Date : 20180223
Dossier : 17-T-62
Référence : 2018 CF 204
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 23 février 2018
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
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JOSEPH STEPHEN ROOKE
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1]
La présente requête est un appel interjeté en application du paragraphe 51(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles), d’une ordonnance du 4 décembre 2017 par la protonotaire Tabib (ordonnance) qui a rejeté la requête du demandeur visant à annuler les frais judiciaires associés au dépôt de sa déclaration.
[2]
La protonotaire a conclu que le demandeur, Joseph Stephen Rooke, n’avait pas donné suffisamment de détails sur sa situation financière pour établir son incapacité à payer les droits de dépôt applicables. Pour les motifs qui suivent, je conclus que rien ne justifie de modifier l’ordonnance de la protonotaire.
I.
Résumé des faits
[3]
M. Rooke a tenté de déposer un dossier de requête le 25 septembre 2017 pour chercher à obtenir, entre autres, une requête en autorisation de recours collectif ainsi que l’octroi d’une dispense des droits de dépôt relativement à sa requête. Toutefois, M. Rooke n’a présenté aucun élément de preuve de la signification du dossier de sa requête, et il n’existait aucune instance dans laquelle le déposer. Par conséquent, le 27 septembre 2017, le juge Southcott a ordonné que le greffe renvoie à M. Rooke son dossier de requête, en précisant qu’il pouvait introduire une action en déposant une déclaration. Le juge Southcott a de plus indiqué que lorsque M. Rooke présenterait sa déclaration au greffe aux fins de dépôt, il pourrait aussi fournir une lettre qui explique toute demande de dispense des droits de dépôt.
[4]
M. Rooke a alors tenté de déposer une déclaration, à laquelle il a joint une courte lettre dans laquelle il indiquait qu’il était sans emploi et qu’il percevait une [TRADUCTION] « petite pension mensuelle non indexée »
. Il a aussi indiqué qu’il était en plein déménagement et qu’il engagerait des dépenses y afférentes.
[5]
Le 12 octobre 2017, la protonotaire a donné des instructions pour que la lettre de M. Rooke ne soit pas examinée comme demande informelle et qu’une requête, sur demande, était requise. La protonotaire a constaté que la demande de M. Rooke était dans tous les cas accompagnée de documents inadéquats et insuffisants.
[6]
En réponse, le 20 octobre 2017, M. Rooke a de nouveau présenté sa lettre pour obtenir une dispense des droits, et a ajouté la mention manuscrite suivante : [TRADUCTION] « Mon revenu s’élève à environ 2 443 $ par mois. J’ai besoin d’instructions. »
[7]
La protonotaire a réitéré ses instructions précédentes, précisant que la Cour avait exercé son pouvoir discrétionnaire d’exiger une requête officielle, et que M. Rooke avait, dans tous les cas, omis de satisfaire aux exigences de l’Avis aux parties et à la communauté juridique du 25 août 2017 de la Cour fédérale, qui s’applique aux demandes informelles en redressement interlocutoire.
[8]
Par une lettre en date du 7 novembre 2017, M. Rooke a demandé à ce que la protonotaire Tabib revoie ses instructions, ou les émette sous forme d’ordonnance. M. Rooke s’est appuyé sur i) les instructions du juge Southcott qui suggéraient à M. Rooke d’exposer sa demande dans une lettre, ii) son revenu mensuel, qu’il a dit s’élever à 2 443 $ par mois, et iii) ce que M. Rooke a décrit comme l’absence de directives dans les Règles sur la question d’une dispense des droits.
[9]
En réponse, la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire pour traiter la demande informelle de M. Rooke comme une requête. La protonotaire a réexaminé ses instructions précédentes et a rejeté la demande (traitée comme une requête) de M. Rooke. Cette ordonnance fait l’objet du présent appel.
[10]
Quant au fait que M. Rooke s’est appuyé sur les instructions du juge Southcott, la protonotaire a conclu aux pages 3 et 4 de son ordonnance :
[TRADUCTION]
Le fait qu’un juge ou qu’un protonotaire ait, par une instruction, proposé un instrument procédural pour obtenir un redressement de la Cour ne garantit pas que le redressement sera accordé, ou que le fonctionnaire judiciaire saisi de la demande conclura que les documents présentés sont suffisants pour se prononcer à bon droit sur la question. Dans le cas de la demande de M. Rooke, la Cour a examiné les documents et n’a pas conclu qu’ils étaient suffisants pour accorder le redressement demandé.
La jurisprudence est claire sur le fait que pour octroyer une dispense des droits de dépôt, les plaideurs doivent décrire leur situation financière en détail, y compris les sources de financement possibles, les actifs et les dépenses, pour établir non seulement leur indigence, mais que l’obligation de payer des droits de dépôt l’empêcherait d’engager une action ayant raisonnablement des chances de succès devant la Cour (Fabrikant. Canada (Procureur général), 2014 CAF 89 et Fabrikant c Canada, 2017 CF 576).
[11]
La protonotaire a aussi expliqué à M. Rooke la raison pour laquelle la Cour est limitée dans sa capacité à conseiller les plaideurs, et que plusieurs demandes ne corrigent pas une erreur procédurale :
[TRADUCTION]
La Cour doit demeurer indépendante et impartiale. Elle ne peut pas fournir de conseils juridiques aux parties ni indiquer les éléments de preuve qu’elles doivent produire pour avoir gain de cause dans une requête. Il incombe aux parties de solliciter des conseils juridiques indépendants ou de s’informer sur les critères à respecter pour obtenir le redressement qu’elles cherchent. En outre, il ne convient pas que l’on accorde à des parties plusieurs tentatives pour obtenir un résultat escompté en peaufinant leurs documents jusqu’à ce qu’ils soient jugés suffisants. Malheureusement, M. Rooke a omis de saisir l’occasion que la Cour lui a donnée pour éviter le rejet pur et simple de sa requête en présentant des éléments de preuve meilleurs et plus exhaustifs au moyen d’une requête officielle.
[12]
La protonotaire a fait remarquer que ses directives précédentes constituaient une occasion pour M. Rooke d’améliorer et d’accumuler ses éléments de preuve, ce qu’il a refusé de faire.
[13]
À la fin, la protonotaire a conclu que M. Rooke n’avait pas réussi à étayer sa présumée indigence et qu’il n’avait pas donné suffisamment de détails quant à ses actifs, à ses dépenses ou à des sources alternatives de financement. La protonotaire a conclu que la pension de M. Rooke était à première vue suffisante pour lui permettre de payer les droits de dépôt concernés, et que ce fait était déterminant dans sa requête.
II.
Norme de contrôle
[14]
La décision d’un protonotaire est examinée suivant l’arrêt Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33. Les conclusions de fait sont examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, alors que les questions de droit ou mixtes de fait et de droit comportant un principe juridique qu’il est possible de dégager sont examinées en fonction d’une norme de la décision correcte (voir Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, au paragraphe 79; Fabrikant c Canada, 2017 CF 1115, aux paragraphes 19 à 22 [Fabrikant, 2017 (le juge Harrington)]).
[15]
En outre, une décision relativement à une demande de dispense des droits est de nature discrétionnaire (Fabrikant c Canada (Procureur général), 2017 CF 576, au paragraphe 5 [Fabrikant, 2017 (la juge Gagné)]). Même si un juge ou un protonotaire différent peut avoir exercé différemment son pouvoir discrétionnaire, ce n’est pas suffisant pour justifier une intervention (Fabrikant c Canada, 2015 CAF 53, au paragraphe 12).
III.
Discussion
[16]
Aux termes de l’article 19 des Règles et du Tarif A, une partie doit verser 150 $ au greffe pour le dépôt d’une déclaration. Si une partie souhaite que la Cour renonce à ces droits, les Règles ne prévoient aucune procédure précise pour le faire. Une partie cherchant une dispense des droits doit par conséquent déposer une requête préliminaire, notamment une requête qui demande une dispense des droits présentée avant le début de la poursuite proposée. Une telle requête n’entraîne pas de droits à payer (Fabrikant, 2017 (le juge Harrington), au paragraphe 6).
[17]
Toutefois, une partie peut au lieu présenter une lettre aux fins d’examen par la Cour au moment où elle tente de déposer sa déclaration, comme le juge Southcott l’a indiqué dans ses directives du 25 septembre 2017. Dans certains cas, la Cour peut tenir compte d’une telle lettre et octroyer une dispense des droits de dépôt, en fonction de toutes les circonstances, y compris le caractère suffisant de tous les éléments de preuve présentés. Cependant, la Cour a toujours le pouvoir discrétionnaire d’exiger une requête officielle préliminaire. Comme la protonotaire l’a indiqué à la page 3 de son ordonnance, il relève du juge ou du protonotaire finalement saisi de la requête de conclure que les documents présentés lui permettront de se prononcer à bon droit sur la question. En l’espèce, la protonotaire a ordonné à M. Rooke de déposer une requête officielle. À son propre détriment, M. Rooke a insisté pour que sa demande soit examinée en la forme présentée.
[18]
Le pouvoir de la Cour d’examiner une requête de dispense des droits découle de l’article 55 des Règles qui autorise la Cour, dans des « circonstances spéciales »
, à modifier une règle ou à exempter une partie ou une personne de son application (Fabrikant c Canada, 2014 CAF 89, aux paragraphes 2 à 5 [Fabrikant 2014]; Fabrikant 2017 (le juge Harrington) au paragraphe 6).
[19]
Vu cette exigence relative à l’existence de « circonstances spéciales »
, rares sont les cas où la Cour assouplit cette exigence d’acquitter des droits (Fabrikant 2014, au paragraphe 8). La Cour ne devrait même pas songer à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à moins de circonstances exceptionnelles (Fabrikant 2017 (le juge Harrington), au paragraphe 27). Une partie doit avoir des éléments de preuve détaillés et crédibles qui donnent les détails de sa situation financière et qui indiquent les sources de financement, les actifs et les dépenses (Fabrikant 2014, aux paragraphes 10 et 11).
[20]
En raison de ces restrictions contenues dans la jurisprudence, la protonotaire a fait observer à juste titre, aux pages 3 et 4 de son ordonnance, qu’une partie qui cherche à obtenir l’octroi d’une dispense des droits doit établir son indigence et que l’obligation de payer des droits de dépôt l’empêcherait d’engager une action ayant raisonnablement des chances de succès (voir aussi Fabrikant 2017 (la juge Gagné), au paragraphe 5).
[21]
Après examen du dossier de requête et des observations des parties, je conclus que la protonotaire Tabib n’a pas commis d’erreur de fait ou de droit. M. Rooke n’a pas donné les détails de sa situation financière et n’a présenté aucun élément de preuve à cet égard, à l’exception de sa déclaration manuscrite relativement à sa pension mensuelle de 2 443 $. Compte tenu de la jurisprudence applicable, la protonotaire a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en rejetant la requête de M. Rooke.
[22]
M. Rooke soutient que parce qu’il se représente lui-même, la protonotaire avait l’obligation de lui indiquer les autres renseignements qu’il devait produire, ou de lui accorder plus de temps pour étayer son dossier.
[23]
La protonotaire n’avait nullement cette obligation. M. Rooke doit respecter les Règles, même s’il se représente lui-même (voir MacDonald c Canada (Procureur général), 2017 CF 2, aux paragraphes 29 et 30 [MacDonald]; Boulet c Canada (Procureur général), 2014 CF 577, au paragraphe 5 [Boulet]). Comme la protonotaire l’a fait remarquer à juste titre dans son ordonnance, le fait de se représenter introduit l’obligation de se renseigner soi-même (voir Exeter c Canada (Procureur Général), 2016 CAF 234, au paragraphe 12 [Exeter]; MacDonald, aux paragraphes 30 à 33).
[24]
De plus, pour les raisons exposées par la protonotaire, la Cour est limitée dans les conseils qu’elle peut offrir aux parties se représentant elles-mêmes, comme M. Rooke. Dans le présent appel, M. Rooke renvoie à des renseignements trouvés sur le site Web de la Cour fédérale. Toutefois, dans ces documents trouvés sur le site Web, la Cour est très claire à ce sujet. Par exemple, dans « Information sur les services du greffe pour aider les parties qui se représentent elles-mêmes »
(juillet 2008) (https://www.fca-caf.gc.ca/fca-caf_fra/registry-greffe_fra/self-representation_fra.html), il est clair que le greffe ne peut pas donner de conseils juridiques ou stratégiques. Il ne peut ni donner des directives sur la façon d’introduire une instance, ni suggérer les mots à utiliser dans les observations, ni donner des conseils quant au caractère suffisant des documents judiciaires.
[25]
Bref, le greffe comme la Cour doivent être équitables et impartiaux envers tous, et ne pas accorder une aide personnalisée à une partie (Boulet, au paragraphe 6). Agir autrement serait incompatible avec le rôle de décideur indépendant et impartial de la Cour (Exeter, aux paragraphes 10 à 12). En effet, si la protonotaire avait conseillé M. Rooke comme il le propose, cela serait l’équivalent à le conseiller sur la façon de prouver le bien-fondé de son affaire, ce qui n’est pas le rôle de la Cour.
IV.
Conclusion
[26]
L’ordonnance de la protonotaire ne comporte pas d’erreur de fait ou de droit. L’appel est rejeté.
V.
Dépens
[27]
Les défendeurs demandent qu’on leur adjuge leurs dépens, ce qui est compréhensible. Toutefois, après examen de toutes les circonstances, y compris la situation précaire dans laquelle se trouve M. Rooke, il n’y aura aucune adjudication de dépens – cette fois-ci.
[28]
Pour qu’il le sache clairement, je préviens M. Rooke qu’il assume la totalité des risques liés aux adjudications de dépens contre lui à l’avenir, qu’il s’agisse d’affaires interlocutoires ou procédurales comme c’est le cas de la présente requête, ou qu’il s’agisse de la décision concernant une poursuite. Les dépens constituent un risque inévitable dans les litiges, et même les parties qui se représentent elles-mêmes, comme M. Rooke, courent toujours ce risque.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER 17-T-62
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
Le présent appel est rejeté.
Aucuns dépens ne sont accordés.
« Alan S. Diner »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 24e jour de septembre 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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17-T-62
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INTITULÉ :
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JOSEPH STEPHEN ROOKE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE DINER
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DATE DES MOTIFS :
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Le 23 février 2018
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OBSERVATIONS ÉCRITES :
Joseph Stephen Rooke
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Pour le demandeur
POUR SON PROPRE COMPTE
|
Sanam Goudarzi
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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