Dossier : IMM-3946-17
Référence : 2018 CF 307
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 16 mars 2018
En présence de monsieur le juge Brown
ENTRE :
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HARJINDER SINGH WARAICH
GURMEET KAUR WARAICH
ISHWINDER SINGH WARAICH
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
La Cour est saisie d’une demande formée sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), par laquelle les demandeurs souhaitent obtenir le contrôle judiciaire de la décision rendue le 4 août 2017 par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) et confirmant les décisions d’agents des visas de rejeter, d’une part, leurs demandes de titres de voyage au motif qu’ils n’avaient pas rempli l’obligation de résidence visée à l’article 28 de la LIPR et, d’autre part, leurs demandes de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.
[2]
La présente affaire intéresse trois ressortissants indiens. Tous sont des résidents permanents du Canada qui sont loin d’avoir observé l’obligation que leur imposait la LIPR d’y résider au moins 730 jours au cours des cinq années précédant leur demande : le premier demandeur a résidé seulement 25 jours au Canada, et les deux autres n’y ont résidé que 90 jours. La Section d’appel de l’immigration a refusé de leur accorder le bénéfice de l’exemption prévue à la LIPR pour les résidents permanents qui travaillent pour une entreprise canadienne à l’étranger, ainsi que des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.
[3]
Comme je n’ai pas été convaincu du caractère déraisonnable des décisions de la Section d’appel de l’immigration sur ces deux aspects, je rejette la demande de contrôle judiciaire. J’expose ci-après les motifs de ma décision.
II.
Exposé des faits
[4]
Il y a trois demandeurs. Leurs dossiers ont été regroupés parce que les trois forment une famille et que leur cas soulève des questions communes.
[5]
Le premier demandeur est un citoyen de l’Inde qui, en 2001 ou 2002, est venu au Canada à titre d’étudiant étranger afin de poursuivre des études au Collège Seneca. En 2006, il a obtenu un baccalauréat ès arts de l’Université York, puis il a fait des études supérieures au Collège Seneca et obtenu un titre professionnel en finances. En novembre 2008, il est devenu résident permanent du Canada. En 2009, il a créé une société de services-conseils en immigration puis, en 2010, il est retourné en Inde pour promouvoir sa société. Il est membre du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada (CRCIC) et de la Société canadienne de consultants en immigration (SCCI). Il travaille et réside en Inde. Pendant la période quinquennale pertinente, il a résidé au Canada seulement 25 jours sur les 730 qu’exige la LIPR.
[6]
Le deuxième demandeur est le père du premier demandeur et il est également citoyen de l’Inde. Il est devenu résident permanent du Canada en novembre 2008. Il travaille et réside actuellement en Inde avec son épouse et le premier demandeur. Pendant la période quinquennale pertinente, il a résidé 90 jours au Canada.
[7]
La troisième demanderesse est l’épouse du deuxième demandeur et la mère du premier demandeur. Elle est aussi citoyenne de l’Inde, où elle réside avec son époux et son fils. Comme eux, elle est devenue résidente permanente du Canada en 2008. Elle aussi a résidé au Canada seulement 90 jours pendant la période quinquennale pertinente.
[8]
En août 2014, le deuxième demandeur et la demanderesse ont présenté une demande de visa pour revenir au Canada. L’agent des visas leur a expliqué qu’ils ne s’étaient pas conformés à l’obligation de résidence visée à l’article 28 de la LIPR puisque, pendant la période quinquennale précédant le dépôt de leur demande d’admission, tous les deux avaient été présents au Canada 90 jours seulement sur les 730 requis.
[9]
Le deuxième demandeur soutient qu’il n’a pas manqué à l’obligation de résidence de l’article 28 de la LIPR étant donné qu’en Inde, il travaille à temps plein pour l’entreprise canadienne de services-conseils en immigration de son fils. La demanderesse estime qu’elle non plus n’est pas en défaut par rapport à son obligation de résidence puisqu’elle accompagne son époux, un résident permanent qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne en Inde.
[10]
En mars 2015, le premier demandeur a présenté une demande de titre de voyage en vue d’assister aux funérailles de son frère au Canada. L’agent des visas a rejeté la demande et l’a informé qu’il avait perdu son statut de résident permanent pour manquement à l’obligation de résidence visée à l’article 28 de la LIPR. Pendant la période quinquennale précédant sa demande de titre de voyage, il avait passé seulement 25 jours au Canada, alors que la LIPR exige 730 jours de résidence.
[11]
Les demandeurs ont interjeté appel des décisions des agents des visas devant la Section d’appel de l’immigration.
III.
Les sociétés
[12]
Le premier demandeur a constitué la société Wisdom Immigration Consultancy Services (la société canadienne) au Canada en octobre 2009. Il en est l’unique administrateur. Le deuxième demandeur est un employé de la société canadienne. Celle-ci exécute des contrats conclus avec des établissements canadiens d’enseignement postsecondaire afin de faire leur promotion à l’étranger et de recruter des étudiants indiens. Les demandeurs ont déclaré que la société canadienne verse de 18 000 à 24 000 $ par année à ses deux seuls employés à temps plein, soit le premier et le deuxième demandeur.
[13]
En mai 2010, le deuxième demandeur et la demanderesse ont constitué la société Wisdom Migration and Immigration Services Private Limited (la société indienne) en Inde. Ils en sont les uniques administrateurs.
[14]
La société canadienne a conclu un contrat avec la société indienne afin qu’elle fasse sa promotion en Inde.
IV.
Questions en litige
[15]
Les demandeurs formulent ainsi les questions à trancher en l’espèce :
La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur dans son application de la jurisprudence touchant le concept d’
« exploitation continue »
(Durve c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 874 [Durve])?La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur dans ses conclusions de fait?
La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire eu égard à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire?
[16]
Pour ma part, j’estime que les deux questions suivantes doivent être tranchées :
La Section d’appel de l’immigration a-t-elle agi de manière déraisonnable en concluant que la société canadienne n’est pas une entreprise canadienne au sens de l’article 28 de la LIPR et de l’article 61 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR)?
Le refus de la Section d’appel de l’immigration d’accorder des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire conformément à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR était-il raisonnable?
V.
Décision
[17]
La Section d’appel de l’immigration devait statuer sur deux questions : les demandeurs ont-ils satisfait à l’obligation de résidence visée à l’article 28 de la LIPR et, dans la négative, y avait-il lieu d’accorder des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire conformément à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR?
A.
Les exigences prévues à l’article 28 de la LIPR et à l’article 61 du RIPR ont-elles été remplies?
[18]
La Section d’appel de l’immigration a accordé que le RIPR prévoit certaines exceptions à l’exigence de résidence au Canada d’au moins 730 jours pendant une période quinquennale, et notamment dans le cas de personnes qui travaillent à temps plein pour une entreprise canadienne à l’étranger. Une autre exception permet à un résident permanent d’accompagner un conjoint qui est également résident permanent et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne à l’étranger.
[19]
La Section d’appel de l’immigration a examiné divers facteurs qui découlent de l’article 61 du RIPR.
L’entreprise a-t-elle été constituée au Canada?
La Section d’appel de l’immigration a relevé que la société canadienne a été constituée au Canada et que la société indienne a été constituée en Inde. Considérant le lien contractuel entre la société indienne et la société canadienne, la Section d’appel de l’immigration a conclu que la société indienne agissait sous la direction et le contrôle de la société canadienne, et lui était donc affiliée. Cette conclusion n’a pas été contestée devant moi.
L’entreprise est-elle exploitée de manière continue au Canada?
La Section d’appel de l’immigration a conclu que la société canadienne n’est pas une entreprise canadienne exploitée de façon continue au Canada.
[20]
L’analyse de la Section d’appel de l’immigration est fondée sur les décisions Durve et Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292 (le juge Near, tel était alors son titre), et tient compte des facteurs suivants :
Qualifications au Canada – La Section d’appel de l’immigration a pris en compte que le premier demandeur est membre du CRCIC et de la SCCI.
Société indienne – Le premier demandeur supervise la société indienne, qui fait la promotion d’une quinzaine d’établissements postsecondaires canadiens en Inde. La société indienne compte six employés et elle organise de trois à cinq séminaires par mois à l’intention des candidats étudiants. Ces séminaires lui permettent de recruter une centaine de clients par année. Pour la grande majorité, les activités de promotion de l’entreprise sont réalisées en Inde. Les demandeurs envisagent d’y ouvrir un second bureau.
Société canadienne – L’adresse de la société canadienne est celle de la sœur du premier demandeur, qui est auxiliaire familiale à Brampton. La société canadienne ne paie aucun loyer pour l’usage des locaux à bureaux dans la maison de la sœur. Celle-ci n’est pas une employée et n’est pas rémunérée pour les services qu’elle fournit.
La société canadienne n’a aucun employé au Canada; ils sont tous en Inde.
En Inde, le deuxième demandeur joue le rôle d’agent de promotion commerciale de la société canadienne.
Il est rémunéré par la société canadienne et son contrat stipule qu’il doit fournir des services exclusifs de promotion de l’entreprise canadienne.
La société canadienne n’avait conclu aucun contrat avec un établissement postsecondaire canadien avant le retour en Inde des demandeurs en 2010. Depuis sa création, la société canadienne a organisé des séminaires en Inde auxquels ont participé sur place des représentants d’établissements postsecondaires canadiens. La plus grande partie des dépenses et des revenus de la société canadienne ont été engendrés en Inde.
La Section d’appel de l’immigration a constaté que les sept opérations menées par la société canadienne depuis 2009 n’ont pas pu assurer sa viabilité. Elle a également rejeté la tentative des demandeurs d’invoquer l’arrêt Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CanLII 84711 (CA CISR) [Liu], pour faire admettre que les profits et les contributions fiscales ne conditionnent pas la conclusion quant à l’exploitation continue au Canada. La Section d’appel de l’immigration a observé que, contrairement à la conclusion raisonnable du tribunal dans l’arrêt Liu voulant qu’une entreprise en démarrage puisse être incapable de fournir un revenu au propriétaire au début de son exploitation, la société canadienne en cause ici a été exploitée de cette façon depuis sa création. Il est raisonnable de supposer qu’une entreprise qui n’est pas viable sur le plan économique continue d’exister à la seule fin de permettre à un résident permanent de satisfaire à l’obligation de résidence.
La Section d’appel de l’immigration a rejeté l’argument des demandeurs selon lequel la société fait la promotion d’établissements postsecondaires canadiens en Inde et envoie des étudiants au Canada, et que les revenus sont utilisés en soutien aux activités de l’entreprise tant au Canada qu’en Inde, comme c’était le cas de l’entreprise visée dans l’arrêt Durve. La Section d’appel de l’immigration a relevé deux aspects par lesquels la situation des demandeurs est différente : ils ne font pas le commerce de marchandises, mais fournissent des services, et leurs absences du Canada n’ont pas été périodiques, elles ont été permanentes.
En ce qui concerne le titre professionnel obtenu par le premier demandeur auprès du CRCIC, la Section d’appel de l’immigration a constaté qu’il n’est pas nécessaire pour faire des affaires avec tous les établissements postsecondaires. Aux yeux de la Section d’appel de l’immigration, le titre professionnel du CRCIC ne crée pas un lien suffisant entre les activités menées en Inde et la société canadienne.
Le demandeur est-il un employé à temps plein ou un fournisseur de services contractuel de l’entreprise canadienne?
Ayant établi que la société canadienne n’est pas exploitée de façon continue au Canada, la Section d’appel de l’immigration a conclu que le deuxième demandeur n’est pas un employé à temps plein ou un fournisseur de services contractuel d’une entreprise canadienne.
La demanderesse accompagne-t-elle un conjoint qui travaille pour une entreprise canadienne hors du Canada?
Ayant établi que le deuxième demandeur n’est pas un employé à temps plein d’une entreprise canadienne hors du Canada, la Section d’appel de l’immigration a conclu que la demanderesse n’accompagne pas un conjoint qui est résident permanent et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne hors du Canada.
B.
Motifs d’ordre humanitaire justifiant des mesures spéciales
[21]
La Section d’appel de l’immigration a conclu qu’il n’existe pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants pour faire droit à l’appel des demandeurs.
[22]
Selon la Section d’appel de l’immigration, vu le manquement manifeste à l’obligation de résidence (le premier demandeur compte seulement 25 jours de résidence au Canada, tandis que le deuxième demandeur et la demanderesse en comptent 90), [traduction] « ils doivent franchir un seuil très élevé pour justifier des mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire »
.
[23]
La Section d’appel de l’immigration rappelle que les demandeurs ont décidé de manière tout à fait délibérée de quitter le Canada pour développer leur entreprise à l’étranger. Comme une grande partie de leurs activités se déroulent par voie électronique, les demandeurs auraient pu exploiter leur entreprise à partir du Canada, quitte à aller en Inde de temps à autre. La Section d’appel de l’immigration a conclu que la société canadienne a été constituée au Canada à la seule fin de satisfaire à l’obligation de résidence.
[24]
Elle a relevé les liens très solides des demandeurs avec l’Inde, où ils possèdent des biens (notamment l’immeuble où se trouvent les bureaux de leur entreprise rentable) et des comptes d’épargne. Ils y ont aussi de la famille, dont l’ex-conjointe et l’enfant du premier demandeur.
[25]
Par ailleurs, la Section d’appel de l’immigration a jugé que l’établissement économique et social des demandeurs était faible au Canada puisqu’ils n’y ont ni bien ni adresse.
[26]
L’aspect des liens familiaux a toutefois valu une appréciation favorable aux demandeurs. Plusieurs de leurs proches vivent au Canada, soit la sœur du premier demandeur, son époux et ses deux enfants, ainsi que l’épouse et les deux enfants de son défunt frère. La Section d’appel de l’immigration a reconnu que le rejet de l’appel entraînerait certaines difficultés pour le deuxième demandeur et la demanderesse étant donné qu’ils ont quatre petits-enfants au Canada et seulement un en Inde. Elle a conclu néanmoins que la présence en Inde de leur petit-enfant et de leur fils, le premier demandeur, compenserait un peu ces difficultés.
[27]
Le premier demandeur a déclaré qu’il doit avoir le titre professionnel du CRCIC pour exploiter son entreprise, et que la perte de ce titre entraînerait un préjudice irréparable pour la société canadienne. La Section d’appel de l’immigration a toutefois tranché que rien dans la preuve n’indique que la société canadienne devrait cesser ses activités, puisque la grande majorité met en cause des établissements postsecondaires. Le premier demandeur a admis qu’il pourrait engager un titulaire du titre du CRCIC si jamais un établissement d’enseignement l’exigeait.
[28]
Pour ce qui est de l’intérêt supérieur des enfants, la Section d’appel de l’immigration a reconnu la nécessité de se montrer « réceptive, attentive et sensible »
lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire à l’égard des motifs d’ordre humanitaire. Elle a pris en compte la présence des petits-enfants, des nièces et des neveux au Canada, mais elle a conclu que l’intérêt de ces enfants pesait peu dans la décision concernant les mesures spéciales parce que les demandeurs ne fournissent aucun soutien pour leur garde ni aucune aide financière de quelque sorte. En somme, ces enfants ne sont pas à leur charge.
VI.
Norme de contrôle
[29]
Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier »
. La Cour a tranché que la norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la décision d’un agent des visas concernant l’observation d’un requérant de l’obligation de résidence de la LIPR : Jian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 523 (le juge Hughes), au paragraphe 8. J’estime que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce, et les deux parties sont d’accord.
[30]
Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique la procédure que doit suivre une cour de révision appelée à appliquer la norme de la décision raisonnable :
La question pour la cour de révision est de savoir si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[31]
La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34). La cour de révision doit également déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable (Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65; voir aussi Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62).
[32]
La décision Durve, prononcée par le juge Kane, énonce les principes qui régissent une situation factuelle comme celle qui est en cause ici. Dans cette décision, la Cour se penche sur l’obligation de résidence visée à l’article 28 de la LIPR et son application dans le cas de résidents permanents qui ont résidé au Canada moins longtemps que ce qui est exigé parce qu’ils travaillaient pour leur propre compte à l’étranger. Comme j’ai l’intention d’adopter et d’appliquer les principes de la jurisprudence Durve, j’en reproduis ci-dessous les considérations pertinentes, à partir du paragraphe 110 :
Les considérations pertinentes
[110] M. Durve affirme qu’il faut établir une approche claire et cohérente pour déterminer comment les conditions de résidence doivent être appliquées aux résidents permanents qui sont propriétaires de petites entreprises canadiennes et, même, d’entreprises exploitées par une seule personne.
[111] La Commission a relevé plusieurs indices ou considérations et n’a pas exclu la possibilité qu’une entreprise exploitée par une seule personne cadre avec l’article 28. D’ailleurs, elle a donné deux exemples d’entreprises de ce type qui sont susceptibles de satisfaire aux critères d’une entreprise canadienne et de donner au résident permanent la possibilité de travailler pour elles hors du Canada. On peut penser à d’autres exemples du même genre, mais comme l’a signalé la Commission en écho aux propos de la juge Gauthier dans Durve no 1, la question de la savoir si les conditions de résidence sont respectées en est une de fait. Il est impossible de prévoir tous les cas de figure possibles et imaginables et de dresser une liste des critères qui, s’ils sont respectés, signifieront qu’il y a conformité à l’obligation de résidence. Certains critères devront peser davantage que d’autres selon la nature de l’entreprise, le temps passé au Canada et à l’étranger et, surtout, l’existence d’un lien entre le travail effectué à l’étranger et l’entreprise qui se trouve au Canada.
[112] Lorsqu’une entreprise est exploitée par une seule personne et n’a pas d’employés au Canada, on s’attardera davantage à la nature de l’entreprise au Canada et au rapport entre le travail accompli par l’unique exploitant ou le travailleur autonome et l’entreprise canadienne.
[113] L’un des exemples cités par la Commission est celui du cabinet comptable dont l’exploitation au Canada est bien établie et continue et qui reçoit le mandat de fournir temporairement des services à une entreprise canadienne à l’extérieur du Canada. Cette situation suppose que le résident permanent exerce des activités et fournit ces mêmes services au Canada, que son expertise et ses titres de compétences, de même que les techniques, les pratiques commerciales ou les principes qu’il appliquera seront régis par les pratiques canadiennes ou s’en inspireront et que celles-ci serviront de guide pour le travail effectué à l’étranger pour le compte de l’autre entreprise canadienne. Autrement dit, il y a livraison d’un « produit » canadien revêtant la forme des services fournis par le travailleur autonome ou l’entreprise exploitée par une seule personne.
[114] J’ai présenté les indices ou considérations relevées par la Commission et pour certains, j’ai donné quelques précisions, mais je rappelle qu’il ne s’agit pas d’une liste de contrôle. L’applicabilité de ces considérations variera en fonction des faits, tout comme le poids qu’il faut accorder à chacune.
[115] Les principes fondamentaux demeurent les suivants : c’est au résident permanent qu’il incombe d’établir, au moyen d’une preuve claire et convaincante, que son entreprise est une entreprise canadienne (soit une entreprise exploitée de façon continue au Canada) et que son travail à l’étranger consiste à travailler à temps plein pour l’entreprise canadienne; l’analyse procède d’une question de fait qui doit être tranchée au cas par cas, en fonction de la nature et des activités de l’entreprise du demandeur; l’accent doit être mis sur la nature des activités professionnelles du demandeur lorsqu’il se trouve hors du Canada par rapport aux activités de sa société canadienne.
[116] L’entreprise en activité est celle qui a des activités continues au Canada. Cette détermination tient compte de ce que l’entreprise fait réellement au Canada et de la façon dont cette activité est démontrée ou documentée.
[117] Pour déterminer si une entreprise est exploitée de façon continue, il faudra tenir compte de considérations qui varieront selon la nature et la taille de l’entreprise. S’il s’agit d’un travailleur autonome ou d’une très petite entreprise, il faudra être en mesure de bien identifier les biens ou les services qu’elle fournit, y compris les conseils.
[118] Le décideur devrait chercher à savoir si la continuité des activités de l’entreprise au Canada est assurée par des employés (même à temps partiel), des collaborateurs ou des sous-traitants et si des services sont fournis au Canada ou s’ils pourraient l’être pendant que le résident permanent se trouve à l’extérieur du Canada pour affaires ou pour assurer la prestation des services de l’entreprise canadienne.
[119] L’emplacement des bureaux de la société représente une autre considération, même à l’ère du bureau virtuel et malgré le fait que l’entreprise puisse être en mesure de fournir des services depuis d’autres endroits. Il faut aussi se demander si des employés travaillent dans ce bureau (même à temps partiel) et si des tâches sont effectuées ou des services rendus à partir de cet emplacement. L’exigence posée par les mots « au Canada » suppose un examen des activités commerciales exercées ou des services fournis au Canada et du lien entre les activités exercées hors du Canada et l’entreprise qui se trouve au Canada. Il n’est pas essentiel que la totalité du travail effectué et que chaque activité commerciale exercée ou service fourni le soit au Canada, mais il doit exister un lien suffisant entre le travail effectué à l’étranger et l’exploitation continue de l’entreprise au Canada. En revanche, comme nous l’avons vu déjà, une partie des activités devrait avoir lieu au Canada, et la proportion des activités exercées au Canada par rapport à celles exercées à l’étranger constitue une considération pertinente.
[120] La nature des activités de l’entreprise à l’extérieur du Canada, le rôle qu’elles jouent dans la promotion des objectifs d’ensemble de l’entreprise au Canada et leur rapport avec l’entreprise canadienne sont une importante considération. Par exemple, le fait que le résident permanent possède des qualifications ou des titres de compétences qui sont reconnus au Canada et auxquels se fient ceux à qui il fournit des services hors du Canada, ou encore le fait qu’il applique, dans le cadre de son travail à l’étranger, les principes et les pratiques propres aux entreprises canadiennes ou les règles de sa profession qui s’inspirent des normes canadiennes, sont tous des aspects pertinents pour apprécier la question du lien.
[121] Les habitudes de voyage du résident permanent, le fait qu’il possède une résidence au Canada ou ailleurs (sachant qu’il lui est possible d’en avoir une au Canada et une à l’étranger) sont également des considérations pertinentes.
[122] Pour ce qui est de déterminer si le résident permanent travaillait à temps plein pour l’entreprise canadienne, ici encore, la nature de l’entreprise doit servir à définir le contexte, puisqu’un travailleur autonome ne peut s’« affecter » lui-même à un poste comme le prévoit le Règlement. Un registre du temps consacré à la prestation de services précis et aux affaires des clients constituera une source d’information; devraient également y être consignés le temps consacré à des tâches non rémunérées et les raisons qui motivent ce travail.
[123] Le travail non rémunéré peut être considéré comme une activité commerciale, dans la mesure où il se rapporte à l’exploitation continue de l’entreprise au Canada. Au nombre des considérations pertinentes, mentionnons l’existence d’un plan d’affaires contenant des prévisions au sujet du travail non rémunéré ou de développement nécessaire à l’obtention de travail rémunéré par l’entreprise et la proportion du travail rémunéré par rapport au travail qui ne l’est pas.
[124] Les revenus de l’entreprise devraient être examinés, notamment pour déterminer si ses états financiers traduisent fidèlement les activités commerciales décrites et s’ils concordent avec les factures. Il sera utile au décideur de pouvoir consulter les registres de l’entreprise qui documentent l’utilisation du temps par le résident permanent voyageant à l’étranger pour affaires. Le résident permanent pourra plus difficilement établir qu’il travaille à temps plein pour l’entreprise canadienne si ses revenus personnels dépassent ceux qu’ont générés les activités commerciales alléguées de l’entreprise.
VII.
Dispositions applicables
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VIII.
Discussion
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Le demandeur a résumé plusieurs des considérations importantes découlant de la décision Durve, et il sera plus commode de les énoncer une à une et de donner l’analyse de la Cour pour chacune :
a) Il incombe au demandeur d’établir que son travail à l’étranger consiste à travailler à temps plein pour une entreprise canadienne. L’analyse doit reposer sur les faits et le tribunal doit tenir compte de tous les éléments de preuve.
[34]
Il est incontesté que le premier demandeur travaille à temps plein pour l’entreprise canadienne, mais qu’il travaille toujours en Inde. L’élément clé de cette considération tient au fait que l’analyse de la Section d’appel de l’immigration ne peut pas se limiter à un ou deux points; elle doit tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents et de toutes les considérations. J’ajoute que l’analyse doit être factuelle.
[35]
Même si, de manière générale, les demandeurs s’en sont tenus à leur mémoire, leur avocat a, lors de l’audience, insisté sur deux aspects de cette considération de la décision Durve. Il a tout d’abord fait valoir que le premier demandeur doit avoir le titre professionnel du CRCIC pour exploiter son entreprise en Inde, et qu’il doit être résident permanent pour le conserver. Selon lui, la conclusion contraire de la Section d’appel de l’immigration est une erreur. De plus, le demandeur soutient que la Section d’appel de l’immigration a agi déraisonnablement en concluant que l’entreprise n’est pas « exploitée de façon continue au Canada »
, tel que l’exige l’alinéa 61(1)a) du RIPR. À ce sujet, l’avocat du demandeur a observé que le lien important entre la société indienne et la société canadienne atteste de l’exploitation continue au Canada.
[36]
Il m’apparaît que ces aspects ont été mis en relief à juste titre. Nonobstant, même si un ou deux points emportent l’assentiment de la Cour, elle doit examiner une décision dans sa globalité avant de conclure qu’elle était déraisonnable. Elle doit prendre en compte l’ensemble des éléments de preuve et les divers éléments de la décision faisant l’objet du contrôle. Un seul facteur ne suffit pas pour qualifier une décision de déraisonnable.
[37]
Je ne suis pas convaincu que la Section d’appel de l’immigration a agi de manière déraisonnable en concluant qu’aucun élément de preuve n’indique que le titre professionnel du CRCIC est obligatoire. Il incombait aux demandeurs d’établir le bien-fondé de leur demande. Les contrats conclus avec des établissements postsecondaires auraient fourni la preuve la plus éloquente. Toutefois, aucun des trois contrats déposés en preuve n’exigeait que le premier demandeur maintienne son titre professionnel du CRCIC. Il a lui-même mentionné lors de son témoignage que quatre ou cinq établissements exigent ce titre, ce qui n’est toutefois pas étayé par la preuve fournie à la Section d’appel de l’immigration.
[38]
Les demandeurs affirment que le premier demandeur doit maintenir son titre professionnel du CRCIC pour se conformer à l’article 91 de la LIPR, selon lequel quiconque offre des services moyennant rétribution relativement à une demande prévue par la LIPR doit être un avocat ou un membre du CRCIC. Le premier demandeur a cependant concédé qu’il n’est pas obligé d’avoir ce titre professionnel pour assurer la poursuite des activités commerciales dans leur ensemble puisque la société indienne pourrait engager une personne qui détient ce titre. Il ne nie donc pas que c’est envisageable, mais il craint que la perte de son statut de patron se répercute sur la rentabilité de l’entreprise. En toute déférence, j’estime que les conclusions de la Section d’appel de l’immigration à cet égard se justifient au vu du dossier, et plus particulièrement compte tenu de la structure organisationnelle instaurée par les demandeurs.
b) Une entreprise en activité est celle qui a des activités au Canada. Le tribunal doit tenir compte de ce que l’entreprise fait réellement au Canada, ainsi que de l’existence d’un lien suffisant entre le travail effectué à l’étranger et le Canada.
[39]
Le RIPR exige qu’une entreprise soit « exploitée de façon continue »
au Canada. Selon la décision Durve, il s’ensuit qu’elle doit y avoir des activités commerciales. Je suis du même avis. La LIPR exige également que des activités commerciales aient lieu au Canada, et elle l’énonce textuellement.
[40]
En l’espèce, la constitution en société et l’ouverture d’un ou de plusieurs comptes bancaires ont été les seules activités engagées au Canada. La seule employée ici est la sœur du premier demandeur qui, à partir de sa maison et à titre gracieux, gère ce qui pourrait s’assimiler à un point de dépôt. Il a d’ailleurs témoigné qu’elle n’est pas une employée. À mon avis, il s’agit au mieux d’une activité commerciale de minimis. Le compte bancaire est administré par le premier demandeur à partir de l’Inde, vraisemblablement par voie électronique, ce qui est loin de constituer une activité commerciale au Canada.
[41]
La Section d’appel de l’immigration a conclu à juste raison à l’inexistence de véritable activité commerciale au Canada. Elle a établi que la société canadienne est une coquille et, à mon humble avis, le dossier corrobore cette conclusion. Je conclus sans hésitation à l’absence d’activité commerciale au Canada. J’estime raisonnable la conclusion de la Section d’appel de l’immigration comme quoi la société canadienne est une [traduction] « coquille »
non viable. Il s’agit d’une conclusion raisonnable parce qu’elle est défendable au regard des faits de l’espèce.
c) La taille d’une entreprise est un facteur pertinent de l’analyse. S’il s’agit d’une petite entreprise ou d’un travailleur autonome, il faut pouvoir établir quels biens ou quels services sont fournis.
[42]
La société indienne est une petite entreprise qui compte six employés, alors que la société canadienne en compte deux seulement, soit le premier et le deuxième demandeur. Tous les employés de la société canadienne vivent et travaillent exclusivement en Inde, ce qui n’est d’aucun secours aux demandeurs.
[43]
Il est possible d’établir que la société fournit des services-conseils liés à la demande de visas canadiens d’étudiant et au recrutement de candidats étudiants pour divers établissements postsecondaires. Il s’agit toutefois d’un facteur neutre pour ce qui concerne la situation des demandeurs.
d) L’exigence selon laquelle l’entreprise doit être située au Canada demande au tribunal d’examiner les activités exercées au Canada et leur lien avec le travail effectué à l’étranger.
[44]
À ce chapitre, les faits militent contre les demandeurs. Toutes les activités commerciales des deux sociétés affiliées – qui, selon la conclusion raisonnable de la Section d’appel de l’immigration, sont exploitées sous la direction et le contrôle communs du premier demandeur – sont menées en Inde, exception faite des services fournis par la sœur, que je considère de minimis. Il convient ici de souligner qu’elle n’est pas une employée et que sa participation très limitée, pour ne pas dire inexistante, explique peut-être l’absence de rémunération. Comme j’ai conclu à l’absence d’activité commerciale au Canada, il n’existe donc aucune activité commerciale canadienne qui pourrait être liée aux activités commerciales en Inde. Toutes les activités sont menées en Inde. C’est aussi la conclusion de la Section d’appel de l’immigration, et elle est tout à fait défendable au vu du dossier.
e) Il n’est pas essentiel que la totalité du travail effectué le soit au Canada,
« mais il doit exister un lien suffisant entre le travail effectué à l’étranger et l’exploitation continue de l’entreprise au Canada »
.
[45]
Ce facteur milite également en défaveur des demandeurs. En premier lieu, outre la participation de minimis de la sœur, il n’existe pas d’« entreprise exploitée de façon continue au Canada »
. Comme je l’ai déjà mentionné, aucune activité commerciale n’est menée au Canada. En elles-mêmes, ces conclusions étayent une détermination défavorable eu égard à cette considération.
[46]
Les demandeurs proposent une interprétation différente dans l’espoir qu’il soit reconnu que le travail effectué en Inde a un « lien suffisant avec l’activité commerciale exercée au Canada »
. Ils citent à l’appui le passage suivant du paragraphe 77 de la décision Durve : « Quant aux mots “au Canada”, ils exigent que l’activité commerciale ait lieu au Canada ou qu’elle ait un lien suffisant avec l’activité commerciale exercée au Canada. »
Même s’il ne se passe pas grand-chose au Canada, les demandeurs affirment que c’est suffisant parce que les activités commerciales en Inde ont un « lien suffisant avec l’activité commerciale exercée au Canada »
. Bref, les demandeurs tentent de faire admettre que les activités commerciales menées en Inde sont suffisantes et compensent leur quasi-inexistence au Canada. C’est un argument bancal. Les activités commerciales en Inde ne pourraient pas avoir un lien avec ce qui n’existe pas au Canada. Autrement dit, ce qui se passe en Inde ne peut compenser pour ce qui ne se passe pas au Canada. La conclusion de la Section d’appel de l’immigration à cet égard est raisonnable et défendable au vu du dossier.
f) Il faut qu’une partie des activités soient exercées au Canada, et leur proportion par rapport à celles qui sont exercées hors du Canada est une considération pertinente.
[47]
Cette considération est tirée du paragraphe 119 de la décision Durve, dans lequel le juge Kane s’exprime ainsi :
En revanche, comme nous l’avons vu déjà, une partie des activités devrait avoir lieu au Canada, et la proportion des activités exercées au Canada par rapport à celles exercées à l’étranger constitue une considération pertinente.
[48]
À mon humble avis, cette condition s’applique directement et précisément à la considération précédente, selon laquelle on peut considérer qu’une entreprise est exploitée de façon continue au Canada si l’activité commerciale étrangère a un « lien suffisant avec l’activité commerciale exercée au Canada »
. C’est une condition importante, et l’analyse milite ici contre les demandeurs parce que la Cour a décidé qu’« une partie des activités devrait avoir lieu au Canada »
. En l’espèce, rien ne se passe au Canada : aucune entreprise n’y est exploitée de façon continue et il n’y a pour ainsi dire aucune activité commerciale.
[49]
Il faut aussi rappeler que la quasi-totalité des revenus est générée en Inde. Les revenus de source canadienne ne permettraient pas de maintenir l’entreprise à flot : elle a eu sept clients canadiens en huit ans, alors que l’entreprise indienne en a recruté une centaine par année. Il n’y a pas de bureau au Canada, mais il y en a un en Inde et il est projeté d’en ouvrir un second. Il n’y a aucun employé au Canada, mais il y en a six en Inde. Les conséquences de la perte de clientèle au Canada seraient probablement minimes à l’échelle de l’entreprise.
g) La nature des activités de l’entreprise à l’extérieur du Canada et la façon dont elle contribue à la promotion des activités au Canada sont une importante considération. Par exemple, le fait que le résident permanent possède des qualifications ou des titres de compétences qui sont reconnus au Canada et auxquels se fient ceux à qui il fournit des services hors du Canada est une considération pertinente.
[50]
En toute déférence, je ne peux pas voir comment l’entreprise en Inde pourrait contribuer à la promotion des activités commerciales au Canada puisque, comme je l’ai déjà expliqué, ces activités n’existent pas. Il est exact que le premier demandeur est titulaire d’un titre professionnel du CRCIC dont il tire avantage pour fournir des services en Inde, et ce facteur est favorable aux demandeurs. Il ne s’agit toutefois pas d’un facteur déterminant et il doit être mis en balance avec toutes les autres considérations pertinentes.
h) L’historique des voyages est également pertinent.
[51]
Force est de constater que les demandeurs en ont fait très peu, voire aucun. Voici la conclusion de la Section d’appel de l’immigration à cet égard :
[traduction]
[Les demandeurs] mènent une bonne partie de leurs activités par voie électronique. Il ressort de la preuve qu’ils auraient pu les conduire à partir du Canada et aller en Inde de temps à autre et pour de courts séjours pour y faire du développement d’entreprise.
[52]
Le premier demandeur n’est jamais venu au Canada pour signer des contrats avec des établissements postsecondaires pendant la période de résidence pertinente. Il a signé des contrats avec des étudiants en Inde. Il a également conclu des contrats par voie électronique avec les établissements postsecondaires canadiens alors qu’il se trouvait en Inde. Il s’agit tout au plus de considérations neutres, qui toutes confirment l’évidence : c’est l’Inde, et non le Canada, qui est le principal lieu d’exploitation de l’entreprise. Ces considérations militent en défaveur des demandeurs.
i)
Les mêmes dispositions peuvent s’appliquer aux travailleurs autonomes.
[53]
C’est ce qui découle de la décision Durve, sous réserve de la condition importante que des activités commerciales aient lieu au Canada et qu’une entreprise y soit exploitée de façon continue. Ce n’est pas le cas en l’espèce.
IX.
Paragraphe 61(2) du RIPR
[54]
Il n’est point nécessaire que j’examine le paragraphe 61(2) du RIPR, qui dispose ainsi :
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[55]
Cela dit, la Section d’appel de l’immigration conclut son analyse comme suit : [traduction] « [L]’entreprise canadienne existe dans l’unique dessein de remplir la formalité de l’établissement d’un lien avec le Canada. »
X.
Les motifs d’ordre humanitaire
[56]
Après avoir pris connaissance des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, je ne suis pas convaincu que les demandeurs ont été lésés par une décision déraisonnable, car leur manquement manifeste à l’obligation de résidence de la LIPR leur imposait un seuil très élevé : le premier demandeur a résidé au Canada 25 jours seulement sur les 730 exigés, alors que son père et sa mère y ont résidé chacun 90 jours. On ne peut pas vraiment les considérer comme établis au Canada puisqu’ils vivent et travaillent en Inde. Ils n’ont aucune personne à charge au Canada et leur famille canadienne peut les visiter en Inde. Leur départ du Canada remonte à un certain temps et, même s’ils en ont eu l’intention à un certain moment, ils n’y sont jamais revenus. La perte de son statut de résident permanent fera perdre au premier demandeur son titre professionnel du CRCIC. Je ne peux pas pour autant décréter que la Section d’appel de l’immigration a agi de manière déraisonnable en se fondant sur le témoignage du premier demandeur pour établir que la société indienne pourrait engager quelqu’un qui détient ce titre professionnel si c’est nécessaire.
[57]
Certes, la double perte de son statut de résident permanent et de son titre professionnel sera difficile, mais il ne peut s’en prendre qu’à lui-même et aux décisions qu’il a prises en toute connaissance de cause. Il a délibérément décidé de quitter le Canada. Comme il a été vu, il semble qu’il voulait initialement rester ici mais, pour des raisons qui lui appartiennent, il s’est ravisé et a cessé de résider au Canada. Il s’est mis lui-même, et ses parents avec lui, en défaut par rapport à l’obligation qu’impose la LIPR aux résidents permanents de résider au Canada au moins deux années sur cinq. Sa décision de rester en Inde l’a aussi obligé à faire jouer l’exception prévue au paragraphe 28(1) pour espérer conserver son statut.
[58]
Le premier demandeur est un consultant en immigration. Dans la décision de principe Durve, même si le lien du demandeur (M. Durve) avec le Canada était plus important que celui du premier demandeur, ce lien n’a pas été jugé suffisant pour déclencher l’application de ladite exception et la prise de mesures spéciales et discrétionnaires fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. M. Durve avait résidé 279 jours au Canada; le premier demandeur y a résidé 25 jours seulement. M. Durve avait fait de 25 à 30 voyages entre le Canada et l’Inde au cours de la période quinquennale; le premier demandeur n’en a fait aucun. M. Durve avait signé des contrats de services-conseils et de travail de bureau au Canada; le premier demandeur n’a jamais rien payé pour la prestation de services canadiens, il n’a aucun employé au Canada et il n’y exerce aucune activité commerciale. M. Durve avait acheté deux logements en copropriété au Canada en 2006, dont il a pris possession en 2011 (c’est-à-dire après la période quinquennale pertinente); les demandeurs n’ont produit aucun élément de preuve étayant qu’ils ont une résidence au Canada.
[59]
À mon avis, la Section d’appel de l’immigration s’est montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, qui sont tantôt les petits-enfants, tantôt les nièces et neveux des demandeurs et qui sont âgés respectivement de 14, 12, 11 et 7 ans. Aucun d’eux ne procure un soutien pour la garde de ces enfants ni aucune aide financière, de sorte qu’ils ne sont pas à leur charge. Leurs parents biologiques vivent au Canada et ils sont leurs principaux dispensateurs de soins. À mon avis, il est raisonnable de considérer que ces faits n’aident guère la cause des demandeurs pour ce qui concerne la prise de mesures discrétionnaires et extraordinaires pour des motifs d’ordre humanitaire.
[60]
L’analyse de la situation dans son ensemble ne laisse aucun doute : les décisions concernant la résidence permanente et les mesures spéciales fondées sur des motifs d’ordre humanitaire appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
XI.
Question à certifier
[61]
Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.
« Henry S. Brown »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 21e jour de mai 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3946-17
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INTITULÉ :
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HARJINDER SINGH WARAICH, GURMEET KAUR WARAICH ET ISHWINDER SINGH WARAICH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 6 mars 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE BROWN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 16 mars 2018
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COMPARUTIONS :
Lorne Waldman
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Pour les demandeurs
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Ada Mok
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman and Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour les demandeurs
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Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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