Date : 20180223
Dossier : IMM-443-17
Référence : 2018 CF 203
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 23 février 2018
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
|
YONG ZHANG
|
demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeurs
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du rejet d’une demande d’examen des risques avant renvoi « restreint »
(« ERAR restreint »), où la déléguée du ministre a conclu que Yong Zhang ne serait vraisemblablement pas exposé à des risques à son retour en Chine.
[2]
M. Zhang soulève deux questions dans la présente demande : (1) la question de savoir si la déléguée du ministre a violé les principes d’équité procédurale, et (2) la question de savoir si elle a commis des erreurs de fait déraisonnables dans son examen des risques.
[3]
Pour les motifs qui suivent, je conclus que la déléguée du ministre n’a pas commis d’erreur en ce qui a trait à l’équité procédurale. Je conviens néanmoins avec M. Zhang que l’examen des risques effectué par la déléguée du ministre était déraisonnable.
[4]
En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.
II.
Contexte
[5]
M. Zhang, âgé de 51 ans, est citoyen chinois. Il est venu au Canada pour la première fois en 2003 et a tenté de s’établir au pays à titre d’investisseur. Il a obtenu un visa de résident temporaire pour entrées multiples comme travailleur en janvier 2005. Toutefois, en février 2007, les autorités chinoises ont lancé contre lui un mandat d’arrêt pour fraude et autres crimes économiques, qui a été suivi par un mandat d’INTERPOL. Par conséquent, le 13 septembre 2007, M. Zhang a été déclaré interdit de territoire en vertu du paragraphe 44(1) et de l’alinéa 36(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (« LIPR »). M. Zhang a été arrêté le 18 septembre 2007 et il a par la suite demandé l’asile, alors qu’il était en détention, en octobre 2007. Il a été libéré en novembre 2007.
[6]
Le 10 mai 2012, M. Zhang a été reconnu coupable d’enlèvement et d’extorsion dans le cadre d’événements qui se sont produits au Canada en août 2010, et il a reçu une peine de plus de 34 mois d’emprisonnement le 16 décembre 2013.
[7]
Vers le 10 juillet 2014, la Section de la protection des réfugiés a mis fin à la demande d’asile de M. Zhang après avoir reçu de l’Agence des services frontaliers du Canada (« ASFC ») un avis sur la recevabilité de la demande d’asile selon les alinéas 104(1)b) et 101(1)f) de la LIPR (qui incorpore l’article 1(F)b) prévoyant l’exclusion de la Convention relative au statut des réfugiés) du fait de l’interdiction de territoire de M. Zhang pour grande criminalité.
[8]
Le 15 juillet 2014, l’ASFC a établi un rapport d’interdiction de territoire de M. Zhang pour grande criminalité en vertu du paragraphe 44(1) et de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, et la déléguée du ministre a pris une mesure de renvoi.
[9]
M. Zhang a présenté une demande d’ERAR restreint le 28 novembre 2014, laquelle a été rejetée le 2 mars 2015. Il a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision le 20 mars 2015. L’autorisation a été accordée par la Cour fédérale le 15 juin 2015, et le ministre a convenu de rouvrir le dossier pour nouvel examen.
[10]
M. Zhang a présenté des observations additionnelles dans le cadre de sa demande d’ERAR restreint le 2 octobre 2015. Un agent d’immigration principal (« agent ») a rendu un avis favorable quant aux risques le 17 décembre 2015, ce qui constitue la première étape du processus d’ERAR restreint. Le dossier de M. Zhang a alors été transmis à la Direction générale du règlement des cas de Citoyenneté et Immigration Canada pour la deuxième étape, à savoir la décision finale de la déléguée du ministre.
[11]
Dans sa décision du 11 janvier 2017 (« décision »), la déléguée du ministre a rejeté la demande d’ERAR restreint, concluant qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que M. Zhang soit exposé (1) à la peine de mort, (2) à des traitements ou peines cruels et inusités ou (3) à des représailles de la part de groupes criminels organisés, s’il était renvoyé en Chine.
III.
Analyse
A.
Norme de contrôle
[12]
La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale se rapportant au droit d’être entendu est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, para 43). Toutefois, la norme de la décision raisonnable s’applique au bien‑fondé de l’analyse factuelle de l’ERAR (ou faisant suite à l’ERAR restreint) (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 702, para 13; Muhammad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 448, para 52 [Muhammad 2014]).
B.
Équité procédurale
[13]
Le cœur de l’argument de l’équité procédurale de M. Zhang est que la déléguée du ministre a laissé entendre que M. Zhang ne devrait pas présenter d’éléments de preuve additionnels. Les défendeurs s’opposent à cet argument, soutenant que M. Zhang a eu amplement l’occasion d’y répondre et qu’il déforme le fondement factuel de la décision.
[14]
La déléguée du ministre a informé M. Zhang par écrit le 9 novembre 2016 qu’elle avait suffisamment d’éléments de preuve pour prendre une décision et que M. Zhang n’avait pas à produire d’autres éléments de preuve, en précisant ce qui suit :
[traduction]
Je me rends bien compte qu’un grand nombre de documents et de traductions ont été reçus des autorités chinoises et qu’il y a un degré appréciable de répétition dans les documents. Compte tenu de mon examen initial, il semble qu’il y ait suffisamment de renseignements dans le dossier pour me donner une bonne compréhension du cas. Quoi qu’il en soit, je vous saurais gré, si vous estimez qu’il me manque des documents d’importance, de me les fournir […].
[15]
Je ne suis pas d’accord avec M. Zhang que cette déclaration constitue un manquement à l’équité procédurale. La déléguée du ministre n’a pas empêché M. Zhang de lui envoyer d’autres éléments de preuve. Au contraire, elle l’a invité à fournir tout autre document d’importance, et M. Zhang lui a d’ailleurs présenté des observations et des pièces additionnelles le 24 novembre 2016.
[16]
Je conclus donc que la déléguée du ministre a respecté le droit de M. Zhang d’être entendu.
C.
Caractère raisonnable de l’ERAR restreint de la déléguée du ministre
[17]
Les erreurs de fait alléguées par M. Zhang se rapportent à la façon dont la déléguée du ministre a analysé la peine de mort et à l’hypothèse selon laquelle la peine de mort ne serait pas prononcée contre M. Zhang. Ce dernier soutient plus précisément que la déléguée du ministre n’a pas accordé le poids voulu aux conclusions de l’agent décrivant les risques au retour, mais a plutôt fait sa propre analyse des risques, omettant ainsi d’accorder le poids nécessaire à la preuve de l’existence d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités. M. Zhang affirme également que la déléguée du ministre a commis une erreur en interprétant le droit étranger, et qu’elle n’a pas cherché à obtenir des conseils sur les conséquences de l’expulsion et des garanties diplomatiques quant à la façon dont il serait traité à son retour en Chine sur les droits prévus par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (RU), 1982, c 11 (« Charte »).
[18]
Les défendeurs, en se fondant sur Muhammad 2014 et Placide c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1056, soutiennent que l’évaluation faite par l’agent en vertu du paragraphe 172(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, n’équivalait pas à une décision, que la déléguée du ministre n’était pas liée par l’avis de l’agent et que tous les aspects de la décision relevaient directement de la compétence de la déléguée du ministre, qui n’a aucunement outrepassé sa compétence ni cherché à se dérober à son devoir, et qui a donné à M. Zhang amplement l’occasion de répondre et de présenter des observations. Les défendeurs soutiennent en outre que la déléguée du ministre est arrivée à ses conclusions après avoir examiné, comme il se doit, tous les éléments de preuve, y compris les dispositions légales chinoises, dans les limites de sa compétence et de son expertise. Ils maintiennent que pareil examen, incluant l’analyse des équivalences faite par les agents des visas, est pratique courante dans des contextes similaires.
[19]
Bien que la déléguée du ministre n’ait pas commis d’erreur en ce qui a trait au premier motif soulevé, je conclus qu’elle a commis une erreur dans l’examen des risques, selon l’article 97 de la LIPR, auxquels le demandeur serait exposé en Chine. Je conclus plus précisément qu’elle a commis une erreur dans le traitement de la preuve versée au dossier, à savoir l’examen des risques par l’agent et le rapport détaillé (« rapport Lewis ») de Margaret K. Lewis, professeure spécialisée en droit pénal chinois à la Seton Hall Law School. Ces deux documents abordaient la question des risques pour le demandeur.
[20]
Il est bien établi en droit que le décideur, dans le cadre de l’ERAR restreint, n’est pas tenu de suivre les conclusions de l’agent dans l’examen final des risques. Comme la juge Strickland a déclaré dans la décision Muhammad 2014 :
[77] À la lumière de la décision Placide, l’évaluation des risques effectuée par l’agent d’ERAR ne constitue qu’un avis ou une suggestion qui ne lie pas le délégué du ministre, à qui il est loisible de prendre sa propre décision motivée. De plus, toute mise en balance de l’évaluation des risques et du rapport d’évaluation de sécurité n’intervient que si le délégué du ministre estime qu’il existe un risque au sens de l’article 97.
[21]
L’agent d’ERAR donne simplement un avis, qui constitue l’un des divers éléments de preuve qui doivent être mis en balance avec d’autres facteurs que la déléguée du ministre prend en considération dans l’étude d’une demande d’ERAR restreint.
[22]
Comme je l’explique plus loin, j’estime déraisonnable en l’espèce que la déléguée du ministre ait omis d’expliquer, vu les points communs soulevés dans la preuve fournie dans le rapport Lewis et l’examen des risques de l’agent d’ERAR, pourquoi elle rejetait ces opinions et elle arrivait plutôt à la conclusion contraire.
(1)
Risque de torture
[23]
La déléguée du ministre a conclu que M. Zhang serait probablement accusé de fraude contractuelle et d’autres crimes économiques, y compris la fraude d’acheteurs et d’institutions financières, qui tombent sous le coup des articles 266 et 264, ainsi que des infractions de corruption visées aux articles 389, 390 et 393 du Code pénal de la République populaire de Chine (« Code pénal de la RPC »). La déléguée du ministre a conclu que ces infractions ne sont pas passibles de mort.
[24]
Toutefois, abstraction faite de la peine de mort, il y avait d’importants éléments de preuve au dossier, y compris dans le rapport Lewis et l’examen des risques fait par l’agent, un spécialiste dans ce domaine, voulant que M. Zhang, reconnu coupable d’infractions qui ne sont pas passibles de la peine de mort, serait exposé à un risque de torture.
[25]
M. Zhang a argué qu’il n’aurait pas droit à un procès équitable, qu’il serait condamné à une lourde peine pour un certain nombre de raisons et qu’il serait donc exposé à des traitements ou peines cruels et inusités, y compris durant sa détention et son incarcération ultérieure, où il serait torturé. Quant à ces arguments, l’agent a déclaré dans son examen des risques, en décembre 2015 :
[traduction]
[…] Je conclus qu’il y a des motifs sérieux de conclure qu’il sera exposé à un risque de torture aux termes de l’article premier de la Convention contre la torture. Je conclus également qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à un risque de traitements ou peines cruels et inusités en raison des conditions carcérales et des graves mauvais traitements infligés aux détenus et aux prisonniers en Chine.
[26]
La déléguée du ministre, en revanche, a conclu dans sa décision que M. Zhang était recherché pour des actes criminels qu’il aurait commis en Chine entre 2003 et 2005, et non pour des raisons (politiques) irrégulières. Elle a conclu que M. Zhang serait susceptible d’être poursuivi après son retour en Chine, mais qu’il serait représenté par un avocat durant les procédures criminelles et qu’il serait autorisé à présenter des arguments à sa défense. Elle a conclu qu’il serait plus probable que M. Zhang soit reconnu coupable de fraude contractuelle et peut-être de corruption, et qu’il soit condamné à une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité, mais que la condamnation à une peine aussi longue n’était pas plus qu’une simple possibilité et que, même alors, il y avait peu de chances que cette peine soit exagérément disproportionnée par rapport à la peine applicable au Canada. Elle a également conclu que, bien que les conditions carcérales en Chine puissent être difficiles, la situation personnelle de M. Zhang permettrait à ce dernier de jouir d’un plus grand degré de confort durant son incarcération.
[27]
En somme, la déléguée du ministre était convaincue qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que M. Zhang soit exposé à des traitements ou peines cruels et inusités en raison d’un procès inéquitable ou des conditions carcérales. Elle a également conclu, vu la preuve déjà amassée par les autorités chinoises contre M. Zhang, que la preuve par aveu semblerait ne pas être nécessaire à la poursuite et qu’il n’y avait donc pas plus qu’une simple possibilité que M. Zhang soit torturé à son retour en Chine, dans le cadre de l’enquête.
[28]
Encore une fois, ces conclusions semblent, au pire, aller à l’encontre, et, au mieux, faire abstraction des conclusions clés contenues dans le rapport Lewis, selon lequel il serait beaucoup plus probable que M. Zhang soit condamné à une peine sévère, sans possibilité de libération conditionnelle, qu’il soit l’objet de poursuites judiciaires viciées et qu’il soit exposé à un risque de violence physique.
[29]
Bien que la déléguée du ministre ait mentionné le rapport Lewis en ce qui a trait à la peine de mort, elle n’a pas fait allusion aux conclusions de ce même rapport pour ce qui est de la torture, de l’incarcération et des traitements ou peines cruels et inusités auxquels M. Zhang devra vraisemblablement faire face dans le système de justice pénale chinois. Elle a donc déraisonnablement omis de traiter de certains éléments de preuve puisque le rapport Lewis abordait la torture et les traitements cruels et inusités que subiraient éventuellement M. Zhang en Chine. Je conclus également que les motifs de la déléguée du ministre sont incompatibles avec la preuve au dossier. La déléguée du ministre a mentionné les rapports récents tel le rapport de 2016 du Comité des Nations Unies contre la torture sur la Chine. Ce rapport établit que la torture et les mauvais traitements étaient encore profondément ancrés dans le système de justice pénale chinois. De même, le rapport du Département d’État américain de 2016 sur la Chine fait état des conditions difficiles et dégradantes dans les établissements carcéraux.
[30]
En outre, les conclusions de la déléguée du ministre au sujet de la situation personnelle de M. Zhang, laquelle lui permettrait d’avoir [traduction] « plus de confort »
durant son incarcération relèvent de la pure spéculation et sont incompatibles avec la preuve au dossier (Muhammad 2014, para 165).
(2)
Risque de la peine de mort
[31]
La déléguée du ministre a en outre conclu que M. Zhang serait susceptible d’être accusé de crimes économiques, qui ne sont pas passibles de la peine de mort en Chine, contrairement
aux crimes visés à l’article 263 du Code pénal de la RPC. Elle a conclu que :
[traduction]
À mon avis, les faits de l’espèce, tels qu’exposés dans le résumé de la poursuite et récapitulés ailleurs dans les documents, ne laissent pas entendre que les actes de fraude d’acheteurs et d’institutions financières reprochés à M. Zhang correspondent à la description énoncée plus haut, laquelle semble équivaloir davantage au vol à main armée ou au vol commis avec violence au sens où ces termes sont compris en droit pénal canadien.
[32]
Le vol commis avec violence auquel la déléguée du ministre faisait référence en l’occurrence entraîne des sanctions plus sévères pouvant aller jusqu’à la peine de mort. Voici, par exemple, ce que prévoit le Code pénal de la RPC (extraits tirés de la décision) :
[traduction]
Quiconque vole un bien public ou privé par la force, la coercition ou tout autre moyen est condamné à une peine d’emprisonnement de trois à dix ans, en plus d’une amende. Est condamné à une peine minimale d’emprisonnement de 10 ans, à une peine d’emprisonnement à perpétuité ou à la peine de mort, en plus des amendes ou de la confiscation de ses biens, quiconque :
(1) s’introduit par effraction dans la résidence d’autrui pour y commettre un vol;
(2) commet un vol dans un véhicule de transport public;
(3) vole une banque ou autre institution financière;
(4) commet plusieurs vols ou vole de grandes sommes d’argent ou quantités d’autres biens;
(5) cause de graves blessures ou la mort en commettant un vol;
(6) se fait passer pour militaire ou policier pour commettre un vol;
(7) commet un vol au moyen d’une arme à feu;
(8) vole du matériel à usage militaire ou du matériel destiné à combattre des catastrophes ou à secourir des sinistrés.
[33]
La déléguée du ministre a tenu compte du rapport Lewis pour déterminer si M. Zhang tombait sous le coup de l’article 263 et, donc, s’il risquait la peine de mort. Elle a examiné les documents d’enquête des autorités chinoises versés au dossier, ainsi que les accusations criminelles portées contre M. Zhang, et les déclarations de culpabilité prononcées contre les anciens associés et coaccusés de M. Zhang. Elle a conclu qu’il n’y avait pas plus qu’une simple possibilité que M. Zhang soit accusé sous le régime de l’article 263 et, donc, qu’il soit exposé au risque de la peine de mort.
[34]
Cette conclusion va à l’encontre du rapport Lewis qui indique, à la page 3 :
[traduction]
Le huitième amendement au Code pénal de la RPC, qui est entré en vigueur en mai 2011, a réduit de soixante-huit à cinquante-cinq le nombre d’actes criminels passibles de la peine de mort, et le gouvernement de la RPC a depuis publiquement exprimé son intention de limiter encore davantage le nombre d’actes criminels passibles de la peine de mort. Cette réduction a jusqu’à présent été largement symbolique parce que les crimes qui ne sont maintenant plus passibles de la peine de mort étaient en réalité rarement punis par la peine de mort (p. ex., la contrebande de reliques culturelles). Par ailleurs, nombre de crimes non violents de nature économique sont toujours passibles de la peine de mort. Aujourd’hui, le nombre réel d’exécutions par année demeure un secret d’État. Selon des sources sûres, il y aurait environ 2400 exécutions par année en RPC, ce qui signifie que ce pays exécute plus de personnes chaque année que tous les autres pays réunis.
[35]
Selon le rapport, il n’est pas clair que les mesures de réforme prises atténuent le risque auquel M. Zhang serait exposé.
[36]
La déléguée du ministre a toutefois rejeté les conclusions du rapport Lewis sur la peine de mort, se disant d’avis que l’auteure de ce rapport :
[traduction]
[…] a pu prendre connaissance de certains documents relatifs au cas de M. Zhang. Je constate qu’elle n’a pas reçu l’ensemble du dossier dont je suis saisie […]. Si elle avait disposé de l’ensemble du dossier et qu’elle l’avait lu, Mme Lewis n’a pas expliqué pourquoi elle a préféré la version des faits présentée par M. Zhang au casier judiciaire fourni par les autorités. Si elle n’avait pas disposé de l’ensemble du dossier, je note qu’elle n’avait pas le portrait complet des activités criminelles de M. Zhang en Chine.
[37]
La déléguée du ministre a précisément fait référence aux prétentions de M. Zhang selon lesquelles il aurait pris part aux manifestations étudiantes en faveur de la démocratie entre 1988 et 1992 et qu’il aurait été condamné à cette époque à une peine d’emprisonnement de six ans, peine qui découlait, comme les défendeurs l’ont souligné à l’audience, d’une infraction d’introduction par effraction.
[38]
Il me semble que les motifs de la déléguée du ministre pour rejeter les conclusions du rapport Lewis ne sont pas cohérents. Le rapport Lewis était clair, concluant qu’il était [traduction] « tout à fait possible »
, que M. Zhang soit accusé sous le régime de l’article 263 du Code pénal de la RPC et qu’il reçoive, par conséquent, la peine de mort. Par ailleurs, selon les documents versés au dossier, y compris le rapport Lewis, il est clair que les autorités chinoises portent souvent des accusations officielles peu de temps avant le procès et qu’il est possible qu’on ne connaisse pas encore pleinement l’ampleur des accusations qui seront portées contre M. Zhang. De plus, le rapport Lewis a pris en compte le fait que les autorités du Bureau de la sécurité publique chinois ont rendu visite à M. Zhang à plus d’une occasion, alors qu’il était détenu au Canada, et l’ont accusé de fraude massive, ce qui donne à penser que de [traduction] « très graves accusations pourraient être portées »
contre lui.
[39]
Le rapport Lewis précise en outre que les coaccusés, soit les associés d’affaires de M. Zhang, ont pointé du doigt M. Zhang et souligné son rôle de premier plan. Il conclut que, comme M. Zhang a été considéré comme un fugitif, il serait susceptible de recevoir une peine plus sévère que ses associés :
[traduction]
L’article 263 prévoit, quant à lui, que toute personne qui commet un vol avec violence, coercition ou par tout autre moyen, qui vole une institution financière ou qui vole de grandes sommes d’argent est passible de la peine de mort. Il est difficile de déterminer, vu les opérations financières floues et complexes qui ont mené aux allégations contre M. Zhang, si le gouvernement de la RPC portera des accusations sous le régime de l’article 263. Néanmoins, il est tout à fait possible que le gouvernement invoque cet article, surtout étant donné que des institutions financières ont été impliquées dans ces opérations.
[…] Par ailleurs, nombre des crimes économiques non violents sont toujours passibles de la peine de mort.
[40]
La déléguée du ministre a rejeté ces conclusions du fait que (i) le dossier d’intervention indique déjà les faits pour lesquels M. Zhang serait accusé, lesquels n’ont rien à voir avec les dispositions prévoyant l’application de la peine de mort, et (ii) aucun des associés d’affaires de M. Zhang n’a été reconnu coupable d’actes susceptibles d’être punis, même de loin, par la peine de mort.
[41]
Je conclus que la décision de la déléguée du ministre est déraisonnable parce qu’elle ne fait pas suffisamment état des éléments de preuve à l’effet contraire – à savoir les raisons pour lesquelles M. Zhang serait vraisemblablement exposé au risque d’être condamné à la peine de mort, et l’argument concernant le rôle de premier plan de M. Zhang dans les crimes économiques, par opposition au rôle de soutien de ses associés, en plus des conséquences de sa fuite de la Chine au Canada (voir Muhammad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1483 [Muhammad 2012], para 61).
[42]
Enfin, comme dans la décision Muhammad 2012, compte tenu de mes conclusions ci‑dessus, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par M. Zhang au sujet de la prétendue obligation de la déléguée du ministre d’obtenir des conseils, sur le droit étranger et la Charte, et des garanties quant au traitement éventuel que réservera la Chine à M. Zhang.
IV.
Demande de certification
[43]
M. Zhang demande que la question suivante soit certifiée à titre de question grave de portée générale :
Le ministre qui révise une décision d’ERAR favorable a-t-il, s’il a l’intention de l’annuler, l’obligation de demander des garanties diplomatiques que la peine de mort ne sera pas infligée à la personne expulsée du Canada?
[44]
Puisque cette question n’est pas déterminante quant à l’issue de la présente demande, il n’y a aucune raison de la certifier (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, para 9).
V.
Conclusion
[45]
Je conclus que la déléguée du ministre a déraisonnablement omis de traiter de points essentiels contenus dans la preuve en ce qui concerne le risque de torture et de traitements cruels et inusités, y compris la peine de mort. Bien que les défendeurs signalent à juste titre que l’appréciation de la preuve par la déléguée du ministre dans le cadre d’un ERAR restreint appelle un degré élevé de retenue, je conclus, pour les motifs exposés ci‑dessus, que l’omission de la déléguée du ministre de tenir compte d’éléments de preuve importants en l’espèce est déraisonnable et constitue une erreur susceptible de contrôle. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire doit être examinée à nouveau par un autre décideur. Aucune question n’est certifiée, et aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT rendu dans le dossier IMM-443-17
LA COUR DÉCLARE que :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
La décision de la déléguée du ministre datée du 11 janvier 2017 est annulée et doit être examinée à nouveau par un autre décideur.
Aucune question n’est certifiée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Alan S. Diner »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-443-17
|
INTITULÉ :
|
YONG ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Montréal (Québec)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 5 décembre 2017
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
Le juge Diner
|
DATE :
|
Le 23 février 2018
|
COMPARUTIONS :
Me Constance Connie Byrne
|
Pour LE DEMANDEUR
|
Me Thi My Dung Tran
|
Pour les défendeurs
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bertrand, Deslauriers Avocats Inc.
Avocats
Montréal (Québec)
|
Pour LE DEMANDEUR
|
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
|
Pour les défendeurs
|