Date : 20180227
Dossier : T-425-16
Référence : 2018 CF 219
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 27 février 2018
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
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ABDULKADIR FARAH JAMA
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, d’une décision d’un délégué du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le délégué) de confisquer des espèces d’une valeur de 11 484,27 $ CA qui avaient été saisies en application de l’article 29 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17 (la Loi).
II.
Contexte
[2]
Le demandeur est un citoyen canadien d’origine somalienne. Propriétaire d’une société d’importation et d’exportation, il se rend souvent au Kenya et en Chine et il lui arrive fréquemment d’avoir sur lui de l’argent comptant pour ses activités commerciales.
[3]
Le 20 novembre 2014, le demandeur est arrivé à l’aéroport international Pearson de Toronto (l’aéroport) après un voyage d’affaires au Kenya. À son arrivée, après avoir déclaré ne pas avoir en sa possession d’espèces d’une valeur supérieure à 10 000 $ CA, le demandeur a été dirigé vers une inspection secondaire. Au cours de cette inspection secondaire, un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) lui a demandé s’il avait des espèces en sa possession. Le demandeur a répondu par l’affirmative et lui a remis toutes les espèces qu’il transportait.
[4]
L’agent a établi que le demandeur avait en sa possession 780 euros, 8 780 dollars américains ($ US) et 2 200 yuans (CNY), soit un total de 11 484,27 dollars canadiens ($ CA) après conversion. Le demandeur avait l’obligation de déclarer ces espèces, mais il ne l’a pas fait. Il prétend qu’il ne pensait pas qu’elles valaient plus de 10 000 $ CA.
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Interrogé par l’agent sur la provenance des espèces, le demandeur a expliqué que son cousin au Kenya lui en avait remis la majeure partie afin qu’il lui achète des marchandises en Chine. Cependant, il n’a pas été en mesure de produire un document ou une quelconque communication à l’appui de ces explications. Il a déclaré en outre qu’il importait des marchandises de Chine et qu’il gagnait 2 000 $ CA par mois environ. Habituellement, il fonctionne par transferts bancaires avec la Chine, mais il n’a pas expliqué pourquoi il avait des espèces en sa possession à ce moment-là.
[6]
L’agent a considéré que les espèces étaient des produits de la criminalité et il les a saisies après avoir constaté les indicateurs suivants :
- Le demandeur arrivait d’un pays présentant un risque élevé.
- Il n’était pas en mesure de fournir une preuve documentaire de la provenance des espèces.
- Les espèces ne provenaient pas d’un établissement bancaire.
- L’utilisation qu’il comptait faire des espèces n’était ni claire ni étayée par une preuve documentaire.
- Le demandeur avait en sa possession des espèces dont la valeur était incompatible avec son revenu.
- La source de ce revenu n’était pas claire : le demandeur a mentionné une activité professionnelle, mais il venait aussi d’obtenir un permis de chauffeur de taxi.
- Le demandeur éludait systématiquement les questions directes.
- Il persistait à clamer son innocence au lieu de répondre aux questions.
- Ses déclarations étaient contradictoires pour ce qui concernait ses passages antérieurs de la frontière avec des espèces en sa possession.
[7]
Le 4 janvier 2015, le demandeur a envoyé une lettre à l’ASFC afin de réclamer la restitution des espèces saisies. Il expliquait dans cette lettre qu’il avait par inadvertance omis de les déclarer parce qu’il n’avait pas utilisé les bons taux de change pour en calculer la valeur en dollars canadiens. Il ajoutait qu’une bonne partie des espèces saisies lui avaient été remises par son cousin parce que celui-ci lui avait demandé d’acheter des marchandises. Le demandeur faisait valoir en outre qu’il avait souvent de l’argent comptant sur lui parce que c’était plus commode pour faire des achats pour son entreprise d’importation et d’exportation, mais aussi pour éviter les frais de transfert bancaire et de carte de crédit.
[8]
Il a présenté des documents à l’appui de sa demande, y compris un certificat de constitution de la société Jama Import Export Ltd., des factures et des reçus pour des marchandises achetées en Chine, des certificats d’origine, des bordereaux d’expédition, des listes d’emballage, des connaissements et des itinéraires de voyage. Certains de ces documents étaient établis au nom du demandeur ou de sa société. Son passeport atteste de ses voyages fréquents en Chine et au Kenya. Il a aussi fourni 3 relevés bancaires : un relevé daté du 17 février 2012 indiquant un dépôt d’un chèque de 16 000 $ US; un relevé daté du 4 août 2012 indiquant un dépôt de 7 000 $ US en espèces; un relevé daté du 11 mars 2014 indiquant un retrait de 2 800 $ US en espèces.
[9]
Outre ces documents, le demandeur a déposé deux affidavits. Le premier, souscrit par son cousin le 21 novembre 2014 à Nairobi, au Kenya, confirme le versement d’une avance de 8 800 $ US au demandeur à des fins commerciales. Il avait confié cet argent au demandeur pour qu’il fasse des achats en son nom lors d’un voyage en Chine. Le deuxième affidavit a été souscrit par le demandeur le 17 mai 2016. Il y confirme qu’il avait lesdites espèces en sa possession à son arrivée à Toronto en provenance du Kenya. Le demandeur prétend qu’il n’avait pas fait la conversion en devises canadiennes, et qu’il a ce bon gré remis les espèces à l’agent quand il le lui a demandé. Cet argent devait servir à acheter des marchandises pour le magasin général de son cousin au Kenya, où les transactions se font surtout en argent comptant.
[10]
Dans une lettre adressée au demandeur le 11 décembre 2015, l’ASFC lui expliquait les motifs de la saisie des espèces en litige et lui annonçait qu’elles seraient confisquées s’il ne fournissait pas d’autre preuve de leur provenance légitime. Le demandeur a alors fourni certains documents, dont la preuve de la provenance des espèces (talons de paie, feuillets T4, relevés d’emploi, relevés de retraits au moyen d’une carte de crédit); des relevés bancaires indiquant un dépôt de revenu d’emploi et des retraits au moyen d’une carte de crédit dans le compte du demandeur, ainsi qu’un retrait d’argent totalisant la valeur des espèces saisies; des relevés de transferts entre le demandeur et d’autres personnes lui ayant versé une partie des espèces saisies; la chronologie de ce que le demandeur a fait avec les espèces saisies entre le moment où il les a légalement obtenues et la saisie.
[11]
Le 12 février 2016, le délégué a rejeté la demande de restitution du demandeur. Invoquant l’article 27 de la Loi, le délégué a conclu qu’il y a eu manquement au paragraphe 12(1) puisque le demandeur a omis de déclarer qu’il avait en sa possession des espèces d’une valeur de 11 484,27 $ CA. L’absence d’intention du demandeur de même que son ignorance des exigences en matière de déclaration ou du fait que les espèces en sa possession valaient plus que les 10 000 $ CA autorisés n’étaient pas pertinentes. De plus, l’agent a fourni des motifs suffisants de saisir les espèces parce qu’il soupçonnait qu’il s’agissait de produits de la criminalité.
[12]
Se fondant sur l’article 29 de la Loi, le délégué a conclu que les espèces saisies devaient être confisquées. L’affidavit et les documents commerciaux produits par le demandeur n’établissaient pas la légitimité de la provenance des espèces, et il n’a présenté aucun autre document justifiant qu’il les eut en sa possession. Dans l’impossibilité de confirmer la provenance des espèces saisies, l’ASFC a continué de douter de leur légitimité.
[13]
Le 14 mars 2016, le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de la décision du délégué aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.
A.
Questions préliminaires
1)
Portée du contrôle judiciaire
[14]
Seule est susceptible de contrôle la décision du délégué de se fonder sur l’article 29 de la Loi pour refuser d’annuler la confiscation (Tourki c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CAF 186, au paragraphe 18).
[15]
Si le demandeur souhaite en appeler de la décision rendue par le délégué en application de l’article 27 de la Loi, il doit le faire par voie d’action devant la Cour fédérale aux termes de l’article 30 de la Loi (Dobrovolny c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 526, aux paragraphes 17 à 19).
[16]
Le demandeur a soulevé plusieurs questions relatives à la saisie des espèces à l’aéroport. D’abord, il est manifeste selon lui qu’une personne raisonnable aurait constaté les préjugés de l’agent de l’ASFC qui l’a dirigé vers une inspection secondaire à l’aéroport. Ensuite, il estime que les espèces n’auraient pas dû être saisies au motif qu’elles étaient des produits de la criminalité ou des fonds destinés au financement d’activités terroristes au sens du paragraphe 18(2) de la Loi. Enfin, il reproche à l’agent de l’ASFC qui l’a dirigé vers une inspection secondaire de ne pas lui avoir fourni de raisons adéquates à cet égard.
[17]
Ces questions ne peuvent être examinées dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Comme il a été établi précédemment, seule la décision du délégué de refuser d’annuler la confiscation conformément à l’article 29 de la Loi peut faire l’objet d’un contrôle. Voici ce que fait observer à ce propos le juge de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sellathurai c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255 [Sellathurai], au paragraphe 36 :
Selon moi, il s’ensuit que la conclusion de l’agent des douanes suivant laquelle il a des motifs raisonnables de soupçonner que les devises saisies sont des produits de la criminalité devient caduque dès que le ministre confirme qu’il y a eu contravention à l’article 12. La confiscation est complète et les devises sont la propriété de l’État. La seule question qu’il reste à trancher pour l’application de l’article 29 est celle de savoir si le ministre exercera son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation soit en restituant les espèces confisquées elles-mêmes soit en remboursant la pénalité prévue par la Loi qui a été versée pour obtenir la restitution des espèces saisies.
[Non souligné dans l’original.]
[18]
Comme notre Cour l’a énoncé au paragraphe 36 de la décision Majeed c Canada (Sécurité publique), 2007 CF 1082 [Majeed] :
[...] la décision faisant l’objet du contrôle n’est pas celle que l’agent des douanes a prise en vertu de l’article 18 de la Loi. La décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire est plutôt celle du délégué du ministre en vertu de l’article 29 de la Loi. Par conséquent, toute question concernant la compétence de l’agent des douanes n’est guère pertinente à l’égard des questions à trancher en fonction de la présente demande.
2)
Invocation de la Charte par le demandeur
[19]
Le défendeur soutient que le demandeur ne peut pas invoquer la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 (la Charte), parce qu’il n’en fait pas mention dans son avis de requête et parce qu’il plaide ces arguments pour la première fois dans son mémoire des faits et du droit.
[20]
Je suis d’accord avec le défendeur. L’alinéa 301e) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles) prévoit que l’avis de demande doit contenir « un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable »
. Lorsqu’il sollicite un contrôle judiciaire, le demandeur doit énoncer les motifs invoqués dans son avis de demande; il ne peut pas présenter de nouveaux motifs dans son mémoire des faits et du droit (Tl’azt’en Nation c Sam, 2013 CF 226, au paragraphe 6).
[21]
La Cour a toute discrétion en l’espèce, mais certaines considérations balisent l’exercice de ce pouvoir :
- Les faits et éléments intéressant les nouveaux arguments étaient‑ils tous connus (ou raisonnablement accessibles) à l’époque où la demande d’autorisation fut déposée ou mise en état?
- Est‑il possible que la partie adverse subisse un préjudice si les nouveaux arguments sont étudiés?
- Le dossier révèle‑t‑il tous les faits à l’origine des nouveaux arguments?
- Les nouveaux arguments sont‑ils apparentés à ceux au regard desquels fut accordée l’autorisation?
- Quelle est la force apparente des nouveaux arguments?
- Le fait de permettre que les nouveaux arguments soient invoqués retardera‑t‑il indûment l’audition de la demande?
Al Mansuri c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 22, au paragraphe 12.
[22]
Le demandeur n’avait aucune raison de ne pas invoquer la Charte au moment opportun. D’ailleurs, il n’a toujours pas déposé d’avis de question constitutionnelle.
[23]
De plus, il est difficile de faire un lien entre ses arguments fondés sur la Charte et ceux qui lui ont valu une autorisation de la Cour. Il demande un contrôle judiciaire en arguant que la décision du délégué de saisir les espèces en litige n’était ni juste ni raisonnable, mais ses arguments fondés sur la Charte sont beaucoup plus larges et formulés de manière vague et imprécise :
[traduction]
La question est de savoir si le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre des Finances ont adopté une législation et des politiques relatives à [la Loi] dont les effets cumulatifs laissent libre cours à des actes déraisonnables et discriminatoires et, ce faisant, violent les droits garantis au demandeur par le paragraphe 15(1) de la [Charte].
[24]
Le défendeur n’a pas été en mesure de présenter des éléments de preuve sur cette question parce qu’il n’a jamais reçu d’avis de l’intention du demandeur de la soulever.
[25]
L’analyse de cette question au paragraphe 25 de la décision Majeed de notre Cour s’applique à l’espèce :
Non seulement ce cours normal des choses causerait un préjudice grave au défendeur, mais il supposerait aussi que la Cour est appelée à trancher une question constitutionnelle dans l’abstrait, en grande partie. Comme la Cour suprême du Canada l’a fait observer à maintes reprises, les questions fondées sur la Charte doivent être tranchées sur le fondement d’un dossier de la preuve adéquat : voir, par exemple, Hill c Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130, au paragraphe 80, et MacKay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357, aux paragraphes 8 et suivants.
[26]
Le demandeur aurait dû déposer une requête en modification de son avis de demande conformément au paragraphe 75(1) des Règles, ainsi qu’un avis de question constitutionnelle. Comme il ne l’a pas fait, ses arguments fondés sur la Charte ne seront pas pris en considération.
III.
Question en litige
[27]
La décision du délégué de ne pas annuler la confiscation était-elle raisonnable?
IV.
Norme de contrôle
[28]
La norme de contrôle d’une décision découlant de l’article 29 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes est le caractère raisonnable (Dag c Canada (Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 95, au paragraphe 4).
V.
Discussion
[29]
Les dispositions législatives applicables sont reproduites à l’annexe A.
A.
La décision du délégué de ne pas annuler la confiscation était-elle raisonnable?
[30]
Le demandeur soutient qu’il a fourni amplement de preuves qui attestent de la légitimité de la provenance des espèces en litige. Il estime que le délégué n’a pas accordé l’attention voulue aux éléments de preuve produits concernant la provenance et les mouvements des espèces.
[31]
Il incombe au demandeur d’établir qu’il était déraisonnable pour l’agent de soupçonner que les espèces étaient des produits de la criminalité ou étaient destinées à financer des activités terroristes. Pour établir la légitimité de la provenance des espèces, le demandeur a présenté seulement l’affidavit de son cousin, mais c’est loin d’être suffisant pour faire cette démonstration.
[32]
J’estime que le délégué a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas produit d’éléments de preuve suffisants pour attester de l’origine et des mouvements des espèces saisies.
[33]
La Cour d’appel fédérale a établi la norme de preuve que doit satisfaire le demandeur pour convaincre le délégué que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité (Sellathurai, aux paragraphes 49 à 51) :
[49] Lorsque le ministre réclame de façon répétée une preuve de la légitimité de la provenance des devises saisies, comme il l’a fait en l’espèce, on est en droit de conclure qu’il s’est fondé sur les éléments de preuve fournis à cet égard par le demandeur pour prendre sa décision. La logique sous-jacente est inattaquable. Si l’on peut démontrer la légitimité de leur provenance, les devises ne peuvent être considérées comme des produits de la criminalité.
[50] Si, en revanche, le ministre n’est pas convaincu de la légitimité de la provenance des devises saisies, il ne s’ensuit pas que le fonds sont des produits de la criminalité, mais simplement que le ministre n’est pas convaincu qu’il ne s’agit pas de produits de la criminalité. La distinction est importante parce qu’elle porte directement sur la nature de la décision que le ministre est appelé à prendre en vertu de l’article 29 qui, comme nous l’avons déjà signalé, vise une demande d’annulation de la confiscation. La question à trancher n’est pas celle de savoir si le ministre peut démontrer qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que les fonds saisis sont des produits de la criminalité, mais uniquement celle de savoir si le demandeur est en mesure de convaincre le ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation en lui démontrant que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité. Sans exclure la possibilité de convaincre par d’autres moyens le ministre à cet égard, la démarche qui s’impose consiste à démontrer la légitimité de la provenance des fonds. C’est bien ce que le ministre a réclamé en l’espèce et, vu l’incapacité de M. Sellathurai de lui faire cette démonstration, le ministre avait le droit de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour annuler la confiscation.
[51] On en arrive à la question qui a été débattue à fond devant nous. À quelle norme de preuve le demandeur doit-il satisfaire pour convaincre le ministre que les fonds saisis ne sont pas des produits de la criminalité? À mon avis, pour y répondre, il faut d’abord répondre à la question de la norme de contrôle. La norme de contrôle qui s’applique à la décision du ministre prévue à l’article 29 est celle de la décision raisonnable. Il s’ensuit que, si la conclusion du ministre au sujet de la légitimité de la provenance des fonds est, vu l’ensemble de la preuve dont il disposait, raisonnable, sa décision n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. Dans le même ordre d’idées, si la conclusion du ministre n’est pas raisonnable, sa décision est susceptible de contrôle et la Cour doit intervenir. Il n’est ni nécessaire ni utile de tenter de définir à l’avance la nature et le type de preuve que le demandeur doit soumettre au ministre.
[34]
Tout comme dans l’affaire Sellathurai, l’annulation de la confiscation a été refusée au demandeur parce qu’il n’a pas présenté une preuve suffisante de la légitimité de la provenance des espèces en litige. Voici les propos du délégué à cet égard :
[traduction] [L]es éléments de preuve produits n’établissent pas que les espèces proviennent d’une source légitime. Plus particulièrement, il vous a été demandé de produire des documents visant à établir la provenance légitime de 8 000 $ US qui ont été saisis et qui, selon votre représentante, vous auraient été remis par votre cousin, une trace documentaire attestant de la date à laquelle il s’est procuré légitimement cet argent ainsi qu’un lien attestant de l’échange de ces espèces entre votre cousin et vous. Or, vous n’avez fourni aucun document indiquant la provenance des dollars américains, des euros et des yuans ren-min-bi trouvés en votre possession. L’affidavit signé que nous a remis votre représentante ne confirme pas la légitimité de la provenance des espèces et il ne fournit pas de trace documentaire établissant un lien entre cette partie des espèces et celles qui ont été saisies.
Comme les documents présentés n’indiquent pas la source légitime des espèces susmentionnées, il persiste un doute quant à la légitimité de leur provenance puisque l’Agence n’a pas été en mesure de la confirmer de manière définitive. À la lumière de ce qui précède, il ne peut être fait droit à la demande visant l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’annuler la confiscation des espèces.
[35]
Les motifs reflètent un processus décisionnel transparent, intelligible et suffisamment justifié, et la décision appartient aux issues raisonnables possibles au regard des faits et du droit. Le délégué a expressément réclamé des documents confirmant la légitimité de la provenance et les mouvements des espèces saisies. Le demandeur n’a fourni aucun document de la sorte. Les documents produits confirment qu’il exploite une entreprise d’importation et d’exportation et qu’il fait des affaires en Chine, rien de plus.
[36]
Le fait d’affirmer dans un affidavit que des fonds proviennent d’une source légitime ne suffit pas pour établir cette légitimité (Sellathurai; Singh Kang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 798; Sebastiao c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 527, au paragraphe 52).
[37]
Par ailleurs, le demandeur allègue que l’agent de l’ASFC qui l’a dirigé vers une inspection secondaire avait des préjugés. Cette allégation soulève la question de la crainte raisonnable de partialité, mais aucun élément de preuve ne vient appuyer cette conclusion de fait.
[38]
La décision du délégué de ne pas annuler la confiscation était raisonnable.
[39]
Les parties ont convenu à l’audience qu’un montant global de 1 500 $ serait versé à la partie gagnante au titre des dépens. Le demandeur a demandé un délai pour payer les dépens si jamais ils étaient adjugés à son encontre. J’accorde au demandeur une période de six mois à compter de la date du présent jugement pour payer la totalité des dépens.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-425-16
LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :
La demande est rejetée.
Des dépens de 1 500 $ sont adjugés au défendeur et seront payables en totalité dans un délai de six mois à compter de la date du présent jugement.
« Michael D. Manson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 6e jour de février 2020
Lionbridge
ANNEXE A
Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LC 2000, c 17.
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-425-16
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INTITULÉ :
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ABDULKADIR FARAH JAMA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 22 février 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE MANSON
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DATE DES MOTIFS :
|
Le 27 février 2018
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COMPARUTIONS :
Janelle Belton
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Pour le demandeur
|
Derek Edwards
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Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Elliott Willschick, avocat
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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