Date : 20180309
Dossier : IMM-2884-17
Référence : 2018 CF 281
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 9 mars 2018
En présence de monsieur le juge Boswell
ENTRE :
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JAMES EDAFE EFETOBORE
EMELIA NEIZER
DAVID EDAFE EFETOBORE NEIZER
AARON EDAFE EFETOBORE NEIZER
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
James Edafe Efetobore et son épouse, Emelia Neizer, sont des citoyens du Nigéria et du Mexique; leurs deux jeunes enfants sont des citoyens du Mexique. Ils ont fui le Mexique en 2016 pour échapper à la persécution par un criminel nommé Juan Pichardo, dont M. Efetobore croit qu’il appartient à un gang notoire dénommé Los Zetas. Ils sont arrivés au Canada le 13 juillet 2016, et y ont demandé l’asile. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté les demandes d’asile des demandeurs dans une décision en date du 28 décembre 2016, et la Section d’appel des réfugiés de la CISR a débouté leur appel dans une décision en date du 30 mai 2017, confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Les demandeurs présentent maintenant une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).
I.
Contexte
[2]
Après avoir été menacé par la famille islamiste de son épouse en 2010, M. Efetobore, qui est Chrétien, a quitté le Nigéria pour tenter d’entrer aux États-Unis avec un faux passeport du Ghana. Il a été déporté volontairement des États-Unis vers le Ghana. Après son retour au Nigéria, le conflit familial opposant la famille de M. Efetobore et celle de son épouse a atteint une telle ampleur qu’en octobre 2011, le couple a fui le Nigéria pour rejoindre le Mexique, où leurs demandes d’asile ont été acceptées et où ils sont ultérieurement devenus des citoyens naturalisés.
[3]
En juillet 2012, à l’occasion d’une partie de soccer à Puebla, au Mexique, une altercation a éclaté entre M. Efetobore et M. Juan Pichardo, un membre de l’équipe adverse, qui en est venu à menacer de tuer M. Efetobore. M. Efetobore a été informé par un coéquipier que M. Pichardo appartenait au gang Los Zetas. Bien que M. Efetobore ait obtenu l’aide des autorités policières, il a été informé par ces dernières qu’aucune mesure ne serait prise au motif qu’il n’avait pas été blessé par M. Pichardo. Après l’altercation, M. Efetobore et son épouse ont quitté Puebla pour s’établir dans la ville de Cuautitlan Izcalli où, en décembre 2012, M. Efetobore a été agressé en pleine rue par M. Pichardo et plusieurs hommes armés qu’il l’ont battu et ont tenté de le faire monter dans une camionnette. Cette tentative d’enlèvement a été déjouée par l’arrivée de policiers, qui ont arrêté deux des agresseurs. Après une courte hospitalisation, M. Efetobore s’est rendu, immédiatement après avoir obtenu son congé, au commissariat de police de Tepito avec un ami, M. Solomon Solanke, pour s’informer de la prochaine mesure à prendre. Des policiers auraient offert à M. Efetobore 15 000 pesos pour retirer ses accusations contre les deux agresseurs. Il a retiré ses accusations, sans toutefois accepter l’argent.
[4]
En mars 2014, M. Solanke a informé M. Efetobore qu’il avait été attaqué par un groupe d’hommes qui l’ont questionné sur ses liens avec l’affaire de M. Efetobore et menacé de le tuer. M. Solanke a signalé l’incident à la police locale, qui a accepté son signalement et indiqué qu’elle ferait un suivi, ce qu’elle n’a pas fait. Le 9 janvier 2015, M. Solanke et sa famille ont été retrouvés morts dans leur appartement de la ville de Mexico. La police a conclu que leur décès avait été causé par une fuite de gaz, mais M. Efetobore croit qu’ils ont été assassinés par des personnes affiliées à M. Pichardo. Après ces décès, les demandeurs ont déménagé à Tijuana, à environ 2 000 km de Cuautitlan Izcalli, dans une maison plus sécurisée. Le 30 avril 2015, M. Efetobore a embauché un plombier pour faire des réparations dans la maison. Après son retour d’un déplacement professionnel en mai 2015, il a découvert que sa maison avait été cambriolée. Des voisins ont informé M. Efetobore qu’ils avaient vu le plombier pénétrer dans sa maison et ont appelé la police; le plombier a été arrêté et ultérieurement libéré sous caution.
[5]
En juillet 2015, M. Efetobore a reçu un appel téléphonique de M. Pichardo qui a identifié l’adresse de M. Efetobore à Tijuana et l’a menacé de mort. Après cet appel, les demandeurs ont déménagé à Mexico où, le 11 juillet 2016, tandis qu’il se trouvait à la banque avec sa famille et un ami nommé Daniel, M. Efetobore a rencontré un homme dans le stationnement, qu’il a reconnu comme l’un de ceux qui avaient tenté de l’enlever en 2012. M. Efetobore a immédiatement fait monter sa famille dans la voiture de Daniel en lui demandant de partir rapidement. Quelques minutes plus tard, la voiture était bloquée par une autre voiture dont sont sortis trois hommes armés. Daniel a réussi à les sortir de cette situation en manœuvrant la voiture et ils se sont rendus à l’aéroport. M. Efetobore et sa famille ont passé la nuit à un hôtel à proximité, et le lendemain, le 13 juillet 2016, ils ont pris l’avion vers le Canada.
[6]
Peu après leur arrivée au Canada, les demandeurs ont demandé l’asile. Dans une décision en date du 28 décembre 2016, la Section de la protection des réfugiés a rejeté leurs demandes d’asile, en donnant comme questions déterminantes la crédibilité et la protection de l’État. La Section de la protection des réfugiés a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État, en relevant que, dans une démocratie fonctionnelle telle que le Mexique, le lourd fardeau leur incombait de démontrer qu’ils avaient épuisé toutes les possibilités de protection de l’État. En ce qui concerne la crédibilité, la Section de la protection des réfugiés a tiré une conclusion défavorable de la tentative de M. Efetobore d’entrer aux États-Unis avec un faux passeport en 2011, et a conclu qu’il n’avait présenté aucune preuve convaincante que M. Pichardo appartenait au gang Los Zetas. Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés auprès de la Section d’appel des réfugiés.
II.
La décision de la Section d’appel des réfugiés
[7]
La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel des demandeurs dans une décision rendue le 30 mai 2017. Après avoir rappelé le rôle de la Section d’appel des réfugiés et examiné la preuve, la Section d’appel des réfugiés a conclu que les demandeurs avaient été les victimes de crimes, ou les cibles d’une vendetta et, de ce fait, ne pouvaient invoquer aucun lien entre leur situation et un motif prévu par la Convention en application de l’article 96 de la LIPR et, par conséquent, a examiné leurs demandes d’asile d’après les dispositions de l’article 97. La Section d’appel des réfugiés a conclu que la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en tirant une conclusion défavorable de l’utilisation par M. Efetobore d’un faux passeport en 2011, mais n’a pas souscrit à l’argument des demandeurs voulant que ladite conclusion défavorable eût abouti à une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. D’après la Section d’appel des réfugiés, la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur en ne fournissant pas de raisons suffisantes pour expliquer pourquoi elle n’avait pas accueilli le récit de M. Efetobore selon lequel les policiers auraient tenté de verser un pot-de-vin à M. Efetobore. La Section d’appel des réfugiés s’en est remise à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle l’allégation de M. Efetobore voulant que M. Solanke ait été menacé par des alliés de M. Pichardo était spéculative, puisque le [traduction] « tribunal qui était présent à l’audience [...] avait un avantage par rapport à moi pour ce qui est d’évaluer la crédibilité d’un témoignage de cette nature ».
La Section d’appel des réfugiés s’est ralliée à la Section de la protection des réfugiés pour conclure que la revendication de M. Efetobore qu’il avait esquivé une voiture remplie d’hommes armés et acheté des billets d’avion pour le Canada le lendemain était invraisemblable. La Section d’appel des réfugiés a également conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que M. Pichardo était un membre du gang Los Zetas, et s’en est remise à la conclusion de crédibilité à laquelle était parvenue la Section de la protection des réfugiés sur cette question.
[8]
En ce qui concerne la protection de l’État, la Section d’appel des réfugiés a rappelé la preuve documentaire de la protection insuffisante offerte par l’État du Mexique aux personnes ciblées par des gangs tels que Los Zetas; toutefois, à cet égard, la Section d’appel des réfugiés a déclaré que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer l’implication réelle de Los Zetas. La Section d’appel des réfugiés a relevé ce qui suit :
[traduction]
[27] Le seul élément de preuve présenté pour établir un lien entre Juan ou toute autre personne et Los Zetas était le témoignage de l’appelant principal [M. Efetobore] selon lequel une personne dans la rue lui avait dit que Juan était un homme de main de Los Zetas. Il s’agit assurément d’un élément de preuve insuffisant pour me convaincre que Juan a quelque lien que ce soit avec Los Zetas.
[28] Par conséquent, j’estime que, si les menaces réelles et l’enlèvement de 2012 ont eu lieu, il s’agissait, selon la prépondérance des probabilités, de deux actes criminels commis au hasard et n’ayant aucun lien avec le gang meurtrier Los Zetas. Ainsi, les exceptions à une protection étatique adéquate auxquelles les appelants ont fait référence en ce qui concerne les cas où il est question de gangs de criminels importants ne s’appliquent pas.
[9]
Après le rappel des principes jurisprudentiels de la protection de l’État, la Section d’appel des réfugiés a conclu que M. Efetobore n’avait pas épuisé tous les recours qui lui étaient offerts pour se prévaloir de la protection de l’État en signalant l’offre de pot-de-vin à une autorité supérieure, telle qu’un policier plus haut placé, et que la réaction de la police à la tentative d’enlèvement, au décès de la famille de M. Solanke, et au cambriolage du domicile de M. Efetobore à Tijuana démontrait la disponibilité d’une protection adéquate de l’État au Mexique. La Section d’appel des réfugiés a conséquemment conclu que les demandeurs n’étaient pas des personnes à protéger.
III.
Analyse
[10]
Bien que les demandeurs soulèvent de multiples questions distinctes, il n’est pas nécessaire de les aborder séparément puisque la question fondamentale, selon moi, est celle de savoir si la décision de la Section d’appel des réfugiés était raisonnable.
A.
Norme de contrôle
[11]
La norme de contrôle applicable à une décision de la Section d’appel des réfugiés est la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35, [2016] 4 RCF 157 [Huruglica]). Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir lorsque la décision de la Section d’appel des réfugiés est justifiable, transparente et intelligible, et elle doit déterminer « si la décision fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
: Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »
: Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.
[12]
De plus, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable »
, et « il [ne] rentre [pas] dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve »
: Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61, [2009] 1 RCS 339. Il faut considérer la décision contestée comme « un tout »
et la Cour doit s’abstenir de faire « une chasse au trésor, phrase par phrase »
, à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458).
B.
La décision de la Section d’appel des réfugiés était-elle raisonnable?
[13]
Les demandeurs prétendent que tant la Section de la protection des réfugiés que la Section d’appel des réfugiés ont incorrectement qualifié l’individu qui avait informé M. Efetobore de l’affiliation de M. Pichardo au gang Los Zetas de « personne dans la rue »
, plutôt que de reconnaître qu’il s’agissait de son coéquipier de soccer Uriel. Selon les demandeurs, cette erreur a été fatale à la décision de la Section d’appel des réfugiés. Les demandeurs relèvent aussi la difficulté d’apporter la preuve concluante de l’appartenance d’un individu à un gang de criminels.
[14]
Le défendeur soutient que la question de savoir si M. Efetobore a été informé de l’affiliation de M. Pichardo à un gang de criminels par une « personne dans la rue »
ou un « coéquipier »
ne permet pas d’arriver à une distinction significative. Selon le défendeur, la prétention des demandeurs qu’un coéquipier aurait donné des renseignements plus fiables est une simple affirmation, et il fait remarquer que M. Efetobore lui-même a employé l’expression « personne dans la rue »
pour décrire Uriel, et que les demandeurs n’ont fourni aucune suggestion pour expliquer en quoi la Section d’appel des réfugiés avait commis une erreur en reprenant les termes employés par la Section de la protection des réfugiés à ce sujet.
[15]
Selon moi, la Section d’appel des réfugiés a déraisonnablement évalué le fondement des renseignements détenus par M. Efetobore sur l’affiliation de M. Pichardo à Los Zetas. Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, M. Efetobore relate ce qui suit :
[traduction] Après la partie ce jour-là, Juan a menacé de me tuer avec ma famille et de nous faire disparaître pour lui avoir manqué de respect. Un coéquipier m’a recommandé de déménager loin de la ville parce que Juan est membre du célèbre groupe armé Los Zetas.
[16]
Dans la plainte de M. Efetobore aux autorités policières de Mexico en date du 27 décembre 2012 suivant la tentative d’enlèvement, il est indiqué ce qui suit :
[traduction] Toutefois, à la fin de la partie de soccer, Juan Pichardo a continué de m’insulter et de me provoquer, jusqu’à en venir à me menacer, ainsi que ma femme, EMELIA NEIZER, en disant que nous étions morts et que nous allions disparaître. Par contre, je devrais aussi mentionner qu’après la partie, et lorsque les choses se sont calmées un peu, un coéquipier de mon équipe de soccer, URIEL m’a dit que je devrais faire très attention puisque Juan Pichardo faisait apparemment partie d’un groupe appelé « Zetas » […].
[17]
La transcription du témoignage de M. Efetobore devant Marlene Hogarth, commissaire de la Section de la protection des réfugiés, indique que la source de l’information sur l’affiliation de M. Pichardo à Los Zetas était au moins un membre de l’équipe de soccer :
[traduction]
M. HOGARTH : Et que vos coéquipiers vous ont-ils dit?
J. E. EFETOBORE : Ils m’ont recommandé, c’est-à-dire de [inaudible] mes coéquipiers [inaudible] et voulaient que je quitte la ville parce que [inaudible] ils sont sans pitié [inaudible] Mexico.
M. HOGARTH : Oui, je crois que nous connaissons tous Los Zetas. Donc on vous recommande de quitter la ville, car il appartient à […], mais comment savaient-ils qu’il était membre de Los Zetas?
J. E. EFETOBORE : En fait, à l’époque, je venais d’arriver en ville, et eux y avaient passé toute leur vie. Je ne pouvais pas dire [inaudible], ils semblaient très certains de ce qu’ils me disaient.
[…]
M. HOGARTH : Mais outre la personne qui vous a dit qu’ils étaient membres de Los Zetas, qui vous l’a dit en premier?
J. E. EFETOBORE : Un ami [inaudible].
M. HOGARTH : Donc votre ami vous l’a dit. Y avait-il une autre raison qui vous donnait à penser qu’il était membre de Los Zetas?
J. E. EFETOBORE : Après qu’il était [inaudible] attaqué, j’étais sûr que mon corps était [inaudible]. Je me suis dit, ce Juan Pichardo me fait peur [inaudible] et je ne lui ai pas vraiment raconté ce qui se passait, mais il s’y est intéressé. Je lui ai tout raconté, et il m’a dit OK. Il ne connaissait pas vraiment le [inaudible]. Le lendemain, je suis rentré du travail et il m’a dit que Juan était un homme de main du groupe Los Zetas.
M. HOGARTH : L’avez-vous cru?
J. E. EFETOBORE : Oui je l’ai cru.
M. HOGARTH : Et qui aurait pu avoir cette information?
J. E. EFETOBORE : C’est [inaudible] comme dans la rue, la seule personne qui vient toujours nous voir, il s’appelle Raul. Il dit « Comment ça va? » Il veille souvent sur nous, donc j’ai pensé qu’il était [inaudible], donc ce que j’ai pensé, il devrait [inaudible] les gens. [sic]
[18]
Dans la même transcription, l’avocat de M. Efetobore s’adresse ainsi à la Section de la protection des réfugiés :
[traduction]
[…] sur la question de savoir comment le [inaudible], James savait que Juan appartenait à Los Zetas? C’est une question difficile à laquelle il ne peut probablement pas apporter de meilleure réponse que celle qu’il a donnée. C’est-à-dire que, à part sur le terrain [inaudible] l’a informé que, celui qui te menace est un membre de [inaudible]. Et essentiellement, appartient à la société [inaudible], les policiers le savent, donc c’est un moyen de s’informer. En effet, il ne peut pas rejoindre le cartel pour savoir qui est subordonné au membre de ce cartel. Et même s’il s’y joignait, il devrait [inaudible] connaître quelqu’un comme l’homme de main. Il faut donc toujours qu’il s’informe dans la rue. Et il a dit [inaudible] que ceux qui l’ont informé étaient les mêmes qu’il avait rencontrés dans la collectivité, et il est raisonnable de faire confiance à leur jugement.
[19]
Devant ces témoignages, la Section d’appel des réfugiés a déclaré ce qui suit :
[traduction]
[23] [...] le tribunal [SPR] n’a pas cru que Juan était un membre de Los Zetas étant donné qu’un nombre insuffisant d’éléments de preuve avait été présenté pour convaincre le tribunal que Juan était un membre de Los Zetas. Cette conclusion, même si elle n’a pas été expliquée clairement par le tribunal, est une option raisonnable que ce dernier avait dans le cadre de sa prise de décision. Comme l’appelant le fait observer, il est un peu difficile de produire des éléments de preuve documentaire démontrant qu’une personne appartient à une organisation criminelle. Cependant, quand il s’est fait demander comment il se faisait qu’il savait que Juan faisait partie de Los Zetas, l’appelant principal a déclaré dans son témoignage qu’une personne dans la rue le lui avait dit. Cet élément de preuve n’est pas suffisant pour me convaincre que cet homme qui jouait au soccer est membre de l’organisation criminelle notoire Los Zetas. Je ne doute aucunement du fait que l’appelant principal croit que cet homme est un membre de Los Zetas; toutefois, cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agit d’un fait. Le tribunal avait un avantage par rapport à moi, c’est‑à‑dire qu’il a eu l’occasion d’évaluer directement ce témoignage, alors que je peux seulement lire une transcription et écouter l’enregistrement de l’audience, qui est de piètre qualité. Je ferai preuve de déférence à l’égard de la SPR des réfugiés pour ce qui est de cette question de crédibilité, car il me semble qu’il s’agit d’une option raisonnable qu’avait le tribunal.
[20]
La croyance de M. Efetobore que M. Pichardo appartenait à un gang était non seulement fondée sur les propos d’une « personne dans la rue »
dénommée Raul, une connaissance avec qui M. Efetobore parlait souvent dans la rue, mais aussi sur ce qu’avaient raconté ses coéquipiers de soccer, dont Uriel, à l’occasion d’une partie de soccer en 2012. La question à trancher n’est pas, tel que l’affirme le défendeur, celle de savoir si la Section d’appel des réfugiés a correctement caractérisé Uriel, le coéquipier de M. Efetobore, de personne dans la rue, mais plutôt celle de savoir si la Section d’appel des réfugiés a fait fi du fait que la croyance de M. Efetobore à propos de M. Pichardo était fondée sur au moins deux sources.
[21]
Il est bien établi qu’un tribunal administratif tel que la Section d’appel des réfugiés en l’espèce est présumé avoir « soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis […] à moins que l’on démontre le contraire »
(Boulos c Alliance de la fonction publique, 2012 CAF 193, au paragraphe 11, [2012] ACF no 832, citant Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, au paragraphe 1). Le défaut de se référer à des éléments de preuve pertinents ne justifie généralement pas la conclusion selon laquelle la décision a été prise sans tenir compte des éléments de preuve, ce qui oblige la Cour à accorder la réparation prévue à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Toutefois, cela ne se produit pas toujours, puisque « […] plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les […] motifs, plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” »
(Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CAF 177, au paragraphe 38, [2012] 1 RCF 257, citant Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17, 157 FTR 35 (TD)).
[22]
En l’espèce, il semble que la Section d’appel des réfugiés ait fait fi de la preuve quant à ce qu’avait dit Uriel à M. Efetobore à propos de l’appartenance de M. Pichardo à un gang, en se référant à lui uniquement comme à « une personne dans la rue »
. Il revenait à la Section d’appel des réfugiés d’évaluer et de prendre en considération toute la preuve lorsqu’elle a mené sa propre analyse du dossier (voir Huruglica, au paragraphe 103). À mon avis, il était déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés n’évalue pas cette preuve, et qu’elle ne la mentionne pas explicitement.
[23]
De surcroît, j’estime que la Section d’appel des réfugiés a déraisonnablement caractérisé la preuve quant à l’appartenance de M. Pichardo à un gang, en la considérant comme une question de crédibilité, et dans l’examen de laquelle elle pourrait s’en remettre à la Section de la protection des réfugiés. Certes, la Section d’appel des réfugiés n’a pas remis en doute la sincérité de M. Efetobore, ni sa croyance selon laquelle M. Pichardo était membre de Los Zetas, mais elle a néanmoins conclu que son témoignage sur les propos de Raul dans la rue constituait une preuve insuffisante pour établir comme faits les propos rapportés par ce dernier. Cette question relève du caractère suffisant de la preuve, et non de la crédibilité, et il était déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés s’en remette à la Section de la protection des réfugiés à cet égard, sans mener sa propre évaluation indépendante du fondement de la croyance de M. Efetobore au sujet de M. Pichardo. La décision de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que M. Pichardo appartenait à Los Zetas ne peut pas être justifiée, puisque la Section d’appel des réfugiés n’a pas pleinement évalué tous les éléments de preuve liés à cette croyance. La décision de la Section d’appel des réfugiés est déraisonnable, et la question doit être renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour un nouvel examen.
IV.
Conclusion
[24]
La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est donc accueillie. La décision de la Section d’appel des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée devant la Section d’appel des réfugiés aux fins de réexamen par un autre commissaire, conformément aux motifs du jugement.
[25]
Comme aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier en application de l’alinéa 74d) de la LIPR, aucune question n’est certifiée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-2884-17
LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire; l’affaire est renvoyée à la Section d’appel des réfugiés aux fins de réexamen par un autre commissaire, conformément aux motifs du présent jugement, et aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Keith M. Boswell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 15e jour de novembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-2884-17
|
INTITULÉ :
|
JAMES EDAFE EFETOBORE, EMELIA NEIZER, DAVID EDAFE EFETOBORE NEIZER, AARON EDAFE EFETOBORE NEIZER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 31 janvier 2018
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE BOSWELL
|
DATE DES MOTIFS :
|
Le 9 mars 2018
|
COMPARUTIONS :
Sina Ogunleye
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Stephen Jarvis
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sina Ogunleye
Avocat
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|