Dossier : IMM-971-18
Référence : 2018 CF 300
Ottawa (Ontario), le 15 mars 2018
En présence de monsieur le juge Roy
ENTRE :
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GARDY NOEL
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partie demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET LA PROTECTION CIVILE
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parties défenderesses
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1]
Dans la présente affaire, Monsieur Gardy Noel recherche le sursis de son renvoi qui a été ordonné pour le 21 mars 2018. Il n’est pas clair, à la face même du dossier, en quoi consiste le pouvoir de cette Cour d’ordonner le sursis étant donné le chemin procédural suivi par le demandeur.
[2]
En effet, la demande de contrôle judiciaire sous-jacente à la demande de sursis est relative au résultat négatif obtenu par Monsieur Noel lors de l’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Cette décision a été rendue le 29 novembre 2017 et elle fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire qui est toujours pendante. Or, Monsieur Noel a demandé l’obtention d’un sursis dit « administratif »
d’exécution de la mesure de renvoi le 9 mars dernier. Cette demande de sursis administratif a été refusée le 12 mars dernier. Ce refus de sursis administratif n’a pas fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire. Plutôt, le demandeur semble requérir un sursis judiciaire de la mesure de renvoi sur la base seulement que le renvoi ne devrait pas être permis du fait qu’il existe une demande de contrôle judiciaire de la décision ERAR négative rendue en novembre 2017.
[3]
Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) [Règlement] prévoit spécifiquement les cas où un sursis peut être accordé dans le cadre d’une demande ERAR. C’est l’article 232 du Règlement qui aurait pu trouver application en l’espèce. Je le reproduis :
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À l’évidence, le sursis prévu à l’article 232 ne tient plus puisque la demande de protection a été rejetée. Il n’y a maintenant qu’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du refus de la demande ERAR qui ne bénéficie pas de sursis statutaire comme c’est le cas pour d’autres demandes de contrôle judiciaire (par exemple, l’article 231 du Règlement).
[4]
La difficulté qui se présente est que la loi semble prévoir les paramètres d’un sursis de la mesure de renvoi lors de l’examen des risques avant renvoi. Qui plus est, le demandeur a tenté d’obtenir un sursis administratif à l’égard de cette mesure de renvoi. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch.27) [la Loi] prévoit elle-même le sursis de la mesure de renvoi. C’est l’article 50 de la Loi qui trouve ici application et il se lit ainsi :
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On peut donc se demander si le chemin approprié qui donnerait juridiction à cette Cour d’entendre une demande de sursis ne devrait pas être le sursis administratif en vertu de l’alinéa 50 e) de la Loi qui, lorsque refusé, pourrait faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi. Cette demande de contrôle judiciaire permet elle-même l’intervention de cette Cour pour ordonner le sursis s’il remplit les trois (3) conditions bien connues. Suivre une telle filière apparaît comme étant attrayant du fait que le sursis tel que présenté par le demandeur ne peut être le sursis d’une ordonnance de l’agent ERAR; en effet, l’agent ERAR n’ordonne rien : il ne fait que décider que la protection du Ministre n’est pas requise face aux risques évoqués. Il découle de cette décision que la mesure de renvoi devient exécutoire puisque le sursis expire. À proprement parler, le renvoi n’est pas devant la Cour fédérale puisque la seule question est plutôt l’à-propos de la décision ERAR qui ne traite pas du renvoi. De plus, le demandeur a choisi de demander un sursis administratif en vertu apparemment de l’article 50 de la Loi. Si cette décision n’est pas contestée par contrôle judiciaire, comment cette Cour peut-elle se saisir valablement de la question du sursis?
[5]
Le demandeur n’a pas été en mesure d’éclairer la Cour sur le chemin choisi. De fait, les parties n’avaient pas fait la préparation nécessaire pour argumenter sur la question. Néanmoins, j’ai choisi d’examiner la demande de sursis comme si celle-ci pouvait être régulièrement faite devant la Cour. S’il est possible de disposer de la demande de sursis sur une autre base que la question juridictionnelle, ce serait alors la voie préférable à suivre. Ainsi, j’ai considéré les trois (3) critères du test qui doivent être satisfaits en l’espèce. C’est ainsi que le demandeur doit satisfaire la Cour au sujet de chacun des éléments du test, ceux-ci étant indépendants les uns des autres et requérant une démonstration pour chacun :
Y a-t-il une question sérieuse à être débattue dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente?
Y aurait-il préjudice irréparable si la demande de sursis n’est pas accordée?
La balance des inconvénients favorise-t-elle le demandeur?
(RJR-Macdonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 et Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF))
Si le demandeur faillit sur l’un quelconque des éléments, le sursis est rejeté.
[6]
Ici, les faits de l’affaire tels que présentés sont simples. Le demandeur a quitté son pays de nationalité, Haïti, en novembre 2012. Il aurait traversé la frontière entre Haïti et la République-Dominicaine pour ensuite se rendre au Brésil. De là, il prétend avoir voyagé à travers une série de pays sud-américains, d’Amérique Centrale et au Mexique, pour se retrouver aux États-Unis. On a très peu d’information au sujet de ce périple qui ait été fournie par le demandeur. Quoi qu’il en soit, ce demandeur a fait une première tentative d’entrée au Canada en mars 2017, à Fort-Érié. Le dossier ne révèle pas comment le demandeur a choisi de faire une telle tentative dans le sud-est de l’Ontario, à la frontière entre Buffalo et le Canada. Il a été renvoyé aux États-Unis en application de l’alinéa 101(1)e) de la Loi. Il a dès lors fait l’objet d’une mesure d’exclusion au Canada pour une année.
[7]
Le défendeur a présenté à la Cour le résultat d’un questionnaire auquel le demandeur s’est soumis lors de sa tentative d’entrée au Canada en mars 2017. Le moins que l’on puisse dire est que des réponses à des questions simples n’ont pas été empreintes de toute la vérité espérée. Ainsi, lorsqu’on demande au défendeur s’il n’a jamais reçu l’ordre de quitter quelque pays que ce soit, il répond non. Or, il était sous ordre de déportation aux États-Unis. Il déclare ne pas avoir été en détention alors même qu’il a été détenu aux États-Unis et au Mexique à l’été 2016. Il nie utiliser des noms d’emprunt alors que ses empreintes digitales révèlent deux autres noms.
[8]
Selon le questionnaire, il n’est aucunement question d’atteintes à sa vie s’il retourne à son pays de nationalité. Il prétend plutôt être persécuté pour son opinion politique. Lorsqu’on lui demande pourquoi il recherchait le statut de réfugié au Canada, il répond que c’est « (p)arce que j’avais de la persécution en Haïti. Je sais que le Canada c’est un pays social. J’ai besoin d’un docteur »
. Il ajoute plus loin que « (j)e suis ici pour me faire vivre par le gouvernement du Canada »
. Je n’ai trouvé nulle trace de la version qu’il a offerte lors de la demande ERAR. Un peu plus de trois (3) mois plus tard, le 3 juin 2017, le demandeur était cette fois-ci intercepté au Québec après une entrée clandestine.
[9]
La demande ERAR a suivi et a été déposée le 29 juin 2017, et a fait l’objet d’une décision en novembre 2017.
[10]
Essentiellement, le demandeur déclare être en danger s’il est retourné à Haïti parce qu’il subirait « une persécution complexe »
. Ladite persécution complexe n’est pas facile à déchiffrer. Le demandeur allègue être membre d’une section de la KOPAD, organisation qui « s’évertuait à alphabétiser les paysans de la zone et à leur expliquer leurs droits et devoirs dans la société »
(affidavit du demandeur daté du 12 mars 2018, aussi repris dans le narratif offert lors de la demande ERAR, le 18 juillet 2017). La cause de la crainte d’une persécution complexe semble être, aux dires du demandeur, sa participation à KOPAD (Komite, Organizasyon Peysan Afiliye Delbois). Tout ce qui est révélé est que le demandeur aurait été informé par les membres de l’organisation qu’il était recherché. Aucun détail n’est fourni sur la nature de l’information, son auteur et les circonstances dans lesquelles l’information aurait été reçue.
[11]
La décision ERAR du 29 novembre 2017, lorsque lue en contexte avec les faits révélés, conclut que la demande ERAR doit être rejetée parce que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau. Essentiellement, j’en tire que l’agent ERAR a considéré que les faits révélés étaient bien minces et que la preuve documentaire soumise, traitant de la situation des Haïtiens en République-Dominicaine et au Brésil, n’apportait pas d’eau au moulin. Comme noté, le dossier ne fournit aucune précision; une allégation vague est ce qui est fourni alors même que le questionnaire, trois mois plus tôt, était silencieux à cet égard. On parle uniquement de persécution pour opinion politique et du désir de profiter du filet social canadien. Il s’agit là de la preuve soumise.
[12]
Le demandeur soumet, au titre de la question sérieuse à être soulevée sur contrôle judiciaire, que l’agent ERAR n’a pas suffisamment considéré les allégations de persécution en Haïti et que, en fin de compte, les motifs de l’agent ERAR n’expliquaient pas pourquoi il n’accordait pas de poids à la seule déclaration du demandeur. Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse-là d’une question sérieuse au sens de l’arrêt Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 3 RCF 682. En effet, lorsque le remède recherché sur une demande de sursis est le même que le remède recherché sur la demande de contrôle judiciaire, c’est-à-dire de rester au Canada, le juge est invité à examiner de près le fond de la demande sous-jacente. Il serait incongru de considérer des questions similaires sur des bases aussi différentes.
[13]
En l’espèce, un examen de cette question sérieuse fait en sorte que l’on constate que le demandeur serait confronté à la décision de la Cour suprême du Canada dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union v Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62; [2011] 3 RCS 708 où la Cour suprême déclare au paragraphe 16 que « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »
. Il n’est pas possible sur la foi de la seule allégation sans précision qu’il existe un risque personnel. Le demandeur avait ce fardeau. Le décideur a bien indiqué qu’il n’y avait pas de risque personnel en l’espèce, menant ainsi à la conclusion que la preuve documentaire offerte sur la République-Dominicaine et le Brésil n’était d’aucune assistance. Alors que l’allégation est très mince, les motifs de l’agent ERAR auraient certes pu être plus explicites et mieux articulés. Mais en considérant le dossier dans son ensemble, en fin de compte, je ne suis donc pas convaincu qu’il y ait une « question sérieuse »
dont la Cour devrait disposer sur contrôle judiciaire. Mais il n’est pas nécessaire de conclure sur cette base puisque le critère du préjudice irréparable n’est en aucune façon satisfait.
[14]
Ainsi, il me semble que ce qui fait complètement défaut en l’espèce est une démonstration du préjudice irréparable que le demandeur prétend qu’il subirait s’il devait être retourné à son pays d’origine. Essentiellement, ce demandeur prétend être en danger sans jamais dépasser une allégation générale en y ajoutant quelque preuve que ce soit.
[15]
Comme la Cour d’appel fédérale l’a répété à de nombreuses reprises, il faut bien davantage pour que le critère du préjudice irréparable soit satisfait. Je cite les paragraphes 14 à 16 de la décision Gateway City Church c Canada (Revenu national), 2013 CAF 126 qui, me semble-t-il, doivent nous servir dans l’évaluation du préjudice irréparable :
[14] Cette affirmation générale ne suffit pas pour établir l’existence d’un préjudice irréparable : Holy Alpha and Omega Church of Toronto c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 265, au paragraphe 22. Ce type d’affirmation générale peut être formulé dans toutes les affaires. L’acceptation de cette affirmation comme élément de preuve établissant en soi un préjudice irréparable affaiblirait indûment le pouvoir que le législateur a accordé au ministre, soit celui de protéger l’intérêt public dans les cas pertinents en publiant son avis et en révoquant l’enregistrement même avant que la décision soit rendue au sujet de l’opposition et, plus tard, de l’appel.
[15] Les affirmations générales ne peuvent établir l’existence d’un préjudice irréparable, car elles ne prouvent rien :
Il est beaucoup trop facile pour ceux qui demandent un sursis dans une affaire comme celle-ci d’énumérer diverses difficultés, de les qualifier de graves, puis, au moment de préciser le préjudice qui risque d’en découler, d’employer des termes généraux et expressifs qui ne servent pour l’essentiel qu’à affirmer – et non à prouver à la satisfaction de la Cour – que le préjudice est irréparable.
(Première Nation de Stoney c. Shotclose, 2011 CAF 232, au paragraphe 48.) En conséquence, « [l]es hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par les preuves n’ont aucune valeur probante » : Glooscap Heritage Society c. Ministre du Revenu national, 2012 CAF 255, au paragraphe 31.
[16] Il faut plutôt « produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » : arrêt Glooscap, précité, au paragraphe 31. Voir également Dywidag Systems International, Canada, Ltd. c. Garford Pty Ltd., 2010 CAF 232, au paragraphe 14; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, 268 N.R. 328, au paragraphe 12; Laperrière c. D. et A. MacLeod Company Ltd., 2010 CAF 84, au paragraphe 17.
[Je souligne]
(voir également Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 176)
[16]
Il s’ensuit que la demande de sursis ne peut être accordée parce que le préjudice irréparable n’a pas été établi. J’ajouterais que la balance des inconvénients favorise en l’espèce le gouvernement puisque ce demandeur n’a aucun statut au Canada, ayant fait deux tentatives en à peine 3 mois pour s’introduire au pays, d’abord à un poste d’entrée, et par la suite, plusieurs centaines de kilomètres plus loin, par voie clandestine. En aucune manière n’a-t-il été disposé à fournir des renseignements qui soient probants sur sa situation, si bien que l’intérêt public quant à l’exécution de la Loi doit l’emporter. Je rappelle que l’article 48 de la Loi prévoit expressément que la mesure de renvoi est exécutoire et que l’étranger doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible. Le gouvernement est tenu de respecter la loi adoptée par le Parlement et ce n’est pas un intérêt public négligeable.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
La demande de sursis d’exécution de la mesure de renvoi est rejetée;
Le défendeur a demandé que l’intitulé de la cause soit amendé pour que le nom du défendeur soit celui prévu à la Loi plutôt que celui utilisé plus couramment. Ainsi, on réfèrera au
« Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration »
.
« Yvan Roy »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-971-18
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INTITULÉ :
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GARDY NOEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa, Ontario (par conférence téléphonique)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 mars 2018
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE ROY
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DATE DES MOTIFS :
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LE 15 mars 2018
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COMPARUTIONS :
Olivier Chi Nouako
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Pour la partie demanderesse
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Mario Blanchard
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Pour la partie défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cabinet Olivier Chi Nouako
Montréal (Québec)
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Pour la partie demanderesse
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour la partie défenderesse
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