Date : 20180228
Dossier : T-1415-16
Référence : 2018 CF 224
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 28 février 2018
En présence de madame la juge Elliott
ENTRE :
|
AYUSHEE TOMAR
|
demanderesse
|
et
|
AGENCE PARCS CANADA
|
défenderesse
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La demanderesse, Ayushee Tomar, (Mme Tomar), une employée de la défenderesse, l’Agence Parcs Canada (Parcs Canada), sollicite la révision en application de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A-1 (la LAI) de l’omission alléguée par Parcs Canada de divulguer tous les dossiers correspondant à ses demandes d’accès à l’information présentée aux termes de l’article 6 de la LAI. Mme Tomar s’est représentée elle-même pour toute la durée de la procédure ci-dessous et devant la Cour. Elle demande également que lui soient adjugés des dépens.
[2]
Mme Tomar était employée du bureau de la rémunération de Calgary à titre de conseillère en rémunération. Elle a demandé à pouvoir consulter certaines décisions concernant les ressources humaines prises entre 2007 et 2014 et liées à son travail à Parcs Canada. Cela s’est fait au moyen d’une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP). Sa préoccupation fondamentale est qu’on lui a refusé l’accès aux documents intégraux, en ce sens que les documents pertinents n’ont pas tous été divulgués. Elle croit que d’autres documents pertinents devraient exister parce que [traduction] « [l]es documents demandés devraient faire partie d’un processus standard afin qu’il soit juste et transparent »
.
[3]
Plus précisément, Mme Tomar sollicite un accès à des dossiers non divulgués à l’égard de chacune des six questions suivantes :
- Les notes et dossiers d’évaluation de la nomination au mérite de D. Walker en septembre 2014;
- La correspondance entre tous les gestionnaires concernés pour la manifestation d’intérêt concernant le poste de gestionnaire intérimaire de la rémunération et des avantages sociaux, Calgary, date de fermeture – le 17 septembre 2014;
- L’ensemble de la correspondance concernant la prolongation de l’affectation intérimaire de T. Helten en mars 2013 et le refus de la demande de Mme Tomar;
- L’ensemble de la correspondance concernant le refus de la demande d’examen de Mme Tomar aux fins d’une affectation, mais, parallèlement, la prolongation de l’affectation d’un autre conseiller au sein de l’unité de rémunération;
- L’ensemble de la correspondance où l’on n’a pas tenu compte de Mme Tomar pour l’affectation en matière d’intégrité des données de PeopleSoft en juillet 2012, et, lorsque Mme Tomar a manifesté son désaccord avec la décision, le fractionnement de l’affectation entre eux.
- Les discussions et les courriels entre les gestionnaires concernés au moment de changer la nomination initiale de Mme Tomar en juillet 2007 d’un niveau AS-02 à AS-01, et, dans le cadre de ces échanges :
- les noms des personnes désignées tirés de la liste d’admissibilité avant sa nomination;
- tout dossier visant à démontrer que l’on a demandé à des candidats antérieurs de commencer au niveau AS‑01; même si le critère d’admissibilité du processus de sélection était au niveau AS‑02, il y a eu une entrevue et un test écrit;
- le motif de la prolongation du traitement spécial à l’endroit de Mme Tomar et non à l’endroit d’autres candidats choisis.
[4]
La réparation que souhaite obtenir Mme Tomar est [traduction] « une ordonnance visant à autoriser la demanderesse à accéder aux dossiers complets »
, en réponse à sa demande pour chacun des six processus qu’elle a exposés.
[5]
De plus, Mme Tomar croit, en fonction d’une partie des notes manuscrites qui indiquent [traduction] « Propose-nous un plan si Ayushee s’en va »
, que la direction de Parcs Canada pourrait avoir tenté d’obtenir sa démission. Elle souhaite obtenir plus de renseignements relativement à cette conviction.
[6]
Les extraits de la législation citée aux présentes figurent à l’annexe ci-jointe.
II.
Exposé des faits
[7]
Avant la demande d’AIPRP, une plainte de harcèlement a été déposée par Mme Tomar le 28 novembre 2014 auprès de la directrice des ressources humaines du bureau de Calgary (directrice intérimaire des RH) en ce qui concerne un projet PeopleSoft. Une enquête exhaustive de la plainte a été menée par deux personnes de The Ancien Group Inc., qui ont interrogé, en plus de Mme Tomar et de la directrice intérimaire des RH, 12 témoins au total (employés et anciens employés), dont deux étaient considérés comme des experts en la matière indépendants. Un rapport de 35 pages, comportant 208 paragraphes, a été produit par les enquêteurs.
[8]
Le présent résumé du rapport d’enquête de harcèlement (le rapport) décrit la nature des diverses plaintes. Comme les événements sous-jacents sont devenus par la suite l’objet de la demande d’AIPRP, le rapport fournit d’autres renseignements généraux visant à aider à comprendre les demandes d’AIPRP de Mme Tomar. Dans le rapport, la directrice intérimaire des RH est désignée comme la défenderesse. Les résultats de l’enquête sont paraphrasés ci-dessous avec les conclusions en retrait, sous chaque plainte :
[traduction]
1. La plaignante allègue que la défenderesse lui a refusé une occasion de travailler sur un projet PeopleSoft, puis lui a permis de partager le projet avec un collègue. Ensuite, on a donné à son collègue des heures supplémentaires, puis on l’a retirée (la plaignante) du projet avant que le délai qui lui était imparti se soit écoulé.
Aucun comportement inapproprié n’a été établi et l’allégation n’était étayée par aucun fait.
2. La plaignante allègue qu’on lui a refusé une affectation en raison des exigences opérationnelles, mais son collègue a obtenu une prolongation de l’affectation intérimaire au cours de la même période.
Aucun comportement inapproprié n’a été établi et l’allégation n’était étayée par aucun fait.
3. La plaignante allègue que la défenderesse :
1) a été témoin du harcèlement et qu’elle ne l’a pas empêché, puis elle a omis de le traiter lorsqu’il lui a été signalé;
La preuve n’a pas permis d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les commentaires allégués avaient été faits et que la directrice intérimaire des RH en avait été témoin. Cette partie de l’allégation n’est pas étayée.
2) a omis de corriger le comportement inapproprié ou perturbateur, dans l’ensemble, de Mme Carlin et l’a fait taire (la plaignante) lorsqu’elle a soulevé ses préoccupations à ce propos au cours d’une réunion;
Il n’y a aucune preuve selon laquelle la directrice intérimaire des RH était au courant du comportement perturbateur jusqu’à ce qu’il soit soulevé au cours d’une réunion en 2014. Il n’y a aucune preuve selon laquelle la directrice intérimaire des RH a fait taire la plaignante ou qu’elle a été irrespectueuse. La personne a abordé les préoccupations liées au bruit dont elle était au courant. Aucun comportement inapproprié n’a été établi.
3) sans consultation ou avertissement, a fait défaut de la considérer au cours de la rotation des affectations intérimaires et l’affectation a été donnée à Mme Walker.
Aucune rotation n’était établie pour les affectations intérimaires et les dossiers de paie indiquent que la plaignante a reçu sa juste part de jours d’affectation intérimaire. Aucun comportement inapproprié n’a été établi.
4) La plaignante allègue que la défenderesse a nommé Mme Walker à une affectation intérimaire injustement et sans procédure équitable.
Le mode de sélection fondé sur le mérite individuel était approprié, mené adéquatement et il n’y a eu aucune faute de la part de la directrice intérimaire des RH à ce sujet. La plainte selon laquelle le processus était injuste n’est pas étayée.
Il a également été conclu que trois plaintes subsidiaires liées au processus n’étaient pas étayées.
[9]
Le rapport ne portait pas sur la nomination initiale de Mme Tomar en 2007 à un poste à Parcs Canada, puisqu’elle ne faisait pas partie de sa plainte de harcèlement.
A.
La demande d’accès à l’information
[10]
Le 5 janvier 2015, Mme Tomar a présenté la demande d’AIPRP au Bureau de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de Parcs Canada. La coordonnatrice de l’AIPRP de Parcs Canada (coordonnatrice de l’AIPRP) a acheminé la demande au dirigeant principal des ressources humaines de la Direction des ressources humaines et au vice‑président de l’Ouest et du Nord canadien à Parcs Canada.
[11]
Dans sa réponse à Mme Tomar, la coordonnatrice de l’AIPRP a caviardé certains des documents en application du paragraphe 19(1) de la LAI qui exige que certains renseignements personnels soient exemptés de communication, selon la définition contenue dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 (Loi sur la protection des renseignements personnels) et elle lui a divulgué les autres renseignements. La communication a eu lieu le 3 mars 2015.
[12]
Après avoir examiné les documents qu’elle a reçus le 3 mars 2015, Mme Tomar a conclu qu’ils n’étaient pas entièrement éclairants. Elle a laissé un message vocal à la coordonnatrice de l’AIPRP, qui a ensuite rencontré un représentant de la Direction des ressources humaines. Au cours d’une deuxième recherche, d’autres documents ont été trouvés qui ont été divulgués à Mme Tomar le 11 mars 2015.
[13]
Après avoir examiné les documents supplémentaires, Mme Tomar croyait toujours que les documents, qui auraient dû faire partie d’un dossier de dotation, ne lui avaient pas été communiqués. Mme Tomar a envoyé un autre courriel à la coordonnatrice de l’AIPRP, le 12 mars 2015, qui permettait de clarifier les documents demandés. Selon le point de vue de Mme Tomar, 90 % des documents envoyés étaient de la correspondance initiée par elle. Les éclaircissements ont offert des exemples détaillés des renseignements qu’elle demandait dans chacune des six questions.
[14]
Le 16 mars 2015, Mme Tomar a été informée dans un courriel de la coordonnatrice de l’AIPRP que sa demande initiale était assez claire depuis le début. Comme elle avait maintenant fourni les renseignements supplémentaires visés à l’origine dans sa demande, la coordonnatrice de l’AIPRP devait effectuer un suivi auprès des responsables du programme. Mme Tomar a répondu qu’elle n’avait pas demandé de renseignements supplémentaires. À l’époque, elle a également demandé que sa demande de renseignements soit accélérée, puisque deux mois s’étaient écoulés depuis sa demande initiale.
[15]
La coordonnatrice de l’AIPRP, ayant rencontré une fois de plus les Ressources humaines et le directeur, Gestion du milieu de travail et des systèmes de données, a confirmé à Mme Tomar, le 30 mars 2015 qu’aucun autre document n’avait été repéré et que les responsables du programme avaient mené une recherche exhaustive. Mme Tomar a été avisée de son droit de se plaindre auprès du Commissariat à l’information du Canada (le CIC).
B.
Plainte au Commissariat à l’information du Canada
[16]
Le 12 avril 2015, Mme Tomar a déposé une plainte auprès du CIC alléguant qu’il devrait exister d’autres dossiers. Le 9 juillet 2015, Mme Tomar a confirmé auprès du CIC qu’elle souhaitait également se plaindre des exceptions appliquées par Parcs Canada. Le CIC a donc ouvert deux dossiers pour Mme Tomar – un pour l’exception et un pour les dossiers manquants.
[17]
En ce qui concerne le dossier sur l’exception, à la suite de discussions avec Parcs Canada, le CIC estimait que Parcs Canada avait caviardé un plus grand nombre de passages qu’il n’était justifié ou nécessaire de le faire. Le 21 mars 2016 et le 22 juin 2016, à la suite des recommandations du CIC, Parcs Canada a communiqué à Mme Tomar des documents auparavant retenus.
[18]
Le 5 juillet 2016, le CIC a publié ses rapports sur les deux dossiers.
[19]
En ce qui concerne le dossier de l’exception, le CIC a conclu que la plainte était bien fondée, mais qu’elle était réglée puisque les documents auparavant retenus avaient été remis à Mme Tomar.
[20]
Le CIC a examiné les autres refus. Il était convaincu que les renseignements encore retenus comportaient des renseignements sur des personnes identifiables autres que Mme Tomar et qu’ils relevaient de la portée de l’exception liée à la divulgation du paragraphe 19(1) de la LAI.
[21]
Le CIC a examiné par la suite si l’une des trois conditions établies au paragraphe 19(2), qui permettrait une communication discrétionnaire de renseignements personnels, s’appliquait. Le CIC était convaincu qu’aucune de ces conditions ne s’appliquait et que la plainte était réglée.
[22]
Quant à la question de savoir si des documents supplémentaires devraient exister, le CIC a conclu qu’après les recherches supplémentaires quant aux dossiers, il était convaincu que Parcs Canada avait mené des recherches raisonnables et qu’aucun autre dossier ne pouvait être repéré. Le CIC a décidé que la plainte relative aux dossiers manquants n’était pas fondée.
[23]
Au moment d’arriver à cette conclusion, le CIC a noté que trois recherches avaient été menées par Parcs Canada et que, le 11 mars 2015, avant que Parcs Canada communique avec le CIC, un autre dossier de 31 pages avait été remis à Mme Tomar. Lorsque le CIC a commencé à s’impliquer, il a confirmé auprès de Parcs Canada que les secteurs des Ressources humaines et des Opérations dans la région de l’Ouest et la région de la capitale nationale avaient participé à la recherche des dossiers.
[24]
Le CIC a traité expressément la conviction de Mme Tomar selon laquelle il devrait y avoir des dossiers liés à son embauche initiale en 2007 et sa conviction selon laquelle le poste avait été reclassifié de AS-02 à AS-01. Selon l’information que le CIC a reçue de Parcs Canada, il n’existait aucun document de reclassification pour le poste parce que, à cette période, le poste n’avait pas fait l’objet d’une reclassification.
[25]
Au moment de décider que la plainte relative aux dossiers manquants n’était pas fondée, le CIC a également examiné la lettre d’offre envoyée à Mme Tomar en date du 4 juillet 2007. La lettre indique ce qui suit : [traduction] « Comme nous en avons discuté, étant donné que vous n’avez pas encore terminé votre formation de perfectionnement, vous serez nommée à un poste de conseillère en rémunération 1, au groupe et au niveau AS-01 »
.
[26]
Le CIC a informé Mme Tomar de son droit de demander à la Cour d’examiner les décisions de Parcs Canada, ce qu’elle a fait.
III.
Questions en litige
[27]
Dans son mémoire des faits et du droit, Mme Tomar mentionne cinq points en litige qu’elle reformule comme suit :
[TRADUCTION]
Elle n’a reçu qu’une copie non datée du dossier d’évaluation de Mme Walker et elle n’a pas reçu son propre rapport ou ses notes d’évaluation;
Sa lettre d’offre de 2007 de Parcs Canada visait un poste de niveau AS‑02. Elle a démissionné de son poste précédent, puis elle a reçu une lettre modifiée pour un poste AS‑01, parce qu’elle ne satisfaisait pas aux qualifications du poste;
Une note manuscrite du 4 septembre 2014 de Mme Parent indiquait ce qui suit : [traduction]
« Propose-nous un plan si Ayushee s’en va »
et aucune documentation n’a été fournie indiquant la raison pour laquelle la note avait été rédigée et les autres personnes présentes informant Mme Parent au moment où la note a été rédigée;Mme T. Helten a obtenu une prolongation de son affectation intérimaire alors que l’affectation de Mme Tomar a pris fin, et on n’a fourni à Mme Tomar aucune documentation à l’appui quant à la raison pour laquelle cette décision a été prise;
De façon similaire à la question 4, aucune documentation à l’appui n’a été reçue quant à la raison pour laquelle le gestionnaire de la rémunération a refusé d’appuyer Mme Tomar aux fins d’une nomination alors que parallèlement, il offrait une affectation intérimaire à Mme T. Helten.
[28]
Mme Tomar a ensuite demandé une ordonnance permettant d’apporter des précisions quant à la nature de l’ordonnance qu’elle a sollicitée dans l’avis de demande. En plus de demander que soit accueillie la demande avec dépens, Mme Tomar sollicite ce qui suit :
- Un examen de la décision par le CIC datée du 5 juillet (le mémoire indique le 25 juillet, ce qui est vraisemblablement une erreur typographique);
- Qu’une ordonnance soit rendue à l’égard de Parcs Canada, conformément à l’article 50 de la LAI pour que soient divulgués des notes, des courriels et tout autre renseignement menant à la décision administrative de 2007 concernant le traitement différentiel et discriminatoire à son égard (que je prends comme un renvoi à la classification AS-02 par rapport à la classification AS-01 de son emploi initial);
- La diffusion des renseignements conformément à l’article 50 de la LAI visant à démontrer les plans de la direction en vue de créer une situation incitant Mme Tomar à quitter son emploi, révélant ainsi les réelles intentions de la direction.
[Paraphrasé]
[29]
Parcs Canada indique que la seule question à trancher consiste à savoir si la Cour peut ordonner à Parcs Canada de mener une autre recherche de dossiers qui n’existent pas, selon elle. Parcs Canada indique expressément que Mme Tomar n’a pas contesté les exceptions invoquées par Parcs Canada. En ce qui concerne les passages caviardés, Parcs Canada a déposé devant la Cour un affidavit confidentiel des copies non caviardées des documents caviardés envoyés à Mme Tomar.
[30]
Je suis d’accord avec le fait qu’on ne sait pas trop si Mme Tomar conteste la légitimité des exceptions visées à l’article 19 demandées par Parcs Canada. Cependant, en tenant compte du fait qu’elle se représente elle-même et des références à l’article 50 de la LAI ainsi que du fait qu’un des rapports du CIC a abordé les exceptions invoquées Parcs Canada, j’examinerai le fait que l’une des questions de Mme Tomar est de savoir si une exception visée par le paragraphe 19(1) de la LAI a été invoquée à juste titre par Parcs Canada. En agissant ainsi, je reconnais tout à fait que Parcs Canada estime que Mme Tomar ne conteste pas les exceptions invoquées par Parcs Canada.
[31]
À mon avis, selon les faits et les arguments des parties, deux questions sont soulevées :
La question de savoir si la Cour devrait ordonner une autre divulgation par Parcs Canada parce qu’elle n’a pas de motifs raisonnables de refuser de divulguer les dossiers ou une partie des dossiers en raison de la présence de renseignements personnels au dossier;
La question de savoir si la Cour a la compétence pour ordonner à Parcs Canada de mener une autre recherche des dossiers et, si une telle compétence existe, si une autre recherche devrait être ordonnée.
IV.
Norme de contrôle
[32]
La norme de contrôle du refus du responsable d’une institution fédérale de divulguer des dossiers pertinents en raison d’un dossier comportant des renseignements personnels est celle de la décision correcte. Le dossier relève de l’exception de divulgation ou non : Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, au paragraphe 19, [2003] 1 RCS 66; Alliance de la fonction publique du Canada c Canada (Procureur général) 2011 CSC 25, aux paragraphes 21 et 22, [2011] 2 RCS 306.
[33]
Un examen de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du refus de communiquer des renseignements exclus est assujetti à l’examen du caractère raisonnable : Blank c Canada (Justice), 2016 CAF 189, au paragraphe 24, 7 Admin LR (6th) 30 [Blank 2016].
[34]
Dans le cadre d’un examen de la norme de la décision correcte, la cour de révision ne fait pas preuve de retenue à l’égard du raisonnement du décideur. La cour entreprend sa propre analyse de la question et décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. Si la cour est en désaccord, elle fournira la bonne réponse : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir].
[35]
Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Les motifs, pris dans leur ensemble, « répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »
: Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708.
V.
Discussion
A.
Parcs Canada avait-elle des motifs suffisants pour refuser de divulguer les dossiers ou une partie des dossiers à Mme Tomar en raison de la présence de renseignements personnels?
[36]
En ce qui concerne le contrôle judiciaire de la décision de Parcs Canada de continuer à caviarder certaines parties des documents, le rôle de la Cour, aux termes de l’article 41, est limité à décider si, conformément aux articles 48 et 49 de la LAI, une exclusion valide et un refus raisonnable de divulguer un dossier, ou une partie d’un dossier, ont été établis par l’institution fédérale. L’article 48 de la LAI impose sur l’institution fédérale le fardeau de démontrer qu’elle est autorisée à refuser de divulguer le dossier ou une partie du dossier.
[37]
Conformément à l’article 19 de la LAI, certains dossiers divulgués à Mme Tomar ont été caviardés par la coordonnatrice de l’AIPRP en ce qui concerne les renseignements personnels. Mme Tomar s’est plainte auprès du CIC du fait que les exceptions étaient inappropriées. À la suite des interventions par le CIC, Parcs Canada a transmis les dossiers supplémentaires à Mme Tomar le 21 mars 2016 et le 22 juin 2016.
[38]
Le rapport du CIC à Mme Tomar, en ce qui concerne les exceptions visées au paragraphe 19(1), indique que le CIC a [traduction] « examiné et analysé en profondeur tous les dossiers requis aux termes du paragraphe 19(1) »
et, à la suite de la communication des documents supplémentaires à Mme Tomar, le CIC estimait que les renseignements qui demeuraient retenus relevaient de la portée de l’exception prévue au paragraphe 19(1) puisqu’ils comportaient des renseignements personnels sur des personnes identifiables autres que Mme Tomar.
[39]
Le CIC s’est ensuite penché sur la question de savoir si l’une des conditions établies au paragraphe 19(2), qui permettrait une communication discrétionnaire des renseignements expurgés, était présente. Le CIC était convaincu que les conditions ne s’appliqueraient pas. Par conséquent, le CIC a conclu que, même si la plainte était fondée, elle a été résolue lorsque les documents supplémentaires ont été divulgués à Mme Tomar.
[40]
La Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de l’expertise du CIC et aux enquêtes qu’il mène. Le mécanisme de surveillance principal de la LAI a été donné au CIC par le législateur, réservant à la Cour uniquement le pouvoir d’ordonner un accès à un dossier particulier lorsque l’accès a été refusé, contrairement aux dispositions de la LAI : Blank 2016, aux paragraphes 15 et 36.
[41]
À mon avis, selon mon examen du contenu des passages caviardés dans les 23 pages fournies par Parcs Canada, il est clair que les renseignements caviardés sont des renseignements personnels (au sens de la définition de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels) concernant des personnes autres que Mme Tomar. Il est également clair que les renseignements caviardés n’entrent dans aucune des trois catégories établies aux termes du paragraphe 19(2) de la LAI. Les renseignements ne sont pas accessibles au public, aucun consentement n’a été obtenu quant à leur communication et aucune des dispositions de l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique afin de permettre une communication discrétionnaire.
[42]
En tenant compte de la retenue dont doit faire preuve la Cour à l’égard du CIC et la nature des renseignements personnels que comportent les dossiers caviardés, je suis d’avis que Parcs Canada a eu raison de conclure que les renseignements caviardés étaient des renseignements personnels. Je suis également d’avis que, pour les motifs déjà exposés, le CIC s’est acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il a raisonnablement refusé de communiquer les renseignements personnels caviardés.
B.
La Cour a-t-elle la compétence d’ordonner à Parcs Canada de mener une autre recherche des dossiers et, si une telle compétence existe, une autre recherche devrait-elle être ordonnée?
[43]
Parcs Canada a mené trois recherches afin de trouver les dossiers. Le CIC a mené une enquête concernant l’allégation de Mme Tomar selon laquelle des dossiers étaient toujours manquants et il a déterminé que l’allégation n’était pas fondée. Quoi qu’il en soit, Mme Tomar croit toujours qu’il existe des dossiers qui devraient lui être communiqués. Mis à part sa conviction, il n’existe aucune preuve que d’autres dossiers existent.
[44]
Malheureusement, le dossier de la Cour ne contient pas les copies de tous les documents communiqués. Mme Tomar a déposé en preuve certains documents, et Parcs Canada n’a soumis que les documents qui comportaient des passages caviardés, à l’exception de ceux où seulement les numéros de téléphone étaient caviardés.
[45]
Une déclaration indiquant qu’un dossier n’existe pas n’est pas un refus de communiquer un dossier. De même, un simple soupçon ou une conviction qu’un dossier existe ne constitue pas, en soi, un motif suffisant pour établir la prémisse selon laquelle d’autres dossiers existent. Certains éléments de preuve au-delà du simple soupçon sont requis : Olumide c Canada (AG), 2016 CF 934, au paragraphe 18, [2016] 6 CTC 1.
[46]
Ni les croyances ni les soupçons de Mme Tomar selon lesquels d’autres dossiers existent ne sont appuyés par une preuve. De plus, ils ne résistent pas à un examen minutieux.
[47]
En ce qui concerne son embauche initiale, Mme Tomar indique que les autres candidats pour le poste avaient tous la même expérience et la même formation qu’elle, mais on leur a donné des postes au niveau AS-02, alors qu’elle a obtenu un poste au niveau AS-01. Elle ne comprend pas la raison de cette situation et elle croit qu’il devrait exister des courriels ou des notes sur la décision de la traiter différemment. Sur ce point, Mme Tomar oublie que l’emploi n’a pas fait l’objet d’une reclassification. Son affectation au niveau AS‑01 a plutôt été offerte jusqu’à ce qu’elle ait terminé la formation nécessaire en vue de se qualifier pour l’obtention du poste au niveau AS‑02. Tout traitement différentiel reçu par Mme Tomar semble avoir été en sa faveur, puisqu’elle a été embauchée malgré le fait qu’elle ne possédait pas toutes les qualifications à la date de son embauche.
[48]
En ce qui a trait à la note manuscrite, Mme Tomar mentionne qu’elle n’a jamais manifesté l’intention de quitter son poste à Parcs Canada et elle ne comprend pas pourquoi on discuterait de son départ. Elle souhaite obtenir d’autres renseignements quant à la raison pour laquelle cette discussion a eu lieu. Cela suppose qu’il y a eu d’autres discussions, et aucune preuve n’a été déposée devant la Cour concernant d’autres discussions.
[49]
La mention [traduction] « si Ayushee part »
est suivie de la phrase [traduction] « ou trop pour Diana W. »
. Cela pourrait voulait dire à peu près n’importe quoi. Par exemple, une explication raisonnable serait que, comme Mme Tomar n’a pas eu la nomination intérimaire initiale, elle pourrait quitter son emploi; comme Diane Walker venait tout juste d’entrer en fonction, cela pourrait être trop pour elle. Un gestionnaire devrait prévoir la possibilité que de tels événements surviennent et établir des plans en vue des prochaines étapes si l’une ou l’autre de ces situations survient. La mention ne vise pas nécessairement une conversation concernant une tentative de provoquer le départ de Mme Tomar et n’entraîne pas non plus une conclusion laissant entendre que d’autres dossiers existent.
[50]
En ce qui concerne les plaintes liées à l’affectation intérimaire, Mme Tomar mentionne qu’il n’existe aucun document à l’appui des décisions visant à terminer son affectation Tomar et à ne pas appuyer une nouvelle affectation tout en prolongeant l’affectation d’une autre employée, en plus de ne pas lui offrir une affectation intérimaire semblable au rôle auquel Diana Walker a été affectée. Le rapport d’enquête de harcèlement jette un certain éclairage sur ces plaintes. Le rapport a permis de déterminer qu’il n’existait aucun processus établi de rotation pour attribuer les affectations intérimaires et que, selon les documents de paie, Mme Tomar a reçu sa juste part de ces affectations. On note également dans le rapport d’enquête que, au cours de la période où Mme Tomar s’est plainte que Mme Walker obtenait l’affectation intérimaire, Mme Tomar était [traduction] « extrêmement surchargée »
dans un projet. À mon avis, il s’agit de décisions de gestion quotidiennes qui ne sont pas nécessairement documentées.
[51]
En dernier lieu, en ce qui concerne l’embauche de Mme Walker, une évaluation officielle de ses qualifications a été effectuée avant qu’elle soit nommée au poste de gestionnaire de la rémunération intérimaire, et ce dossier, en version caviardée, a été communiqué à Mme Tomar.
[52]
Quant à savoir si Mme Tomar a été évaluée pour le poste, il semble que, d’après le rapport d’enquête de harcèlement, après qu’elle eut déposé une plainte à l’interne au sujet du processus, Parcs Canada était disposée à ouvrir le dossier et à faire subir un test écrit à chacun des candidats en plus de faire passer une entrevue officielle devant le conseil au complet menée par une personne de l’extérieur de la direction. Lorsque le processus proposé a été expliqué à Mme Tomar, elle a indiqué qu’elle n’était toujours pas satisfaite, mais elle a omis d’établir comment ses préoccupations pourraient être résolues. Peu de temps après, Mme Tomar est partie en congé prolongé et elle n’a pas participé au processus d’évaluation proposé. Mme Walker a donc été nommée à l’affectation intérimaire en fonction de l’évaluation qu’elle avait déjà subie. Bien que Mme Tomar avance l’hypothèse que d’autres documents correspondant à sa demande devraient exister, la Cour ne peut trancher sur des hypothèses.
[53]
Sur le plan juridique, Mme Tomar a le droit d’accéder aux dossiers si ceux-ci existent entre les mains du responsable de l’institution fédérale. Si ces dossiers n’existent pas, en raison de l’absence d’une preuve de falsification ou d’un comportement grave semblable, la Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner une autre recherche plus approfondie des dossiers. La Cour a uniquement le pouvoir d’ordonner un accès à un dossier particulier lorsque l’accès a été refusé, contrairement aux dispositions de la LAI : Blank 2016, au paragraphe 36.
[54]
Il n’y a aucune preuve de manipulation de dossiers ou de comportement grave par Parcs Canada concernant les plaintes de Mme Tomar. Après un examen du dossier de la Cour, je suis d’avis que rien n’indique que Parcs Canada a agi de façon inappropriée dans le traitement de la demande d’AIPRP. Le fait que le CIC en est arrivé à la même conclusion appuie davantage la conclusion selon laquelle il n’existe aucun dossier correspondant aux demandes de Mme Tomar qui ne lui a pas été communiqué.
VI.
Dépens
[55]
Parcs Canada a eu gain de cause et sollicite des dépens. Mme Tomar aurait également sollicité des dépens, si elle avait eu gain de cause. Dans les circonstances de la présente affaire, je ne suis pas disposée à accorder de dépens.
VII.
Conclusion
[56]
Il ne s’agit pas d’une affaire de dossiers retenus ou manquants. Il n’existe aucune preuve qu’il y avait des dossiers à communiquer, autres que ceux remis à Mme Tomar. En outre, bien que ce ne soit pas indispensable à la détermination de l’issue, il existe des explications plausibles de cette situation.
[57]
Sans preuve que Parcs Canada contrôle les dossiers qui n’ont pas été communiqués ou retenus formellement, la Cour n’a pas la compétence de remettre en question le caractère raisonnable de ses recherches ou d’ordonner d’autres recherches des dossiers, Blank 2016, au paragraphe 36.
[58]
Le caviardage effectué par Parcs Canada relève directement de ses obligations à l’égard des renseignements personnels aux termes de la LAI. Il était raisonnable pour Parcs Canada de décider qu’il n’existait aucune disposition discrétionnaire permettant de communiquer les renseignements personnels caviardés.
[59]
La demande est rejetée sans dépens.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1415-16
LA COUR rejette la présente demande, sans dépens.
« E. Susan Elliott »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 19e jour de mai 2020
Lionbridge
Annexe A : Texte législatif
Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), c A-1 :
|
|
Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC (1985), c P-21.
|
|
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
DOSSIER :
|
T-1415-16
|
|
INTITULÉ :
|
AYUSHEE TOMAR c AGENCE PARCS CANADA
|
||
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Calgary (Alberta)
|
||
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 19 avril 2017
|
||
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE ELLIOTT
|
||
DATE DES MOTIFS :
|
LE 28 février 2018
|
||
COMPARUTIONS :
Ayushee Tomar
|
demanderesse
|
Kerry E.S. Boyd
|
Pour la défenderesse
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Edmonton (Alberta)
|
Pour la défenderesse
|