Date : 20180412
Dossier : T-575-17
Référence : 2018 CF 394
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 12 avril 2018
En présence de monsieur le juge Gleeson
ENTRE :
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VB
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur se représente lui-même dans la présente affaire. Il introduit la présente demande en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, L.C.R., 1985, ch. A-1 [LAI], en vue d’obtenir l’examen de la réponse du Service canadien du renseignement de sécurité [SCRS] à sa demande de documents « concernant mon identité »
. Le SCRS a interprété l’objectif de la demande comme étant d’obtenir des documents des dossiers d’enquête du SCRS. Ce dernier a répondu en informant le demandeur qu’il ne confirmerait pas ou nierait l’existence de tels documents, mais il a déclaré que s’ils existaient, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient exemptés de communication en vertu de la LAI.
[2]
Je comprends et sympathise avec le demandeur dans sa frustration d’avoir reçu une réponse du SCRS qui ne confirme pas ou nie l’existence des dossiers ou des documents demandés. Cependant, j’ai conclu que la demande doit être rejetée. Pour des motifs qui sont énoncés ci-dessous; et après avoir examiné et considéré les arguments des parties, je ne peux conclure que le SCRS a commis une erreur au moment de traiter la demande de renseignements du demandeur ou que la décision de ne pas confirmer ou nier l’existence des documents demandés était déraisonnable.
II.
Faits
A.
La demande
[3]
En juin 2015, le demandeur s’est fondé sur la LAI afin de demander au SCRS de communiquer tout document ayant des renseignements sur lui. Il a déclaré qu’il a fait la demande après avoir lu un article dans le Toronto Star en mai 2015, qui décrivait le processus de demande de la LAI.
[4]
La demande LAI du demandeur se lit comme suit :
[traduction] J’aimerais obtenir des documents ou être informé sur l’existence de documents concernant mon identité. Cela pourrait inclure, mais sans s’y limiter, la cybersurveillance, l’historique de publications, les antécédents de voyage, l’historique de dossiers aux tribunaux, etc. ou tout autre document ayant mon nom [VB] inscrit.
[5]
Le SCRS a répondu à la demande en juillet 2015 et n’a ni confirmé ni nié que de tels documents de renseignement existaient, mais il a affirmé que s’il y en avait, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient exemptés de communication en vertu du paragraphe 15(1) ou des alinéas 16(1)a) et c) de la LAI. La présente lettre en réponse était brève et la partie pertinente déclarait ce qui suit :
[traduction] Selon les renseignements contenus dans votre demande, veuillez prendre note que le fichier de renseignements personnels du SCRS indiqué ci-dessous a été vérifié avec les résultats suivants :
Dossiers d’enquête du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS PPU 045) – En vertu du paragraphe 10(2) de la Loi, nous ne confirmons ni ne nions que les documents que vous avez demandés existent. Cependant, nous vous informons, comme il est exigé à l’alinéa 10(1)b) de la Loi, si de tels documents existent, on pourrait s’attendre à ce qu’ils soient exemptés de communication en vertu d’un ou plusieurs alinéas du paragraphe 15(1) (étant donné qu’ils se rapportent aux efforts de détection, de prévention ou subversives du Canada), 16(1)a) et c) de la Loi.
B.
Plainte auprès du Commissariat à l’information du Canada
[6]
Le demandeur a déposé une plainte auprès du Commissariat à l’information du Canada [le Commissariat].
[7]
La plainte du demandeur auprès du Commissariat ne fait pas partie du dossier, même si les conclusions tirées par le Commissariat sont présentées devant la Cour. Le rapport des conclusions [RDC] déclare que [traduction] « [a]u cours de notre enquête, nous avons tenu compte de vos observations, ainsi que des observations faites par le SCRS concernant la décision d’invoquer le paragraphe 10(2) »
. Il paraît que la plainte se limitait au recours du SCRS, au paragraphe 10(2) de la LAI, de ne pas confirmer ou nier l’existence des documents demandés.
[8]
Le Commissariat a mené une enquête et a résumé ses conclusions dans un RDC daté du 9 mars 2017. Le RDC informe le demandeur que le Commissariat a conclu que le refus du SCRS de divulguer l’existence de documents était raisonnable. Le Commissariat a conclu en outre qu’en citant les fichiers de renseignements personnels [FRP] dans sa réponse à une demande LAI, le SCRS a créé une certaine confusion pour les demandeurs et, sur ce fondement, il a classé la plainte comme étant bien fondée. Le Commissariat a conclu également que la confusion soulevée du fait de citer des FRP n’a pas touché le fondement de la décision du SCSRS de rendre la décision invalide ou incomplète. La partie pertinente du RDC déclare ce qui suit :
[traduction] Selon notre enquête, le recours du CSRC au paragraphe 10(2) est raisonnable et le fait de ne pas confirmer ou nier l’existence de documents est assujetti au paragraphe 15(2) et des alinéas 16(1)a) et 16(1)c) de la Loi.
Cependant, nous avons également établi que l’utilisation de FRP de la part du SCRS afin de répondre à ces demandes LAI était inappropriée. Nous avons rencontré des agents du SCRS pour discuter de l’utilisation des fichiers de renseignements personnels (FRP) pour répondre aux demandes d’accès à l’information (DAI), étant donné que le processus n’est pas clair pour les demandeurs, et cela peut mener à des plaintes envoyées à notre bureau. Le SCRS a accepté de mettre fin à cette pratique immédiatement et de continuer à répondre conformément à l’article 10 de la Loi.
C.
Étapes procédurales présentées devant la Cour
[9]
Après avoir reçu le RDC, le demandeur a déposé la présente demande en avril 2017.
[10]
En juin 2017, le défendeur a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité. Sa requête visait la prévention de la divulgation de renseignements au cours de l’examen de la Cour de la décision du SCRS de ne pas confirmer ou nier l’existence d’un document cherché et du recours du SCRS aux articles 15 et 16 de la LAI pour exempter des documents, s’il en existe, de toute divulgation au demandeur.
[11]
Le juge Simon Noël a rendu une ordonnance datée du 28 juin 2018 permettant au défendeur de déposer, en plus de son dossier public de la demande, un affidavit secret supplémentaire et une version secrète du mémoire du défendeur. L’ordonnance du juge Noël prévoit en outre que le défendeur peut présenter des arguments confidentiels ex parte à huis clos, tel que prévu par l’article 52 de la LAI.
[12]
J’ai eu l’occasion d’examiner l’affidavit secret supplémentaire et la version secrète du mémoire déposé par le défendeur. Le 23 février 2018, j’ai présidé une audience ex parte à huis clos à Ottawa, où le déposant du défendeur s’est présenté.
[13]
Le demandeur cherchait à obtenir une version expurgée de la transcription de l’audience ex parte à huis clos. J’ai ordonné, plutôt, qu’un résumé de l’audience soit préparé par le défendeur basé sur la transcription. Après avoir examiné le résumé, j’ai ordonné qu’il soit communiqué au demandeur, le 2 mars 2018. Dans une correspondance avec le greffe de la Cour fédérale le 2 mars 2018, le demandeur a indiqué certaines préoccupations avec le résumé fourni, mais il a informé la Cour, au cours de l’audience publique du 5 mars 2018, qu’il avait mis l’accent sur les questions essentielles soulevées dans la demande, et qu’il n’avait aucune intention de poursuivre des préoccupations à l’égard du résumé.
[14]
Subséquemment à l’audience publique, le demandeur a écrit à la Cour afin d’indiquer qu’il cherchait des dommages-intérêts et d’autres réparations que la Cour jugeait appropriées, en plus des dépens. En réponse, le défendeur a souligné que la réparation cherchée dans la demande était de la nature d’un certiorari en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, DORS/98-106 [CAF]. Le défendeur a soutenu que la Cour n’a pas compétence pour accorder des dommages-intérêts à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire (Lessard-Gauvin c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 172, citant Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62). Je suis convaincu par les arguments du défendeur, mais, après avoir conclu que la demande doit être rejetée, il ne m’est pas nécessaire d’examiner la disponibilité de dommages-intérêts. Les dépens sont traités à la fin des présents motifs.
III.
Dispositions législatives pertinentes
[15]
Les citoyens canadiens et les résidents permanents ont droit d’accès aux documents relevant d’une institution fédérale, sous réserve des exceptions prévues par la LAI (article 4). Lorsque l’accès aux documents est refusé, l’institution fédérale n’est pas obligée de confirmer l’existence des documents demandés (paragraphe 10(2)). Mais, en refusant de fournir l’accès aux documents, si une institution fédérale choisit de ne pas confirmer l’existence des documents, elle doit aussi informer le demandeur de la disposition LAI sur laquelle un refus d’accès pourrait « raisonnablement se fonder »
si le document existe (alinéa 10(1)b)).
[16]
Dans la présente affaire, le SCRS a informé le demandeur qu’on pourrait raisonnablement s’attendre à un refus selon le paragraphe 15(1) et les alinéas 16(1)a) et c) si des documents existaient en réalité.
[17]
Le paragraphe 15(1) est une disposition très large capturant des renseignements sur la conduite des affaires internationales, la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou sur la détection, sur la prévention ou sur la répression d’activités hostiles ou subversives.
[18]
L’alinéa 16(1)a) protège les renseignements obtenus d’enquêtes licites menées par des organismes d’enquête. L’alinéa 16(1)c) protège les renseignements qui pourraient « risquer vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d’enquêtes licites »
.
[19]
La LAI prévoit également qu’une institution fédérale « est tenue de refuser la communication de documents contenant les renseignements personnels visés à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels »
(paragraphe 19(1)). Cette interdiction de la communication de renseignements personnels est sous réserve du paragraphe 19(2) qui prévoit que les renseignements personnels peuvent être communiqués dans des situations particulières, y compris lorsqu’une personne concernée par les renseignements consent à la communication (alinéa 19(2)a)).
[20]
La LAI prévoit que le Commissaire à l’information, nommé en vertu de l’article 54 de la LAI, recevra et mènera une enquête des plaintes provenant de personnes auxquelles l’accès à un document demandé a été refusé (article 30). Le législateur exige du Commissaire à l’information d’effectuer des « enquêtes impartiales, indépendantes et objectives »
, « en exigeant que l’administration fédérale réponde de ses pratiques en matière d’information »
(Cie H.J. Heinz du Canada Ltée c. Canada (Procureur général), 2006 CSC 13, aux paragraphes 33 et 34).
[21]
Après avoir terminé une enquête, le Commissaire à l’information communiquera les résultats de l’enquête au plaignant et, si l’accès au document continue à être refusé, il informera le plaignant du droit à présenter une demande de contrôle devant la Cour fédérale à l’égard de l’affaire en question (paragraphes 37(2) et 37(5)).
[22]
Un plaignant peut présenter une demande de révision devant la Cour fédérale à l’égard de l’affaire en question (article 41) dans les quarante-cinq jours après avoir reçu le rapport du Commissaire à l’information. Le fardeau d’établir que le refus de communiquer un document demandé en vertu de la Loi est autorisé incombe à l’institution fédérale (article 48).
[23]
Par souci de commodité, des articles pertinents de la LAI ont été reproduits dans l’annexe au présent jugement et ses motifs.
IV.
Positions des parties
A.
Arguments du demandeur
[24]
Le demandeur introduit la présente demande, en vertu de l’article 41 de la LAI, soutenant qu’il doit avoir un accès complet aux documents qu’il avait demandés.
[25]
Les questions soulevées par le demandeur et la réparation visée dans la présente demande ne se limitent pas à l’examen de la réponse du SCRS à la demande LAI du demandeur. L’avis de demande englobe également des questions de litiges antérieurs soulevées devant d’autres tribunaux relativement à des affaires nettement différentes dont la Cour n’a évidemment aucune compétence ou autorité pour les traiter. Les restrictions concernant l’autorité de la Cour ont été soulevées et examinées avec le demandeur au cours de l’audience publique. Le présent jugement examine la décision du SCRS de ne pas confirmer ou nier que les documents demandés par le demandeur existent, ainsi que le recours hypothétique du SCRS aux articles 15 et 16 afin d’exempter les documents de toute communication, s’ils existaient.
B.
Arguments du défendeur
[26]
Le défendeur soutient que le droit d’accès aux renseignements gouvernementaux concernant une personne est assujetti aux exceptions prévues par la LAI. Le défendeur souligne en outre que le paragraphe 10(2) de la LAI prévoit qu’une institution fédérale n’est pas obligée de confirmer ou de nier l’existence de documents lorsque leur accès a été refusé.
[27]
Le défendeur soutient, en se fondant sur la décision prise par la Cour d’appel fédérale dans Ruby c. Canada (Solliciteur général), 187 DLR (4e) 675, 256 NR 278 (CAF) infirmée pour d’autres motifs 2002 CSC 75 (Ruby), que le SCRS peut adopter raisonnablement une politique générale de refuser de confirmer ou de nier l’existence de documents; en faisant autrement, cela révélerait si une personne fait l’objet d’une enquête ou non. Le défendeur soutient en outre que la Cour a soutenu à maintes reprises le refus du SCRS de confirmer ou de nier l’existence de documents dans le cadre d’enquêtes liées à la sécurité nationale ou à l’application de la loi.
V.
Questions en litige
[28]
La demande soulève les questions suivantes :
A. Le SCRS a-t-il commis une erreur en concluant qu’il pouvait avoir recours aux articles 15 et 16 de la LAI pour exempter de communication les documents demandés, s’ils existaient ?
B. Le SCRS s’est-il fondé de manière raisonnable sur le paragraphe 10(2) lorsqu’il n’a pas confirmé ou nié l’existence des documents demandés ?
VI.
La norme de contrôle
[29]
La Cour suprême du Canada reconnaît depuis longtemps que la LAI et la Loi sur la protection des renseignements personnels, LCR, 1985 ch. P-21 sont des lois parallèles conçues afin de fonctionner ensemble (Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 RCS 403, au paragraphe 47, 148 DLR (4e) 385). Les deux textes législatifs contiennent des dispositions complémentaires à l’égard de l’accès aux renseignements relevant de l’administration fédérale et doivent être interprétés de manière harmonieuse dans la création d’un code homogène (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8 au paragraphe 22).
[30]
L’examen de la décision d’une institution fédérale de ne pas communiquer le document demandé en vertu de la LAI et de la Loi sur la protection des renseignements personnels implique un processus de deux étapes. Premièrement, la Cour doit décider si les renseignements sont visés par l’exception sur laquelle l’institution fédérale se fonde. Cette décision est contrôlée en fonction de la norme de la décision correcte. Si la Cour décide que l’institution fédérale s’est fondée correctement sur l’exception demandée, donc elle doit examiner si l’institution fédérale a exercé de manière appropriée son pouvoir discrétionnaire en ne communiquant pas le document demandé. Cet examen est effectué en fonction de la norme de la décision raisonnable (Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CAF 104, au paragraphe 18; Braunschweig c. Ministre de la Sécurité publique, 2014 CF 218, au paragraphe 29 [Braunschweig]).
[31]
Une décision visant à adopter une politique générale afin de ne pas confirmer ou nier l’existence d’un document en vertu du paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, une disposition parallèle au paragraphe 10(2) de la LAI, implique l’exercice du pouvoir discrétionnaire. De telles décisions, en vertu du paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, sont susceptibles de contrôle par une norme de la décision raisonnable (Ruby, aux paragraphes 66 et 67); Dzevad Cemerlic MD c. Canada (Solliciteur général), 2003 CFPI 133, aux paragraphes 44 et 45 [Cemerlic], Westerhaug c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2009 CF 321, au paragraphe 17 [Westerhaug]). L’exercice du même pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 10(2) de la LAI, doit également être examiné en fonction de la norme de la décision raisonnable.
VII.
Discussion
A.
Le SCRS a-t-il commis une erreur en concluant qu’il pouvait avoir recours aux articles 15 et 16 de la LAI pour exempter de communication les documents demandés, s’ils existaient ?
[32]
La LAI prévoit un droit général d’accès aux documents qui relèvent des institutions fédérales. Le droit d’accès connaît certaines restrictions généralement reconnaissant que, dans certains cas, le droit d’accès doit être soupesé avec d’autres intérêts légitimes.
[33]
La LAI, comme le fait la Loi sur la protection des renseignements personnels, prévoit deux types d’exceptions sur lesquelles une institution fédérale peut se fonder afin de refuser la divulgation de renseignements; les exceptions fondées sur la qualification et celles fondées sur le préjudice. Ces exceptions peuvent être soit obligatoires soit discrétionnaires. Le juge Simon Noël décrit ces exceptions dans Braunschweig, où il déclare ce qui suit, aux paragraphes 33 et 34 :
[33] La Loi et la LAI prévoient deux sortes d’exceptions à la communication : les exceptions fondées sur la qualification et celles fondées sur le préjudice. La Cour a résumé la distinction entre les deux catégories dans l’arrêt Bronskill c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2011 CF 983, [2011] A.C.F. no 1199, au paragraphe 13 :
[13] Les exceptions énoncées dans la Loi doivent être examinées sous deux angles par la cour siégeant en révision. Premièrement, les exceptions à la Loi sont fondées soit sur le préjudice, soit sur la catégorie. Les exemptions fondées sur la catégorie sont généralement invoquées lorsque la nature de la documentation sollicitée est intrinsèquement confidentielle. À titre d’exemple, l’exemption prévue à l’article 13 concerne les renseignements obtenus des gouvernements étrangers et est, par sa nature, une exception fondée sur la catégorie. Les exceptions fondées sur le préjudice exigent que le décideur analyse la question de savoir si la communication des renseignements pourrait aller à l’encontre des intérêts exposés dans l’exception. L’article 15 est une exception fondée sur le préjudice : le responsable d’une institution fédérale doit examiner la question de savoir si la communication de l’information « risquerait vraisemblablement de porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives ». [Je souligne]
[34] De plus, les exceptions prévues par la Loi et la LAI sont obligatoires ou discrétionnaires, selon le libellé de la disposition créant l’exception — le gouvernement « est tenu de refuser la communication » ou « peut refuser la communication ». Ainsi, d’après la disposition invoquée, le gouvernement peut avoir l’obligation d’appliquer l’exception ou peut, à sa discrétion, décider ou non de l’appliquer.
[34]
Dans la présente affaire, le SCRS a reçu une demande de documents « concernant mon identité »
. La demande incluait une liste non exhaustive de sources pour obtenir de tels renseignements : « la cybersurveillance, l’historique de publications, les antécédents de voyage, l’historique de dossiers aux tribunaux, etc. »
Le SCRS a conclu que le demandeur cherchait des renseignements de ses documents d’enquête afin de déterminer s’il avait fait l’objet d’une enquête par le SCRS. Cette interprétation et la portée découlant de l’examen des documents ne semblent pas avoir été visées par la plainte devant le Commissariat, et cela n’a pas été soulevé dans la présente instance.
[35]
En réponse à la demande du demandeur, le SCRS a refusé de confirmer ou de nier que les documents demandés existent. Il s’est également fondé sur le paragraphe 15(1) et sur les alinéas 16(1)a) et c) de la LAI pour informer le demandeur que si les documents existent, ils seraient exemptés de communication.
[36]
Le paragraphe 15(1) de la LAI prévoit une exception discrétionnaire fondée sur le préjudice à l’égard de l’information qui risquerait, de manière raisonnable, de vraisemblablement porter préjudice à la conduite des affaires internationales, à la défense du Canada ou d’États alliés ou associés avec le Canada ou à la détection, à la prévention ou à la répression d’activités hostiles ou subversives. Le recours hypothétique du SCRS au paragraphe 15(1) exige qu’il démontre que : (1) tout renseignement demandé est visé par l’exception; et (2) après avoir démontré que l’exception est disponible, elle a raisonnablement conclu que la communication de renseignements, s’il y a eu, pourrait être préjudiciable. L’alinéa 16(1)c) prévoit également une exception discrétionnaire fondée sur le préjudice à l’égard de l’information qui risquerait, de manière raisonnable, de porter vraisemblablement préjudice à l’application de la loi ou au déroulement d’enquêtes licites.
[37]
L’alinéa 16(1)a) prévoit une exception discrétionnaire fondée sur la qualification à l’égard de documents obtenus ou préparés par un organisme d’enquête. En se fondant sur cette exception, le SCRS doit : (1) démontrer que les documents qu’il a exemptés de communication, s’il y a eu, contiennent des renseignements visés par la catégorie définie; et (2) après l’avoir fait, il doit décider de manière raisonnable de ne pas communiquer les renseignements.
[38]
La nature des renseignements demandés, notamment les documents d’enquête du SCRS, n’est pas en litige. Les documents de cette nature sont décrits par le déposant du défendeur comme étant constitués « essentiellement de renseignements sensibles sur la sécurité nationale du type décrit aux paragraphes 15(1) et 16(1) »
. Le juge Noël a conclu qu’il semble que le contenu de ce type d’information, dans le contexte de la Loi sur la protection des renseignements personnels, « correspond parfaitement à la description »
des exceptions invoquées (Llewellyn c. Service canadien de renseignement de sécurité, 2014 CF 432, au paragraphe 33 [Llewellyn]). Je suis d’accord. Si les documents d’enquête du SCRS concernant le demandeur existent, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient visés par les exceptions prévues par les paragraphes 15(1) et 16(1) de la LAI.
[39]
Je suis également convaincu que le SCRS n’a pas agi de manière déraisonnable en concluant, sur une base hypothétique, qu’il se fonderait sur les exceptions des paragraphes 15(1) et 16(1) pour refuser de communiquer les renseignements demandés si de tels documents existaient. J’arrive à cette conclusion après avoir examiné que : (1) les renseignements demandés sont des renseignements liés aux documents d’enquête du SCRS; et (2) les preuves exposées dans l’affidavit non classé du défendeur signalaient que la divulgation de tels renseignements compromettrait des enquêtes du SCRS en divulguant le fait de savoir si le SCRS menait ou mène une enquête concernant une personne ou un organisme.
[40]
Par l’affidavit secret du défendeur et de l’audience ex parte à huis clos, j’ai également eu l’occasion de décider s’il existe des renseignements et, s’il en existe, s’il faut évaluer le caractère raisonnable du recours du SCRS aux exceptions des paragraphes 15(1) et 16(1).
B.
Le SCRS s’est-il fondé de manière raisonnable sur le paragraphe 10(2) lorsqu’il n’a pas confirmé ou nié l’existence des documents demandés ?
[41]
La LAI reconnaît expressément qu’en répondant à une demande de dossiers ou de documents relevant d’une institution fédérale, le responsable de l’institution fédérale peut refuser d’indiquer l’existence d’un document (LAI, paragraphe 10(2)). Une disposition parallèle est prévue au paragraphe 16(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
[42]
Dans l’examen de la disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Cour d’appel fédérale a conclu que : (1) le paragraphe 16(2) permet à l’institution fédérale d’adopter une politique pour ne pas confirmer ou nier l’existence de renseignements lorsque les renseignements sont d’un type ou nature en particulier; (2) l’adoption d’une telle politique implique l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire; et (3) le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de manière raisonnable (Ruby, aux paragraphes 66 et 67).
[43]
La pratique du SCRS de ne pas confirmer ou nier l’existence de documents, lorsque les renseignements demandés concernant les documents d’enquête du SCRS ont été constamment considérés comme raisonnables étant donné que les renseignements ont été demandés en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels (Llewellyn, au paragraphe 37, Cemerlic, aux paragraphes 44 et 45, Westerhaug, au paragraphe 18). La jurisprudence a conclu que le fait de confirmer l’existence de tels renseignements serait contraire à l’intérêt national, puisqu’il informerait des personnes qui représentent de manière potentielle un risque de sécurité si elles sont ciblées par une enquête du SCRS.
[44]
Le résultat ne devrait pas être différent lorsque des renseignements, s’ils existent, sont demandés en vertu de la LAI, plutôt que de la Loi sur la protection des renseignements personnels, comme il a été fait en l’espèce. Comme il a été souligné ci-dessous, la LAI et la Loi sur la protection des renseignements personnels doivent être interprétées de manière harmonieuse dans la création d’un code homogène. Les deux prévoient qu’une institution fédérale refuse de confirmer ou de nier l’existence de documents sous réserve de conditions similaires. L’intérêt à ne pas confirmer ou nier l’existence de documents découle de la nature des renseignements demandés. Le recours du SCRS au paragraphe 10(2) de la LAI, dans ces circonstances, était raisonnable.
[45]
Le Commissariat a contesté le fait que le SCRS a fait référence aux fichiers de renseignements personnels dans le contexte d’une demande LAI, puisque les FRP ne sont pas prévus par la LAI. Il a conclu que le fait de faire référence aux FRP en réponse à une demande LAI était inapproprié, puisqu’il « n’est pas clair pour les demandeurs et il peut mener à des plaintes envoyées à notre bureau »
. Cette préoccupation ne touche pas ma conclusion selon laquelle le recours du SCRS au paragraphe 10(2) était raisonnable. Cependant, elle est digne de mention, puisque je crois que le recours aux FRP a causé une certaine confusion compréhensible de la part du demandeur.
[46]
Le dossier de la demande indique que le demandeur a interprété le recours aux FRP à titre de référence à des fichiers de renseignements créés à des fins de données et de rétention de données à l’égard de lui et lui seul. Les preuves du déposant du SCRS indiquent clairement que ce n’est pas le cas. Les FRP sont une création de la Loi sur la protection des renseignements personnels sur lesquels on se fonde afin de décrire des types de renseignements personnels retenus. Les FRP ne sont pas exclusifs à une personne, bien que les renseignements personnels d’une personne, s’il en existe, qui répondent à la description des FRP seront identifiés dans ce FRP particulier.
[47]
Le recours aux FRP dans la réponse du SCRS n’est pas une confirmation selon laquelle les documents cherchés sont retenus par le SCRS. La réponse du SCRS de ne pas confirmer ou nier l’existence de documents ouvre la porte à deux scénarios également possibles : (1) les documents existent, mais ils ne sont pas communiqués sur le fondement qu’ils sont exemptés de communication en vertu des articles 15 et 16 de la LAI; ou (2) aucun document n’existe. L’absence de certitude que la présente circonstance crée peut naturellement être une source de frustration pour un demandeur, mais cette situation n’est pas unique au demandeur. Comme il a été noté par le juge Russel Zinn dans Westerhaug :
[18] Dans l’arrêt Ruby, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’adoption d’une politique de non-communication était raisonnable compte tenu de la nature du fichier en question, car le simple fait de révéler si l’institution détenait des renseignements sur une personne permettrait à l’appelant de savoir s’il avait fait l’objet d’une enquête ou non. Je suis d’accord. Si l’intérêt national exige de ne pas communiquer des renseignements à des personnes qui font l’objet d’une enquête, cela veut dire que l’intérêt national exige également de ne pas informer ces personnes du fait qu’elles font l’objet d’une enquête. L’une des conséquences malheureuses d’une politique générale de ce genre est que les personnes qui ne sont pas soumises à une enquête et qui n’ont rien à craindre d’une institution gouvernementale ne sauront jamais qu’elles ne sont pas soumises à une enquête. Néanmoins, et, comme l’a souligné le juge Kelen, cette politique s’applique à tous les citoyens du pays, et même les juges de la Cour recevraient la même réponse que celle obtenue par M. Westerhaug et ne seraient pas en droit d’obtenir plus. [Je souligne]
[48]
La réponse que le demandeur a reçue à la demande de documents d’enquête a été, comme l’a souligné le juge Zinn, la réponse que tout citoyen canadien ou résident permanent recevrait. Le recours au paragraphe 10(2) était ainsi raisonnable.
VIII.
Dépens
[49]
Les deux parties ont sollicité les dépens.
[50]
L’article 53 de la LAI prévoit que l’adjudication des dépens est laissée à l’appréciation de la Cour et elle suivra généralement l’issue de la cause. Le paragraphe 53(2) prévoit qu’un demandeur qui n’a pas eu gain de cause peut, néanmoins, se voir accorder des dépens lorsqu’une demande soulève un nouveau principe important concernant la LAI.
[51]
La question soulevée dans la présente demande ne donne lieu à aucun nouveau principe important, et les circonstances ne justifient pas non plus une adjudication de dépens en faveur du demandeur n’ayant pas de gain de cause.
[52]
Bien que les dépens suivent normalement l’issue de la cause, dans la présente affaire, je suis prêt à n’accorder aucuns dépens contre le demandeur. Je suis d’avis que le recours du défendeur aux FRP a créé une certaine confusion et a joué au moins un certain rôle dans la poursuite de la présente affaire de la part du demandeur. Je suis également conscient que le demandeur a informé la Cour qu’il s’est représenté lui-même dans ces instances, par nécessité et non par choix. Aucuns dépens ne seront adjugés.
JUGEMENT DANS T-575-17
LA COUR STATUE que :
1. La demande est rejetée; et
2. Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Patrick Gleeson »
Juge
ANNEXE
Loi sur l’accès à l’information LRC (1985), ch. A-1, Access to Information Act, RSC, 1985, c A-1
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Loi sur la protection des renseignements personnels LRC (1985), ch. P-21, Privacy Act, RSC, 1985, c P-21
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Dossier :
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T-575-17
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INTITULÉ :
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VB c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 5 MARS 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE GLEESON
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DATE DES MOTIFS :
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LE 12 AVRIL 2018
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COMPARUTIONS :
VB
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POUR LE DEMANDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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Me Melanie Toolsie et
Me Shain Widdifield
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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