Référence : 2018 CF 164
Ottawa (Ontario), le 12 février 2018
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
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THE REGENTS OF THE UNIVERSITY OF CALIFORNIA ET TEARLAB CORPORATION
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demanderesses
(défenderesses reconventionnelles)
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et
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I-MED PHARMA INC.
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défenderesse
(demanderesse reconventionnelle)
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JUGEMENT ET MOTIFS
Table des matières
1) Notions élémentaires scientifiques
IV. Témoins des faits des demanderesses
V. Témoins experts des défenderesses
VI. Témoins des faits des défenderesses
VII. Témoins experts des défenderesses
A. Qualité pour agir de TearLab
IX. L’interprétation des revendications
C. La personne versée dans l’art
D. Les connaissances générales courantes
E. L’interprétation des revendications
1) « Une microplaquette destinée à recevoir les échantillons »
2) « Un substrat destiné à recevoir un volume aliquote d’un échantillon de liquide »
B. La défense fondée sur l’arrêt Gillette
I.
Actes de procédure
[1]
La présente instance traite de la validité et de la mise en vigueur du brevet no 2 494 540 intitulé « osmométrie de film lacrymal »
(le brevet 540). Le brevet 540 a été déposé le 25 mars 2003, a été délivré le 3 juin 2014 et arrive à échéance le 25 mars 2023. Il accorde au titulaire les droits exclusifs de fabriquer, d’utiliser, d’importer et de vendre au Canada l’invention revendiquée.
[2]
Les demanderesses sont The Regents of the University of California (l’Université) et TearLab Corp. (TearLab). La défenderesse est I-MED Pharma Inc. (I-MED).
[3]
L’Université est le titulaire du brevet 540. TearLab est la titulaire d’une sous-licence de sa filiale en propriété exclusive TearLab Research Inc., qui est titulaire d’une licence exclusive de l’Université pour, entre autres, fabriquer, faire fabriquer, utiliser, vendre, mettre en vente et importer au Canada les produits déterminés dans les revendications du brevet 540.
[4]
Les demanderesses affirment que le système d’osmolarité i-Pen (l’i-Pen) de la défenderesse contrevient aux revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 du brevet 540.
[5]
La défenderesse invoque l’absence de contrefaçon (y compris la défense fondée sur l’arrêt Gillette) et l’invalidité de chacune des revendications invoquées par les demanderesses dans le cadre du brevet 540, pour cause d’antériorité, d’évidence, d’inutilité, de l’insuffisance des renseignements divulgués et de revendications trop larges ou ambiguës.
[6]
Les questions à trancher sont les suivantes :
- Question préliminaire
- TearLab a-t-elle qualité pour agir?
- Contrefaçon de brevet et validité du brevet
- Contrefaçon
L’i-Pen contrevient-il à l’une quelconque des revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 du brevet 540?
L’objet de l’une quelconque des revendications 1, 2, 5, 8, 13 et 14 manque-t-il de nouveauté?
L’objet de l’une quelconque des revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 est-il évident à la date de la revendication?
Les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 font-elles défaut de démontrer l’utilité de l’invention?
Les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 font-elles défaut de prédire judicieusement l’utilité de l’invention à la date de dépôt?
Les caractéristiques techniques font-elles défaut de décrire correctement et entièrement l’invention ainsi que son fonctionnement?
Les caractéristiques techniques font-elles défaut de décrire l’invention de manière complète, claire et concise dans des termes exacts pour faciliter la compréhension de toute personne versée dans l’art ou la science y afférent?
Les caractéristiques techniques font-elles défaut d’expliquer le principe de l’invention et le meilleur moyen envisagé par l’inventeur pour appliquer ce principe?
Les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 font-elles défaut de définir distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention en question pour laquelle est revendiqué un avantage exclusif ou une propriété exclusive?
Les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 visent-elles un résultat souhaité plutôt que de viser la manière dont une invention atteindrait ce résultat?
Les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 sont-elles plus larges que toute invention qui a été faite ou divulguée dans le brevet 540?
- La validité
- Antériorité :
- Évidence :
- L’utilité :
- Le caractère suffisant :
- Les revendications ambiguës :
- Les revendications trop larges :
II.
Sommaire des résultats
- Question préliminaire
- TearLab a qualité pour agir.
- Contrefaçon de brevet et validité du brevet
- La contrefaçon :
L’i-Pen contrevient aux revendications 1, 2, 5, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 du brevet 540; il ne contrevient pas à la revendication 6.
L’antériorité :
a) Les revendications 1, 2, 5, 8, 13 et 14 sont antérieures.
L’évidence :
a) Les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 sont évidentes.
L’utilité :
a) Les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 démontrent l’utilité.
Le caractère suffisant :
a) Les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 sont suffisantes.
Les revendications ambiguës :
a) Cette question a été abandonnée au procès.
Les revendications trop larges :
a) Cette question a été abandonnée au procès.
- La validité :
III.
Contexte
A.
Les parties
[7]
L’Université est propriétaire du brevet 540.
[8]
TearLab détient une licence exclusive aux termes du brevet 540. Elle a été constituée en société au Delaware et son siège social est en Californie. TearLab fabrique des produits de diagnostic à l’intention des professionnels des soins de la vue. Plus précisément, elle fabrique le système d’osmolarité de TearLab (le système de TearLab).
[9]
I-MED est une entreprise dont le siège social est situé au Québec qui se spécialise dans les soins oculaires pour les humains et les animaux. Entre autres, elle effectue la distribution des dispositifs médicaux, y compris l’importation et la mise en marché de l’i-Pen par l’entremise d’un distributeur au Canada.
B.
Le contexte technologique
1)
Notions élémentaires scientifiques
[10]
Les parties ont préparé conjointement des notions élémentaires scientifiques concernant la technologie pertinente et les principes sur lesquels elles se sont entendues. Les notions élémentaires traitent de l’osmolarité, de l’anatomie de l’œil et du film lacrymal, du syndrome des yeux secs et des principes d’électricité.
[11]
Le terme « osmolarité »
désigne la concentration de l’ensemble des particules dissoutes, ou solutés, dans une solution. L’osmolarité peut être estimée en mesurant les propriétés physiques qui sont affectées par la concentration de solutés. En 2002, les outils couramment utilisés pour estimer l’osmolarité comprenaient l’abaissement du point de congélation, l’élévation du point d’ébullition, l’abaissement de la pression de vapeur, la pression osmotique et l’impédance électrique. Le point de congélation et la pression de vapeur d’une solution décroissent en même temps que l’osmolarité augmente, entraînant l’augmentation de son point d’ébullition. La pression osmotique diffère entre deux solutions qui ont une osmolarité différente et qui sont séparées par une membrane semi-perméable. L’impédance électrique d’une solution diminue tandis que son osmolarité augmente.
[12]
Les surfaces internes de l’œil comportent la cornée (la fenêtre transparente de notre vision), la sclère (la partie blanche) et la partie postérieure des paupières. La conjonctive, une membrane muqueuse, recouvre la sclère et la partie postérieure des paupières. Une couche de film lacrymal couvre également les surfaces internes de l’œil et comprend trois couches. La couche interne de mucine est un mélange de protéines qui étend le film lacrymal et le maintient sur la surface oculaire. La couche intermédiaire aqueuse occupe le plus grand volume du film lacrymal, garde l’œil humide, balaye les débris et aide à oxygéner la cornée. Elle contient un degré précis de nutriments et de sels dissous; une production fraîche de la glande lacrymale et un rinçage par les voies nasales préviennent les augmentations d’osmolarité causées par l’évaporation. La couche externe lipide aide à délayer le film lacrymal et à réduire l’évaporation de la couche aqueuse. Les principaux solutés du fluide lacrymal sont des ions; par conséquent, la conductance du fluide lacrymal est très proche de son osmolarité.
[13]
Le syndrome des yeux secs (SYS), également connu comme étant la kérato-conjonctivite, est une maladie des larmes et de la surface oculaire qui cause un malaise, un dérangement visuel et l’instabilité du film lacrymal, endommageant potentiellement la surface oculaire. Il existe deux types de SYS qui causent une augmentation de l’osmolarité du fluide lacrymal : l’œil sec à carence aqueuse due à une sécrétion réduite du film lacrymal par la glande lacrymale; l’œil sec évaporatoire dû à l’évaporation excessive du film lacrymal. En 2002, quatre outils principaux étaient utilisés pour diagnostiquer le SYS en milieu clinique : 1) le test de Schirmer qui fait la corrélation du volume de larme avec la longueur du mouillage sur papier ou du fil; 2) les tests de stabilité du film lacrymal, qui mesure le temps que prend un film lacrymal à se briser sur la surface oculaire; 3) la teinture de la surface oculaire avec des teintures qui permettent d’évaluer le dommage de la surface oculaire; 4) les symptômes du patient. Le lien entre l’osmolarité et le SYS a été exploré entre les années 1970 et les 1990; toutefois, la mesure de l’osmolarité lacrymale comprenait à l’époque des analyses compliquées et onéreuses du point de congélation et de la pression de vapeur exigeant de grands volumes d’échantillons. Ces défis réduisaient l’utilisation de l’osmolarité à titre d’outil de diagnostic dans un milieu clinique.
[14]
La conductance est une propriété intrinsèque du matériel qui indique la qualité de la conductivité électrique; la dimension du matériel n’affecte pas la conductivité. En contraste, la conductance est une propriété holistique d’un système qui indique la qualité de la conductivité électrique et dépend de propriétés du système comme sa masse, sa taille, sa forme et ses composantes. D’autres principes pertinents d’électricité comprennent : la résistivité (la qualité de l’entrave au courant d’un matériel); la résistance (la qualité de l’entrave au courant d’un système); la capacitance (la capacité d’un système à emmagasiner une charge électrique); la réactance (la mesure de la résistance d’un élément d’un circuit exposé à un changement de courant électrique ou de tension électrique dans un système donné, à cause de l’inductance de l’élément ou de sa capacitance); l’impédance (la mesure de l’opposition que présente un circuit à un courant quand une tension électrique est appliquée). Enfin, la loi d’Ohm, qui est V=IR, décrit la relation entre la tension (V), le courant (I) et la résistance (R). Dans un système dont les effets de la capacitance et de l’inductance sont négligeables, une mesure d’impédance peut être traitée comme une résistance et la loi d’Ohm peut être appliquée.
2)
Le brevet 540
[15]
Le brevet 540 divulgue une invention liée à la mesure de l’osmolarité d’un échantillon de fluides organiques, y compris le film lacrymal en particulier, par laquelle l’échantillon de fluide est déposé sur une microplaquette. La microplaquette comprend un espace pour le substrat et l’échantillon. L’échantillon du fluide est déposé de manière à couvrir fonctionnellement l’espace réservé à l’échantillon pour que l’énergie qui est impartie à l’échantillon du fluide soit détectée à partir de l’espace réservé à l’échantillon pour produire un signal qui indique l’osmolarité de l’échantillon du fluide. Comme il est décrit à la page 4, lignes 12 à 17 du brevet 540 :
[traduction]
La mesure de l’osmolarité d’un échantillon de fluide, comme un film lacrymal, s’effectue en déposant une partie aliquote de l’échantillon du fluide sur une microplaquette comprenant un substrat et un espace pour l’échantillon du substrat, par lequel le volume de l’échantillon du fluide couvre fonctionnellement une part suffisante de l’espace réservé à l’échantillon de manière à ce que l’énergie qui est impartie à l’échantillon du fluide soit détectée à partir de l’espace réservé à l’échantillon pour produire un signal qui indique l’osmolarité de l’échantillon du fluide.
[16]
Le volume requis de l’échantillon du fluide peut être aussi peu que 1 nL, ce qui peut facilement être obtenu des patients.
[17]
L’énergie transférée à l’échantillon du fluide peut être électrique, optique ou thermique. Des électrodes peuvent être installées sur le substrat de manière à ce que l’échantillon de fluide fasse le pont avec les électrodes et l’énergie électrique qui passe à travers les électrodes mesure la conductivité et est corrélée à l’osmolarité. Autrement, des sphères de taille nanométrique peuvent être enrobées d’un produit chimique luminescent qui perçoit les ions et peuvent être ensuite exposées à un échantillon de fluide et stimulées avec de l’énergie lumineuse de manière à ce que les sphères brillent et la lumière ainsi émise est corrélée à l’osmolarité de l’échantillon du fluide. En outre, réfrigérer de manière continue un échantillon de fluide cause une conductivité réduite au point de congélation, ce qui permet la corrélation du point de congélation ainsi déterminé avec l’osmolarité de l’échantillon.
[18]
Le brevet 540 divulgue également que le système de mesure de l’osmolarité comprend un réceptacle pour l’échantillon de fluide ainsi qu’une plateforme pour transmettre les données. Le réceptacle peut être aussi simple qu’un ensemble d’électrodes sur une microplaquette ou aussi complexe qu’un microprocesseur logique programmé pour effectuer des mesures dynamiques qui peut être utilisé pour aussi contrôler la température et la mesurer. La plateforme pour transmettre les données reçoit les données du réceptacle, les interprète et affiche l’osmolarité à l’utilisateur. De cette manière, une mesure précise de l’osmolarité peut être obtenue avec le moins d’inconvénient possible, peu de compétences et un niveau élevé de fidélité. Comme il est décrit à la page 7, lignes 11 à 21 du brevet 540 :
[traduction]
Des concrétisations exemplaires sont décrites pour mesurer l’osmolarité d’une quantité aliquote d’un même fluide (p. ex., un film lacrymal, la sueur, le sang ou autres fluides). Les concrétisations exemplaires sont conçues pour se faire relativement rapidement, sont non invasives, économiques et faciles à utiliser, avec un risque minime de préjudice pour le patient. Des mesures exactes peuvent être produites avec aussi peu qu’un nanolitre de volume d’un même fluide. Par exemple, un dispositif de mesure conçu selon l’invention permet de mesurer l’osmolarité avec aussi peu que 20 μL d’échantillon de fluide, et typiquement des volumes beaucoup plus petits peuvent être mesurés avec succès. Dans une des concrétisations qui sont décrites davantage ci-dessous, l’exactitude de la mesure de l’osmolarité n’est pas compromise par les variations dans la quantité volumétrique de l’échantillon de fluide prélevé, ce qui fait que la mesure de l’osmolarité est substantiellement indépendante de la quantité prélevée.
[19]
Le brevet 540 contient quatre revendications indépendantes, dont seulement deux, les revendications 1 et 16, que font valoir les demanderesses :
[traduction]
Revendication 1 : une microplaquette destinée à recevoir les échantillons qui comprend :
un substrat destiné à recevoir un volume aliquote d’un échantillon de liquide;
une zone d’échantillonnage sur le substrat, dont la dimension est telle que le volume de l’échantillon de liquide est suffisant pour recouvrir fonctionnellement la partie de la zone d’échantillonnage, après quoi les propriétés énergétiques de l’échantillon de liquide peuvent être détectées à partir de la zone d’échantillonnage pour produire un signal électrique comportant une mesure de l’échantillon de liquide, mesure qui est reliée aux propriétés énergétiques de l’échantillon et en indique l’osmolarité.
Un système de mesure de l’osmolarité servant à mesurer l’osmolarité d’un échantillon de liquide, comportant les éléments suivants :
un dispositif de mesure composé d’une microplaquette destinée à recevoir les échantillons, sur un substrat offrant une zone d’échantillonnage configurée pour produire, au contact de l’échantillon de liquide, un signal électrique lié aux propriétés énergétiques de l’échantillon, et dont la taille permet d’être largement recouverte par un volume aliquote de l’échantillon; et
un dispositif de traitement relié au dispositif de mesure, configuré pour recevoir les propriétés énergétiques mesurées et pour traiter et estimer l’osmolarité de l’échantillon de liquide à partir des propriétés énergétiques traitées.
[20]
Les revendications invoquées suivantes dépendent de la revendication 1 :
[traduction]
Revendication 2 : une microplaquette comme celle qui est définie dans la revendication 1, dans laquelle un espace d’échantillon comprend plusieurs électrodes disposées de manière à entrer en contact avec l’échantillon.
Revendication 5 : une microplaquette comme celle qui est définie dans la revendication 2, comprenant également plusieurs connexions accouplées à plusieurs électrodes, par lesquelles les connexions conductives fournissent le moyen de transmettre l’énergie à un échantillon de fluide ou à partir de ce dernier.
Revendication 6 : une microplaquette comme celle qui est définie à la revendication 5, comprenant également :
une unité de traitement conçu pour recevoir les propriétés d’énergie de l’échantillon de fluide à partir des nombreuses connexions conductives, par lesquelles l’unité de traitement traite les propriétés d’énergie qu’elle reçoit et transmet l’osmolarité de l’échantillon de fluide.
Revendication 8 : une microplaquette comme celle qui est définie dans la revendication 1, par laquelle l’espace de l’échantillon sur le substrat est moins d’un centimètre carré.
Revendication 13 : une microplaquette comme celle qui est définie dans la revendication 1, par laquelle l’échantillon de fluide comprend des fluides organiques.
Revendication 14 : une microplaquette comme celle qui est définie dans la revendication 13, par laquelle le fluide organique est le film lacrymal.
[21]
Les revendications invoquées suivantes dépendent de la revendication 16 :
[traduction]
Revendication 25 : un système comme celui qui est défini dans la revendication 16, par lequel un substrat comprend un circuit pour mesurer la conductivité électrique.
Revendication 26 : un système comme celui qui est défini dans la revendication 16, par lequel l’appareil de mesure comprend plusieurs électrodes.
3)
L’i-Pen
[22]
L’i-Pen mesure la conductivité de l’humidité dans la conjonctive de la paupière et aussi dans le film lacrymal, et cette mesure peut être corrélée à l’osmolarité. La mesure est fournie par une sonde à usage unique (SUU), comprenant une paire d’électrodes installées sur un substrat non conducteur, qui s’applique sur le tissu humide de la surface postérieure de la paupière. Lorsqu’elle est stimulée par un courant électrique, l’humidité crée un circuit entre les électrodes et sa conductivité est ainsi mesurée par un microprocesseur à l’intérieur de l’i-Pen. Une SUU différente est insérée dans l’i-Pen pour chaque mesure et ensuite jetée.
[23]
L’i-Pen a été approuvé au Canada dans la catégorie II des appareils médicaux en janvier 2015; la licence a été suspendue le 23 septembre 2015 et a été rétablie le 13 mai 2016.
IV.
Témoins des faits des demanderesses
A.
Paul Smith
[24]
M. Paul Smith (M. Smith) est vice-président aux ventes mondiales de TearLab. Il avait auparavant le titre de vice-président des marchés internationaux. Il s’est joint à TearLab en avril 2014, après avoir travaillé 12 ans dans une autre société des soins de la vue. Il a déclaré que TearLab compte 75 employés, dont 49 font partie de son équipe de vente.
[25]
M. Smith a brièvement décrit le système de TearLab. Il y a un poste de lecture, un stylo amovible et une carte de test à usage unique. L’utilisateur appose la carte au bout du stylo et applique le stylo de manière à entrer en contact avec le coin de l’œil, ce qui permet à la carte d’absorber et d’analyser un échantillon de 50 nL de film lacrymal. Les données sont emmagasinées à l’intérieur du stylo qui est replacé sur le poste de lecture qui indique la mesure d’osmolarité.
[26]
M. Smith a déclaré que le système de TearLab est principalement utilisé par des techniciens sous la supervision de professionnels des soins de la vue. Il a reçu l’approbation réglementaire européenne en 2008 et en 2009 au Canada et aux États-Unis. Sa mise en marché a commencé au Canada [traduction] « sérieusement »
en 2012, mais il est possible que des ventes se soient effectuées avant cette année-là. Le système de TearLab est actuellement vendu dans plus de 50 pays. Depuis janvier 2016, TearLab a utilisé un distributeur indépendant au Canada qui s’appelle Labtician Ophthalmics Inc. Les ventes à l’échelle mondiale s’élèvent à environ 5 600 systèmes, dont 4 600 aux États-Unis et 100 au Canada.
[27]
M. Smith a expliqué la structure de la société de TearLab. OcuSense Inc. (OcuSense) était une société constituée par le Dr Ben Sullivan en 2008. OcuSense est devenue une filiale en propriété exclusive d’OccuLogix Inc. (OccuLogix) en 2008. OccuLogix a changé son nom à TearLab Corp. en 2010. OcuSense a depuis changé son nom à TearLab Inc. et ensuite à TearLab Research Inc. Par conséquent, TearLab Research Inc. est une filiale en propriété exclusive de TearLab Corp. Les deux sociétés ont été constituées au Delaware et leurs administrations centrales sont en Californie et au Texas.
[28]
En outre, M. Smith a expliqué qu’OcuSense, maintenant TearLab Research Inc., a obtenu de l’Université la licence exclusive du brevet 540 en 2003. Actuellement, elle fait des paiements de redevance trimestriels à l’Université. TearLab Corp. détient également la sous-licence exclusive de TearLab Research Inc.
[29]
Enfin, M. Smith a discuté d’une étude clinique intitulée [traduction] « Comparaison randomisée du rendement in vivo du système à point d’intervention de deux osmomètres du film lacrymal »
, qui a été publiée en mai 2017 dans Clinical Opthalmology, un journal bien connu d’évaluation par les pairs (l’étude Nolfi). Cette étude a été financée par TearLab et devait comparer le système de TearLab à l’i-Pen. Les auteurs sont des optométristes qui pratiquent à Toronto : la Dre Barbara Caffery (la Dre Caffery) est présidente de l’American Academy of Optometry; le Dr Jerry Nolfi (le Dr Nolfi) siégeait auparavant à titre de consultant au conseil consultatif clinique et était le directeur d’une société qui s’appelait Science with Vision Inc., qui a distribué le système TearLab sur le marché canadien pendant environ 12 à 18 mois. Le Dr Nolfi était également actionnaire de TearLab au moment de développer le protocole de l’étude.
[30]
Le contre-interrogatoire de M. Smith a porté sur l’étude Nolfi. M. Smith a expliqué que le Dr Manoj Venkiteshwar du service des affaires médicales de TearLab a collaboré avec les auteurs pour développer le protocole de l’étude. Ce protocole figure sur du papier en-tête de TearLab et comporte la signature du Dr Nolfi, mais non celle de la Dre Caffery. M. Smith ne savait pas s’il y avait des ébauches ou comment les auteurs ont fourni leurs commentaires. M. Michael Berg, chef des affaires réglementaires de TearLab, n’a pas participé à cette étude sauf en ce qui a trait aux procédures de contrôle de la qualité de TearLab, qui n’étaient pas particulières à l’étude et que tous les clients de TearLab doivent respecter. TearLab n’était pas présente quand les mesures ont été effectuées et ne sait pas qui les a effectuées. Étant donné que Clinical Ophthalmology est un journal à accès libre, TearLab a payé un cachet pour que l’étude soit publiée.
[31]
M. Smith était un témoin crédible.
B.
Dr Ben Sullivan
[32]
Le Dr Ben Sullivan (le Dr Sullivan) est le conseiller scientifique en chef de TearLab. Il a étudié le génie biomédical à la Boston University de 1993 à 1997. Après avoir fini ses études, il a travaillé de 1998 à 2001 à titre de chercheur-ingénieur à la Schepens Eye Research Institute, une filiale de la Harvard Medical School. En 2001, il a quitté Schepens et s’est inscrit au programme de doctorat de la University of California à San Diego, a fait de la recherche sur l’ADN et ses interactions avec la fluorescence à l’échelle nanométrique, et a obtenu son doctorat en 2007.
[33]
C’était lors de son séjour à Schepens que le Dr Sullivan s’est intéressé au SYS. Il a travaillé avec son père qui faisait de la recherche sur les aspects hormonaux et glanduleux du SYS. Le Dr Sullivan reconnaît que des outils pour mesurer quantitativement le SYS sont nécessaires, en particulier un osmomètre des larmes. Il a commencé à travailler seul à la maison pour développer un osmomètre de larmes.
[34]
Le Dr Sullivan a continué à travailler sur le concept d’un osmomètre tout en terminant son doctorat. Il a étudié sous l’égide d’un professeur qui avait accès à des appareils de [traduction] « laboratoire sur microplaquette »
utilisés pour étudier l’ADN. Ces microplaquettes ont permis au Dr Sullivan d’effectuer plus facilement des expériences en utilisant le film lacrymal et des signaux électriques modifiés. Son installation de laboratoire était complexe et comprenait une microplaquette, une source d’énergie, un multimètre, un ordinateur, un instrument de mesure d’électricité (LCR meter) et d’autres équipements. Son but était de fabriquer un osmomètre de larmes portable et bon marché, étant donné qu’à son avis, bien que des osmomètres non commercialement viables existent déjà, ils n’étaient pas disponibles en clinique ou n’étaient pas rentables et efficients.
[35]
Ce travail a mené au dépôt d’une demande de brevet provisoire en août 2002, que le Dr Sullivan a attribué à l’Université. Une percée s’est manifestée à la fin de 2002, quand il a découvert qu’en utilisant un signal de courant alternatif (CA) de 100 kHz, au lieu d’un signal de courant continu (CC), il pouvait mesurer des valeurs plus stables. Un investisseur, M. Eric Donsky, l’a approché et OcuSense a été constituée en société en janvier 2003. Plus tard cette année-là, une licence a été négociée avec l’Université et le matériel de marketing et un protocole pour des essais cliniques ont été créés.
[36]
Les essais cliniques ont été effectués au Shiley Eye Research Institute de l’Université pendant plusieurs mois en 2004. Pendant les années qui ont suivi les essais cliniques, le Dr Sullivan a développé son osmomètre le réduisant à la taille d’un plateau-repas et OcuSense est allé chercher des investisseurs. La société a éventuellement été achetée par OccuLogix et un meilleur équipement a été utilisé pour développer le produit. L’approbation réglementaire a été obtenue au Canada, aux États-Unis et en Europe vers 2009.
[37]
Lors du contre-interrogatoire, le Dr Sullivan a admis qu’en 2001 et 2002, « un petit volume »
pouvait vouloir dire 100 à 200 nL, mais que le terme est relatif. Le système actuel de TearLab utilise environ 50 nL. Cette quantité d’échantillons est prélevée dans un canal à action capillaire et par conséquent s’étend sur 3 mm. À l’égard de l’appareil sur lequel travaillait le Dr Sullivan vers 2001 et 2002, un échantillon de 100 à 200 nL complétait un circuit électrique en faisant le pont entre au moins deux électrodes sur une microplaquette de silicone. Les électrodes étaient séparées par un espace de 40 à 80 microns.
[38]
Le Dr Sullivan est d’accord que l’impédance est touchée par la géométrie d’un fluide et que les électrodes, le substrat et le volume de l’échantillon ont une incidence sur la géométrie du fluide. En général, une sonde placée dans le fluide lacrymal produirait une lecture différente que celle que produirait une goutte de fluide sur un substrat contenant des électrodes. Il a également déclaré qu’à une certaine échelle, l’impédance devient relativement indépendante du volume.
[39]
Le Dr Sullivan est également d’accord qu’en 2001 et 2002, son idée était de développer un osmomètre d’impédance de petite proportion, rentable et utilisable dans les milieux cliniques et à l’échelle commerciale. Le brevet fait référence au besoin d’avoir [traduction] « des mesures d’osmolarité mesurables en milieu clinique à l’échelle nanométrique »
. Environ dix ans de recherches et de développement et des millions de dollars d’investissements ont été nécessaires et ont éventuellement permis de créer un système utilisable en milieu clinique.
[40]
Le Dr Sullivan a expliqué que l’énoncé du brevet 540 à l’égard d’une méthode existante de mesure in vivo de l’osmolarité directement sur la surface oculaire fait référence à la thèse d’Ogasawara et sa description d’une paire d’électrodes placées directement sous la paupière d’un patient. Il a déclaré qu’en plaçant des électrodes sur un substrat flexible, sans compensation de la géométrie du fluide lacrymal qui est mesuré, des mesures d’osmolarité imprécises seraient obtenues. Il a expliqué que le système de TearLab actuel extrait un échantillon de fluide de l’œil en utilisant une action capillaire lorsqu’il est en contact avec l’œil et dépose l’échantillon sur une microplaquette qui a un substrat et un espace réservé à l’échantillon de manière à ce que l’énergie électrique impartie par le fluide lacrymal produise un signal qui est utilisé pour fournir le résultat d’osmolarité.
[41]
Le Dr Sullivan a également répondu à la question concernant le document de marketing d’OcuSense en date de 2003, qui a été coécrit avec M. Eric Donsky. Ce document fait référence à la technologie de [traduction] « laboratoire sur microplaquette »
toute particulière à OcuSense, y compris la microplaquette, l’espace d’échantillon, les fils, l’unité de base, et la collecte et le placement de l’échantillon de fluide. Il mentionne que le nanolitre de larmes s’évapore en seulement quelques secondes. Il contient également des déclarations inexactes, malgré le fait qu’il a été destiné à des investisseurs. Par exemple, il décrit ce qui suit : [traduction] « des électrodes qui sont cent fois plus petites que les aiguilles à coudre les plus pointues »
, ainsi que [traduction] « des caractéristiques essentielles »
d’un réseau neurologique et la capacité de faire un suivi dynamique du comportement de l’échantillon, dont ni l’un ni l’autre n’a été mis en œuvre.
[42]
Le Dr Sullivan a fait des commentaires sur le brevet York. Il y a fait mention comme étant un brevet [traduction] « insensé »
parce qu’il n’existe aucun moyen de restreindre la voie des circuits; toutefois, il est d’accord pour dire qu’il y aurait un flot de courant à l’intérieur du tissu de la conjonctive ainsi que dans le film lacrymal à la surface du globe oculaire.
[43]
Le Dr Sullivan a discuté des essais cliniques qui se sont effectués en 2004. Le journal des essais fait référence à des extractions de larmes par un médecin au moyen d’un tube capillaire, le médecin lui apportant ensuite l’échantillon dans une salle différente, pour déposer lui-même l’échantillon de fluide sur le substrat de la microplaquette, l’échantillon faisant le point avec les électrodes sur la microplaquette et produisant une lecture de l’osmolarité. Il a admis qu’il y avait un problème avec l’utilisation du tube capillaire en déposant sur la microplaquette le fluide qui avait tendance à remonter dans le tube. Il a également admis que la taille de l’espace des électrodes n’était pas optimale. De plus, à cette époque, il n’aimait pas la profondeur à laquelle la température avait une incidence sur l’impédance. Un brevet d’amélioration a été déposé en 2006, soit le brevet des États-Unis no 7 111 502, qui faisait des déclarations restreintes concernant le logiciel qui abordait des signaux qui corrompaient les données pendant les essais cliniques.
[44]
Enfin, le Dr Sullivan a parlé du document de marketing de TearLab daté de 2010, qu’il a conçu lorsqu’il était conseiller scientifique en chef de la société. Il a été conçu pour ressembler à un article de journal scientifique et était distribué lors de conférences fréquentées par des ophtalmologistes et des optométristes, qui auraient pu avoir acheté l’appareil après que TearLab a obtenu l’approbation réglementaire. Le Dr Sullivan fait référence à cela comme étant un « livre blanc »
et a dit que cette pratique n’était pas rare.
[45]
Bien qu’il n’y ait aucun doute que le Dr Sullivan soit un témoin crédible concernant le développement de l’invention du brevet 540, sa crédibilité a été affaiblie par son admission d’avoir fait des déclarations inexactes et exagérées dans son matériel publicitaire.
V.
Témoins experts des défenderesses
A.
Dr James Wolffsohn
[46]
Le Dr James Wolffsohn (le Dr Wolffsohn), vice-chancelier suppléant associé de la School of Life and Health Sciences et professeur d’optométrie à l’Aston University de Birmingham au Royaume-Uni, ainsi que professeur auxiliaire au College of Optometry de la University of Houston. Il a obtenu son doctorat en optométrie et sciences de la vue en 1997 et a obtenu son certificat d’études supérieures d’optométrie avancée en milieu clinique en 1999. Il a aussi été membre du comité de l’atelier Dry Eye Workshop (DEWS) de la Tear Film and Ocular Surface Society (TFOS) en 2017, un atelier mondial concernant les aspects du SYS, et il a coécrit un rapport fondamental DEWS en conséquence. Le Dr Wolffsohn compte une expérience étendue avec des patients souffrant du SYS.
[47]
Le Dr Wolffsohn est expert en matière de physiologie de l’œil, d’optométrie en milieu clinique et en soins de la vue et en matière d’instrumentation ophtalmique. Il est également expert dans le domaine du SYS.
[48]
Le Dr Wolffsohn a souligné le développement chronologique de ce qui est connu sur l’osmolarité en tant que biomarqueur du SYS. L’osmolarité a été utilisée comme biomarqueur potentiel en 1995; toutefois, elle n’était pas utilisée en pratique en milieu clinique. À son avis, la situation était la même en 2002. Les analyseurs de la baisse du point de congélation (l’osmomètre de Clifton, l’osmomètre 110 de Fiske et l’Osmomat 030) étaient les premières technologies pour mesurer l’osmolarité des larmes, mais ils étaient onéreux, difficiles à utiliser, et seulement quelques établissements avaient accès à cette technologie. Une trilogie d’articles a été publiée au milieu des années 90 par Mitsubayashi et Ogaspawra, laquelle discute de l’utilisation d’électrodes pour mesurer la conductance du film lacrymal pour obtenir la mesure d’osmolarité, mais cette technologie n’a pas été développée en vue d’être commercialisée. Ces articles n’ont pas été cités avant l’année 2006, mais ont été publiés dans un journal de bonne réputation. D’autres méthodes connues de diagnostic du SYS en 2002 comprenaient la teinture lacrymale, la teinture de rose du Bengale et le test de Schirmer (pour mesurer le volume lacrymal).
[49]
Lors du contre-interrogatoire, le Dr Wolffsohn a répondu aux questions concernant TearLab. Son nom figure dans une demande de brevet international qui concerne un document qu’il a coécrit avec le Dr Sullivan, entre autres, dans lequel il est mentionné qu’il a reçu l’appui de TearLab. TearLab aurait fourni son produit pour faire la recherche. Également, le Dr Wolffsohn est chercheur principal dans une étude pour laquelle TearLab a établi des sites cliniques, mais n’a pas fourni de financement. De plus, le Dr Sullivan faisait partie d’un comité que le Dr Wolffsohn présidait et il a travaillé à rédiger les rapports à la fois avec le Dr Sullivan et le père du Dr Sullivan, le Dr David Sullivan, qui est le fondateur de la TFOS et président de son conseil d’administration; l’épouse et la fille du Dr David Sullivan étaient également impliquées avec la TFOS.
[50]
Une incohérence entre les deux rapports du Dr Wolffsohn lui a été montrée. Dans son rapport de validation, il fait référence à la technologie d’osmolarité de TearLab comme étant la norme de référence pour le diagnostic du SYS en 2007. Toutefois, il a écrit en 2017 dans un article de journal, [traduction] « [p]as une seule “norme de référence” ou symptôme n’a été établi en parfaite corrélation avec un état de SYS ».
Il a expliqué que la déclaration qu’il fait dans son rapport de validité ne s’applique pas à l’élément de corrélation entre les symptômes et le SYS, auquel il faisait allusion dans l’article de journal en 2017.
[51]
Bien que le Dr Wolffsohn ait été crédible en général, son témoignage a très peu aidé à faire l’interprétation des revendications ou de la validité et des questions de contrefaçon devant notre Cour.
B.
Dr Brian Kirby
[52]
Le Dr Brian Kirby (le Dr Kirby) est professeur à la Sibley School of Mechanical and Aerospace Engineering de la Cornell University à Ithaca, New York, et professeur de génie de médecine au département de médecine, division d’hématologie et d’oncologie de la Weill-Cornell Medicine College à New York, New York.
[53]
Il est expert en génie électrique et médical, biogénie et chimie analytique. Il est également expert dans le secteur des microfluidiques, qui comprend le développement de la microtechnologie, y compris les microplaquettes, pour manipuler et analyser de petites quantités de fluides, y compris l’ADN et autres biomatériaux. Le terme « microfluidiques »
n’est pas bien défini. Cela pourrait impliquer des appareils permettant l’entrée des fluides dans des canaux de la taille de microns. Cela pourrait aussi impliquer de placer le fluide sur la partie externe d’une microplaquette.
[54]
Le Dr Kirby a déposé deux rapports d’expert et son témoignage sur les questions directement liées à la contrefaçon et à la validité du brevet 540. Les présents motifs citent des extraits de ses observations qui sont pertinents à l’égard de l’analyse de la Cour.
VI.
Témoins des faits des défenderesses
A.
M. Daniel Hofmann
[55]
M. Daniel Hofmann (M. Hofmann) est actuellement le président d’I-MED. Il a un baccalauréat ès sciences en biochimie et un certificat en ressources humaines de l’Université McGill, ainsi qu’une maîtrise en administration des affaires de l’Université de Montréal.
[56]
M. Hofmann a déclaré qu’I-MED a été constituée en société au Québec en 1989. Elle emploie 20 employés à temps plein et un consultant. Elle a été fondée par le père de M. Hofmann, le Dr Ilan Hofmann. En général, I-MED vend de l’équipement médical aux professionnels des soins de la vue partout dans le monde, à la fois dans le secteur de la médecine humaine que dans le secteur de la médecine vétérinaire.
[57]
M. Hofmann a parlé des différentes méthodes de diagnostic du SYS que connaissait I-MED avant l’existence de l’i-Pen. Les professionnels des soins de la vue utilisaient des questionnaires remplis par les patients, des tests de teinture, des tests de volume (le test de Schirmer) et des tests d’osmolarité. Ces tests avaient des taux inférieurs de corrélation au SYS et prenaient du temps et étaient onéreux.
[58]
M. Hofmann a expliqué comment l’i-Pen a été développé. M. Zvi Nachum (M. Nachum) a été introduit à l’I-MED en 2011. M. Nachum avait une société du nom de Life Care Ltd. et un prototype qui consistait en une boîte de métal, deux lignes, et une électrode attachée à chacune des lignes, qui selon lui pouvait mesurer l’humidité du tissue oculaire. M. Nachum utilisait cet instrument pour mesurer l’humidité dans la bouche, mais n’était pas un expert de soins de la vue. De 2011 à 2012, I-MED a guidé M. Nachum et investi dans sa recherche. M. Nachum a éventuellement transformé le prototype en un appareil qui ressemble à l’i-Pen actuel. I-MED a fait des essais exhaustifs de l’appareil pour confirmer sa fonctionnalité. L’apparence de l’i-Pen a été améliorée et une microplaquette a été ajoutée à la SUU qui contient un numéro de série que l’i-Pen enregistre pour prévenir l’utilisation de la SUU une deuxième fois. M. Nachum a déposé une demande de brevet pour l’appareil en 2012, mais I-MED n’a participé aucunement au dépôt du brevet ou à la poursuite.
[59]
M. Hofmann a ensuite fait une démonstration de l’i-Pen conformément au guide de l’utilisateur, avec l’avocat d’I-MED jouant le rôle de patient. Le patient ferme les yeux pendant 30 à 60 secondes. Au moment d’ouvrir les yeux, le technicien inverse la paupière inférieure pour exposer la conjonctive palpébrale, approche l’i-Pen à un angle de 30 à 45 degrés, permettant aux électrodes sur la SUU d’entrer en contact correctement avec la conjonctive pendant au moins quatre secondes, et ensuite la mesure de l’osmolarité est donnée.
[60]
M. Hoffmann a expliqué que Life Care Ltd. fabrique l’i-Pen et la SUU en Israël. I-MED les commande de Life Care Ltd. et les importe au Canada pour les vendre. Le fabricant de l’i-Pen est une société sous-traitante de Life Care Ltd. dont le nom est Medimor Ltd.
[61]
Lors du contre-interrogatoire, M. Hofmann a déclaré qu’il n’y avait eu aucun changement dans le concept de l’i-Pen depuis 2011, mais que certains changements ont été apportés à l’algorithme des prototypes 1 et 2 du code source du logiciel dans l’i-Pen, de même que pour les prototypes 2 et 3. La première version mise en marché était la version 6 et l’algorithme de l’appareil sur le marché n’a jamais été changé.
[62]
M. Hofmann croit qu’I-MED n’avait jamais effectué des expérimentations de l’i-Pen sur du tissu sec. De même, sa compréhension était que les seules expérimentations ont été effectuées avec une solution et un adaptateur. Son père a procédé à des expérimentations qui comprenaient des solutions sur des tampons secs; il a supposé que cela se faisait avec un i-Pen vendu sur le marché et un adaptateur, mais n’en était pas sûr. Il était d’accord pour dire que M. Nachum avait procédé à des expérimentations qui comprenaient le fait de tamponner la paupière inférieure et la vaporiser avec une solution particulière afin de déterminer le seuil de précision de l’i-Pen.
[63]
M. Hofmann a expliqué que le ménisque lacrymal inférieur se situe à la jonction entre la cornée et le tissu de la conjonctive, et un puits de fluide lacrymal se retrouve à cette jonction. L’i-Pen n’est pas placé sur le ménisque lacrymal inférieur, mais il est placé sur la conjonctive palpébrale.
[64]
M. Hofmann a déclaré que le Dr Richard Maharaj est un consultant pour I-MED et siège à son comité consultatif médical. Il a procédé à des études de surveillance post-commercialisation de l’i-Pen. Le Dr Maharaj a également travaillé à une publication commanditée par I-MED. I-MED a fourni une subvention et les sujets qu’elle souhaitait voir abordés dans la publication, mais la publication pouvait choisir quels médecins contacter, quelles seraient les questions à poser, écrirait l’ébauche et aurait le dernier mot en matière d’édition. Dans un article, le Dr Maharaj fait référence à la SUU comme étant une « microplaquette »
.
[65]
M. Hofmann a admis en contre-interrogatoire qu’une échelle dans le guide de l’utilisateur de l’i-Pen était semblable à une échelle dans le guide d’utilisateur de TearLab. L’échelle permet aux professionnels des soins de la vue de comparer les mesures d’osmolarité à la gravité du SYS. Les deux échelles sont presque identiques, mais celle de l’i-Pen a un écart de valeurs légèrement plus grand.
[66]
M. Hofmann est d’accord pour dire que son père lui avait envoyé un courriel concernant les expérimentations qui ont produit en 2015 des résultats différents entre ceux de l’i-Pen et ceux du système de TearLab. Il était important de faire la corrélation des mesures des appareils parce qu’elles seraient probablement comparées sur le marché. Le courriel indiquait ceci : [traduction] « il y a une différence et nous pouvons la résoudre par deux moyens »
Les deux options étaient de modifier l’algorithme de l’i-Pen ou de changer le cadrage. En fin de compte, I-MED a créé ses propres écarts de valeurs. M. Hofmann pensait qu’il était théoriquement possible d’ajuster l’algorithme de l’i-Pen pour créer une nouvelle courbe d’étalonnage, mais il ne connaissait pas les détails de la programmation de logiciel et ne pensait pas que cela avait été fait.
[67]
M. Hofmann a expliqué que des clarifications apportées au manuel d’utilisateur de l’i-Pen ont été portées à son attention en raison de la présente poursuite, mais ces clarifications n’ont pas été faites aux fins de la poursuite. Le guide de l’utilisateur de janvier 2016 indique [traduction] « [...] un dispositif de prélèvement et d’analyse du liquide lacrymal pour la mesure quantitative de l’osmolarité (concentration de particules actives dissoutes dans une solution) de larmes humaines ».
La version du mois de mars 2016 indique [traduction] « [...] un dispositif pour la mesure quantitative de la concentration de l’osmolarité de particules actives de tissu trempé dans une solution de larmes humaines [...] »
. De plus, une modification a été apportée qui [traduction] « [...] fournit une mesure directe de l’osmolarité des tissus qui entourent l’œil [...] »
ou [traduction] « [...] fournit une mesure de l’osmolarité des tissus conjonctifs entourant l’œil [...] ».
[68]
M. Hofmann est d’accord pour dire qu’aucun des manuels d’utilisateurs précédents ne contient la phrase « tissus conjonctifs »
, bien que chaque manuel mentionne que l’appareil touche l’intérieur de la paupière. Il n’y avait pas non plus de différence significative entre les « tissus qui entourent l’œil »
et les « tissus conjonctifs entourant l’œil »
. De plus, les « particules actives dissoutes dans une solution »
font référence aux solutés conducteurs d’électricité, précisément dans le fluide extracellulaire du tissu conjonctif, et il n’était pas nécessaire d’ajouter un « tissu trempé dans une solution »
parce que cela veut dire la même chose.
[69]
M. Hofmann a fait référence à un courriel daté du mois d’avril 2007 envoyé à M. Nachum par son père pour corriger un rapport d’essai qui indiquait de manière erronée que l’i-Pen prélevait des nanolitres de larmes. Toutefois, M. Hofmann a admis qu’une ébauche de protocole pour un essai clinique de l’i-Pen en 2012 indiquait que l’impédance qui sera mesurée sera l’impédance des larmes.
[70]
M. Hofmann était un témoin crédible.
B.
M. Zvi Nachum
[71]
M. Nachum est natif d’Israël. Il a passé cinq ans dans une école de génie et a ensuite été engagé dans un groupe d’élite des forces israéliennes de défense (FID). Son rôle au sein des FID était de superviser la procuration de produits de sociétés de la haute technologie, ainsi que de former et d’éduquer les gens à leur sujet dans le cadre des forces armées. Après avoir quitté les forces armées, il a commencé à travailler dans le secteur privé, plus précisément dans le secteur des instruments de diagnostic et de traitement médical. Il a mis en marché environ 15 produits. M. Nachum a déclaré que Life Care Ltd. existe depuis plus de 20 ans et fait exclusivement affaire dans le domaine de la médecine.
[72]
Avant que M. Nachum développe l’i-Pen, une société qui voulait un instrument pour faire le suivi de la santé des glandes salivaires était entrée en contact avec lui. Il a développé un dispositif qui produisait un voltage constant qui était transmis par l’entremise de deux électrodes placées à l’intérieur de la lèvre de la bouche et qui étaient ensuite insérées dans un dispositif qui mesurait l’impédance. M. Nachum a breveté son dispositif, mais rien de plus n’a été fait par la suite.
[73]
Quelques années plus tard, le Dr Ilan Hofmann a été présenté à M. Nachum, parce qu’il voulait lui demander de créer un dispositif qui pourrait déterminer le degré de sécheresse du tissu de la paupière. M. Nachum a développé un prototype; des essais de ce dispositif ont été effectués avec des membres de la famille et des militaires et une échelle de mesure d’osmolarité a été développée. Six prototypes ont éventuellement été fabriqués avec des améliorations sur le plan de la taille et de la précision. Le cinquième prototype comprenait l’utilisation d’une SUU jetable portant un numéro de série contrôlé par une microplaquette; cela avait été développé en vue d’obtenir l’approbation réglementaire, de sorte que la SUU ne soit utilisée qu’une seule fois, pour prévenir la propagation des maladies d’un patient à l’autre. Les six prototypes rendaient la SUU plus attrayante visuellement.
[74]
M. Nachum a expliqué que l’article scientifique d’Ogasawara lui a permis de développer l’i-Pen. En particulier, il a appris que la quantité de sel est liée à l’impédance et à la sécheresse de l’œil. De plus, il a appris que les chercheurs d’Ogasawara n’ont pas touché les tissus des yeux; une quantité précise de fluide était prélevée dans un matériel entre des électrodes et l’impédance de ce fluide était mesurée. M. Nachum a également consulté la recherche du Dr Alan Tomlinson, qui fournissait une échelle de mesure des lectures d’osmolarité obtenues de patients.
[75]
M. Nachum a expliqué que l’i-Pen avait un microcontrôleur avec une carte d’unité centrale qui produisait une onde carrée stabilisée à faible voltage et qui se convertit en onde sinusoïdale avec une source de courant constant. Le courant passe à travers la SUU dans les tissus de la paupière et l’information en ressort dans le convertisseur de moyenne quadratique qui produit une tension constante selon l’impédance de l’œil. Il passe ensuite dans un convertisseur analogique numérique. De plus, le microcontrôleur retire certains renseignements pour produire des résultats plus précis. Le résultat final s’affiche sur un écran à cristaux liquides pour indiquer la mesure d’osmolarité.
[76]
On a demandé à M. Nachum s’il avait effectué des expérimentations quelconques pour mesurer l’impédance d’une solution sans adaptateur. Il était d’accord pour dire que des expérimentations ont été effectuées, mais il ne se souvenait pas s’il y avait de la documentation ou des données à cet égard. Il a expliqué qu’une solution d’osmolarité connue pouvait s’afficher sur l’i-Pen malgré le fait qu’elle est en dehors de l’échelle, en utilisant un potentiomètre de variables (résistance). Un tel dispositif pouvait servir d’adaptateur pour l’i-Pen et être calibré à l’avance pour une solution connue d’osmolarité.
[77]
Lors du contre-interrogatoire, M. Nachum devait répondre à une question concernant une expérimentation dans laquelle l’i-Pen était comparé à un osmomètre du point de congélation. Il a participé en partie à l’expérimentation, mais elle a été effectuée par d’autres. Il a déclaré que les résultats étaient inexacts, parce que la méthode n’était pas appropriée pour l’i-Pen. À son avis, elle était impraticable et virtuellement impossible à effectuer. Il ne se souvenait pas si la paupière du patient avait été tamponnée à sec. Des solutions n’ont pas été placées sur la paupière. L’i-Pen a produit des résultats, mais il a déclaré que ces derniers n’étaient pas fiables. Des améliorations ont été apportées, mais il a déclaré que rien n’avait été fait à la suite du rapport.
[78]
M. Nachum était un témoin crédible en général, mais ses réponses évasives aux questions concernant l’expérimentation sur la mesure de l’impédance d’une solution sans adaptateur n’étaient pas utiles à notre Cour et ont miné le poids accordé à son témoignage.
VII.
Témoins experts des défenderesses
A.
Dr Manfred Franke
[79]
Le Dr Manfred Franke (le Dr Franke) détient un diplôme (l’équivalent allemand d’un baccalauréat et d’une maîtrise) en génie électrique de l’Université technologique de Dresden et un doctorat en génie biomédical de la Case Western Reserve University. En 2014, il a commencé à travailler dans une société qui se nomme Oculeve Inc. qui a développé la capacité de simuler les nerfs du visage et de produire des larmes. Son travail à Oculeve Inc. comprenait de la recherche sur le SYS ainsi que des dispositifs utilisés pour mesurer ses signes et ses symptômes.
[80]
Il est un expert en génie électrique et génie biomédical, y compris dans l’utilisation de l’électricité pour mesurer ou altérer les fonctions du corps comme la production de larmes. Il est également un expert dans la détection et le traitement du SYS; par contre, son travail dans ce secteur a débuté en 2014.
[81]
Le Dr Franke a déposé deux rapports d’expert et fourni son témoignage sur les questions liées directement à la contrefaçon et la validité du brevet 540. Les présents motifs citent des extraits de ses observations qui sont pertinents à l’égard de l’analyse de la Cour.
[82]
Bien que son expertise scientifique ne soit pas remise en question, le fait qu’il a admis qu’il n’avait pas été renseigné sur la façon d’interpréter une revendication ou lire le brevet canadien du point de vue d’une personne versée dans l’art en utilisant une interprétation téléologique, réduit le poids donné à son avis sur l’interprétation des termes utilisés dans la divulgation et les revendications du brevet 540.
VIII.
Questions préliminaires
A.
Qualité pour agir de TearLab
[83]
La veille du procès, les demanderesses ont demandé qu’une modification soit apportée à l’exposé de la demande, pour ajouter un accord de sous licence entre TearLab Corp. et TearLab Reseach Inc., à laquelle s’est opposée la défenderesse, mais que j’ai accueillie, avec la stipulation que tous dépens qui résulteraient de cet ajout de dernière minute seraient versés à la défenderesse quelle que soit l’issue de la cause.
[84]
J’ai aussi accordé aux demanderesses que TearLab Corp., à titre de détentrice d’une sous-licence aux termes du brevet 540, ait la qualité pour agir et demander les redressements prévus au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P-4 (Loi sur les brevets) en tant que personne ayant droit à l’utilisation de l’invention brevetée au Canada (Signalisation de Montréal Inc. c Services de Béton Universels Ltée, [1993] 1 CF 341, (CAF); Apotex Inc c Wellcome Foundation Ltd, [2001] 1 CF 495 (CAF), aux paragraphes 98 et 99, conf. par 2002 CSC 77 [arrêt Wellcome Foundation]; Eli Lilly & Co. c Novopharm Ltd., [1998] 2 RCS 129, au paragraphe 49).
IX.
L’interprétation des revendications
A.
Principes
[85]
L’interprétation est une question de droit pour la Cour et doit se faire avant de tenir compte de la contrefaçon ou de la validité; les mêmes questions d’interprétation s’appliquent à la fois à la validité et à la contrefaçon. La Cour suprême du Canada a établi les règles d’interprétation des revendications dans une trilogie d’arrêts : Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67 [Whirlpool], aux paragraphes 49 à 55; Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66 [Free World Trust], aux paragraphes 44 à 54; et Consolboard Inc c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd,, [1981] 1 RCS 504, au paragraphe 27.
[86]
Ces arrêts établissent ce qui suit :
a) les revendications doivent être lues de façon éclairée et téléologique, avec un esprit désireux de comprendre du point de vue de la personne versée dans l’art à la date de la publication, et en tenant compte des connaissances générales courantes;
b) le respect du libellé des revendications permet de les interpréter de la manière dont l’inventeur est présumé l’avoir voulu et d’une façon favorable à l’atteinte de l’objectif de l’inventeur, ce qui favorise à la fois l’équité et la prévisibilité;
c) l’ensemble du mémoire descriptif devrait être pris en compte afin de s’assurer de la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications ne doit pas être indulgente ni dure, mais elle devrait plutôt être raisonnable et équitable tant pour le titulaire du brevet que pour le public.
[87]
Bien que des experts puissent aider la Cour à interpréter des termes ou des éléments des revendications, cette aide n’est nécessaire que lorsque la Cour le juge utile – si la signification des termes est évidente d’après le mémoire descriptif du brevet, la Cour n’a pas besoin de l’avis d’experts.
B.
Dates pertinentes
[88]
La demande du brevet international no PCT/US2003/009553 (la demande PCT) a été déposée le 25 mars 2003 et portée à l’attention du public le 26 février 2004. Elle revendiquait la priorité à la demande de brevet provisoire des États-Unis no 60/401 432, qui a été déposée le 6 août 2002. La demande PCT est entrée dans la phase nationale au Canada le 1er février 2005, sous la demande de brevet canadien no 2 494 540.
[89]
La date pertinente pour l’interprétation des revendications du brevet 540 est sa date de publication, le 26 février 2004.
[90]
La date pertinente pour évaluer si la divulgation et l’utilité sont suffisantes est la date de dépôt : le 25 mars 2003.
[91]
La date pertinente pour apprécier l’évidence est la date de priorité de la revendication, soit le 6 août 2002.
C.
La personne versée dans l’art
[92]
Le Dr Kirby a exprimé l’avis que la personne versée dans l’art que vise le brevet 540 est un chercheur dans une des disciplines suivantes : chimie analytique, génie mécanique, génie chimique, génie électrique ou toute autre discipline s’y rapportant de près. De plus, cette personne aurait probablement à effectuer de la recherche supplémentaire dans des disciplines relativement non liées. Une personne versée dans l’art serait un ingénieur qui a parlé à un optométriste pour se renseigner au sujet du SYS et des instruments pour le diagnostiquer, mais un optométriste qui n’aurait pas l’expertise requise pour concevoir ou fabriquer un microdispositif. À son avis, la personne versée dans l’art viendrait probablement du secteur de recherche microfluidique, qui comprend le développement de la microtechnologie, y compris des microplaquettes, pour manipuler et analyser de petites quantités de fluides.
[93]
Bien que je ne sois pas d’accord pour dire que la personne versée dans l’art viendrait du secteur de la recherche microfluidique, la nécessité de comprendre la mesure microfluidique est un facteur que doit comprendre cette personne dans ce domaine technologique.
[94]
Le Dr Franke a exprimé l’avis que la personne versée dans l’art est un scientifique de la médecine ou un ingénieur médical qui a l’intention de mesurer l’osmolarité aux fins de recherches cliniques. Une telle personne pourrait être un praticien clinique qui a besoin d’un moyen clinique pour déterminer rapidement le SYS de manière fiable, ou un chercheur qui veut diagnostiquer et traiter le SYS. À son avis, la personne versée dans l’art aurait typiquement un diplôme en génie, en médecine, ou dans un domaine connexe, conjointement avec deux ans ou plus d’expérience pertinente. Une personne versée dans l’art comprendrait suffisamment l’osmolarité et le film lacrymal pour être apte à évaluer si la mesure prélevée est exacte et être capable d’utiliser le dispositif en milieu clinique. Le génie biomédical requiert généralement d’une personne qu’elle comprenne les aspects techniques ainsi que les aspects cliniques afin qu’une invention soit utile dans un milieu clinique.
[95]
Je suis d’accord avec le critère qu’utilise le Dr Franke, soit que la personne versée dans l’art doit comprendre la technologie applicable aux dates pertinentes; toutefois, je suis également d’accord avec le point de vue du Dr Kirby, soit qu’une personne versée dans l’art devrait probablement effectuer de la recherche supplémentaire dans les disciplines relativement non connexes, y compris l’utilisation de la technologie de microplaquettes pour mesurer un volume micro et nano de fluides.
D.
Les connaissances générales courantes
1)
Principes
[96]
Les connaissances générales courantes sont celles qui sont attendues d’une personne versée dans l’art à la date de la revendication aux fins de l’analyse des questions d’antériorité et d’évidence, ou à la date de la publication du brevet pour ce qui est de l’interprétation de ses revendications.
[97]
La Cour définit en quoi devraient consister les connaissances générales courantes dans la décision Eli Lilly and Company c Apotex Inc., 2009 CF 991, au paragraphe 97, conf. par 2010 CAF 240 [Eli Lilly] (un emprunt à l’arrêt General Tire & Rubber Co c Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457, [1971] FSR 417 (C.A. du R.-U.), aux pages 482 et 483) :
1) Les connaissances générales courantes se distinguent de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques. Les connaissances publiques sont théoriques et englobent chacun des mémoires descriptifs publiés, bien qu’il soit peu vraisemblable qu’il soit consulté, quelle que soit la langue dans laquelle il est rédigé. Par ailleurs, les connaissances générales courantes sont dérivées d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art, qui existerait réellement et qui ferait bien son travail.
2) Les connaissances générales courantes englobent les mémoires descriptifs qui sont bien connus de ceux qui sont versés dans l’art. Dans certains secteurs d’activités, la preuve peut indiquer que tous les mémoires descriptifs de brevets font partie des connaissances pertinentes.
3) Les connaissances générales courantes n’incluent pas forcément des documents scientifiques, peu importe le tirage ou le lectorat d’un article en particulier. La divulgation dans un article scientifique devient une connaissance générale courante lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée sans hésitation par la majorité de ceux qui pratiquent l’art en question.
4) Ne constitue pas une connaissance générale courante un élément qui a fait l’objet d’un écrit, mais qui n’a jamais, dans les faits, été utilisé dans un art en particulier.
[98]
Pour ce qui est de la démarche à suivre pour établir la teneur des connaissances générales courantes, au paragraphe 100 de la décision Eli Lilly, notre Cour cite Simon Thorley et coll., Terrell on the Law of Patents, 16e éd. (Londres, Sweet & Maxwell, 2006) :
[traduction]
La preuve des connaissances courantes est présentée par des témoins compétents pour parler de la question et qui, pour ajouter à leurs propres souvenirs, peuvent s’appuyer sur des travaux standards sur le sujet qui ont été publiés à l’époque et qu’ils connaissaient. Afin de répondre à la question de savoir si une chose appartient aux connaissances générales courantes, il faut d’abord et avant tout examiner les sources auprès desquelles le destinataire versé dans l’art aurait pu obtenir ces renseignements.
La publication d’autres documents tels que le mémoire descriptif du brevet à la date pertinente ou avant celle-ci peut, dans une certaine mesure, être une preuve prima facie tendant à montrer que les déclarations que contenaient les documents faisaient partie des connaissances courantes, mais cette preuve est loin d’être une preuve complète, car les déclarations peuvent avoir été discréditées ou oubliées ou simplement écartées. Il est cependant possible de présenter une preuve pour démontrer que ces déclarations sont en effet venues à faire partie des connaissances courantes.
[99]
Selon les notions élémentaires scientifiques exposées ci-dessus, dès 2002, plusieurs analyses étaient utilisées pour estimer l’osmolarité et font par conséquent partie des connaissances générales courantes : la baisse du point de congélation, l’élévation du point d’ébullition, la baisse de la pression de vapeur, la pression osmotique et l’impédance électrique. Le Dr Franke et le Dr Kirby sont tous les deux d’accord pour dire que l’interprétation et l’utilisation d’une courbe de calibration pour corréler les propriétés d’une telle impédance et osmolarité, étaient des connaissances générales courantes. De plus, ils s’entendent pour dire que l’utilisation du courant alternatif, plutôt que le courant direct, afin d’éviter les problèmes de polarisation des électrodes quand l’impédance était mesurée, était connue.
[100]
Le lien entre l’osmolarité lacrymale et le SYS était également connu depuis 2002 et fait partie des connaissances générales courantes. Toutefois, la mesure de l’osmolarité lacrymale s’appuyait principalement à l’époque sur des analyses du point de congélation et de pression de vapeur qui étaient compliquées, onéreuses ou exigeaient de grands volumes d’échantillons. Ces défis réduisaient l’utilisation de l’osmolarité à titre d’instrument de diagnostic du SYS en milieu clinique. Néanmoins, l’article d’Ogasawara et les articles précédents de Mitsubayashi ont divulgué des moyens pour mesurer l’osmolarité lacrymale in vivo, en mesurant la conductivité électrolyte du fluide lacrymal chez les patients atteints du SYS, et font partie de l’art antérieur pertinent.
[101]
Le Dr Franke a exprimé l’avis que les scientifiques ou les ingénieurs qui travaillaient dans le secteur de l’osmolarité du fluide lacrymal en 2002-2004 auraient consulté les publications des secteurs de l’ophtalmologie, de l’optométrie et de génie, y compris les articles, les résumés, les brevets, les bulletins, les publications des sociétés et les sites Web scientifiques. Ils auraient également participé à des conférences et auraient consulté les documents issus de conférences dans ces secteurs et auraient eu accès à des outils en ligne comme PubMed, Google et les bases de données sur les brevets.
[102]
Le Dr Kirby a déclaré que le secteur microfluidique était un secteur à l’état naissant en 2002-2004 et il existait très peu de sources de matériel écrit comme des manuels. Une personne versée dans l’art aurait probablement acquis des connaissances en participant à des conférences où elle aurait lu des articles, participé à des présentations, visionné des photographies et aurait eu des discussions avec des collègues.
[103]
Le Dr Kirby a également exprimé l’avis que les brevets n’auraient pas fait partie des connaissances générales courantes parce qu’ils n’avaient pas été revus par des pairs universitaires, provenaient du secteur de l’industrie plutôt que du secteur universitaire, et leur utilité était spéculative. Un examen des manuels de cours ou d’articles universitaires de l’époque montre que les brevets n’étaient cités que rarement à titre de référence ou même pas du tout. Je ne suis pas d’accord avec l’approche limitée du Dr Kirby concernant l’art antérieur pertinent.
[104]
Je suis d’accord avec les deux experts pour dire que les articles universitaires font partie des connaissances générales courantes, et je suis d’accord avec le Dr Franke que les brevets dans le secteur de la mesure de la conductance des fluides organiques font également partie des connaissances générales courantes, dans la mesure où ces références ne visent pas des articles obscurs n’étant peu ou pas disponibles pour la personne versée dans l’art aux dates pertinentes. En dépit de l’opinion du Dr Kirby que les brevets ne font pas partie des connaissances générales courantes, il a admis avoir consulté une base de données des brevets pour déterminer l’art antérieur au brevet 540. Il a également admis qu’il les avait consultées au cours de sa propre recherche et avait cité de brevets dans un chapitre d’un livre qu’il avait coécrit.
[105]
Plusieurs de ces brevets et articles universitaires, dont certains, selon mes conclusions, font partie des connaissances générales courantes et dont tous font partie de l’art antérieur pertinent, sont exposés ci-dessous. Ils comprennent l’utilisation de mesures de conductance électrique à la fois d’analyse de fluides organiques ex vivo, ainsi que d’analyse in vivo de l’osmolarité du film lacrymal.
2)
L’art antérieur
a)
Le brevet Josefsen
[106]
Le brevet des États-Unis no 4 123 701 (le brevet Josefsen), daté du 31 octobre 1978, divulgue plusieurs concrétisations d’une carte d’échantillonnage jetable pour la mesure des fluides organiques, en particulier les divers paramètres du sang comme l’hématocrite. Il divulgue également un instrument qui reçoit les cartes d’échantillons. L’invention fait référence à une étude d’échantillons de fluides organiques par l’évaluation de ses propriétés électriques.
[107]
La carte d’échantillonnage jetable, généralement plane, contient une cavité ou un puits, et soutient deux électrodes isolées qui aboutissent dans la partie du puits. Diverses configurations d’électrodes sont divulguées. La carte d’échantillonnage est composée d’un matériau non conducteur, comme du plastique. Le puits est dimensionné pour accueillir environ une goutte de sang; un volume de puits de l’ordre de 50 μL est proposé.
[108]
La carte d’échantillonnage est placée dans l’instrument auquel elle est destinée de manière à ce que ses connexions d’électrodes entrent en contact avec une connexion du circuit du dispositif. Un courant électrique est envoyé à travers l’échantillon de mesure et l’impédance est mesurée en utilisant les paramètres électroniques conventionnels. L’impédance ainsi mesurée est relative à la conductance ou autres caractéristiques à l’étude.
b)
Le brevet Hill
[109]
Le brevet des États-Unis no 4 301 412 (le brevet Hill), daté du 17 novembre 1981, divulgue un système pour mesurer la conductivité des fluides organiques en général, et pour mesurer automatiquement l’hématocrite et, en particulier, pour donner un taux approximatif d’hémoglobine. L’invention vise à répondre au besoin d’obtenir des évaluations électriques d’échantillons liquides de manière simple, sécuritaire et précise. Elle comprend un instrument portable et une carte d’échantillonnage jetable.
[110]
La carte d’échantillonnage est utilisée pour transmettre à l’instrument une seule application d’un échantillon de liquide, comme du sang. Il s’agit d’une cellule de conductivité d’un microvolume (typiquement 200 μL), moulé avec précision dans du plastique, avec des électrodes d’acier inoxydable intégrées. Elle comprend une base plane sur laquelle se définit un tube capillaire. Les électrodes sont disposées dans le tube capillaire de manière espacée et définissent un volume à l’intérieur du tube. Ce volume constitue la cellule de conductivité. Chacune des électrodes est connectée électriquement à une plaquette de conductivité qui fournit un moyen d’associer l’échantillon de sang aux éléments électroniques que contient l’instrument afin d’obtenir la mesure de conductivité de l’échantillon.
[111]
L’instrument est portable et alimenté avec des piles. Il comprend une partie électronique pour traiter les données obtenues de l’échantillon liquide, un mécanisme d’appoint pour placer la carte d’échantillonnage dans l’instrument et un afficheur numérique qui affiche les résultats du paramètre de mesure obtenu par l’instrument. La carte d’échantillonnage est maintenue en contact direct avec le mécanisme d’appoint de manière à ce que l’échantillon de sang transmette à partir de la base les données de sa température et les introduise dans la partie électronique de traitement des données. De plus, la partie électronique est connectée à la carte d’échantillonnage de manière qu’un courant transmis à travers l’échantillon de sang produise une mesure de sa conductivité. Les éléments électroniques de l’instrument calculent ensuite l’hématocrite et affichent la mesure sur l’écran numérique.
c)
L’article de Fouke
[112]
J.M. Fouke et coll., dans «
Sensor for Measuring Surface Fluid Conductivity In Vivo »
(1988) 35:10 IEEE Trans Biomed Eng 877 (l’article de Fouke), décrit une sonde micro fabriquée, miniature et flexible qui peut être placée directement sur la surface de la trachée pour mesure la conductance électrique des fluides qui s’y retrouvent, ce qui indique l’osmolarité de ces fluides.
[113]
La sonde comporte deux éléments : l’un mesure la conductivité électrique du fluide et l’autre en mesure la température. Le capteur de température, une résistance thermosensible, est utilisé pour tenir compte de l’effet de la température sur la conductivité du fluide. Le capteur de conductivité comprend deux électrodes en or qui ont été déposées sur un substrat polyimide. Les électrodes sont séparées par un espace de 5 μm qui se remplit de fluide lorsque la sonde entre en contact avec la trachée. Les électrodes sont également disposées de manière à pouvoir augmenter la longueur actuelle de l’espace à 25,7 mm sans augmenter la taille de la sonde.
[114]
Un signal de courant alternatif de 0.1 mA, 60 kHz est transmis entre les électrodes et le voltage qui passe dans les électrodes est lié à la conductivité de la solution dans laquelle ils sont submergés. Ce voltage est mesuré, la valeur d’impédance du fluide est affichée et elle peut ensuite être comparée à une courbe de calibration obtenue en mesurant l’impédance de solutions dont les valeurs d’osmolarité sont connues.
[115]
Le dispositif était utilisé in vivo en plaçant la sonde dans les voies aériennes de chiens bâtards. Simultanément, le fluide sur la surface des voies aériennes était prélevé aux fins de comparaison par l’entremise de la spectroscopie d’absorption atomique et de la méthode de l’abaissement du point de congélation.
d)
Le brevet Davis
[116]
Le brevet des États-Unis no 4 951 683 (le brevet Davis), daté du 28 août 1990, divulgue plusieurs concrétisations d’un osmomètre in vivo dont chacune comprend une sonde composée d’un corps avec un embout. Le corps peut être composé d’un matériel rigide ou semi-rigide et est représenté dans une description comme étant un matériau non conducteur comme le plastique.
[117]
Dans une concrétisation, plusieurs électrodes sont installées dans l’embout du corps. Les contacts électriques sont conçus pour simultanément entrer en contact avec le fluide lacrymal de la conjonctive oculaire. Un potentiel électrique est appliqué à au moins un des contacts et l’activité électrique entre les contacts, comme la conductance, est mesurée. Dans une autre concrétisation, l’embout comprend une membrane solide, liquide ou polymère qui forme une cavité dans le corps de la sonde. Cette membrane peut être poreuse ou réactive aux ions qui se retrouvent dans le fluide lacrymal.
[118]
Le brevet Davis divulgue également des moyens pour mesurer l’activité entre les contacts électriques. Une alimentation de 0,1 à 10 volts de courant continu est proposée pour fournir un potentiel électrique aux électrodes. Ce potentiel peut être impulsionnel, p. ex., de 50 à 1 000 Hz, ou bien le potentiel peut être commutable entre les contacts électriques pour éviter les problèmes de polarisation des électrodes. L’activité électrique mesurée (p. ex., la résistance, la conductance, la capacitance ou le potentiel) peut se traduire en une mesure de l’osmolarité du film lacrymal. Lorsque l’embout de la sonde est composé d’une membrane qui réagit à un ion précis, l’activité ionique en question peut être mesurée par rapport à une référence interne par l’entremise d’une mesure externe.
e)
Le brevet York
[119]
Le brevet des États-Unis no 4 996 993 (le brevet York), daté du 5 mars 1991, divulgue un dispositif pour la mesure in vivo de l’osmolarité d’un fluide organique comme les larmes ou la sueur. Le dispositif comprend une sonde ayant deux électrodes, ainsi que des moyens pour mesurer la conductivité entre ces électrodes.
[120]
Les bouts des électrodes sont soit séparés par un espace d’air, soit liés par une fine bande de matériau absorbant qui est non conducteur jusqu’à ce qu’il soit humecté par le fluide organique. Dans les deux cas, les bouts des électrodes entrent en contact avec le fluide organique in vivo pour compléter le circuit de la mesure de la conductivité. Les électrodes sont attachées par l’entremise de lignes de connexions à un moyen qui convertit la mesure de conductivité en une valeur qui correspond à l’osmolarité et affiche visiblement cette valeur.
[121]
Le brevet York divulgue également des moyens non pertinents pour le sondage des qualités physiques de la pression de vapeur d’un fluide organique.
f)
L’article no 1 de Mitsubayashi
[122]
Kohji Mitsubayashi et coll., «
Flexible Conductimetric Sensor »
(1993) 65:24 Anal Chem 3586 (l’article no 1 de Mitsubayashi), décrit un détecteur à conductibilité électrolytique non toxique conçu pour entrer directement en contact avec les surfaces du corps et mesurer continuellement la conductivité du fluide organique.
[123]
Le détecteur est composé d’électrodes en or, créé directement par le dépôt de vapeur, des deux côtés d’une membrane hydrophile en poly(tétrafluoroéthylène). Les électrodes sont d’une épaisseur de 0,2 μm. La membrane est de 3 mm de largeur, 80 μm d’épaisseur et a des pores de 0,2 μm de grosseur. Un adhésif à base de cyanoacrylate était utilisé pour isoler les parties des électrodes, permettant à la membrane d’être séparée dans une zone sensible (de 5 mm de longueur), une zone de fils électriques et une zone terminale électrique.
[124]
Un compteur LCR contrôlé par un ordinateur était utilisé pour mesurer les signaux du capteur en utilisant une fréquence de courant alternatif de 100 Hz à 100 kHz et un signal d’amplitude de 0,5 volt. L’impédance et l’angle de phase étaient mesurés et la conductivité était calculée. Le comportement du capteur était calibré en utilisant différentes solutions de NaCl dans une cellule de mesure de 50 mL, et les courbes de calibration qui montraient le rapport entre la concentration de NaCl et la conductivité étaient développées. Le rapport de la conductivité au NaCl était linéaire dans la portée physiologique pertinente si un signal de courant alternatif de 100 kHz était utilisé. Le rendement du capteur pouvait être reproduit sur plusieurs mesures et la variance entre les capteurs était peu élevée.
[125]
Le capteur était fixé à une lentille cornéenne et a été testé in vivo dans les yeux de lapins. Des gouttes de solution ayant une teneur connue de NaCl étaient déposées sur l’œil et la conductivité était mesurée de manière continue. Les résultats ont démontré que le capteur était idéal pour les applications de sondage de la conductivité comprenant des fluides organiques. Aucune blessure à l’œil n’a été observée; toutefois, il y avait un certain déclin dans la conductivité mesurée à cause de dépôts de protéine sur le capteur.
g)
L’article no 2 de Mitsubayashi
[126]
Kohji Mitsubayashi et coll., « Measurement of tear electrolyte concentration and turnover rate using a flexible conductimetric sensor »
(1995) 3:2 Technol Health Care 117 (l’article no 2 de Mitsubayashi), traite de l’application du même dispositif décrit dans l’article no 1 de Mitsubayashi dans des yeux humains.
[127]
La conductivité électrique du fluide lacrymal a été mesurée dans les yeux des patients en santé, hommes et femmes, âgés de 30 à 85 ans, qui n’avaient aucun historique de maladies ou de traumatismes oculaires. Un compteur LCR contrôlé par un ordinateur était utilisé à une fréquence de courant alternatif de 100 kHz et de 0,5 volt, appliquée au capteur en utilisant un fer d’assemblage. Le bout du capteur était inséré dans le cul-de-sac temporal inférieur d’une manière semblable à l’insertion des bandes de test de Schirmer. Les valeurs de conductivité étaient mesurées après qu’elles ont pu se stabiliser de manière continue pendant plus de 30 secondes. Des solutions d’une concentration précise étaient pompées avec une seringue dans le cul-de-sac et la conductivité du fluide lacrymal était suivie pendant 5 minutes.
[128]
Les auteurs ont conclu que leur méthode d’évaluation de l’osmolarité lacrymale était très pratique pour les analyses en milieu clinique. Le capteur permettait d’évaluer rapidement une concentration d’électrolyte lacrymal en utilisant un afficheur en temps réel et ne causait pas de blessure à l’œil. Les auteurs ont noté qu’un embout de 3 mm sur 4 mm avait été choisi après plusieurs essais du capteur. Également, certaines incohérences dans les valeurs d’osmolarité étaient probablement dues aux dépôts de protéines et de lipides qui s’accumulaient sur les électrodes.
h)
L’article d’Ogasawara
[129]
Katsunori Ogasawara et coll., «
Electrical conductivity of tear fluid in healthy persons and keratoconjunctivitis sicca patients measured by a flexible conductimetric sensor »
(1996) 234:9 Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 542 (l’article d’Ogasawara), traite de l’utilisation d’une sonde décrite dans les articles no 1 et 2 de Mitsubayashi, pour mesurer la conductivité du fluide lacrymal à la fois dans les yeux humains en santé et ceux qui manifestaient les symptômes du SYS.
[130]
Les mêmes méthodes que celles décrites dans l’article no 2 de Mitsubayashi ont été utilisées. Un compteur LCR a été utilisé pour mesurer la conductivité électrique avec un signal de courant alternatif de 100 kHz. La zone sensible de la sonde était placée dans le cul-de-sac temporal inférieur et la conductivité était mesurée continuellement pendant plus de 30 secondes et un suivi graphique était affiché dans un ordinateur.
[131]
La différence dans les concentrations d’électrolyte mesurées entre les yeux atteints du SYS et les yeux en santé était statistiquement importante. Les auteurs ont prédit que cette méthode serait un nouvel instrument de diagnostic pour détecter les anomalies lacrymales comme le SYS. Leur capteur pourrait faire le suivi de la conductivité du fluide lacrymal à la fois dans les yeux en santé et ceux atteints du SYS sans dommage oculaire. Également, il élimine les problèmes associés aux autres instruments de diagnostic du SYS : le fluide lacrymal n’avait pas à être prélevé de l’œil; la conductivité est évaluée rapidement en utilisant un afficheur en temps réel; seulement une petite quantité de fluide lacrymal est nécessaire (la capacité de la zone sensible du capteur est de 0,96 μL).
[132]
Comme il est cité ci-dessus, cette référence est décrite dans la partie du brevet 540 se retrouvant à la page 3 aux lignes 21 à 26 et à la page 4, aux lignes 1 à 4.
E.
L’interprétation des revendications
[133]
Bien que les experts ne s’accordent pas sur la définition d’un certain nombre des éléments utilisés dans les revendications en litige, je conclus que seuls les termes qui suivent doivent être interprétés :
1)
« Une microplaquette destinée à recevoir les échantillons »
[134]
La revendication 1 du brevet 540 indique clairement que la « microplaquette destinée à recevoir les échantillons »
comprend deux éléments : 1) un substrat qui reçoit une quantité aliquote d’un échantillon de fluide; 2) une zone d’échantillonnage sur le substrat sur lequel les propriétés d’énergie de l’échantillon de fluide peuvent être détectées. À mon avis, il n’est pas nécessaire de lire dans l’expression « microplaquette destinée à recevoir les échantillons »
rien de plus que cela.
[135]
Le Dr Kirby a exprimé l’avis que le concept inventif du brevet 540 est la capacité à effectuer des mesures d’osmolarité qui sont substantiellement indépendantes du volume de l’échantillon de fluide. À cet égard, il a expliqué que la « microplaquette destinée à recevoir les échantillons »
doit avoir des propriétés comme la rigidité, la planéité et des électrodes intégrées. Même si le Dr Sullivan avait l’intention d’incorporer ces propriétés par l’entremise de la divulgation de son invention dans au moins une concrétisation, les revendications du brevet 540 ne sont pas limitées ainsi. Seule la revendication 56 fait référence à l’indépendance du volume, et il n’y a aucune mention de rigidité, de planéité ou d’électrodes intégrées dans aucune des revendications en l’espèce.
[136]
De plus, la « microplaquette destinée à recevoir les échantillons »
ne se limite pas aux applications ex vivo. Bien que les exemples du brevet 540 ne puissent être équitablement interprétés que ne faisant référence qu’à des applications ex vivo, et que le brevet se distingue du dispositif d’application in vivo divulgué aux lignes 21 à 26 de la page 3 de l’article d’Ogasawara, et aux lignes 1 à 4 de la page 4 du brevet 540, les revendications en litige ne sont pas limitées ainsi. De plus, toute concrétisation décrite dans le brevet 540 comme étant exemplaire [traduction] « n’est pas nécessairement interprétée comme étant plus avantageuse que d’autres concrétisations »
(aux lignes 24 à 45 de la page 24 du brevet 540).
[137]
Par conséquent, je n’accepte pas le fait que la « microplaquette destinée à recevoir les échantillons »
se limite aux propriétés suggérées par le Dr Kirby, ni ne se limite aux applications ex vivo. Elle comprend plutôt deux éléments : 1) un substrat qui reçoit une quantité aliquote d’un échantillon de fluide; 2) une zone d’échantillonnage sur le substrat sur lequel les propriétés d’énergie de l’échantillon de fluide peuvent être détectées. Ces termes sont interprétés avec plus de détails ci-dessous.
2)
« Un substrat destiné à recevoir un volume aliquote d’un échantillon de liquide »
[138]
Là encore, il n’est pas nécessaire d’interpréter ces termes de manière à élargir ou à restreindre ce que le brevet 540 revendique.
[139]
Le terme « échantillon de fluide »
ne fait pas seulement référence au film lacrymal. Bien que la divulgation du brevet 540 ne traite seulement que de fluide lacrymal, avec une particularité quelconque et par l’entremise d’illustrations, et quelques autres déclarations générales concernant la mesure d’autres fluides organiques, les revendications en litige ne sont pas limitées ainsi. Seule la revendication 14 fait précisément référence au film lacrymal.
[140]
Le terme « volume aliquote »
ne limite pas l’invention aux applications ex vivo. Par « aliquote »
, on entend simplement une partie d’un tout plus large. Il importe peu que l’échantillon de fluide soit placé sur le substrat ou que le substrat soit placé sur l’échantillon de fluide.
[141]
Le terme « substrat »
doit être lu dans le contexte du deuxième élément de la microplaquette destinée à recevoir les échantillons, soit une zone d’échantillonnage sur le substrat sur lequel les propriétés d’énergie de l’échantillon de fluide peuvent être détectées. Le substrat est le matériel sur lequel ce processus s’effectue. À l’égard des revendications en l’espèce, qui font référence aux propriétés électriques de l’échantillon de fluide, le substrat est nécessairement un matériau non conducteur.
3)
« Une zone d’échantillonnage sur le substrat sur lequel les propriétés d’énergie de l’échantillon de fluide peuvent être détectées »
[142]
Cela fait référence à la partie du substrat qui comprend des éléments additionnels qui sont particuliers à d’autres revendications qui dépendent de la revendication 1, et qui est mesurée ou configurée de manière à ce que lorsqu’elles entrent en contact avec l’échantillon de fluide, les propriétés d’énergie de l’échantillon de fluide puissent être détectées. À l’égard des revendications en l’espèce, les éléments additionnels sont les électrodes qui font partie du circuit électrique. L’échantillon de fluide fait le pont entre les électrodes pour compléter le circuit de manière à ce que la conductivité de l’échantillon de fluide puisse être mesurée et corrélée à l’osmolarité.
[143]
Le circuit électrique peut être composé de manière aussi simple que deux électrodes ou aussi complexe qu’une série d’électrodes. Les électrodes sont reliées à des lignes de connexion qui fournissent le moyen de transférer l’énergie électrique à l’échantillon de fluide et à partir de ce dernier. De plus, les électrodes peuvent être attachées à une unité centrale à part. Cette unité peut corréler automatiquement la conductivité qui est mesurée à une valeur d’osmolarité en utilisant un algorithme lié à une courbe de calibration. De plus, l’unité centrale peut être entièrement située dans la microplaquette destinée à recevoir les échantillons.
[144]
Le Dr Kirby et le Dr Franke ont tous deux interprété les revendications du brevet 540 soit trop largement ou trop étroitement; par conséquent, leurs interprétations en général n’étaient pas très utiles à la Cour.
X.
La contrefaçon :
A.
Principes
[145]
Le titulaire d’un brevet dispose d’un recours contre tout contrefacteur éventuel qui, sans s’approprier littéralement l’invention, s’approprie néanmoins l’essentiel de celle-ci (ou sa substance) (Free World Trust, précité, au paragraphe 28). En revanche, la Cour doit se garder d’interpréter les revendications d’un brevet si largement qu’elle attribue au titulaire les avantages d’inventions qui ne lui reviennent pas dans la réalité.
[146]
Pour déterminer s’il y a contrefaçon, les principes suivants nous aident à assurer un résultat équitable et prévisible (Free World Trust, au paragraphe 31) :
a) La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.
b) Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.
c) La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.
d) Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.
e) Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :
i) en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;
ii) à la date à laquelle le brevet est publié;
iii) selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou
iv) conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;
v) mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.
f) Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.
[147]
La tâche de la Cour, par conséquent, est d’interpréter intentionnellement les revendications d’un brevet pour définir la portée du monopole du titulaire, et ensuite déterminer si la contrefaçon présumée du produit appartient à la portée de ces revendications (arrêt Free World Trust, aux paragraphes 48 et 49).
B.
Discussion
[148]
Les demanderesses soutiennent que la SUU contrevient aux revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13 et 14, et que l’i-Pen contrevient aux revendications 16, 25 et 26, du brevet 540.
[149]
Le Dr Kirby a exprimé l’avis que la SUU contrevient aux revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13 et 14 du brevet 540. À l’égard de la revendication 1, la SUU est une microplaquette comprenant un substrat avec des électrodes dessus où un fluide conductif fait le pont entre les espaces, permettant aux électrodes de mesurer l’impédance, qui peut ensuite être liée à l’osmolarité en utilisant une courbe de calibration. Le fluide qui est échantillonné représente le tout et peut être mis en contact à la fois in vivo et ex vivo. La SUU a une pluralité d’électrodes (revendication 2), une pluralité de lignes de connexion conductives (revendication 5), est connectée à un dispositif d’analyse (revendication 6), a une zone d’échantillonnage de moins de 1 cm2 (revendication 8), et peut mesurer l’osmolarité du film lacrymal, qui est un fluide organique (revendications 13 et 14).
[150]
Le Dr Kirby a également exprimé l’avis que l’i-Pen contrevient aux revendications 16, 25 et 26 du brevet 540. À l’égard de la revendication 16, l’i-Pen est un système pour mesurer l’osmolarité d’un échantillon de fluide. Il contient la SUU, y compris ses composantes décrites au paragraphe ci-dessus, qui sont connectées à un dispositif d’analyse qui reçoit les signaux électriques de la SUU et calcule et affiche la valeur d’osmolarité. La SUU a également un circuit électrique qui lui permet de mesurer la conductivité (revendication 25) et a également une pluralité d’électrodes (revendication 26).
[151]
Le Dr Franke a exprimé l’avis que la SUU ne contrevient pas aux revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13 et 14 du brevet 540. À l’égard de la revendication 1, la SUU est une sonde, non une microplaquette, parce qu’elle ne peut pas incorporer les calculs. Elle ne reçoit pas d’échantillon parce qu’elle s’applique sur l’œil. L’échantillon n’est pas un volume aliquote parce qu’il n’est pas prélevé ou séparé d’un volume plus large. La SUU ne fonctionne pas en ayant une zone d’échantillonnage recouverte par un échantillon de fluide; les deux électrodes doivent plutôt être mises en contact avec la conjonctive de la paupière. Elle ne détecte pas les propriétés d’énergie de l’échantillon ni ne produit un signal électrique; elle est simplement un conduit. Elle ne peut pas déterminer l’osmolarité parce qu’elle n’a pas de moyens pour l’analyser.
[152]
Le Dr Franke a également exprimé l’avis que les électrodes ne sont pas disposées pour entrer en contact avec un échantillon, et que les lignes de connexion ne sont pas un moyen pour transférer l’énergie électrique à un échantillon, parce que la SUU entre en contact avec la conjonctive remplie de larmes plutôt qu’avec un échantillon qui a été prélevé à partir d’un volume plus grand (revendications 2 et 5). Elle ne contient pas l’unité d’analyse (revendication 6). Elle n’a pas de zone de moins de 1 cm2 pour l’échantillon parce qu’elle ne reçoit pas d’échantillon (revendication 8). Elle ne peut pas indiquer l’osmolarité du film lacrymal ou du fluide organique parce qu’elle n’a pas de moyen d’analyse (revendications 13 et 14).
[153]
Enfin, le Dr Franke a exprimé l’avis que l’i-Pen ne contrevient pas aux revendications 16, 25 et 26 du brevet 540. L’i-Pen ne mesure pas d’échantillon de fluide; il mesure plutôt l’osmolarité de la conjonctive remplie de larmes. La SUU n’est pas non plus une microplaquette qui reçoit l’échantillon de fluide dans une zone d’échantillonnage, comme il est mentionné dans le paragraphe ci-dessus. De plus, la mesure de la conductivité électrique est effectuée dans le microcontrôleur, dans le corps de l’unité portable, qui n’est pas conçu pour entrer en contact avec l’échantillon.
[154]
À mon avis, la SUU contrevient aux revendications 1, 2, 5, 8, 13 et 14, et l’i-Pen contrevient aux revendications 16, 25 et 26 du brevet 540. Comme cela a été discuté ci-dessus, concernant l’interprétation des revendications, les revendications du brevet 540 ne se limitent pas à l’application ou à l’utilisation ex vivo de l’invention pour mesurer l’osmolarité du fluide lacrymal. Pour ce motif, je ne suis pas d’accord avec le point de vue du Dr Franke que les termes comme « volume aliquote »
et « zone d’échantillonnage recouverte d’un échantillon de fluide »
ne s’appliquent pas à la SUU et l’i-Pen.
[155]
J’ai également interprété les revendications de manière à ce qu’une « microplaquette »
puisse être aussi simple que deux électrodes sur un substrat non conducteur. Il ne revient pas nécessairement à la microplaquette de pouvoir effectuer les calculs de manière intégrée, à l’exception de la revendication 6, qui requiert une unité de traitement intégrée. La SUU a une pluralité d’électrodes et des lignes de connexion sur un substrat, mais ne contient pas d’unité de traitement des données. Les revendications confirmées du brevet 540 et de la SUU requièrent à la fois un signal électrique qui doit s’appliquer aux lignes de connexion et aux électrodes, qui traverse l’échantillon et qui produit un résultat par l’entremise d’un signal lié à la conductivité de l’échantillon. La SUU contrevient aux revendications 1, 2, 5, 8, 13 et 14.
[156]
De plus, la SUU fonctionne avec un dispositif de traitement des données, le microcontrôleur dans l’unité portable de l’i-Pen, qui reçoit le signal électrique de la SUU et calcul et affiche le résultat du test d’osmolarité. L’i-Pen contrevient aux revendications 16, 15 et 26.
[157]
Le Dr Franke a admis qu’il ne savait pas que les revendications doivent être lues de manière éclairée et intentionnelle, gardant un esprit disposé à comprendre. Il a interprété les revendications du brevet 540 d’une manière trop étroite et l’opinion du Dr Kirby concernant la contrefaçon est plus exacte, exception faite de la revendication 6.
[158]
Si le brevet 540 était interprété comme étant limité uniquement aux applications ex vivo, comme le fait valoir la défenderesse, je serais alors d’avis qu’aucune des revendications interprétées n’est contrefaite. Toutefois, en revendiquant de manière large les applications in vivo et ex vivo, pour tous les liquides organiques, sans les limitations exprimées dans la divulgation, les demanderesses ont introduit les problèmes de validité décrits ci-dessous, qui ne peuvent être évités.
XI.
La validité
[159]
Pendant le procès, la défenderesse a abandonné ses défenses de revendications trop larges et ambiguës; par conséquent, le seul problème de validité qui demeure est l’antériorité, la défense fondée sur l’arrêt Gillette, la notion d’évidence, la condition d’utilité et la suffisance des diverses revendications affirmées.
A.
L’antériorité
1)
Principes
[160]
L’article 2 de la Loi sur les brevets requiert que l’invention soit nouvelle. L’antériorité se trouve là où le rendement de l’art antérieur contrevient nécessairement au brevet à l’étude (Apotex Inc. c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 [Sanofi], au paragraphe 25). Il explique que tant la divulgation que le caractère réalisable sont requis pour qu’une référence à l’art antérieur ou qu’un emploi antérieur soit réputé antérieur à une revendication d’un brevet (Sanofi, aux paragraphes 25 à 27).
[161]
L’objet de l’antériorité alléguée doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait le brevet faisant l’objet de l’examen. Une personne versée dans l’art qui lit le mémoire descriptif du brevet antérieur doit pouvoir déterminer sans essais successifs s’il divulgue les avantages particuliers de l’invention subséquente (Sanofi, aux paragraphes 25 et 32).
[162]
L’art antérieur doit également permettre à une personne versée dans l’art de réaliser l’invention divulguée par l’art antérieur à la suite d’un nombre raisonnable d’essais successifs permis (Sanofi, aux paragraphes 26 et 27). Le sens « d’un nombre raisonnable d’essais successifs »
est décrit comme suit (Sanofi, au paragraphe 37) :
Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.
2)
Discussion
[163]
La défenderesse soutient que les revendications 1, 2, 5, 8, 13 et 14 du brevet 540 sont envisagées dans plusieurs références présentent dans l’art antérieur.
[164]
Le Dr Franke a exprimé l’avis que, si la Cour accepte son interprétation de la revendication, les revendications 1, 2, 5, 8, 13 et 14 du brevet 540 sont envisagées dans les brevets Josefsen et Hill.
[165]
Il a exprimé l’avis que le brevet Josefsen divulgue les éléments suivants de la revendication 1 du brevet 540 :
- [traduction] La carte destinée à recevoir un échantillon qui reçoit un échantillon de fluide est l’équivalent de la microplaquette destinée à recevoir les échantillons du brevet 540;
- La carte d’échantillonnage contient des électrodes, comme c’est le cas pour la microplaquette destinée à recevoir les échantillons du brevet 540;
- La cavité de la carte d’échantillonnage, qui contient les électrodes et l’échantillon qui y est déposé, est l’équivalent de la partie de la zone d’échantillonnage sur le substrat du brevet 540;
- Les électrodes permettent la détection des propriétés électriques en faisant passer un courant électrique à travers l’échantillon pour en déterminer la conductance, comme c’est le cas dans le brevet 540.
[166]
Il a également exprimé l’avis que le brevet Hill divulgue les éléments suivants de la revendication 1 du brevet 540 :
- [traduction] Une carte d’échantillonnage qui reçoit un échantillon de fluide est l’équivalent de la microplaquette destinée à recevoir les échantillons du brevet 540;
- Le tube capillaire est équivalent à celui de la zone d’échantillonnage du brevet 540;
- Le substrat du tube capillaire n’est pas un conducteur électrique, comme c’est le cas pour le substrat de la microplaquette du brevet 540.
- Des électrodes sont installées dans le tube capillaire;
- Les électrodes permettent la détection des propriétés électriques en faisant passer un courant électrique à travers l’échantillon pour en déterminer la conductance, comme c’est le cas dans le brevet 540.
[167]
À l’égard des deux brevets Josefsen et Hill, le Dr Franke a appliqué son interprétation de la revendication 1 également aux revendications 2 et 5. De plus, la taille limitée de la partie de l’échantillon dans la revendication 8 n’a pas changé son opinion concernant le fait que tous les éléments de cette revendication ont été divulgués à la fois dans le brevet Josefsen et le brevet Hill. De plus, ces brevets visaient l’évaluation des propriétés électriques de fluides organiques, comme c’est le cas pour les revendications 13 et 14.
[168]
Le Dr Franke a également tenu compte de l’antériorité en supposant que les revendications du brevet 540 ne se limitent pas seulement aux dispositifs ex vivo, mais comprend également les dispositifs in vivo. Il a conclu que, si les revendications du brevet 540 incluent les dispositifs in vivo, ces revendications ont été anticipées dans l’article de Fouke, le brevet Davis, le brevet York et l’article d’Ogasawara.
[169]
Il a expliqué que la seule différence entre l’article d’Ogasawara et les revendications invoquées pour le brevet 540 est que le dispositif d’Ogasawara est in vivo. Ce dispositif a une sonde comprenant des électrodes et un substrat non conducteur, il a une partie d’échantillonnage de moins de 1 cm2, il est rattaché à un processeur et il mesure les propriétés du film lacrymal.
[170]
Le Dr Franke est arrivé à la même conclusion concernant les dispositifs qui sont divulgués dans les articles de Fouke, le brevet York et le brevet Davis. Toutefois, il reconnaît que l’article de Fouke s’applique au fluide de la trachée et non au fluide lacrymal. Il a noté que le brevet York traite principalement d’une sonde comprenant seulement deux électrodes, mais que les électrodes sont maintenues en place par des [traduction] « moyens de séparation »
non conducteurs semblables aux électrodes qui sont placées dans le substrat non conducteur du brevet 540. J’ajoute que le brevet York fait également référence à un matériel non conducteur absorbant qui est utilisé pour faire le pont entre les espaces qui séparent les électrodes.
[171]
Le Dr Kirby n’est pas d’accord avec le Dr Franke concernant la question de l’antériorité. En ce qui a trait aux brevets Josefsen et Hill, il a expliqué que les mesures de conductance du sang n’indiquent pas l’osmolarité, mais indiquent l’hématocrite – soit le pourcentage par volume de cellules rouges. Le sérum sanguin est conducteur, les cellules rouges sont isolantes et le courant électrique passe surtout à travers du sérum.
[172]
Le Dr Kirby a également exprimé l’avis que le concept inventif du brevet 540 est lié au fait que les mesures d’osmolarité sont substantiellement indépendantes du volume de l’échantillon de fluide. L’emplacement des électrodes sur une microplaquette plane et rigide crée un circuit électrique bien défini qui est généralement insensible aux autres détails. Cela est ce qui fait la différence entre le brevet 540 et ceux de Hill et Josefsen, dont l’emplacement des électrodes ne crée pas un circuit bien défini et dont la conductance dépend du volume de l’échantillon.
[173]
Le Dr Kirby ajoute ceci :
- [traduction] Le dispositif d’Ogasawara est flexible et le fluide échantillonné est
« essuyé »
dans les pores de manière à ce que le substrat puisse nuire aux mesures de conductance; - Le dispositif de Davis comprend une sonde concave, non une microplaquette plane, dont les espaces entre les électrodes sont grands relativement à l’épaisseur du film lacrymal, et utilise un signal de courant continu;
- Le dispositif de York n’a pas de substrat plané, mais a des paires d’électrodes disposées parallèlement de manière flexible, non séparées par des espaces fixes, et le matériau absorbant compromettrait les mesures de conductance;
- Le dispositif de Fouke utilise un substrat flexible et des électrodes interdigitées.
Par conséquent, à son avis, ces dispositifs ne possèdent pas le circuit électrique bien défini et la nature indépendante du volume que le dispositif du brevet 540 possède.
[174]
Comme je l’ai expliqué ci-dessus, les revendications confirmées dans le brevet 540 ne se limitent pas aux dispositifs ex vivo composés d’une microplaquette rigide, plane avec des électrodes intégrées. Les revendications du brevet 540 suggèrent que le dispositif fonctionnera tant et aussi longtemps que l’échantillon de fluide couvre fonctionnellement la partie d’échantillonnage, de manière à ce que les espaces entre les électrodes soient reliés, permettant ainsi au signal électrique de mesurer la conductance d’un échantillon de fluide, ce qui peut être utilisé pour indiquer l’osmolarité.
[175]
Selon mon interprétation de la revendication, je suis d’accord avec l’analyse de l’anticipation du Dr Franke, concernant les dispositifs in vivo divulgués dans l’art antérieur. Parmi le brevet York, le brevet Davis, l’article de Fouke et l’article d’Ogasawara, chacun divulgue des dispositifs comprenant un substrat non conducteur avec un réceptacle pour le volume aliquote d’un échantillon de fluide, de manière à ce que le volume de l’échantillon de fluide recouvre les espaces entre les électrodes pour les relier et mesurer la conductivité de l’échantillon de fluide en utilisant un signal électrique et ensuite corréler à l’osmolarité.
[176]
De plus, chaque dispositif comprend une pluralité d’électrodes et de lignes de connexion et une cavité de moins de 1 cm2 pour l’échantillon. Toutefois, l’article de Fouke traite seulement du fluide de la trachée, non du fluide lacrymal.
[177]
Par conséquent, les revendications 1, 2, 5, 8, 13 et 14 se heurtent à une antériorité dans chacun des brevets York et Davis et dans l’article d’Ogasawara, et les revendications 1, 2, 5, 8 et 13 se heurtent à une antériorité dans l’article de Fouke.
[178]
[traduction] Finalement, je ne suis pas d’accord que le brevet Josefsen ou Hill antériorise les revendications du brevet 540. La revendication 1 du brevet 540 fait précisément référence à l’indication de l’osmolarité de l’échantillon de fluide. Les brevets Josefsen et Hill font plus particulièrement référence à la mesure de la conductance du sang, ce qui est une mesure d’hématocrite et non d’osmolarité. Bien que les brevets Josefsen et Hill fassent tous deux référence à la mesure des propriétés électriques de fluides corporels en général, outre le sang, ils ne portent pas précisément sur l’osmolarité et une personne versée dans l’art ne serait pas dirigée directement et sans difficulté à l’invention revendiquée, qu’il s’agisse du brevet Josefsen ou Hill, à la date pertinente.
B.
La défense fondée sur l’arrêt Gillette
1)
Principes
[179]
La défenderesse s’appuie également sur la défense fondée sur l’arrêt Gillette, selon une décision de la Chambre des Lords en 1900 qui prévoit que la défenderesse peut plaider que les actes présumés de contrefaçon font partie de l’art antérieur, et par conséquent, le brevet est soit invalide pour revendiquer l’objet du brevet, y compris dans l’art intérieur, ou, si l’objet revendiqué est valide, il n’y a pas de contrefaçon de la part de la défenderesse. À l’égard des questions de contrefaçon et de validité, les revendications de brevet sont interprétées avant de rendre une décision si cette défense s’applique (Gillette Safety Razor Company c Anglo American Trading Company Ltd., [1913] 30 RPC 465 (CL)).
[180]
La défense ne peut être possible que si une référence à l’art antérieur antériorise une revendication ou les revendications en litige, et bien qu’une décision récente de notre Cour ait conclu qu’elle pourrait également être appliquée à l’égard de contestations de la validité fondée sur l’évidence, je n’ai pas à faire des observations sur cette approche, étant donné que j’ai conclu que les revendications ont été confirmées par un certain nombre de références à l’art antérieur, comme cela est exposé ci-dessus (Arctic Cat Inc. c Bombardier Produits Récréatifs Inc., 2016 CF 1047.
2)
Discussion
[181]
Comme je l’ai expliqué ci-dessus, les revendications du brevet 540 ne se limitent pas aux applications ex vivo, ni ne se limitent aux propriétés identifiées par le Dr Kirby comme la rigidité, la planéité ou l’intégration des électrodes. Les revendications suggèrent plutôt que le dispositif fonctionnera tant et aussi longtemps que le fluide couvre fonctionnellement la partie d’échantillonnage de manière à ce que l’écart entre les électrodes soit relié.
[182]
De plus, comme il est exposé en détail ci-dessus, ces éléments se retrouvent non seulement dans plusieurs revendications du brevet 540, mais également dans l’art antérieur et dans la SUU et l’i-Pen. Par conséquent, les allégations de contrefaçon de la défenderesse font partie de l’art antérieur; alors même si la validité de ces revendications du brevet 540 pouvait être établie, la défenderesse ne contreviendrait pas aux revendications présumées – soit les revendications 1, 2, 5, 8, 13 et 14.
[183]
Ce résultat découle directement du dilemme créé par l’interprétation large préconisée par les demanderesses pour que les revendications invoquées incluent à la fois les applications in vivo et ex vivo de l’invention, ce qui, bien que j’aie accepté cette interprétation, entraîne l’invalidité pour cause d’antériorité.
C.
L’évidence
1)
Principes
[184]
L’article 28.3 de la Loi sur les brevets dispose que l’objet d’une revendication ne doit pas être évident à la date de la revendication. La Cour suprême du Canada expose un critère en quatre volets pour la notion d’évidence dans l’arrêt Sanofi, au paragraphe 67 :
1) a) Identifier la « personne versée dans l’art ».
b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;
2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;
3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;
4) Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité?
[185]
La question qui se pose est d’établir si la personne versée dans l’art, selon l’état de l’art et les connaissances générales courantes à la date revendiquée de l’invention, peut réaliser directement et sans difficulté l’invention du brevet (Beloit Canada Ltée c Valmet OY, (1986), 8 CPR (3e) 289 [Beloit] à la page 294).
[186]
Le critère de l’évidence n’est pas facile à remplir. La « personne versée dans l’art »
ne doit pas avoir d’inventivité ou d’imagination (Beloit, à la page 294). La Cour doit également garder à l’esprit le fait que les experts témoins peuvent être influencés par la rétrospective (Bridgeview Manufacturing Inc. c 931409 Alberta Ltd. (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188, au paragraphe 50).
2)
Discussion
[187]
La défenderesse soutient que les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 du brevet 540 sont évidentes.
[188]
Le Dr Franke a exprimé l’avis qu’étant donné que les brevets Hill et Josefsen ne divulguent pas de dispositifs de traitement des données qui convertissent les mesures d’impédance en mesures d’osmolarité, les revendications 6, 16, 25 et 26 n’ont pas été antériorisées par ces brevets. Toutefois, il aurait été évident pour une personne versée dans l’art de savoir comment obtenir l’osmolarité en utilisant une courbe de calibration; par conséquent, chacune de ces revendications aurait été évidente en combinant soit l’un ou l’autre de ces brevets avec l’article d’Ogasawara.
[189]
Le Dr Franke a également exprimé l’avis qu’il y avait très peu de différences entre les revendications invoquées dans le brevet 540 et l’article de Fouke, le brevet Davis, le brevet York et l’article d’Ogasawara. La seule différence repose essentiellement dans le fait que ces œuvres de l’art antérieur divulguent des dispositifs in vivo. À son avis, la différence peut être résolue d’emblée et facilement par une personne versée dans l’art sans exercer aucune inventivité, en combinant l’un ou l’autre de ces articles ou de ces brevets soit avec le brevet Josefsen soit avec le brevet Hill.
[190]
Le Dr Kirby a exprimé l’avis que la personne versée dans l’art ne serait pas motivée à combiner les différentes références. Essentiellement, les brevets Hill et Josefsen font référence à des moyens ex vivo de mesurer la conductance du sang afin de déterminer l’hématocrite, tandis que l’article de Fouke, le brevet Davis, le brevet York et l’article d’Ogasawara font référence à des moyens in vivo de mesurer la conductance du fluide lacrymal (ou du fluide de la trachée) pour en déterminer l’osmolarité. Même si une personne versée dans l’art pouvait combiner deux de ces divulgations, il existe d’innombrables directions qui pourraient être explorées et une personne versée dans l’art aurait à effectuer de la recherche additionnelle pour déterminer si l’une au l’autre de ces possibilités puisse actuellement fonctionner.
[191]
De plus, il a exprimé l’avis que la combinaison du brevet Hill ou du brevet Josefsen à l’un ou l’autre de l’article de Fouke, du brevet Davis, du brevet York ou de l’article d’Ogasawara, n’aurait pas le concept inventif du brevet 540 – des mesures d’osmolarité qui sont substantiellement indépendantes du volume d’un échantillon de fluide – parce que le dispositif qui en découlerait n’aurait pas un circuit bien défini qui serait relativement insensible à d’autres détails.
[192]
Je n’accepte pas la position du Dr Kirby. Comme je l’explique ci-dessus, les revendications invoquées du brevet 540 ne se limitent pas à des concepts comme l’indépendance du volume ou la rigidité, la planéité, etc. Les revendications suggèrent plutôt que le dispositif fonctionnera tant et aussi longtemps que le fluide couvre fonctionnellement la partie d’échantillonnage de manière à ce que l’écart entre les électrodes soit relié. De plus, les brevets Josefsen et Hill exposent les mesures de conductance de fluides organiques en général, non seulement le sang, et l’interprétation et l’utilisation d’une courbe de calibration étaient les connaissances générales courantes de manière à ce qu’une personne versée dans l’art sache comment convertir une mesure de conductance d’un fluide organique (autre que le sang) en une valeur d’osmolarité.
[193]
Par conséquent, je suis d’accord avec l’avis du Dr Franke qu’il aurait été évident pour une personne versée dans l’art, à la date visée, de combiner le brevet Josefsen ou Hill avec le brevet Davis, le brevet York ou l’article d’Ogasawara pour créer un dispositif pouvant être utilisé à la fois in vivo et ex vivo, et comportant une unité de traitement distincte ou intégrée pour mesurer l’osmolarité du film lacrymal.
[194]
Par conséquent, je conclus que les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 du brevet 540 sont évidentes.
D.
L’utilité
1)
Principes
[195]
L’article 2 de la Loi sur les brevets requiert que l’invention soit utile. L’utilité doit être établie au moyen d’une démonstration ou d’une prédiction valable à la date de dépôt (Wellcome Foundation, au paragraphe 56).
[196]
Une simple étincelle d’utilité suffit; toutefois, elle doit être liée à la nature de l’objet de l’invention proposée (AstraZeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2017 CSC 36 [AstraZeneca], aux paragraphes 53 et 55).
[197]
Il existe une analyse à deux étapes pour déterminer si un brevet divulgue une invention d’une utilité suffisante : premièrement, cerner l’objet de l’invention suivant le libellé du brevet; deuxièmement, se demander si cet objet est utile (c’est-à-dire, se demander s’il peut donner un résultat concret) (AstraZeneca au paragraphe 54).
2)
Discussion
[198]
L’objet du brevet 540 est une microplaquette destinée à recevoir des échantillons utilisée pour mesurer l’osmolarité du fluide lacrymal, et un système de mesure de l’osmolarité du fluide lacrymal, destiné à être utilisé dans un milieu clinique.
[199]
La preuve démontre qu’à la fin de 2002, le dispositif du Dr Sullivan présentait au moins une étincelle d’utilité à l’égard de l’objet. C’est environ à ce moment-là que le Dr Sullivan a commencé à utiliser le courant alternatif au lieu du courant continu et a surmonté les problèmes de polarisation pour obtenir des lectures d’osmolarité stables. Le Dr Sullivan a expliqué que le dispositif dont il disposait à la fin de 2002 était essentiellement le même que celui utilisé pendant les essais cliniques en 2004, où le dispositif a démontré une certaine capacité à établir une distinction entre les patients normaux et ceux qui souffrent du SYS.
[200]
J’accepte le fait que le dispositif peut ne pas avoir été perfectionné à la date de dépôt – certains aspects devaient être améliorés, comme les méthodes de production des valeurs, ainsi que le concept de la microplaquette – mais il n’y a aucun doute que la condition d’utilité pour mesurer l’osmolarité du fluide lacrymal a été démontrée à la date pertinente. Bien qu’il soit possiblement vrai qu’aucune utilité de la sorte n’ait été démontrée pour mesurer d’autres fluides organiques ou que l’utilité n’ait pas été solidement prévue pour de tels fluides organiques, il ne s’agit pas du critère à appliquer à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt AstraZeneca. Je n’ai pas à analyser davantage cette question.
E.
Le caractère suffisant
1)
Principes
[201]
La notion de divulgation se situe au cœur du régime des brevets qui se fonde sur un marché entre l’inventeur et le public : l’inventeur obtient, pour une période déterminée, un monopole sur une invention nouvelle et utile en contrepartie de la divulgation de l’invention de façon à en faire bénéficier la société (Teva Canada Ltée c Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, aux paragraphes 31 et 32).
[202]
Les exigences sur la divulgation se retrouvent aux paragraphes 27(3) et (4) de la Loi sur les brevets :
27 (3) Le mémoire descriptif doit :
a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;
b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;
c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;
d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions.
(4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.
[203]
La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred Ltd. c Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 RCS 1623, aux pages 1637 et 1638, explique que la divulgation est insuffisante lorsqu’elle n’arrive pas à décrire comment une invention fonctionne, et que :
Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation [...] et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande.
[Renvois omis].
2)
Discussion
[204]
Le Dr Franke a exprimé l’avis que les précisions du brevet 540 ne définissaient adéquatement ni la nature de l’invention ni la description de la manière dont une personne versée dans l’art pouvait mettre en pratique une telle invention. Le nombre des électrodes et l’intervalle qui les sépare, ainsi que le volume de l’échantillon, ne sont pas suffisamment divulgués dans le brevet 540. De plus, le brevet 540 n’explique pas comment surmonter les problèmes d’évaporation.
[205]
Le Dr Kirby a exprimé l’avis que les précisions du brevet 540 décrivaient clairement la taille et la configuration des électrodes. De plus, non seulement le brevet 540 décrit-il plusieurs techniques pour surmonter l’évaporation, une personne versée dans l’art pourrait comprendre comment faire rapidement une mesure ou développer un profil pour tenir compte de l’évaporation.
[206]
Je suis d’accord avec le Dr Kirby. Le mémoire descriptif du brevet 540 décrit suffisamment la configuration de multiples électrodes, il explique que l’échantillon de fluide doit couvrir l’espace entre les électrodes pour assurer leur connectivité et il décrit quel signal électrique appliquer. Lors du contre-interrogatoire, le Dr Franke a admis que de prendre rapidement les mesures pour prévenir l’évaporation est une connaissance générale, et qu’il utilisait lui-même cette méthode lorsqu’il mesurait l’osmolarité lacrymale des lapins. La divulgation est suffisante pour appuyer les revendications en litige.
XII.
Dépens
[207]
Les dépens sont adjugés à la défenderesse. Les parties auront deux semaines à partir de la date du jugement pour s’entendre sur les dépens ou pour déposer séparément des observations écrites n’excédant pas dix pages.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-300-16
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La défenderesse contrevient aux revendications suivantes :
1, 2, 5, 8, 13, 14, 16, 25 et 26.
Les revendications suivantes sont invalides :
Les revendications 1, 2, 5, 8, 13 et 14 sont antérieures.
Les revendications 1, 2, 5, 6, 8, 13, 14, 16, 25 et 26 sont évidentes.
Les dépens sont adjugés à la défenderesse. Les parties auront deux semaines à partir de la date du jugement pour s’entendre sur les dépens ou pour déposer séparément des observations écrites n’excédant pas dix pages.
Traduction certifiée conforme
Ce 4e jour d’août 2020
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-300-16
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INTITULÉ :
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THE REGENTS OF THE UNIVERSITY OF CALIFORNIA ET TEARLAB CORPORATION c. I-MED PHARMA INC.
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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MONTRÉAL (QUÉBEC)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Du 4 AU 8 décembre 2017
LES 11, 12 ET 14 DÉCEMBRE 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE MANSON
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DATE DES MOTIFS :
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Le 12 février 2018
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COMPARUTIONS :
Patrick Smith
Emilie Feil-Fraser
Scott Foster
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POUR LA DEMANDERESSE
TEARLAB CORPORATION
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Daniel Davies
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Pour la demanderesse
THE REGENTS OF THE UNIVERSITY OF CALIFORNIA
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Brian Daley
Vanessa Rochester
Nikita Stepin
Jonathan Chong
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POUR LA DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
GOWLING WLG (CANADA) LLP
Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LA DEMANDERESSE
TEARLAB CORPORATION
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SMART & BIGGAR
Ottawa (Ontario)
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Pour la demanderesse
THE REGENTS OF THE UNIVERSITY OF CALIFORNIA
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NORTON ROSE FULBRIGHT
Montréal (Québec)
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POUR LA DÉFENDERESSE
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