de clubs, de sociétés, d’organisations, de défilés ou de rencontres de gais au Nigéria commet une infraction et sera passible d’une peine d’emprisonnement de 10 ans sur déclaration de culpabilité ». Compte tenu de cette violente homophobie, et du fait qu’il avait dévoilé sa bisexualité à son ex-épouse, la prétendue attitude désinvolte du demandeur quant au retour dans son pays n’est pas crédible, selon la prépondérance des probabilités.
[19] Même si ce facteur n’est pas déterminant, j’estime que le défaut du demandeur de demander l’asile au Royaume-Uni ne m’incite pas à conclure que ses allégations sont dignes de foi.
[Notes de bas de page omises; souligné dans l’original.]
[64]
L’approche adoptée par la Section d’appel des réfugiés sur cette question diffère quelque peu :
Délai, défaut de demander l’asile dans un autre pays
[28] L’appelant a vécu au Royaume-Uni de 2011 à 2016, mais n’a pas demandé l’asile dans ce pays. Prié par la SPR d’expliquer pourquoi il n’avait pas demandé l’asile dans ce pays, l’appelant a répondu qu’il n’avait pas été menacé avant qu’un oracle ne révèle son orientation sexuelle pendant son séjour au Canada. La SPR a jugé que la réponse de l’appelant n’était pas raisonnable et a conclu que le défaut de l’appelant de demander l’asile au Royaume-Uni ne l’incitait pas à conclure que ses allégations étaient dignes de foi.
[29] L’appelant allègue que la SPR a commis une erreur car selon lui, il a fourni une explication raisonnable pour justifier son défaut de demander l’asile plus tôt dans un autre pays. En effet, selon l’appelant, sa vie n’a été menacée que lorsqu’il se trouvait au Canada, et il était donc normal pour lui de demander l’asile uniquement au Canada.
[30] La SAR a fait son propre examen indépendant de la preuve, et elle ne souscrit pas à l’argument de l’appelant. L’appelant a, de son propre aveu, affirmé qu’il était attiré par des hommes depuis l’époque où il étudiait à l’université (de 1995 à 1999). Il a également entretenu une relation homosexuelle en 2012. Il a en outre montré qu’il connaissait l’existence de divers documents sur les très mauvais traitements que subissent les minorités sexuelles aux mains des autorités nigérianes, et a déposé des documents à cet égard. De même, il a confirmé que son épouse était au courant de sa relation homosexuelle bien avant qu’il vienne au Canada. La SAR ajoute que l’appelant est un homme particulièrement instruit, qui parle couramment anglais et qui a beaucoup voyagé. En effet, l’appelant a vécu, étudié et travaillé au Royaume-Uni pendant plusieurs années (et a fait les démarches nécessaires afin d’obtenir un visa pour y arriver). Il a aussi obtenu des visas pour les États‑Unis et le Canada. Par conséquent, la SAR estime que le défaut de l’appelant de demander l’asile plus tôt dans un autre pays et la raison qu’il a fournie pour ne pas l’avoir fait minent sa crainte subjective, sa crédibilité générale et la crédibilité de ses allégations de persécution.
[65]
La difficulté dans les deux décisions tient au fait que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés ne tiennent pas réellement compte de l’explication du demandeur quant à son défaut de demander l’asile au Royaume-Uni, laquelle est claire et cohérente : il ne se sentait pas en danger parce que son secret n’avait pas été révélé par l’oracle; ainsi, malgré son penchant bisexuel, et les rencontres du passé (qui n’étaient pas nombreuses), il n’avait aucune raison de craindre la persécution.
[66]
Au lieu d’examiner cette explication, la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés s’engagent dans des évaluations hypothétiques à propos de ce qu’aurait fait le demandeur, selon elles, s’il avait vraiment été bisexuel. À mon avis, le problème que posent ces évaluations est qu’elles supposent que toute personne bisexuelle provenant du Nigéria demanderait l’asile à la première occasion, peu importe si son orientation sexuelle a été révélée ou non. Cependant, aucun élément de preuve n’étaye ce postulat. Le demandeur n’affirme pas être en danger parce qu’il est bisexuel; il est en danger parce qu’il a entretenu une relation homosexuelle par le passé et que, contre toute attente, son secret a été révélé. Lorsqu’il vivait et travaillait au Royaume-Uni, sa bisexualité n’avait pas été révélée, et il n’avait aucune raison de penser qu’elle le serait un jour. Au Canada, il est considéré comme un bisexuel dont l’orientation sexuelle a été révélée au Nigéria, et on sait désormais qu’il a entretenu des rapports homosexuels. À mon avis, les deux situations sont complètement différentes, même si la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés essaient, de façon déraisonnable selon moi, de faire table rase de ces différences.
[67]
Le demandeur ne prétend pas être en danger au Nigéria parce qu’on le soupçonne d’être bisexuel. Il affirme être en danger parce qu’il a participé à des activités homosexuelles et que ce secret a été révélé alors qu’il se trouvait au Canada, et non au Royaume-Uni.
[68]
Les observations écrites du défendeur sur cette question révèlent, selon moi, qu’il est impossible de soutenir raisonnablement les conclusions de la Section d’appel des réfugiés à ce sujet :
[TRADUCTION]
16. En ce qui concerne le défaut du demandeur de demander l’asile au Royaume-Uni, la SAR devait examiner deux récits contradictoires. D’abord, le demandeur a affirmé que personne n’était au courant de son orientation sexuelle jusqu’à son arrivée au Canada. Deuxièmement, le demandeur a affirmé qu’il savait qu’il était gai lorsqu’il vivait au Royaume-Uni et qu’il était également au courant du traitement sévère réservé aux homosexuels au Nigéria. Cela soulève évidemment la question de savoir ce que le demandeur comptait faire à son retour au Nigéria. S’il existait toujours une possibilité imminente qu’un oracle révèle le secret du demandeur à un moment ou à un autre, il ne pouvait être déraisonnable pour la SAR de s’attendre à ce que le demandeur demande l’asile pendant qu’il était au Royaume-Uni.
[69]
Si une question devait être soulevée ici, cette question n’a jamais été examinée par la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés. Le défendeur essaie de justifier le fait que la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés n’ont pas réellement évalué l’explication fournie par le demandeur. Ni la Section de la protection des réfugiés ni la Section d’appel des réfugiés n’affirme qu’il [traduction] « existait toujours une possibilité imminente qu’un oracle révèle le secret du demandeur à un moment ou à un autre »
et rien ne prouve que l’on n’ait jamais fait part de cette [traduction] « possibilité »
au demandeur afin qu’il y réponde. En fait, lorsqu’on lui a demandé la raison pour laquelle il estimait que personne au Nigéria n’était au courant de sa bisexualité, il a répondu qu’il avait gardé son orientation sexuelle secrète et ne pensait pas que quelqu’un était au courant. Voir le dossier certifié du tribunal (DCT), page 93, lignes 16 à 25.
[70]
À mon avis, la réponse du demandeur à l’argument du défendeur quant à la [traduction] « possibilité imminente »
est convaincante :
[traduction]
44. En ce qui concerne le défaut du demandeur de demander l’asile au Royaume-Uni, il ne s’agissait pas d’une question liée à la possibilité imminente qu’un oracle révèle le secret du demandeur à un moment ou à un autre, comme le défendeur le souligne dans son mémoire des arguments, ce qui semble laisser sous-entendre que le demandeur avait [une] idée préconçue que sa bisexualité serait révélée à sa famille et à sa communauté [après avoir été] révélée par l’oracle.
45. D’après le récit du demandeur, les faits étaient que lorsqu’il vivait au Royaume-Uni, sa famille élargie n’était pas au courant de sa bisexualité. Dans son formulaire de fondement de la demande, le demandeur a affirmé que ces informations n’avaient pas été divulguées au moment de son arrivée au Canada et, par conséquent, il ne courait aucun risque de persécution alors qu’il était au Royaume-Uni, puisque sa bisexualité n’était pas connue.
46. Ainsi, la question n’est pas de savoir si le revendicateur a déjà eu, dans le passé, des motifs de craindre la persécution, mais bien celle de savoir s’il a aujourd’hui, au moment où l’on statue sur sa revendication, des motifs sérieux de craindre d’être persécuté dans l’avenir Mileva c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 CF 398 (C.A.). En l’espèce, le demandeur craint la persécution dans l’avenir et son défaut de demander l’asile au Royaume-Uni, alors qu’il ne courait aucun risque et qu’il n’avait pas de crainte subjective, n’aurait pas dû servir de prétexte pour remettre en cause sa crédibilité.
[Référence omise.]
[71]
En outre, le demandeur a soutenu dans son témoignage que son ami Emmanuel avait fait part de sa relation avec Tony à son épouse, mais que Emmanuel ne savait pas que Tony était un homme (DCT, page 89, lignes 4 à 7). Le demandeur ne courait donc aucun risque qu’Emmanuel révèle sa bisexualité. C’est le demandeur lui-même qui a expliqué à son épouse que Tony était un homme, et rien ne permet d’établir que son épouse a menacé de révéler son secret. Dans son formulaire FDA, le demandeur affirme simplement qu’[traduction] « [e]lle pensait que je fréquentais une autre femme, mais je lui ai dit la vérité au sujet de Tony, et que je ne couchais pas avec d’autres femmes, mais que Tony me procurait une satisfaction différente »
(DCT, page 61). En réaction, sa femme l’a donc quitté. Par conséquent, rien ne prouve que le demandeur avait quelque chose à craindre au Nigéria jusqu’à ce qu’il vienne au Canada et apprenne de son cousin que son secret avait été révélé, non pas par sa femme, mais par un oracle au Nigéria. Le cousin n’a pas cru aux révélations de l’oracle, mais le demandeur lui a avoué qu’il était attiré par des hommes. C’est alors qu’est apparu le danger, et c’est à ce moment, et non avant, que le demandeur a raisonnablement conclu qu’il devrait demander l’asile (DCT, de la page 99, ligne 33, à la page 100, ligne 8).
[72]
On ne sait pas non plus exactement ce que la Section d’appel des réfugiés considère comme contradictoire dans le témoignage du demandeur concernant le fait qu’Emmanuel aurait révélé à son épouse sa liaison avec Tony. La décision ne le précise pas. Le FDA indique : [traduction] « En janvier 2016, mon épouse a découvert que je la trompais, par le biais d’un ami qui m’a vu dans un bar avec Tony. Elle pensait que j’étais avec une autre femme, mais je lui ai dit la vérité au sujet de Tony […] »
(non souligné dans l’original). La confusion initiale semble être liée au fait que la Section de la protection des réfugiés a cru que la ligne dans le formulaire FDA où l’on parlait d’[traduction] « un ami »
faisait référence à un ami de la femme du demandeur. Mais le demandeur précise qu’il voulait dire [traduction] « mon ami »
dans le formulaire FDA, ce qui n’est pas incohérent (DCT, page 89, ligne 1). Il poursuit en expliquant la raison pour laquelle son ami Emmanuel aurait pu croire que Tony était une femme. Certes, il n’y a pas beaucoup de détails quant à l’identité de cet Emmanuel, mais je ne vois pas en quoi la réponse du demandeur au bas de la page 89 est vague. Je souligne qu’il s’agit d’une conclusion originale de la Section d’appel des réfugiés, elle n’est donc pas simplement fondée sur les constatations de la Section de la protection des réfugiés.
[73]
Dans son évaluation de la crainte subjective et de la crédibilité générale du demandeur, la Section d’appel des réfugiés tient compte du défaut du demandeur de demander l’asile au Royaume-Uni : « Par conséquent, la SAR estime que le défaut [du demandeur] de demander l’asile plus tôt dans un autre pays et la raison qu’il a fournie pour ne pas l’avoir fait minent sa crainte subjective, sa crédibilité générale et la crédibilité de ses allégations de persécution. »
[74]
À mon avis, il n’était pas raisonnable que la Section d’appel des réfugiés s’appuie sur le défaut du demandeur de demander l’asile au Royaume-Uni pour conclure que « le défaut [du demandeur] de demander l’asile plus tôt dans un autre pays et la raison qu’il a fournie pour ne pas l’avoir fait minent sa crainte subjective, sa crédibilité générale et la crédibilité de ses allégations de persécution »
. Le statut de réfugié n’est pas accordé pour une persécution qui pourrait ne jamais se concrétiser et lorsqu’il n’existe aucune preuve permettant d’établir qu’il existe une probabilité ou une possibilité réelle qu’elle se concrétise.
B.
Second affidavit du frère
[75]
La Section d’appel des réfugiés convient que le second affidavit du frère « semble conforme aux exigences de la loi et pourrait être accepté à titre de nouvel élément de preuve »
, mais elle l’écarte en raison de préoccupations quant à la crédibilité.
[76]
Ces préoccupations sont les suivantes :
[16] La SAR a de sérieuses préoccupations relativement à la crédibilité de l’affidavit, supposément de « Steve OgoGbemedu », frère de l’appelant. L’appelant a déjà soumis un affidavit de Steve ainsi que des copies de pièces de correspondance qu’ils se sont envoyées. La SAR constate que la SPR doutait de la crédibilité de l’affidavit précédent du frère de l’appelant. Le nouvel affidavit proposé du frère comprend deux photos de format passeport de deux personnes différentes. Il n’est pas clair qui sont ces personnes et pourquoi des photos d’elles sont jointes à l’affidavit. Il n’est pas clair non plus si l’une des photos est celle de la personne qui a authentifié le document et, si tel est le cas, pourquoi le notaire public fournirait sa photo, particulièrement compte tenu du contenu de l’affidavit. Qui plus est, la SAR constate que la même photo d’une des personnes figure sur au moins deux des affidavits déjà présentés par l’appelant. Or, même si ces affidavits contiennent tous la même photo, les souscripteurs et les personnes qui ont authentifié les documents ne sont pas les mêmes. De surcroît, l’en-tête et le sceau portant le nom des notaires sont également différents. La SAR constate aussi que les documents contiennent des fautes d’orthographe et de grammaire évidentes et que l’épellation du nom du frère manque d’uniformité. Par exemple, l’appelant n’écrit pas le nom de son frère (Steve Ogo Gbemudu) de la façon dont son frère écrit son propre nom dans son affidavit et d’autres pièces de correspondance. Il est raisonnable de s’attendre à ce que l’appelant sache écrire le nom de son frère.
[Renvois omis.]
[77]
De plus, la Section d’appel des réfugiés a souligné qu’il était facile d’obtenir des documents frauduleux au Nigéria, qu’aucune confirmation de l’identité n’est jointe à l’affidavit, qu’il n’y avait aucune enveloppe ni aucun courriel ou autre élément de suivi relativement à la manière dont le document aurait été envoyé du Nigéria, et que « la SAR estime qu’il n’est pas crédible, dans les circonstances, que le frère [du demandeur] signe un affidavit concernant l’appelant et à l’appui de celui-ci »
.
[78]
Je ne pense pas que la Section d’appel des réfugiés puisse être blâmée d’avoir des doutes quant à la crédibilité de l’affidavit du frère. Cependant, elle aurait pu dissiper facilement certains de ces doutes en donnant la possibilité au demandeur de s’expliquer à ce sujet, et ces doutes ne prouvent pas, en soi, que l’affidavit est frauduleux. Le fait de joindre des photos de personnes que la Section d’appel des réfugiés ne pouvait identifier ne signifie pas que l’affidavit est frauduleux. De même, le fait que les déposants et les personnes ayant notarié les documents soient différentes ne prouve pas, en soi, que l’affidavit est frauduleux, pas plus que les erreurs d’orthographe et de grammaire souvent présentes dans les documents soumis à la Cour. Voir la décision Ali précitée, au paragraphe 31, et la décision Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 170, au paragraphe 3. Le défendeur soutient que c’est l’effet cumulatif de toutes ces questions qui suscite des préoccupations quant à la crédibilité. Je ne peux pas voir comment ces facteurs qui, examinés de façon individuelle n’appuient pas l’idée qu’un affidavit est faux, peuvent laisser croire à une fraude lorsqu’ils sont examinés ensemble.
[79]
La disponibilité de documents frauduleux au Nigéria ne signifie pas que tous les documents provenant de ce pays sont frauduleux, ni que l’affidavit du frère ne devrait pas être évalué sur le fond. Par exemple, la disponibilité de documents frauduleux ne signifie pas qu’un affidavit qui contient des photos, ainsi que des erreurs de grammaire et d’orthographe, est probablement frauduleux.
[80]
Le fait que la Section d’appel des réfugiés s’appuie sur le changement d’avis du frère atteste qu’elle est sélective quant aux éléments de preuve qu’elle examine. De nombreuses raisons pourraient expliquer pourquoi le frère se dit furieux contre son frère et ne veut pas l’aider, et qu’il menace de [traduction] « le [rechercher] personnellement, peu importe où sur la planète »
, notamment ses craintes pour sa propre sécurité et l’attitude de sa famille. La Section d’appel des réfugiés omet de mentionner que dans son affidavit précédent, le frère avait clairement indiqué que [traduction] « je ne suis toujours pas content de Richard, car il nous a déçus, cependant, je ne souhaite pas qu’il meure »
et [traduction] « j’ai également conseillé à Richard de ne pas revenir au Nigéria comme prévu, car sa vie est sérieusement menacée […] »
. Si la Section d’appel des réfugiés souhaite se servir des propos du frère pour étayer sa conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’affidavit, alors elle doit examiner et évaluer tout ce que dit le frère. Elle ne peut pas uniquement, comme en l’espèce, choisir les aspects du témoignage dont elle a besoin pour soutenir une conclusion défavorable. Cela revient à décider de ne pas croire le demandeur, et à ensuite rechercher les éléments du témoignage qui étayeront la conclusion à laquelle elle est déjà parvenue. Le rôle de la Section d’appel des réfugiés est d’évaluer objectivement tous les éléments de preuve pertinents avant de tirer une conclusion quant à la crédibilité. Voir la décision Ruiz, précitée, aux paragraphes 9 et 10.
[81]
La Section d’appel des réfugiés affirme également qu’elle « estime non crédible le fait que le frère en question présente maintenant un nouvel affidavit à l’appui de l’appelant, alors qu’il risque lui aussi d’attirer l’attention des autres agents de persécution présumés, notamment les autorités »
. La Section de la protection des réfugiés, mais pas la Section d’appel des réfugiés, cite le document RDI 105653.E pour appuyer son affirmation selon laquelle la signature d’un affidavit en appui à un membre de la famille [traduction] « pourrait également exposer le déposant aux risques extrajudiciaires auxquels font face les personnes associées à l’homosexualité au Nigéria […] »
: décision de la Section de la protection des réfugiés, au paragraphe 21. La RDI vise d’une part à déterminer si un avocat pourrait notarier une déclaration dans laquelle une personne admet avoir connaissance de l’orientation sexuelle d’une autre personne. L’on y cite un praticien du droit qui affirme ce qui suit :
[...] il serait dangereux pour quelqu’un de faire une telle demande à un avocat même si les avocats sont soumis au secret professionnel. [...] [Parce que] suivant les dispositions de la loi interdisant le mariage entre personnes de même sexe (Same-Sex Marriage Prohibition Act), un avocat sera tenu de déclarer ce client aux autorités[,] sinon il est passible d’une peine d’emprisonnement pour avoir possédé ces renseignements et avoir omis de les signaler.
(Dossier certifié du tribunal, p. 388)
Cependant, les informations contenues dans la RDI semblent toutes être hypothétiques, et l’on indique qu’il est peu probable que l’on demande un tel document. Je ne peux trouver au dossier aucune description de cas où des personnes ont effectivement été sanctionnées pour avoir souscrit un tel affidavit. La preuve produite devant la Section d’appel des réfugiés indiquait que le nouvel affidavit était, quoi qu’il en soit, confidentiel et uniquement destiné à être utilisé dans le cadre des présentes procédures au Canada. Le fait que le second affidavit du frère n’indique pas précisément qu’il est au courant de l’orientation sexuelle du demandeur est également pertinent. Il relate seulement l’allégation de la police et le refus du frère d’admettre que le demandeur se trouve au Nigéria. Je souligne également que dans son premier affidavit, le frère parle davantage du fait qu’un oracle a révélé l’orientation sexuelle du demandeur, et il prend soin de dénoncer son comportement et de lui conseiller de ne pas retourner au Nigéria.
[82]
L’affidavit révèle par ailleurs que la faute d’orthographe dans le nom du frère, que la Section d’appel des réfugiés prend soin de signaler, provient de la différence entre « Steve Ogo Gbemudu »
et « Steve OgoGbemudu »
. À mon avis, cela ne constitue pas une preuve suffisante pour soutenir une conclusion selon laquelle le demandeur ne sait pas comment épeler le nom de son frère. C’est un argument beaucoup trop microscopique. Voir la décision Ali, précitée, au paragraphe 31.
[83]
À mon avis, l’exclusion par la Section d’appel des réfugiés de cette preuve par affidavit pour des motifs de crédibilité était déraisonnable.
[84]
Le demandeur a soulevé d’autres sujets de préoccupation, mais il n’est pas nécessaire de tous les aborder ici. Compte tenu de ces deux erreurs importantes, l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen. Toutefois, je donnerai quelques exemples qui me laissent perplexe.
[85]
Je constate que la Section d’appel des réfugiés ne mentionne pas la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle le témoignage du demandeur était contradictoire quant à la façon dont il a appris que, du point de vue biologique, Tony était un homme. Il n’est donc pas clair si la Section d’appel des réfugiés désapprouve la conclusion de la Section de la protection des réfugiés. Toutefois, après avoir comparé la transcription, DCT, pages 86 et 87, avec le récit figurant dans le formulaire FDA, j’ai du mal à voir la contradiction relevée par la Section de la protection des réfugiés. La Section de la protection des réfugiés semble adopter une interprétation déraisonnablement restrictive du terme [traduction] « admis »
utilisé dans le formulaire FDA, et s’attarde ensuite sur la déclaration du demandeur selon laquelle Tony [traduction] « n’a rien dit de plus »
avant qu’ils aient des rapports sexuels (voir la décision de la Section de la protection des réfugiés, aux paragraphes 8 et 9). Cependant, cet argument ne tient pas compte du fait qu’avant de faire cette déclaration, le demandeur a aussi expliqué que lorsque Tony s’est déshabillé pour la première fois, il a été [traduction] « un peu choqué, et elle m’a demandé pourquoi j’étais surpris, et je lui ai dit bien je ne savais pas que tu étais un homme. Nous avons commencé à parler et la relation amoureuse a commencé à devenir sérieuse »
et ensuite [traduction] « je n’arrivais pas à croire qu’il était un homme, c’est donc de cela que nous avons parlé »
(non souligné dans l’original). Et lorsque la Section de la protection des réfugiés fait part de cette contradiction perçue au demandeur, il affirme catégoriquement que son récit tient debout. Ensuite, la Section de la protection des réfugiés conclut que le demandeur [traduction] « a donné deux versions très différentes »
. Voir la décision de la Section de la protection des réfugiés, au paragraphe 11.
[86]
La Section d’appel des réfugiés affirme également que la « SPR a aussi tenu compte de la preuve documentaire objective, et lui a accordé plus de poids qu’aux réponses vagues de l’appelant »
et convient que le témoignage du demandeur sur la manière dont il a obtenu les documents (par exemple, grâce à son ami « Greg »
au Royaume-Uni) était vague. Cependant, je ne vois pas comment il peut être affirmé que cette conclusion de la Section d’appel des réfugiés est fondée sur la décision de la Section de la protection des réfugiés.
[87]
La Section d’appel des réfugiés semble confondre les documents que « Greg »
a fournis au demandeur. La discussion au sujet de Greg découle du fait que le demandeur a expliqué qu’il ne pouvait pas obtenir tous les documents dont il avait besoin au Royaume-Uni (DCT, page 70). La Section de la protection des réfugiés est plus tard revenue sur le sujet et le demandeur a expliqué comment Greg a pu avoir accès aux documents (DCT, pages 73 et 74). Il est manifeste qu’il s’agissait des diplômes d’études et des documents d’emploi du demandeur qu’il avait laissés au Royaume-Uni. Le demandeur ne laisse jamais entendre que Greg lui a envoyé les affidavits, qui, logiquement, auraient dû venir directement du Nigéria, puisqu’ils ont été souscrits bien après l’arrivée du demandeur au Canada.
[88]
Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4320-17
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal de la Section d’appel des réfugiés constitué différemment.
Aucune question n’est soumise pour être certifiée.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 29e jour de juin 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-4320-17
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INTITULÉ :
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RICHARD OBIAJULU GBEMUDU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 14 mars 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE RUSSELL
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DATE DES MOTIFS :
|
Le 26 avril 2018
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COMPARUTIONS :
Dotun Davies
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Pour le demandeur
|
David Knapp
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Topmarke Attorneys LLP
Brampton (Ontario)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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