Date : 20180326
Dossier : IMM-2642-17
Référence : 2018 CF 338
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 26 mars 2018
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE :
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THEEPAN KATHIRKAMANATHAN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
M. Theepan Kathirkamanathan a quitté le Sri Lanka pour le Canada en 2010. À son arrivée, il a affirmé avoir été détenu par l’armée sri lankaise qui le soupçonnait d’être membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Il a aussi dit craindre la persécution aux mains des TLET, mais aussi d’autres groupes, y compris le Parti démocratique populaire de l’Eelam (EPDP) et l’Organisation populaire de libération de l’Eelam tamoul (PLOTE).
[2]
En 2011, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile présentée par M. Kathirkamanathan, au motif qu’elle n’était pas fondée. M. Kathirkamanathan a demandé l’autorisation de présenter à la Cour une demande de contrôle judiciaire, mais sa demande a été refusée.
[3]
En 2011, M. Kathirkamanathan a demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR). La Cour a annulé la décision défavorable de l’agent chargé de l’ERAR et ordonné un nouvel examen. Aux fins du deuxième ERAR en 2012, M. Kathirkamanathan a produit de nouveaux éléments de preuve, dont une lettre de son père, mais sa demande a de nouveau été rejetée. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, la décision relative au deuxième ERAR a été annulée au motif que l’agent avait omis d’examiner de manière significative les nouveaux éléments de preuve. Après le troisième ERAR mené en 2015, l’agent a conclu que M. Kathirkamanathan ne serait pas exposé à un risque de persécution s’il rentrait au Sri Lanka. Lors du contrôle judiciaire, la décision relative au troisième ERAR a été annulée au motif que l’agent n’avait pas appliqué la bonne norme de preuve.
[4]
Dans le cadre du quatrième ERAR, M. Kathirkamanathan a présenté de nouveaux éléments de preuve pour étayer sa demande, mais, en 2017, l’agent chargé de l’ERAR a conclu qu’il n’était pas exposé à un risque de persécution s’il retournait au Sri Lanka. Dans cette quatrième demande de contrôle judiciaire d’une décision relative à l’ERAR défavorable, M. Kathirkamanathan prétend que l’agent l’a traité de manière inéquitable en ne convoquant pas d’audience, que l’analyse des éléments de preuve par l’agent était déraisonnable, et que l’agent avait appliqué la mauvaise norme de preuve. Il me demande d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner un cinquième ERAR.
[5]
Je ne vois aucune raison d’infirmer la décision de l’agent. L’agent n’était pas tenu de convoquer une audience pour M. Kathirkamanathan, car sa crédibilité ne représentait pas un aspect capital du dossier. En outre, la conclusion de l’agent que les éléments de preuve n’indiquaient pas que M. Kathirkamanathan serait exposé à un risque de persécution n’était pas déraisonnable. Enfin, l’agent a appliqué la bonne norme de preuve. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
[6]
En plus des questions précédemment définies, une question préliminaire sera examinée sur l’admissibilité d’un affidavit déposé par le ministre aux fins de la présente demande (l’affidavit Graham). Les questions en litige sont les suivantes :
Convient-il d’accepter l’affidavit Graham?
L’agent a-t-il injustement traité M. Kathirkamanathan en ne convoquant pas d’audience?
L’analyse des éléments de preuve par l’agent était-elle déraisonnable?
L’agent a-t-il appliqué la mauvaise norme?
II.
La décision de l’agent
[7]
M. Kathirkamanathan a remis à l’agent une seconde lettre de son père. Cette lettre indiquait que ce dernier avait été visité par des membres de l’armée du Sri Lanka en 2015 et en 2016, qui lui avaient posé des questions sur la participation antérieure de M. Kathirkamanathan aux activités des TLET et ses activités actuelles au Canada. Aux dires du père du demandeur, les soldats ont dit surveiller les activités de M. Kathirkamanathan au Canada et ont menacé de sévir à son endroit s’il revenait au Sri Lanka.
[8]
L’agent a examiné les éléments de preuve, y compris les deux lettres du père de M. Kathirkamanathan, et a conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour démontrer que M. Kathirkamanathan serait exposé à un risque s’il retournait au Sri Lanka après sept ans d’absence. Selon l’agent, les éléments de preuve n’indiquaient aucune nouvelle source de risque depuis la décision de la Section de la protection des réfugiés.
[9]
L’agent a relevé que M. Kathirkamanathan avait déjà été détenu par l’armée du Sri Lanka, mais qu’il avait été libéré, ce qui laisse présumer qu’il n’était pas soupçonné d’entretenir des liens avec les TLET. De plus, l’agent a conclu que M. Kathirkamanathan n’avait participé à aucune activité anti-Sri Lanka au Canada et, vu la capacité du gouvernement du Sri Lanka à surveiller des événements en sol étranger, M. Kathirkamanathan ne serait pas soupçonné d’appuyer les TLET à son retour au pays. L’agent a accordé peu d’importance aux lettres du père de M. Kathirkamanathan, puisqu’elles contredisaient des éléments de preuve documentaire objectifs et n’étaient pas issues d’une source impartiale.
[10]
Quant au risque auquel pourrait être exposé M. Kathirkamanathan comme demandeur d’asile débouté, l’agent a conclu que seules les personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec les TLET étaient exposées à un risque à leur retour au Sri Lanka. Or, l’agent n’a pas estimé que ce risque visait M. Kathirkamanathan. L’agent a cité un élément de preuve documentaire sur le traitement des rapatriés, y compris un rapport préparé au Royaume-Uni dans lequel sont synthétisées des conclusions d’un tribunal britannique de l’immigration, qui étaient alignées aux conclusions de l’agent.
[11]
L’agent a conclu que les circonstances ne justifiaient pas la tenue d’une audience d’après les facteurs pertinents, principalement au motif que la crédibilité de M. Kathirkamanathan ne représentait pas une question centrale à l’examen de sa demande.
[12]
L’agent a conclu que M. Kathirkamanathan ne serait pas exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution, et qu’il était peu plausible que sa vie soit menacée, ou qu’il soit exposé à un risque de traitement ou de peine cruels ou inusités s’il retournait au Sri Lanka.
III.
Question 1 – Convient-il d’admettre l’affidavit Graham?
[13]
Aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, le ministre a déposé un affidavit auquel étaient joints des guides jurisprudentiels à l’intention de la Section de la protection des réfugiés et de la Section d’appel des réfugiés. Le ministre affirme que l’affidavit et ses pièces jointes sont admissibles pour répondre aux arguments qu’a fait valoir M. Kathirkamanathan, définis ci-après, selon lesquels l’agent aurait commis une erreur en faisant référence à la jurisprudence du Royaume-Uni.
[14]
Je ne suis pas d’accord. Certes, ces documents n’ont pas été présentés à l’agent, et ne devraient pas être admis en preuve lors d’un contrôle judiciaire. Cependant, étant donné que les pièces sont des documents accessibles au public et dont la véracité n’est pas contestée, le ministre peut y faire référence pour étayer son argument juridique sur le recours à la jurisprudence à l’étranger.
IV.
Question 2 – L’agent a-t-il injustement traité M. Kathirkamanathan en ne convoquant pas d’audience?
[15]
M. Kathirkamanathan soutient que, puisque son témoignage avait fondé un ERAR favorable, l’agent a dû, pour refuser sa demande, tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité à son encontre. Or, l’agent n’aurait pas dû tirer une telle conclusion défavorable sans convoquer d’audience.
[16]
Je ne suis pas d’accord. L’agent s’est principalement fondé sur les motifs fournis par la Section de la protection des réfugiés pour refuser la demande de M. Kathirkamanathan, et sur les éléments de preuve documentaire objectifs. La crédibilité personnelle de M. Kathirkamanathan n’était pas une question centrale. C’est pourquoi l’agent n’était pas tenu de convoquer une audience.
V.
Question 3 – L’agent a-t-il traité les éléments de preuve de manière déraisonnable?
[17]
M. Kathirkamanathan soutient que l’agent a omis de fournir une raison valide de ne pas accorder de valeur probante aux lettres de son père. Par ailleurs, il affirme que l’agent n’a pas tenu compte du fait qu’il avait quitté le Sri Lanka avec un passeport irrégulier ou illégal et qu’il serait détenu, interrogé et même torturé à son retour. De plus, M. Kathirkamanathan soutient que l’agent s’est déraisonnablement fondé sur la jurisprudence du Royaume-Uni, où des normes juridiques différentes sont appliquées.
[18]
En conséquence, je ne peux pas conclure que l’examen des éléments de preuve par l’agent était déraisonnable.
[19]
L’agent a accordé peu de valeur probante aux lettres du père de M. Kathirkamanathan, car celui-ci avait un intérêt évident dans l’issue de sa demande. La source d’un élément de preuve apporté par un demandeur est sans conteste un facteur valide à considérer lorsque vient le temps de soupeser la valeur accordée audit élément de preuve. Pour autant que l’on aurait tort de méconnaître d’un élément de preuve au seul motif qu’il provient d’un parent du demandeur, un agent peut tenir compte de la nature impartiale ou objective de la preuve. Toutefois, dans le présent dossier, l’agent n’a pas prestement omis l’élément de preuve fourni par le père de M. Kathirkamanathan. En effet, l’agent a étayé les raisons pour lesquelles il avait préféré les éléments de preuve objectifs aux lettres du père du demandeur, en relevant que les autorités du Sri Lanka n’estimaient probablement pas que M. Kathirkamanathan entretenait des liens avec les TLET lorsqu’ils l’ont libéré de sa détention, et qu’elles sauraient probablement que M. Kathirkamanathan n’avait pas pris de mesures pour appuyer les TLET au Canada.
[20]
Au sujet de l’usage allégué par M. Kathirkamanathan d’un passeport irrégulier ou illégal, les éléments de preuve n’étaient pas cohérents. À un certain moment, M. Kathirkamanathan a déclaré à la Section de la protection des réfugiés que son passeport était authentique et légal, mais a plus tard déclaré qu’il était irrégulier, voire illégal. L’agent a évalué le risque auquel M. Kathirkamanathan pourrait être exposé à son retour au Sri Lanka vu l’ensemble de son profil. Je ne constate rien de déraisonnable dans l’analyse menée par l’agent sur cette question.
[21]
Tel que le souligne M. Kathirkamanathan, l’agent a fait référence à la jurisprudence du Royaume-Uni (GJ and Others (post-civil war: returnees) Sri Lanka CG [2013] UKUT 003 19 (IAC)). En règle générale, la jurisprudence étrangère ne peut constituer une preuve sur la situation dans un pays (Pathmanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 885). Cependant, dans le présent dossier, l’agent s’est principalement fondé sur des éléments de preuve mentionnés dans un rapport préparé au Royaume-Uni, et non directement sur une décision d’un tribunal du Royaume-Uni. Plus précisément, l’agent a rapporté de nombreuses observations issues d’une note d’orientation opérationnelle (Operational Guidance Note) sur le Sri Lanka publiée en 2013 par le Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni, où était décrite la situation du Sri Lanka à cette époque. La note d’orientation opérationnelle présentait un aperçu des conclusions auxquelles était parvenu le Upper Tribunal du Royaume-Uni sur une instance en particulier. Bien que l’agent ait cité certaines de ces conclusions, je ne perçois pas que la décision de l’agent ait été influencée par ces décisions. L’agent s’est plutôt fondé sur le document primaire, c’est-à-dire la note d’orientation opérationnelle du Royaume-Uni, ainsi que sur d’autres éléments de preuve documentaire pertinents. Autrement dit, l’agent ne s’est pas fondé sur une décision judiciaire prise au Royaume-Uni, mais bien sur un rapport sur les conditions au Sri Lanka publié au Royaume-Uni.
[22]
Pour rappel, le ministre affirme que le renvoi de l’agent à un arrêt de principe au Royaume-Uni est analogue à une citation des guides jurisprudentiels désignés par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Les guides de la CISR renvoient les agents à des décisions que la Commission considère comme des précédents. Étant donné que mon interprétation de la décision de l’agent m’a mené à conclure que l’agent ne s’est pas fondé sur une décision judiciaire du Royaume-Uni, mais bien sur une preuve préparée au Royaume-Uni, il ne m’est pas nécessaire d’examiner l’argument du ministre voulant que le recours aux guides jurisprudentiels de la CISR revienne à utiliser la jurisprudence étrangère.
[23]
Par conséquent, je ne vois rien d’inopportun ni de déraisonnable dans le fait que l’agent ait pris en considération des éléments de preuve issus du Royaume-Uni.
VI.
Question 4 – L’agent a-t-il appliqué la mauvaise norme de preuve?
[24]
M. Kathirkamanathan soutient que l’agent a formulé de multiples versions de la bonne norme de preuve à laquelle il devait répondre et que, en définitive, il a appliqué une norme erronée.
[25]
Je ne suis pas d’accord.
[26]
La norme applicable aux conclusions de fait est celle de la prépondérance des probabilités. La norme applicable à la conclusion qu’une personne a droit à la protection accordée aux réfugiés sous le régime de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est satisfaite si la personne est confrontée à une possibilité raisonnable, et non à une simple possibilité, de persécution fondée sur un motif de distinction illicite. Enfin, quant à la protection secondaire accordée aux termes de l’article 97 de la LIPR, la personne a droit à la protection si elle est exposée à une menace à sa vie, ou au risque de subir des traitements ou des peines cruels et inusités, ou si des motifs sérieux permettent de croire que cette personne sera soumise à la torture.
[27]
En l’espèce, l’agent a examiné la norme de preuve de multiples façons, mais a appliqué la norme correcte. L’agent a mentionné que les autorités du Sri Lanka ne seraient pas, selon la prépondérance des probabilités, intéressées à M. Kathirkamanathan. Il s’agit d’une conclusion de fait, qui doit faire l’objet d’une décision selon la norme de preuve civile.
[28]
De plus, l’agent a conclu qu’il n’existait qu’une simple possibilité que M. Kathirkamanathan soit victime de persécution pour un motif de distinction illicite. Ainsi, la norme correcte a été appliquée selon les dispositions de l’article 96.
[29]
Par ailleurs, l’agent a estimé peu probable que M. Kathirkamanathan soit exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels ou inusités. Il s’agissait de la norme correcte à appliquer aux termes de l’alinéa 97(1)b). L’agent a aussi conclu qu’il n’y avait aucun motif sérieux de croire que M. Kathirkamanathan serait exposé à un risque de torture. Il s’agissait de la norme correcte à appliquer en application de l’alinéa 97(1)a).
[30]
Pour tous ces motifs, je ne peux conclure que l’agent a appliqué les mauvaises normes de preuve.
VII.
Conclusion et décision
[31]
L’agent n’a pas commis d’erreur en décidant de ne pas convoquer d’audience, étant donné que la crédibilité personnelle de M. Kathirkamanathan ne représentait pas une question centrale. L’analyse qu’a faite l’agent des éléments de preuve était raisonnable, et les conclusions finales de l’agent se fondaient sur les bonnes normes de preuve. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2642-17
LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question de portée générale n’est mentionnée.
« James W. O’Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 9e jour d’octobre 2019
Lionbridge
Annexe
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2642-17
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INTITULÉ :
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THEEPAN KATHIRKAMANATHAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 11 janvier 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE O’REILLY
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DATE DES MOTIFS :
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Le 26 mars 2018
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COMPARUTIONS :
Micheal Crane
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Pour le demandeur
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Sharon Stewart Guthrie
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Micheal Crane
Avocat
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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