Dossier : T-1178-12
Référence : 2017 CF 1192
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 22 décembre 2017
En présence de monsieur le juge Bell
ENTRE :
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ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION
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demanderesse
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et
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P.S. KNIGHT CO. LTD., GORDON KNIGHT ET PETER KNIGHT
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défendeurs
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ET ENTRE :
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P.S. KNIGHT CO. LTD.
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demanderesse reconventionnelle
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et
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ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION
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défenderesse reconventionnelle
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
I.
Aperçu
[1]
L’Association canadienne de normalisation (ACN) a l’intention de publier et de distribuer, le 3 janvier 2018 ou vers cette date, sa version 2018 du Code canadien de l’électricité (le Code). Depuis janvier 2009, l’ACN publie et distribue une version de ce Code tous les trois ans, c’est-à-dire en janvier 2009, 2012 et 2015. Les défendeurs, P.S. Knight Co. Ltd., Gordon Knight et Peter Knight (la partie requérante), étaient au courant de chacune de ces anciennes publications.
[2]
La partie requérante demande une injonction interdisant à l’ACN de publier sa version 2018 du Code en janvier 2018. Elle prétend que l’ACN n’a pas fourni de [traduction] « version provisoire évoluée »
de ses normes aux fins d’examen et de commentaires publics avant l’approbation définitive par le comité technique, comme l’exige le Conseil canadien des normes (le Conseil). L’ACN est un organisme d’élaboration de normes (OEN) reconnu par le Conseil. La clause 6.6.2 des exigences d’accréditation de l’OEN imposées par le Conseil indique notamment ce qui suit :
[traduction]
L’OEN doit aviser le public canadien des normes soumises à un examen public. L’examen public doit durer au moins 60 jours civils une fois que la version provisoire évoluée est disponible et il doit être terminé avant l’approbation définitive par le comité technique.
L’avis doit inclure les dates de début et de fin de la période d’examen.
[3]
L’ACN prétend avoir respecté l’exigence d’examen public du Conseil en publiant les versions provisoires des normes individuellement au lieu de les publier ensemble en tant que version provisoire complète du Code. Ces normes individuelles sont publiées sur son site Web public à mesure qu’elles sont élaborées, et sont accompagnées d’un avis précisant la « date de fin »
de la période de commentaires publics. La partie requérante fait valoir qu’un tel processus étalé sur une période de trois ans ne respecte pas l’exigence d’examen public d’une « version provisoire évoluée »
des normes modifiées.
[4]
À l’audience, l’ACN a affirmé que je n’avais pas compétence pour examiner la présente demande d’injonction interlocutoire, parce que la partie requérante avait omis d’établir qu’elle demandait une injonction dans l’acte introductif d’instance. J’ai rejeté cet argument lors de l’audience après avoir décidé que la demande reconventionnelle comprenait une question qui, malgré sa formulation quelque peu imprécise, suffisait pour fonder une requête en injonction.
II.
Analyse
[5]
Les questions en litige entre les parties sont longues et compliquées. Elles ont donné lieu à plusieurs ordonnances de la Cour et à au moins un appel devant la Cour d’appel fédérale. Aux fins de la présente requête, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de réexaminer chacune de ces ordonnances. Étant convaincu que j’ai compétence pour examiner cette question, mon unique tâche consiste à déterminer si la partie requérante a établi chaque exigence du critère cumulatif à trois volets formulé dans l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, 111 DLR (4th) 385 [RJR-MacDonald], à savoir : 1) il y a une question sérieuse à juger; 2) la partie requérante subira un préjudice irréparable en cas de refus de l’injonction; 3) la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’injonction (voir également l’arrêt Janssen Inc. c Abbvie Corporation, 2014 CAF 112, [2014] ACF no 471, au paragraphe 14).
A.
Question sérieuse à juger
[6]
Le Code de l’ACN, tel qu’il est complété ou modifié de temps à autre par celle-ci, devient automatiquement une loi dans certaines provinces (voir, par exemple, l’alinéa 2c) et les paragraphes 3(1) et 3(2) du Electrical Code Regulations, NS Reg 95/99 (règlement sur le code de l’électricité de la Nouvelle-Écosse); et l’alinéa 3a) du Electrical Code Regulation, Alta Reg 209/2006 (règlement sur le code de l’électricité de l’Alberta)). En conséquence, le Code devient obligatoire dans plusieurs provinces immédiatement après sa publication. Contrairement à ce qu’affirme l’ACN, des pans entiers de la population canadienne n’auront d’autre choix que de se conformer au Code lorsqu’il sera publié en 2018. Cela rend particulièrement importante l’exigence d’un examen public.
[7]
Compte tenu de ces facteurs, je suis d’avis que la partie requérante soulève une question sérieuse à juger sur laquelle la Cour doit statuer. Je conclus que la publication distincte des modifications proposées des différentes normes sur une période de trois ans, afin de permettre un examen et des commentaires publics, peut ne pas constituer une occasion d’examen public d’une « version provisoire évoluée »
comme le prévoient les exigences d’accréditation de l’OEN imposées par le Conseil. J’en déduis que la partie requérante soulève une question sérieuse pour ce qui est de savoir si la procédure de l’ACN permet d’effectuer un examen public d’une version provisoire évoluée et d’émettre des commentaires à son sujet, comme l’exige le Conseil.
B.
Préjudice irréparable
[8]
L’exigence de préjudice irréparable est remplie lorsqu’il existe un risque de dommages pour lesquels une indemnisation lors d’un procès serait impossible à déterminer ou constituerait une réparation inadéquate (arrêt RJR-MacDonald, au paragraphe 64). Dans le cas où l’ACN n’aurait pas respecté l’exigence d’examen public imposée par le Conseil, le préjudice causé à la partie requérante et aux autres par la publication du Code en janvier 2018 serait irréparable pour les motifs qui suivent.
[9]
Tout d’abord, le public canadien dans de nombreuses provinces (y compris la partie requérante en Alberta) serait assujetti à un système de réglementation élaboré de manière incompatible avec l’intention du législateur. En d’autres termes, à l’adoption du règlement qui intègre automatiquement le Code dans la loi provinciale il était entendu que les versions modifiées des normes évoluées auraient été accessibles pendant 60 jours aux fins d’examen et de commentaires publics. La mesure dans laquelle une version d’une norme est évoluée est matière à discussion. En outre, il était évident que le Code évolué n’a pas été accessible aux fins de commentaires publics pendant une période de 60 jours. Le préjudice subi par la partie requérante et le public à cause de la mise en œuvre inappropriée du règlement constitue, à mon avis, un préjudice irréparable.
[10]
Ensuite, la partie requérante, dont les activités consistent à publier une annotation du Code, n’aurait pas eu l’occasion d’examiner une version provisoire évoluée des normes révisées, contrairement aux exigences d’accréditation de l’OEN imposées par le Conseil. La partie requérante ne pourrait donc pas publier son produit en temps voulu après la publication du Code révisé, ce qui porterait un préjudice grave et immense à ses activités.
C.
Prépondérance des inconvénients
[11]
La partie requérante prétend que, lorsqu’il y a une question sérieuse à juger et que l’existence d’un préjudice irréparable a été démontrée, il s’ensuit que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi de l’injonction. Je reconnais qu’il est rare que la prépondérance des inconvénients ne suive pas les conclusions d’une question sérieuse à juger et d’un préjudice irréparable, mais je conclus que c’est le cas en l’espèce.
[12]
L’ACN a déterminé que l’adoption d’un nouveau processus d’examen public coûterait plus d’un million de dollars. Elle a également établi que le Conseil avait approuvé son approche quant à l’examen public des projets de normes. Enfin, les éléments de preuve démontrent que la partie requérante est au courant du processus d’examen actuel depuis au moins 2009 et qu’elle a omis, jusqu’à ce jour, de présenter une demande d’injonction.
[13]
À mon avis, la partie requérante n’a pas donné suite à ses droits. Le fait qu’elle n’ait pas demandé d’injonction avant cette date tardive milite en faveur de l’ACN. En outre, la partie requérante demande une injonction interlocutoire qui perturberait le statu quo. Ce facteur milite également en faveur de l’ACN dans une analyse de la prépondérance des inconvénients. En dernier lieu, je suis conscient de la confusion qui régnerait et des coûts importants qui seraient engagés si le processus d’examen devait être modifié à une date aussi tardive. Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l’octroi d’une injonction interlocutoire.
III.
Conclusion
[14]
Compte tenu de tous les éléments qui précèdent, je conclus que la partie requérante ne satisfait pas à l’ensemble des trois composantes du critère à trois volets. À mon avis, la prépondérance des inconvénients ne milite pas en faveur de l’octroi de l’injonction interlocutoire demandée. Dans ces circonstances, je rejetterais la requête en injonction interlocutoire interdisant à l’ACN de publier une version révisée du Code en janvier 2018.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE le rejet, sans dépens, de la requête en injonction interlocutoire empêchant l’ACN de publier sa version 2018 du Code canadien de l’électricité en janvier 2018.
« B. Richard Bell »
Traduction certifiée conforme
Ce 29e jour d’août 2019
Lionbridge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1178-12
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INTITULÉ :
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ASSOCIATION CANADIENNE DE NORMALISATION c P.S. KNIGHT CO. LTD., GORDON KNIGHT ET PETER KNIGHT et
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 15 décembre 2017
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :
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LE JUGE BELL
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DATE DES MOTIFS :
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Le 22 décembre 2017
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COMPARUTIONS :
Kevin Sartorio
James Green
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Pour la demanderesse/défenderesse reconventionnelle
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Jeffrey Radnoff
Charles Haworth
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Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle (P.S. KNIGHT CO. LTD.)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gowling Strathy Henderson LLP
Avocats
1 First Canadian Place
100, rue King Ouest, bureau 1600
Toronto (Ontario) M5X 1G5
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POUR LA DEMANDERESSE/DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE
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Radnoff Law Offices
Avocats
375, avenue University, bureau 701
Toronto (Ontario) M5G 2J5
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Pour la défenderesse/demanderesse reconventionnelle (P.S. KNIGHT CO. LTD.)
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